La littérature sous caféine


mercredi 2 octobre 2019

De l'Etat tuteur à l'Etat tuto

Voici le meilleur livre à propos des Gilets jaunes que j’aie pu lire : « Une Colère française » (L’Observatoire, 2019), écrit par Denis Maillard en partenariat avec le think tank L’Aurore lancé par Gilles Clavreul. Révolte contre l’impôt ? Révolte sociale ? Révolte des « bouseux » contre les « parigots » ? Rien de tout cela, ou plutôt tout cela ensemble mais dans le cadre d’une réalité plus profonde et que personne ou presque n’a saisie : l’émergence d’une véritable « société de marché » succédant à la traditionnelle social-démocratie, supprimant les pouvoirs intermédiaires pour installer un dialogue plus direct entre l’Etat et la société civile. Loin d’être antilibéraux, les Gilets jaunes seraient d’ardents défenseurs de l’épanouissement individuel, rejetant l’autorité trop paternaliste de l’Etat.

« Cette modernité prend la forme d’un rapport inversé entre société et politique : l’intérêt général n’est plus incarné par l’Etat, mais juste déduit de l’écoute des différentes revendications de la société civile entre lesquelles il s’agit d’arbitrer. » (page 38)

Tout cela nous fait furieusement penser à Tocqueville qui, dès la première moitié du 19ème siècle, prophétisait déjà le rejet des pouvoirs intermédiaires par la société démocratique, tout en redoutant l’emprise de l’Etat sur la vie privée des citoyens, emprise contre laquelle les Gilets jaunes ont exprimé semble-t-il un rejet épidermique.

lundi 23 septembre 2019

Le Trash politiquement correct

Dans ses précédents films, Tarantino massacrait des nazis, des racistes et des machos. Dans « Once upon a Time… », il massacre des femmes et des hippies ! Il passe ainsi du Trash politiquement correct au Trash politiquement incorrect. Je n’ai trouvé dans aucune critique, aucune interview de Tarantino de piste pour expliquer ce mystère...

mercredi 11 septembre 2019

L’homme amoureux des femmes et des hommes qui savent les aimer



Curieuse impression, lisant le merveilleux "Amant de Lady Chatterley" (1928), que DH Lawrence s’est non pas coulé dans la psychologie féminine – ce serait un peu ridicule de le dire aujourd’hui – mais qu’il a véritablement écrit en amoureux des femmes, c’est-à-dire en imaginant ce que pouvait être un point de vue féminin sur les hommes en général et sur quelques-uns en particulier. L’auteur dépeint ces derniers comme souvent ridicules, parfois merveilleux. Et quand ils sont merveilleux, ils le sont à force d’une sorte de virilité cosmique faisant la part belle à l’amour et à la tendresse – une tendresse exprimée dans toute sa force.

lundi 9 septembre 2019

27 choses observées en Irlande du Nord (3/3)

Je n’avais pas imaginé que la série Game of Thrones puisse être l’objet d’un tel culte en Irlande du Nord : expositions, sculptures, « special tours »… Je suppose que les décors naturels n’en sont pas la seule raison, mais que la série a capté quelque chose de l’esprit national / Cela fait des décennies maintenant qu’au Royaume Uni le déjeuner star pour toute personne en goguette est incarné par le sandwich triangle et le paquet de chips – goût vinaigre –, au demeurant plutôt agréables / On dirait qu’il y a deux mondes, en Irlande : celui des villes où règnent la bière, la musique et les tensions sociales ; celui de la nature où les prairies, les collines, les moutons vous appellent à tout oublier / L’omniprésence de la pluie doit forcément beaucoup jouer dans cette culture du Pub, ces antres assez sombres où résonnent des rires autour des pintes interminablement resservies / Etonnant comme certaines villes communient dans le souvenir des drames : la principale attraction de Belfast est le musée du Titanic, de même qu’à Stockholm c’était le musée d’un galion sombré dans la baie / J’ai toujours eu le sentiment que les pays anglo-saxons étaient les pays des pavillons ; tout le monde ou presque semble y avoir droit à sa maison proprette et correctement séparée de celle de ses voisins, si bien que la qualité de vie du point de vue de l’habitat, et alors même que les différences sociales semblent plus profondes qu’en France, me semble meilleure là-bas / Chaque fois que j’entendais dans un magasin, dans un bar, une ligne de basse très distincte, le fantôme des Cranberries se levait dans la salle.

mercredi 4 septembre 2019

"Les bons Profs" sur France Inter ("Grand bien vous fasse", Ali Rebeihi)



mercredi 21 août 2019

27 choses observées en Irlande du Nord (2/3)



J’ai vu beaucoup de bergeronnettes grises, certes uni peu moins nombreuses que les moineaux domestiques en France mais davantage que les rouges-gorges / Dans les cimetières, les tombes précisent les dates de mort mais pas de naissance / Aux yeux d’un Français, un des éléments d’exotisme est représenté par la religion, très présente à tous les coins de rue – par exemple, cet ange à la fenêtre ; dans les temples et les églises on entend des gens prier à voix haute / En revanche, je trouve la culture celte beaucoup moins présente qu’en République d’Irlande… Serait-ce le résultat de la relative mainmise des Anglais sur le pays ? En Ecosse, les protestants sont proportionnellement plus nombreux qu’en Irlande du Nord et pourtant la culture celte est partout. La guerre civile irlandaise aurait-elle étouffé les revendications culturelles alors qu’elle aurait pu les vivifier ? / Fascinant comme les fractures entre catholiques et protestants, entre républicains et unionistes ne se ressentent pas pour un touriste, alors même que le pays se remet tout juste de la guerre civile ; il faut vraiment lire et visiter les musées pour réaliser la profondeur de la blessure, à défaut d’avoir le temps de fréquenter vraiment la population / Dans les gares, un nombre incalculable d’affiches pour la prévention de l’alcoolisme, de la violence ou du suicide ; signe d’une profonde misère sociale ? Ou bien signe que les pouvoirs publics ont le courage de s’emparer de la question ? / Dès qu’on s’éloigne du centre de Belfast, on commence à voir les stigmates de la pauvreté – obésité, marques d’alcoolisme, fréquence des survêtements et des cheveux mal colorés –, une pauvreté que j’ai toujours trouvée plus visible dans les pays anglo-saxons qu’en France. Ne serait-ce qu’une impression ? / Au Belfast Museum, un nombre important de toiles s’inspire des impressionnistes français ; j’aime imaginer cette inspiration comme un contre-don de la France au don qu’a représenté la geste celtique / Dans les restaurants chics, on trouve le même tropisme vers la France : les cartes présentent des soupes à l’oignon et des sauces vierges / En littérature, aussi : Beckett a vécu en France tandis que Houellebecq ou Déon choisissaient l’Irlande pour quelques années

vendredi 2 août 2019

27 choses observées en Irlande du Nord (1/3)



Quand on survole la France puis l’Angleterre, on passe d’un paysage de parcelles jaunes (céréales, fortes chaleurs) à un paysage de parcelles vertes (prairies, pluie) / Au Royaume-Uni les champs sont encore délimités par des haies / Les Irlandais semblent passer une part considérable de leur existence à jouer du violon, de la guitare et de la flûte, et à boire de la bière / Les îles britanniques sont vraiment les seuls pays d’Europe où de la très bonne musique populaire (en l’occurrence, de la folk et du rock) se fait entendre un peu partout / En Irlande du Nord les jeunes hommes et les garçons sont tous coiffés de la même façon : nuque et côtés rasés, longue mèche lissée vers l’avant / A Stockholm l’année dernière les gens m’avaient semblé plus grands, plus élancés, plus beaux que la moyenne européenne ; en Irlande, sans vouloir paraître grossier et en dépit de la sympathie que je voue à ce peuple, je dois bien admettre que c’est l’inverse / L’accent irlandais doit faire rire les Anglais mais, les premières jours, il m’a semblé bien adapté à l’oreille française ; curieusement, les jours suivants je n’y ai plus rien compris / La plupart des gens s’habillent sans élégance, à l’exception notable de certains hommes arborant des chemises ou chemisettes très chics et plutôt rock, aux motifs colorés / Pourquoi les Anglo-saxons ont-ils développé des rythmes de repas si différents ? Petit déjeuner copieux, déjeuner maigre, dîner généreux – il me faut toujours vingt-quatre heures pour m’adapter / Les Irlandais mettent beaucoup d’orgueil à entretenir leurs pelouses – des maisons médiocres présentent d’impeccables parterres, l’Université de Belfast affiche un immense et merveilleux gazon (…)

mercredi 3 juillet 2019

Les livres crépusculaires de Marc Weitzmann



Insatisfait par les explications qu’on donne habituellement à l’explosion de haines qu’a connue la France ces dernières années, Marc Weitzmann retrousse ses manches de journaliste et d’écrivain pour tenter de proposer quelques hypothèses et cela donne Un temps pour haïr (Grasset, 2018), vaste enquête qui se lit comme un thriller et qui multiplie les analyses : tendances antimodernistes françaises, fascination de la gauche pour un certain exotisme islamique, imposture de la prétendue « déradicalisation », désinformation massive à propos de la guerre civile algérienne… On finit étourdi par tant de causes qui se conjuguent et le livre s’achève sur un fort sentiment de déréliction. L’auteur donne l’impression que le pays se défait, impression qui avait déjà marqué certains de ses romans comme Fraternité (Denoël, 2006). Les dernières pages, évoquant la mort du père en banlieue, sont crépusculaires, et l’on y retrouve le souffle désespéré du romancier :

« En plus de sa phlébite, il avait presque toute sa vie trop fumé, il était en surpoids, souffrait d’hypertension, n’avait jamais fait de sport : tout ceci s’ajoutant à l’anxiété de ce coup de fil faisait de lui un candidat idéal pour l’AVC. Donc, non, mon père n’est pas tombé victime collatérale de la croix gammée de Drancy – n’importe quel moment de tension aurait aussi fait l’affaire. Mais tout de même. Dans quel autre pays, à quel autre moment, le contexte dans lequel il passa ses dernières semaines d’existence l’aurait-il ainsi renvoyé à cette époque de sa jeunesse, avant même la guerre, dès les années 30, où l’on avait surnommé lycée juif le lycée Janson-de-Sailly en face duquel habitait ma famille paternelle et où étaient inscrits mon père et mon oncle, si bien qu’à la sortie des classes, tous deux pouvaient régulièrement tomber sur les militants de l’Action française dont un groupe avait pris l’habitude de se réunir devant les grilles pour scander Mort aux Juifs – cette époque où il avait appris à se taire et où planait la haine. » (p 492)