La littérature sous caféine


lundi 27 août 2007

Colique et devinette (Eric Reinhardt, Cendrillon)



Rentrée littéraire 2007 (1)

Dans Cendrillon, le 4ème roman d’Eric Reinhardt (Stock, août 2007, 578 pages), vous trouverez des pages qui vous rappelleront :

- Christine Angot pour l’atmosphère d’autofiction (en plus feutré, en plus neutre) (l’un des 4 personnages principaux correspond au narrateur, et semble se confondre avec l’auteur).

- Fraternité de Marc Weitzman (Denoël, 2006) pour le constat sombre sur notre société contemporaine (Fraternité faisait fort dans le cynisme et la noirceur).

- Les Corrections de Franzen pour l’ampleur du projet et le portrait de ces grandes familles en déliquescence (ce qui donne lieu à de longues et cruelles scènes de comique grotesque).

- Le Bûcher des Vanités de Tom Wolfe pour les aperçus sur le monde de la finance (en moins documenté cependant, et en moins réaliste).

- Houellebecq pour les scènes de pitoyables amours adolescentes.

Et je clos ce billet par une devinette : essayez de trouver qui se cache derrière le double portrait de la page 33 :

« … un philosophe marxiste de premier plan, mondialement connu, auteur de nombreux livres, professeur à temps partiel dans une université de Californie, père d’une actrice célèbre et à la mode. Actrice célèbre et à la mode ? Voilà qui pique au vif votre curiosité. Vous allez sans doute me réclamer son nom. Malheureusement, public hétéroclite, amis hongrois, amis du Tyrol et de l’Himalaya, je doute que cette actrice vous soit connue. Elle ne doit sa notoriété qu’au mécanisme d’une connivence de caste, d’une bienveillance de son milieu si influent. En plus d’être fille de philosophe, elle avait réalité la prouesse d’être sortie première de deux écoles prestigieuses de la République, l’une : dans le domaine des lettres, l’autre : dans le domaine des arts dramatiques, les deux : fabriquant des élites. Cette actrice dans un film suisse, un film bulgare ou Yougoslave, hollywoodien ? Irréductiblement parisienne, endémique de la bourgeoisie intellectuelle de gauche, invariable, monotone comme la pluie, totalement inexportable, il est à craindre qu’elle ne franchira jamais les frontières de la France. »

vendredi 24 août 2007

Le thé jaune



Histoire de ne pas laisser totalement ce blog en friches (je m’accorde encore huit jours de relative lobotomie webesque), et avant d’évoquer la rentrée littéraire 2007, voici quelques perles pêchées sur les plages havraises au cours du splendide mois d’août :

1) Un jour de ciel menaçant :
« Oh dès ! Fais rien moche ! Putain il commence à pleuvoir ! Comment que ça se fait ? »

2) Un couple de soixantenaires rougeauds à la terrasse d’un café donnant sur la mer :
Elle : « Ce sera un thé blanc pour moi. »
Le serveur : « Et pour Monsieur, comme d’habitude, son thé jaune ? »
(Rires gras + clin d’œil)
(probable allusion à un Ricard)
Lui : « Ouais, comme d’hab’, mon thé jaune ! »
Elle : « Oh non, ça te fait gonfler, ça ! Prends plutôt un thé ! »
Lui (rire gras) : « Oh dès ! C’est pour les Dames, ça, le thé ! »

3) Dans le même café :
La patronne, à son mari :
« Eh, regarde, celui qui vient de réserver la table pour ce soir, c’est Monsieur Toumas.
- Qui ça que c’était ?
- Monsieur Toumas !
- Qui c’est que tu dis ?
- Monsieur Toumas, le monsieur des assurances !
- Ah oui ! C’est lui le connard ? »

mardi 21 août 2007

Le Road-Roman de Haruki Murakami (Kafka sur le rivage)



Il y a à boire et à manger dans l’avant-dernier Haruki Murakami, Kafka sur la plage (10/18, 2007). Vous y trouverez notamment :

- Une scène d’horreur presque aussi gratinée que la scène du soldat écorché vif dans Chroniques de l’oiseau à ressorts : un homme qui ouvre le ventre de chats vivants et qui mange leur cœur.

- De nombreux passages didactiques, comme celui-ci :

« Ecoute-moi bien, Kafka Tamura, le sentiment que tu éprouves actuellement a fait l’objet de nombreuses tragédies grecques. Ce ne sont pas les humains qui choisissent leur destin mais le destin qui choisit les humains. Voilà la vision du monde essentielle de la tragédie grecque. Et la tragédie – d’après Aristote – prend sa source, ironiquement, non pas dans les défauts mais dans les vertus des personnages. Tu comprends ce que je veux dire ? Ce ne sont pas leurs défauts, mais leurs vertus qui entraînent les humains vers les plus grandes tragédies. Œdipe roi, de Sophocle, en est un remarquable exemple. Ce ne sont pas sa paresse ou sa stupidité qui le mènent à la catastrophe, mais son courage et son honnêteté. Il naît de ce genre de situation une ironie inévitable. » (p272)

- Ce qu’on pourrait appeler de la féerie métaphysique : les personnages sont pris dans des paradoxes temporels, des apories logiques, des raccourcis existentiels, etc…

- Une intrigue serrée, malgré les 650 pages du bouquin, fondée sur l’alternance de séquences narratives assez brèves, passant d’un personnage à l’autre (la vraie réussite du livre est cette structure).

- Une atmosphère régulièrement fantastique, avec une série de tableaux relativement impressionnants : passages d’un monde à l’autre, pluie de poissons, personnages-fantômes…

- Trois scènes de sexe peu banales.

- Des passages comiques (pas toujours les plus réussis).

- De fréquentes références à la culture littéraire mondiale et japonaise.

- Une atmosphère de road-movie tendre à la Takeshi Kitano.

- De réguliers clins d’œil à Prince (grâce soit rendue à Murakami : d’ailleurs ne pourrait-on pas comparer les univers fortement colorés et fantasmatiques, parfaitement ébouriffés, de ces deux créateurs ?) :

« Prince chante Sexy Mother-Fucker. Le bout de mon pénis est un peu irrité. Cela m’a fait mal tout à l’heure lorsque j’ai uriné. Le gland est rouge. La peau de mon prépuce est encore toute fraîche et sensible. Entre les fantasmes sexuels qui défilent dans ma tête, les citations venues de diverses lectures qui fusent, et la voix suave de Prince qui accompagne le tout, j’ai l’impression que mon cerveau va exploser. » (p427))

- Et de l’émotion, malgré les affreuses longueurs à la fin du livre.

vendredi 3 août 2007

Les vies qui volent en éclats (Murakami, Houellebecq, Prince)



Dernier billet avant une pause de 15 jours – retour vers le 15 août.

Japon, toujours. J’avance dans ma lecture de l’avant-dernier Haruki Murakami, Kafka sur le Rivage, étonné de constater que cet auteur prend petit à petit dans mon cœur la place de son homologue Ryû, dont les longs récits d’ultra-violence et d’ultra-sexualité me séduisaient par leurs excès (comme son récent Parasites). Je deviens plus sensible à la mélancolie et aux fantaisies de Haruki – allez savoir pourquoi.

Je suis heureux d’apprendre que Haruki écoute sans doute Prince, puisqu’il place le Nain Pourpre à la page 74 dans le baladeur de son jeune protagoniste (par la suite il écoutera Radiohead). Je serais curieux de savoir ce qu’il pense du dernier album, Planet Earth, dans lequel il me semble que Prince cherche par tous les moyens possibles à se rendre agréable aux oreilles des auditeurs, ce qu’il n’avait jamais fait depuis le début de sa carrière (cela ne le rend pas plus génial pour autant).

Je m’amuse en tombant sur la fin d’un chapitre qui me semble à la fois parfaitement représentatif des atmosphères à la Murakami (Haruki comme Ryû, d’ailleurs), et parfaitement antithétique avec celles de Houellebecq :

« C’est le soir du huitième jour que cette existence régulière, simple et centrée uniquement sur moi-même, a volé en éclats (mais, naturellement, cela devait arriver tôt ou tard). » (p80)

Houellebecq aurait plutôt écrit quelque chose du genre :

« Il espérait que son existence régulière, simple et centrée uniquement sur soi-même, volerait un jour en éclats. Mais la mort de son chien n’a rien changé dans son existence, et c’est du même pas morne qu’il a continué à se rendre tous les jours dans le Monoprix du quartier. »

(En parlant de vies qui volent en éclats, je fais abstraction de la fin de Plateforme...)