La littérature sous caféine


lundi 3 novembre 2014

Simone de Beauvoir, éternelle petite fille



Comme beaucoup, je tiens Simone de Beauvoir pour la plus grande diariste française du 20ème. Sa pensée doit beaucoup à Sartre, mais son autobiographie vibre d’une vie que le maître existentialiste peinait à rendre : plume fluide, ample, nourrie, précise.

Le premier volume, Mémoires d’une jeune fille rangée, débute pourtant de manière assez fastidieuse. Dans la première partie, notamment, l’auteur cherche à trop bien écrire… Et les détails étouffent un peu l’ensemble. On dirait que Beauvoir écrit d’une manière aussi bourgeoise que son milieu. Malgré tout, l’écriture s’allège au fil des ans – collant davantage aux émotions, décrivant des faits plutôt que des sentiments. Cela tient sans doute au fait que Beauvoir évoque des événements de plus en plus récents.

Ainsi les Mémoires du Castor se calquent-ils, les années passant, sur le journal dont ils s’inspirent. Et c’est particulièrement frappant dans l’avant-dernier volume, Tout compte fait, qui se lit d’une traite. Voyages, amours, débats… Beauvoir passe sans transition d’un aspect à l’autre d’une vie qui se veut à la fois romanesque et intellectuelle – c’est ce qui fascine.

Malgré tout, la formule devient assez mécanique. Beauvoir alterne dissertations de khâgneuse et journal de jeune fille, sans lisser l’ensemble. Les détails sont charmants mais ils virent à l’anecdotique. Ce que l’auteur gagne en naturel, elle le perd en force. Et elle finit par laisser au lecteur une impression assez regrettable : celle d’une femme mûre qui n’a finalement pas tellement grandi, appliquée comme une élève, laissant filer le quotidien avec la naïveté d’une adolescente qui attend d’en savoir davantage.

Par ailleurs, n’y a-t-il pas de la complaisance à raconter par le menu ses rencontres, ses repas, ses soucis, comme si chacun d’eux contenait une part de vérité ? Comme si le moindre détail participait du prestige de la grande dame ?

Dans le tout dernier volume, La cérémonie des adieux (1981), plus court que les précédents et retraçant les dernières années de Sartre, l’impression se confirme. La complaisance flirte avec le voyeurisme : Beauvoir ne nous épargne pas grand-chose des supplices de Sartre – problèmes de vue, d’étourdissements, de divagations, d’incontinence… Beauvoir ne cède-t-elle pas à des effets faciles, trop faciles pour une œuvre qui se veut exigeante ? Elle-même annonce d’ailleurs en préambule que le livre retrace « la fin de Sartre »…

L’écriture calquée sur celle du journal donne quelques paragraphes assez faibles.

« En un jour le soleil était devenu un soleil d’été ; les bourgeons éclataient, les arbres verdoyaient, dans les squares les fleurs éclosaient et les oiseaux chantaient ; les rues sentaient l’herbe fraîche. »

Toujours cette impression de vie, d’optimisme, mais avec un goût nouveau, cependant, celui du demi-mensonge : Beauvoir soigne le maître, lui dresse un véritable monument, relève le moindre de ses mouvements mais dresse un voile de pudeur devant certains aspects plus problématiques de sa biographie comme sa liaison supposée avec sa propre fille adoptive. Toute à son admiration, elle oublie de se montrer ironique, comme on aimerait qu’elle le soit de temps en temps.

Ce qui ajoute d’ailleurs au malaise que peut susciter l’attitude de cette grande prêtresse du féminisme : elle donne plutôt l’image ici d’une épouse modèle, d’une amante dévouée, d’une midinette agressivement protectrice, d’une véritable dame patronnesse veillant sur un héritage. L’ultime contradiction de ce témoin privilégié des passions du siècle ?

vendredi 24 octobre 2014

Chut, les petits Blancs sont parmi nous



Il n’y a pas une semaine sans qu’un événement relayé par les médias ne mette en scène ces petits Blancs qu’on s’évertue pourtant, chaque fois, à ne pas nommer. Plus leur image crève l’écran, moins on le signale. Plus la singularité de leur situation semble criante, moins on l’analyse.

Je me contenterai d’évoquer trois exemples récents, du plus anecdotique au plus terrifiant.

Tout d’abord, l’expression que Valérie Trierweiler prête à François Hollande, à tort ou à raison – ces fameux « Sans-dents ». Qui sont-ils au juste, sinon ces pauvres des campagnes, ces familles que la Sécurité Sociale, depuis longtemps déjà, renonce à soigner correctement ? Les soins dentaires restent chers, hors de portée d’un nombre grandissant de foyers. On rétorquera qu’il s’agit d’un problème social, et qu’il y a des Sans-dents parmi toutes les communautés. Seulement, et c’est là que le bât blesse, les clichés de la misère ne sont les mêmes d’une communauté à l’autre. Non seulement François Hollande, si l’on en croit Valérie Trierweiler, pensait à de toutes autres personnes que des membres des minorités ethniques, mais les « dents pourries » sont bien l’un des éléments visuels les plus récurrents de la représentation des White Trash. Que l’on songe à Josette dans Le Père Noël est une ordure, aux mercenaires dégénérés de Tarantino dans Django unchained ou encore au personnage effrayant de Merle Dixon dans la série Walking Dead. Cette sorte de cliché visuel, on ne le trouve que très rarement dans la représentation de la pauvreté chez d’autres communautés. Les dents blanches y sont même parfois mises en scène comme le signe d’une cruauté particulière du destin, réduisant à la misère des gens pourtant beaux.

Si François Hollande – tel que le met en scène Valérie Trierweiler – avait ironisé sur des pauvres autres que blancs, nul doute que le scandale aurait été bien plus considérable. Mais il est significatif qu’il ne l’ait précisément pas fait, tant on sait que la principale cible électorale du PS reste, depuis des années maintenant, les minorités ethniques. Le Blanc pauvre est tenu, lui, pour un beauf, et on a toute légitimité pour se moquer de lui.

Le succès public et critique de la série P’tit Quinquin, d’autre part. Je n’ai pas encore eu le temps de la regarder, mais je connais les précédents films de Bruno Dumont et il n’est pas difficile de remarquer comme il creuse le sillon, entre autres, de cette étude des Petits Blancs français. Encore une fois, ce genre d’expression n’affleure pas dans son travail, ni dans les articles qu’il suscite, et c’est bien dommage. Dans La vie de Jésus (1997), le thème du racisme était pourtant présent – celui qu’exprimaient ces jeunes garçons frustes, brutaux mais attachants, contre un Kader accusé de séduire la petite amie de Freddy. La tension raciale était ainsi le thème central du film. Certes, les « méchants » restaient les Blancs, mais le cinéaste leur accordait de l’attention.

Encore une fois, on nous dit qu’il ne faut pas parler de ces gens-là – pire, qu’il faut bannir les mots qui les désignent. Dire qu’ils existent, dire qu’ils sont humains, ce serait faire le jeu du Front national, stigmatiser les autres ou montrer de l’intérêt à une population qui ne le mérite pas.

Enfin, et là nous touchons au cœur du problème – ce moment où le déni de réalité accentue les douleurs et suscite de nouveaux drames –, je pense à l’affaire des pédophiles de Rotherham, en Angleterre, une affaire explosive et saisissante. Je n’ai pas la place ici d’entrer dans les détails, mais on pourrait résumer l’affaire comme suit : Des hommes d’origine pakistanaise ont violé pendant des années plus d’un millier d’enfants ou adolescents blancs, en rupture familiale, sans qu’interviennent les services dédiés à l’enfance ; ces derniers avaient peur de passer pour racistes.

Séisme national, peu d’échos en France. Les journalistes de l’hexagone doivent ressentir la même gêne que les acteurs sociaux anglais de l’époque. En tout cas, ils préparent le terrain pour des affaires comparables, puisqu’ils s’apprêtent à taire des faits qui pourraient ébranler leur conviction foncière : celle que les petits Blancs n’existent pas et que leur souffrance de toute façon ne mérite pas notre attention puisque, en tant que Blancs, ils ne peuvent être victimes.

Si je compilais, en annexe de mon livre Les Petits Blancs, tout ce que l’actualité charrie de faits divers à leur propos, mon éditeur m’en voudrait beaucoup : le livre deviendrait une encyclopédie.

mardi 21 octobre 2014

"La politique de droite comme de gauche me dénie, m'enfonce, me piétine, me vomit..."



Je reçois ce mail d'un lecteur, en même temps qu'une reproduction d'une de ses toiles, intitulée "Les Amis", fortement évocatrice de l'œuvre de Houellebecq je trouve :

"Bonjour,

je m'appelle (...), et je suis né en 1972.

Jusqu'à l'âge de 10 ans j'ai vécu à Valenciennes, ville alors en plein déclin économique.

Jean Louis Borloo a beau avoir rénové la ville en terme d'urbanisme, Valenciennes demeure une ville sinistrée.

Mon père a travaillé toute sa vie comme ouvrier électricien. Ma mère a longtemps été femme de ménage dans l'éducation nationale avant d'être concierge. Elle retarde sa mise en retraite car ils disposent d'un logement de fonction et la retraite dont ils finiront bientôt par bénéficier tous les deux ne leur réserve qu'un logement dans une citée HLM malfamée.

Aujourd'hui je vis à Tourcoing et travaille de nuit, depuis 12 ans, à Roubaix dans un établissement pour personnes âgées dépendantes.

Ma curiosité m'amène à chercher à comprendre pourquoi et comment je suis devenu un white trash. Certes il y a certainement des individus qui pourrait se revendiquer de ce terme plus que moi. Mais je ressens en permanence du lever au coucher et par ma situation géographique même le fait que la politique de droite comme de gauche me dénie, m'enfonce, me piétine, me vomit.

Je me reconnais parfaitement dans vos propos dans l'interview visible sur votre blog. Votre interlocuteur est d'ailleurs très bon.

J'ai fais votre connaissance à travers des recherches sur internet sur le terme "white trash" que j'utilise dans un mémoire que je rédige pour obtenir un master 2 arts plastiques en VAE.

Mon directeur de recherche n'avait jamais entendu parler du terme "white trash" et je suis heureux qu'il soit importé des états unis pour cerner une partie de la population Française. Définir les choses permet de le permettre d'exister dans le débat.

(...)

Ma peinture que je produits depuis mes 17 ans s'enracine dans la culture des "white trash" Français. Je viens de là mais je travaille beaucoup à me cultiver, à apprendre, afin d'un jour je l'espère avoir les outils intellectuels pour dénoncer nommément les acteurs et les complices d'une forme de génocide, sinon d'avilissement d'une partie de la population Française. On peut certes parler du capitalisme et/ou des francs maçons (revendiquant l'héritage d'Albert Pike) qui ont assurément joué un rôle majeur dans le fait que des êtres humains ne trouvent pas leur place dans la société qui les a vu naître. Mais j'aimerais être en mesure de pouvoir nommer un responsable pour chaque victime."

mercredi 15 octobre 2014

Marc Molk ou le comble de l'art



Marc Molk s’amuse en décrivant, dans Plein la vue (Editions Wild Project, 2014), trente tableaux dont il pointe certains détails et relève les cocasseries, les beautés secrètes, les fausses platitudes. Il applique à la lettre le programme contenu dans ce qu’on appelle une ekphrasis : la description animée d’une œuvre d’art, que l’animation se trouve dans l’œuvre elle-même (que l’on songe au bouclier merveilleux d’Achille) ou dans la narration qui la met en scène.

Ici, l’animation se trouve véritablement dans le langage. Marc prend le ton badin, enjoué, de l’amateur qui s’adresse à des amis, mais il n’en délivre pas moins de très sérieuses petites leçons de bon goût – le sien, en l’occurrence, mais présenté de manière si joyeuse que l’étude de la peinture semble alors à la fois facile et lumineuse.

A l’image de cette Etude de fesses de Félix Vallotton, à propos desquelles Marc Molk déclare : « Il s’agit ici de réalisme, de réalisme sévère, avide de cruauté. Il s’agit de fesses parfaitement réelles. Elles ont l’air tremblantes alors même qu’elles ne bougent pas. N’est-ce pas miraculeux ? » La littérature éclairant la peinture qui elle-même éclairait le monde : une sorte de comble de l’art !

mercredi 25 juin 2014

Comment se faire casser la gueule dans un bus

Une scène qui pourrait servir d'ouverture aux "Petits Blancs" Volume II

Troyes, sur le chemin du lycée Chrétien de Troyes, le 24.06.2014

Première fois que je me fais casser la gueule dans un bus. Un petit jeune, sentant le whisky, me bouscule. Je réagis. Insultes, menaces, embrouille. Quelqu'un le contient, il part à l'arrière du véhicule. Dix minutes plus tard il revient, m'insulte à nouveau, et comme je ne baisse pas la tête, le coup part. Je valdingue au sol, je pense avoir la mâchoire brisée. Je me relève, confusion dans le bus, le chauffeur appelle la police. La tension monte, je me prépare à me battre. On m'incite à porter plainte mais je n ai pas que ça à faire, et puis le coup a porté sur la pommette. Quelques instants plus tard, le petit jeune quitte le bus. Et moi je pense surtout à la phrase qu'une dame a crié plusieurs fois : "Il a frappé un père de famille! Il a frappé un père de famille!"

mardi 27 mai 2014

"Beurs" et "Petits Blancs": mon débat avec Saïd Bouamama

En mai 2014, débat avec Saïd Bouamama organisé par le Club de la Presse de Lille:

mardi 6 mai 2014

Soirée du Prix des lecteurs du Télégramme (Morlaix, 11/04/2014)

Soirée de présentation/débats autour du Prix des Lecteurs du Télégramme.



vendredi 2 mai 2014

Interview télévisé par Roman Bernard