La littérature sous caféine


jeudi 6 septembre 2007

Exceller dans la description de la misère (Olivier Adam, A l’abri de rien)



Rentrée littéraire 2007 (4)

Un collègue au lycée, qui me paraît être un grand lecteur (il arbore notamment un William T. Vollmann dans la salle des profs), me voit avec le dernier Olivier Adam à la main, A l’abri de rien (Editions de l’Olivier, août 2007).

« Tu lis ce truc ? C’est de la littérature moyenne, y’a rien dedans, pas de style, qualité médiocre, formatée pour un cinéma médiocre… » (Référence à l’adaptation ciné de Je vais bien, ne t’en fais pas).

Jusqu’à maintenant, je trouvais pourtant qu’Adam réussissait un véritable exercice d’équilibriste : l’exigence littéraire d’une part, le souci du grand public de l’autre. Il était d’ailleurs l’un des très rares, me semblait-il, à réaliser ce grand écart. Le recueil de nouvelles Passer l’hiver, notamment, m’avait fait forte impression : tension des intrigues, épaisseur humaine, émotions palpables, avec juste ce qu’il faut d’effets de style.

Falaises renouvelait avec succès l’exercice, en l’étendant au format roman.

Adam tente une nouvelle fois le coup, mais il me semble qu’il perde un peu de sa force. Un peu comme Dan Chaon, jeune auteur américain, avait perdu de la puissance quand il était passé de son excellent recueil de nouvelles Parmi les Disparus (Albin Michel, 2004), au plus languissant roman Le Livre de Jonas (Albin Michel, 2006).

Avec A l’abri de rien, Olivier Adam tient un thème en or : cette histoire de jeune mère de famille qui tente de sauver sa propre vie en aidant des réfugiés kosovars est parfaitement dans l’air du temps. Mais elle sent légèrement la redite : on retrouve les mêmes personnages miséreux, les mêmes atmosphères d’alcool et de désespoir que dans les précédents opus. L’ensemble se lit bien, avec de belles pages tristes et d’autres assez saisissantes (notamment les quelques scènes de violence). Parfois le style lorgne méchamment vers Céline, lorsqu’il s’agit de dire la crasse et la pauvreté :

« Alors ces gamins quand je les regardais, ça me sautait à la gueule leur jeunesse et la mienne qui était bel et bien morte. » (p50)

En citant le passage suivant, j’adresse un clin d’œil à un ami dentiste :

« Des médecins pour les soigner gratis on en trouve toujours, elle avait dit, mais le problème c’est les dentistes. Ces gens-là ont un porte-monnaie à la place du cœur. De toute façon c’est impossible autrement. Pourquoi consacrer une vie à regarder dans la bouche des gens si c’est pas pour le pognon ? » (p111)

mercredi 5 septembre 2007

Mylène et Zazie dans le métro



Dans un bar assez minable de Montreuil (je reprends mes bonnes vieilles habitudes), sur un léger fond musical RnB (Cf Vidéo, le dernier tube de Timbaland, décidément producteur de l’année, The Way I are).

Deux piliers de bar, d’une soixantaine d’année, pinte de bière à la main. La femme s’adresse d’une voix monocorde à son voisin.

- J’ai vu le Dvd de Mylène Farmer. J’aime pas trop d’habitude ce qu’elle chante, mais alors là, c’est vachement bien.
- Ah ouais ?
- Qu’est-ce qu’elle est bien sur scène ! Elle arrive même à pleurer, et tout, et elle entraîne la foule avec elle.
- Ah ouais ?
- C’est une fille bien. Vraiment, son Dvd, c’est super.
- Ah ouais ?... Y’a Zazie, aussi, qu’est bien.
- Zazie dans le métro ?
- Zazie.
- Zazie dans le métro ?
- Elle est pas dans le métro, Zazie, elle est sur scène.
- Zazie dans le métro…
- Bon allez (il finit sa bière), j’ai des trucs à faire. Salut la compagnie.
- Zazie dans le métro…

lundi 3 septembre 2007

Rentrée (presque) littéraire 2007 en lycée

Je retrouve le lycée de Montreuil dans lequel j’étais si bien l’année dernière, pour quelques semaines ou quelques mois : je dois réfléchir d’urgence au programme, notamment avec ma classe de 1ere… Comme le roman vient de réapparaître dans les listes de Bac, il faut que j’en trouve un qui réponde aux critères suivants, pour une classe de niveau plutôt modeste :

- Roman français ni trop court, ni trop long (moins de 200 pages ?)
- Bien écrit, mais pas précieux
- Intéressant, mais pas trop obscur
- Emouvant, mais pas tarte
- Ni trop avant-gardiste, ni trop vieilli
- Sans scène de sexe explicite, ni trop de violence
- Politiquement correct, mais suffisamment subtil

Vous en connaissez beaucoup, des romans qui remplissent ce cahier des charges ?

J’en ai juste en tête une poignée…

Le Sagouin de Mauriac me paraît pas mal, même s’il est un peu daté.
Bonjour Tristesse, de Sagan, me paraît un peu juste pour faire des études de texte.
Les romans de Maupassant, ça pourrait aller.
L’Etranger, de Camus, pourquoi pas.
Pêcheur d'Islande, de Pierre Loti, dont je garde un excellent souvenir, mais il faudrait que je le relise très vite
Les Zola, Balzac, Stendhal, Proust et compagnie, trop long ou trop ardu me paraît-il pour cette classe
Céline, inenvisageable...
L'amant, de Duras ? Thème délicat à traiter (très jeune fille avec un homme plus mûr)

J'ai quelques heures encore pour y penser...

lundi 27 août 2007

Colique et devinette (Eric Reinhardt, Cendrillon)



Rentrée littéraire 2007 (1)

Dans Cendrillon, le 4ème roman d’Eric Reinhardt (Stock, août 2007, 578 pages), vous trouverez des pages qui vous rappelleront :

- Christine Angot pour l’atmosphère d’autofiction (en plus feutré, en plus neutre) (l’un des 4 personnages principaux correspond au narrateur, et semble se confondre avec l’auteur).

- Fraternité de Marc Weitzman (Denoël, 2006) pour le constat sombre sur notre société contemporaine (Fraternité faisait fort dans le cynisme et la noirceur).

- Les Corrections de Franzen pour l’ampleur du projet et le portrait de ces grandes familles en déliquescence (ce qui donne lieu à de longues et cruelles scènes de comique grotesque).

- Le Bûcher des Vanités de Tom Wolfe pour les aperçus sur le monde de la finance (en moins documenté cependant, et en moins réaliste).

- Houellebecq pour les scènes de pitoyables amours adolescentes.

Et je clos ce billet par une devinette : essayez de trouver qui se cache derrière le double portrait de la page 33 :

« … un philosophe marxiste de premier plan, mondialement connu, auteur de nombreux livres, professeur à temps partiel dans une université de Californie, père d’une actrice célèbre et à la mode. Actrice célèbre et à la mode ? Voilà qui pique au vif votre curiosité. Vous allez sans doute me réclamer son nom. Malheureusement, public hétéroclite, amis hongrois, amis du Tyrol et de l’Himalaya, je doute que cette actrice vous soit connue. Elle ne doit sa notoriété qu’au mécanisme d’une connivence de caste, d’une bienveillance de son milieu si influent. En plus d’être fille de philosophe, elle avait réalité la prouesse d’être sortie première de deux écoles prestigieuses de la République, l’une : dans le domaine des lettres, l’autre : dans le domaine des arts dramatiques, les deux : fabriquant des élites. Cette actrice dans un film suisse, un film bulgare ou Yougoslave, hollywoodien ? Irréductiblement parisienne, endémique de la bourgeoisie intellectuelle de gauche, invariable, monotone comme la pluie, totalement inexportable, il est à craindre qu’elle ne franchira jamais les frontières de la France. »

vendredi 24 août 2007

Le thé jaune



Histoire de ne pas laisser totalement ce blog en friches (je m’accorde encore huit jours de relative lobotomie webesque), et avant d’évoquer la rentrée littéraire 2007, voici quelques perles pêchées sur les plages havraises au cours du splendide mois d’août :

1) Un jour de ciel menaçant :
« Oh dès ! Fais rien moche ! Putain il commence à pleuvoir ! Comment que ça se fait ? »

2) Un couple de soixantenaires rougeauds à la terrasse d’un café donnant sur la mer :
Elle : « Ce sera un thé blanc pour moi. »
Le serveur : « Et pour Monsieur, comme d’habitude, son thé jaune ? »
(Rires gras + clin d’œil)
(probable allusion à un Ricard)
Lui : « Ouais, comme d’hab’, mon thé jaune ! »
Elle : « Oh non, ça te fait gonfler, ça ! Prends plutôt un thé ! »
Lui (rire gras) : « Oh dès ! C’est pour les Dames, ça, le thé ! »

3) Dans le même café :
La patronne, à son mari :
« Eh, regarde, celui qui vient de réserver la table pour ce soir, c’est Monsieur Toumas.
- Qui ça que c’était ?
- Monsieur Toumas !
- Qui c’est que tu dis ?
- Monsieur Toumas, le monsieur des assurances !
- Ah oui ! C’est lui le connard ? »

mardi 21 août 2007

Le Road-Roman de Haruki Murakami (Kafka sur le rivage)



Il y a à boire et à manger dans l’avant-dernier Haruki Murakami, Kafka sur la plage (10/18, 2007). Vous y trouverez notamment :

- Une scène d’horreur presque aussi gratinée que la scène du soldat écorché vif dans Chroniques de l’oiseau à ressorts : un homme qui ouvre le ventre de chats vivants et qui mange leur cœur.

- De nombreux passages didactiques, comme celui-ci :

« Ecoute-moi bien, Kafka Tamura, le sentiment que tu éprouves actuellement a fait l’objet de nombreuses tragédies grecques. Ce ne sont pas les humains qui choisissent leur destin mais le destin qui choisit les humains. Voilà la vision du monde essentielle de la tragédie grecque. Et la tragédie – d’après Aristote – prend sa source, ironiquement, non pas dans les défauts mais dans les vertus des personnages. Tu comprends ce que je veux dire ? Ce ne sont pas leurs défauts, mais leurs vertus qui entraînent les humains vers les plus grandes tragédies. Œdipe roi, de Sophocle, en est un remarquable exemple. Ce ne sont pas sa paresse ou sa stupidité qui le mènent à la catastrophe, mais son courage et son honnêteté. Il naît de ce genre de situation une ironie inévitable. » (p272)

- Ce qu’on pourrait appeler de la féerie métaphysique : les personnages sont pris dans des paradoxes temporels, des apories logiques, des raccourcis existentiels, etc…

- Une intrigue serrée, malgré les 650 pages du bouquin, fondée sur l’alternance de séquences narratives assez brèves, passant d’un personnage à l’autre (la vraie réussite du livre est cette structure).

- Une atmosphère régulièrement fantastique, avec une série de tableaux relativement impressionnants : passages d’un monde à l’autre, pluie de poissons, personnages-fantômes…

- Trois scènes de sexe peu banales.

- Des passages comiques (pas toujours les plus réussis).

- De fréquentes références à la culture littéraire mondiale et japonaise.

- Une atmosphère de road-movie tendre à la Takeshi Kitano.

- De réguliers clins d’œil à Prince (grâce soit rendue à Murakami : d’ailleurs ne pourrait-on pas comparer les univers fortement colorés et fantasmatiques, parfaitement ébouriffés, de ces deux créateurs ?) :

« Prince chante Sexy Mother-Fucker. Le bout de mon pénis est un peu irrité. Cela m’a fait mal tout à l’heure lorsque j’ai uriné. Le gland est rouge. La peau de mon prépuce est encore toute fraîche et sensible. Entre les fantasmes sexuels qui défilent dans ma tête, les citations venues de diverses lectures qui fusent, et la voix suave de Prince qui accompagne le tout, j’ai l’impression que mon cerveau va exploser. » (p427))

- Et de l’émotion, malgré les affreuses longueurs à la fin du livre.

vendredi 3 août 2007

Les vies qui volent en éclats (Murakami, Houellebecq, Prince)



Dernier billet avant une pause de 15 jours – retour vers le 15 août.

Japon, toujours. J’avance dans ma lecture de l’avant-dernier Haruki Murakami, Kafka sur le Rivage, étonné de constater que cet auteur prend petit à petit dans mon cœur la place de son homologue Ryû, dont les longs récits d’ultra-violence et d’ultra-sexualité me séduisaient par leurs excès (comme son récent Parasites). Je deviens plus sensible à la mélancolie et aux fantaisies de Haruki – allez savoir pourquoi.

Je suis heureux d’apprendre que Haruki écoute sans doute Prince, puisqu’il place le Nain Pourpre à la page 74 dans le baladeur de son jeune protagoniste (par la suite il écoutera Radiohead). Je serais curieux de savoir ce qu’il pense du dernier album, Planet Earth, dans lequel il me semble que Prince cherche par tous les moyens possibles à se rendre agréable aux oreilles des auditeurs, ce qu’il n’avait jamais fait depuis le début de sa carrière (cela ne le rend pas plus génial pour autant).

Je m’amuse en tombant sur la fin d’un chapitre qui me semble à la fois parfaitement représentatif des atmosphères à la Murakami (Haruki comme Ryû, d’ailleurs), et parfaitement antithétique avec celles de Houellebecq :

« C’est le soir du huitième jour que cette existence régulière, simple et centrée uniquement sur moi-même, a volé en éclats (mais, naturellement, cela devait arriver tôt ou tard). » (p80)

Houellebecq aurait plutôt écrit quelque chose du genre :

« Il espérait que son existence régulière, simple et centrée uniquement sur soi-même, volerait un jour en éclats. Mais la mort de son chien n’a rien changé dans son existence, et c’est du même pas morne qu’il a continué à se rendre tous les jours dans le Monoprix du quartier. »

(En parlant de vies qui volent en éclats, je fais abstraction de la fin de Plateforme...)

vendredi 27 juillet 2007

Paris/Berlin/Tokyo (Zweig/Van Gogh)



En ce moment j'écris sur Tokyo, cette ville qui m’aura transporté pendant seize mois (il y a quelques années maintenant), et je me suis juré de ne lire pendant quelques semaines que des livres écrits par des Japonais, ou portant sur le Japon (comme l’excellent, quoi que décevant parfois, Chroniques Japonaises, de Nicolas Bouvier, considéré comme un classique). Mais c’est en musardant ailleurs que je suis tombé sur une superbe page que je pourrais reprendre quasiment mot pour mot pour décrire mon expérience.

Elle est extraite d’un roman qui n’a pourtant rien à voir avec le Pays du Soleil Levant, mais qui m’a frappé par sa concision, sa diabolique efficacité, son style travaillé mais sans fioriture – et son titre, merveilleux : La Confusion des Sentiments, de Stefan Zweig.

Voilà la manière dont le narrateur parle de Berlin :

« Jamais je n’ai aussi bien compris et aimé Berlin qu’à cette époque car, exactement comme dans ce chaud et ruisselant rayon de ciel humain, chaque cellule de mon être aspirait à un élargissement soudain. Où l’impatience d’une vigoureuse jeunesse aurait-elle pu se déployer aussi bien que dans le sein palpitant et brûlant de cette femme géante, dans cette cité impatiente et débordante de force ? Tout d’un coup elle s’empara de moi, je me plongeai dans son être, je descendis jusqu’au fond de ses veines ; ma curiosité parcourut hâtivement tout son corps de pierre et pourtant plein de chaleur : depuis le matin jusqu’à la nuit, je m’agitais dans les rues, j’allais jusqu’aux lacs de la banlieue, j’explorais tout ce qu’il y avait là de caché : l’ardeur avec laquelle, au lieu de m’occuper de mes études, je m’abandonnais aux aventures de cette existence toujours en quête de sensations nouvelles, était véritablement celle d’un possédé. » (Stock, p17)

Après quoi j’ai feuilleté quelques pages à propos des rapports qu’entretenait Van Gogh et le Japon, cherchant à me renseigner sur un tableau qu’il avait intitulé « La Mousmé dans un fauteuil » (Mousmé étant un mot passé de mode pour désigner une jeune Japonaise, de mœurs plus ou moins légères), et je suis tombé sur un beau passage de la plume de Van Gogh :

« Dans un tableau, je voudrais dire quelque chose de consolant, comme de la musique. Je voudrais peindre des hommes et des femmes avec un certain degré d’éternel, dont l’auréole des saints était autrefois le symbole et que nous essayons de rendre par le rayonnement, la vibration et l’oscillement de nos couleurs. » (Lettre 531)

Les jours précédents, je m’étais justement dit qu’en littérature il fallait essayer la plupart du temps de rendre compte de la sorte de rayonnement intérieur que l’on sent chez les autres, comme l’infime vibration de leur présence.