La littérature sous caféine


mercredi 20 décembre 2023

Marc et cornac

Le fait que « Guerre » de Céline soit un premier jet m’a gêné. Même dans les passages d’anthologie, on trouve des mots qu’il n’a jamais utilisés, des répétitions, des phrases incohérentes… Le livre est court, il pourrait constituer un chapitre de « Mort à crédit ». Mais il est curieusement structuré autour d’une péripétie particulièrement efficace, si bien ficelée qu’on croirait l’auteur cornaqué par son éditeur – une histoire de mac trahi par sa poule. De ce texte, je garderai en tête la prestation hallucinée de Benjamin Voisin au Festival d’Avignon, et les portraits de quelques vicieux croustillants.

"De mon oreille on ne parlait jamais, c'était comme l'atrocité allemande, des choses pas acceptables, pas solubles, douteuses, pas convenables en somme, qui mettaient en peine la conception de remédiabilité de toutes choses de ce monde. J'étais trop malade, j'étais pas assez instruit surtout à l'époque pour déterminer dessus de ma tête très bourdonneuse l'ignominie dans leur comportement à mes vieux et à tous les espoirs, mais je sentais ça sur moi à chaque geste, chaque fois que je vais mal, comme une pieuvre bien gluante et lourde comme la merde (...)" (page 107

Rutilant

Chez Piot-Sevillano, on trouve pas moins de quatre types de cuves : des cuves en acier émaillé, des œufs en béton, des foudres de chêne, des jarres en grès… Comme toujours avec le champagne, on le boit sans trop y penser mais il est un produit complexe, un vin authentique, élaboré par des vignerons à la fois travailleurs, techniciens, gourmets et esthètes !

mardi 19 décembre 2023

Grappes

Quelques coups de sécateur cette année en fin de vendanges. Récolte unique en termes de volume (et peut-être de qualité) grâce à un été chaud et pluvieux. Cependant des grappes pourrissent et il faut trier. C'est aussi ça, le champagne : mettre les mains non pas dans le cambouis mais dans les coulures, les rafles, les marcs, les raisins qui fermentent...

Animaux de cauchemar

Etienne Ruhaud se passionne pour le surréalisme, et son recueil « Animaux » (2020) me paraît surréaliste de bout en bout. Trente poèmes en prose décrivant avec la précision distanciée de Ponge des créatures imaginaires, souvent horrifiques, en tout cas étranges, affublées de noms dont on connaît le sens ou créés de toute pièce – Henri Michaux n’aurait pas renié ces hallucinations, ces mondes arbitraires. Saisir ses cauchemars avec rigueur, assumer ses fantasmes bizarres… André Breton, sort de ce corps !

« Les baignoires

Des bassins circulaires, au fond des abysses, et dont les bords sont constitués d’écailles mauves, grandes comme la main, dures comme le roc. Les baignoires sont emplies d’un liquide organique couleur rouille, pareil à de l’eau ferrugineuse. Attirés par l’odeur, poissons, coquillages et crustacés sont électrocutés, puis aspirés vers la bouche, trou noir et rond, au centre. L’estomac digère chair, arêtes, carapaces et coquilles. Les excréments sont ensuite rejetés au loin par le cloaque, et consommés par des crabes microscopiques. (…) »

lundi 11 décembre 2023

150 grammes d'amitié

Dans un petit livre de beau papier, sobrement intitulé « Sirletti », imprimé de huit reproductions de tableaux en couleurs, Fabrice Pataut rend hommage au peintre disparu Roland Sirletti, ou plutôt aux échos de son œuvre dans son propre imaginaire. J’aime ce genre de témoignage d’amitié dense, étiré dans le temps, cristallisé dans une sorte d’œuvre seconde et parallèle, d’autant que l’écriture en est mystérieuse et précise, proposant à la fois des éléments d’expérience personnelle et de réflexion sur le sens de l’art. Cent-cinquante grammes d’amitié sublimée !

mercredi 29 novembre 2023

Littérature et champagne 2

La grosse Margot

En lisant l'œuvre complète de François Villon, je comprends mieux le culte autour de son œuvre. Il faut vraiment quitter le terrain trop balisé de la Ballade des pendus, pourtant déjà virile, pour aller se perdre dans les allées mal famées de ses autres poèmes. « La ballade de Villon et de la grosse Margot », par exemple, paraît annoncer quelque chose de Rabelais, du romantisme gothique et même du punk qui sévira cinq siècles plus tard, même si l'on frémit à l'idée que les censeurs d'aujourd'hui puissent trouver matière à la faire interdire...

« (…) Puis, on fait la paix, et elle me lâche un gros pet Plus enflé qu’un bousier venimeux. Pour rire, elle m’assène son poing sur le crâne : « Allez ! », dit-elle en me donnant un coup sur la cuisse. Puis, ivres tous les deux, on dort comme une toupie. Au réveil, quand son ventre gargouille, Elle monte sur moi, pour protéger son fruit. Je gémis sous elle, en me faisant plus mince qu’une planche. Elle me tue à force de paillarder, Dans ce bordel où nous tenons boutique. » (traduit en français moderne)

lundi 20 novembre 2023

20 choses vues à Ibiza

Au club Ushuaïa, David Guetta est attendu comme le messie - je me demande s'il n'est pas le Français le plus connu au monde, même si peu doivent savoir qu'il est français / De véritables soirées privées s'organisent sur les terrasses, autour des piscines : des trentenaires bodybuildés, tatoués, torses nus, exhibant des bouteilles de Moët Luminous, invitent de jeunes femmes à les rejoindre ; ils ont pourtant déjà à leurs bras de belles femmes bronzées aux jambes interminables / La terrasse suivante, ce sont des artistes espagnols gays qui invitent des couples pour des photos de groupes ; l'un d'entre eux qui s'était tordu sur le sol en pauses lascives fait un malaise ; les vigiles l'évacuent en chaise roulante / En soirée, Espagnoles et Anglaises portent souvent d'invraisemblables robes filets sur des strings et des poitrines presque dénudées, et cela sans complexe / Les Français sont moins musclés et tatoués que la moyenne, les Françaises plus discrètes et moins vulgaires / Les jeunes Russes portent des barbes improbables et des polos cheap, mais ils sont grands et forts / Les seuls touristes à arborer des chapeaux de cow-boys sont des Allemands / On trouve en centre-ville des distributeur de sex toys et de cbd / A l’Ushuaïa le champagne est du Moët, au Pacha du Perrier-Jouët / Au Pacha, la tech house est démocratique ; la foule se presse, compacte, en piétinant sur place et en fixant le dj rayonnant des stroboscopes / Comme partout dans le monde, la proportion de Français augmente significativement dans les musées, les cathédrales, les vieilles villes... / Au milieu des chapelets et des images pieuses, on trouve des amulettes puniques / Quand je porte un chapelet en collier, le pauvre Christ se perd dans mes poils / L'accueil est généralement sympathique / Les cartes de tapas proposent des plats italiens et des clins d'œil à la cuisine française, notamment le camembert / Aux Deux Alpes il y avait beaucoup de gros chiens ; ici, beaucoup de petits / Les bougainvilliers, les acacias, les hibiscus ponctuent agréablement la ville / Le tourisme est international mais essentiellement occidental / Je ne sais quoi penser des combinaisons d'été pour hommes, cèderai-je à la mode l'année prochaine ? / La ville se partage en trois zones : la vieille ville, superbe ; les complexes touristiques, massifs et parfois réussis ; les quartiers modernes proprement espagnols, assez médiocres mais bien entretenus / Sur les plages on voit beaucoup de strings, de seins nus (cela se pratique-t-il encore en France ?), de corps tatoués et musclés / Chez les hommes, le mini slip est à la mode / A Turin je me croyais en Autriche, à Ibiza j’imagine à la fois en Grèce et à Miami / Sur le chemin du Pacha des Néerlandaises sniffent du poppers / Cela faisait longtemps que je n'avais pas pris une cuite en pleine soleil, à midi, sur un bateau plein de grosses Anglaises en bikini.