La littérature sous caféine


vendredi 28 juin 2013

Nouvelle maison d'édition : Plein jour

Article paru dans Livres Hebdo (juin 2013), signé Catherine Andreucci :

"La voix des gens

Sybille Grimbert et Florent Georgesco veulent donner la parole aux gens, ceux que l’on entend peu, par le biais des écrivains. Ils créent donc les éditions Plein jour, dédiées aux documentaires littéraires. « Les écrivains ont une force de dévoilement de la réalité plus grande que celle que peuvent avoir les journalistes », estime Florent Georgesco, lui-même journaliste, notamment au Monde des Livres, et qui a été éditeur pendant dix ans chez Léo Scheer, où il était également rédacteur en chef de la Revue littéraire, il y aura aussi des documents journalistiques plus classiques. Mais, pour l’instant, pas de romans. « Il est très difficile de commencer avec de bons romans, et nous ne voulions pas ajouter à la surproduction romanesque. Surtout, nous avions envie de proposer quelque chose de nouveau », explique Sybille Grimbert, écrivaine. Son huitième roman paraîtra à la rentrée chez Anne Carrière, maison avec laquelle le couple a signé un contrat commercial qui permet à Plein jour d’être diffusé et distribué par Interforum et de bénéficier de la fabrication. « Notre indépendance éditoriale et financière est totale », soulignent-ils. Les premiers titres paraîtront le 17 octobre : Avant de disparaître, dialogue avec les ouvriers de PSA-Aulnay, de Sylvain Pattieu, et Les Petits blancs, un voyage dans la France d’en bas, d’Aymeric Patricot. Viendront ensuite une enquête de Claire Berest avec les policiers de la brigade des mineurs, et une autre d’Yves Mamou sur le Hezbollah. Dix titres sont prévus en 2014.
"

lundi 24 juin 2013

Olivier Adam ou l'éloge paradoxal du déracinement (Les Lisières, Flammarion 2012)


Olivier Adam, aux « lisières » de Paris par FranceInfo

« Son plus grand roman », précise Le Monde. Et il est vrai que Les Lisières (Flammarion 2012) d’Olivier Adam en impose par son souffle, sa tension dramatique, son ambition. Il s’attache notamment à dresser le vaste portrait de ces zones périurbaines en constante expansion – zones pavillonnaires, HLM – et de la mélancolie, voire du mal-être qui s’y développent.

Le narrateur, qu’il est difficile ici de ne pas confondre avec l’auteur tant les points de comparaisons sont nombreux, se remet difficilement d’une séparation. Il quitte la Bretagne pour rendre visite à sa famille restée vivre en banlieue parisienne. Mais le séjour ne fait qu’approfondir le gouffre entre ce romancier que le succès pousse à fréquenter les « bobos » et ses propres parents restés si modestes. Des parents qui s’obstinent par ailleurs à rester vivre dans la région.

« Si étrange que cela puisse paraître, cette banlieue où personne n’avait jamais eu envie de vivre, cette banlieue que j’avais toujours entendu qualifier de pourrie, ni plus ni moins qu’une autre mais simplement pourrie, de laideur commune, de banalité pavillonnaire et d’ennui résidentiel, était devenue l’objet d’une flambée immobilière qui me laissait interdit. » (Page 87)

Cette répulsion pour les zones pavillonnaires s’accompagne bientôt d’un éloge du déracinement. Le narrateur se demande comment les gens peuvent éprouver de l’attachement pour des lieux si désincarnés. Le racines ne sont-elles pas foncièrement illusoires ? De même, et malgré tout l’amour qu’il porte à la Bretagne, il ne comprend pas les sortes de délires identitaires qui attachent les Bretons à leur région.

« J’avais débarqué en Bretagne étonné de découvrir une terre où tout le monde était blanc, où il restait encore des gens pour se définir comme « catholiques », où beaucoup se revendiquaient d’ici depuis des générations et paraissaient en tirer une fierté que je trouvais, selon les jours, suspecte ou carrément imbécile. Où certains parlaient sans rire d’identité régionale, de traditions locales, de coutumes, de particularismes, de racines. Un truc surgi du passé en somme, une France telle que l’imagine Jean-Pierre Pernaut, attardée et refermée sur elle-même. » (page 124)

Il me semble déceler cependant un paradoxe dans cette double posture : éloge du déracinement / répulsion pour la banlieue. La banlieue parisienne en effet n’est-elle pas devenue, précisément, le lieu par excellence du déracinement ? Une sorte de territoire indécis, sans ancrage particulier, qui devrait alors faire les délices du narrateur ?

D’autant que le tempérament dépressif de ce dernier ne plaide pas en sa faveur : comment avoir envie de le suivre si c’est pour vivre un tel effondrement intérieur ? Si c’est pour flirter avec le perpétuel effacement de sa personne ?

Autre aspect du paradoxe : le narrateur fait l’éloge du déracinement mais il n’a l’air de réussir à vivre, comme l’auteur d’ailleurs, qu’en Bretagne et au Japon : une région dont la « culture locale » est sans doute la plus forte de France, comme le souligne le narrateur lui-même ; et un pays qui fait de l’isolement et du refus du métissage une sorte de principe... Comment justifier, dès lors, à la fois le refus des racines et le bonheur de vivre parmi des gens qui, eux, revendiquent ces racines ?

Non pas que l’éloge du déracinement soit une mauvaise chose. Moi-même, je me sens proche de cette posture de la marge. Et j’ai, comme Olivier Adam, ce double amour de la Bretagne et du Japon… J’adore me sentir comme un passager clandestin dans une région dont je maîtrise mal les codes, qui m’ignore et grâce à quoi je me sens libre. Mais il me paraît étrange de ne valoriser que ce déracinement : le goût pour ce dernier ne peut qu’aller de pair avec la présence, proche et même envahissante, de populations et de cultures qui se sentent, elles, « ancrées ». Le plaisir d’errer est sans doute d’autant plus fort que les autres, eux, refusent d’errer. Et puis, comment raisonnablement imaginer un monde où tout le monde se mettrait à errer ?

La passion du narrateur pour la Bretagne et le Japon me font ainsi l’effet d’un véritable retour du refoulé : plus il se libère des entraves, plus sa tristesse s’approfondit. Sans se l’avouer, il paraît rechercher la présence de gens qui « s’installent ». Et il reproche à son père de détester le métissage tout en refusant lui-même de vivre en région parisienne : le prétexte est l’affreuse monotonie des pavillons, des centres-villes et des supermarchés. Mais ce rejet tout architectural ne masquerait-il pas l’angoisse d’un monde entièrement voué au déracinement ?

dimanche 23 juin 2013

Olivier Adam ou l'éloge paradoxal du déracinement (Les Lisières, Flammarion 2012)


Olivier Adam, aux « lisières » de Paris par FranceInfo

« Son plus grand roman », précise Le Monde. Et il est vrai que Les Lisières (Flammarion 2012) d’Olivier Adam en impose par son souffle, sa tension dramatique, son ambition. Il s’attache notamment à dresser le vaste portrait de ces zones périurbaines en constante expansion – zones pavillonnaires, HLM – et de la mélancolie, voire du mal-être qui s’y développent.

Le narrateur, qu’il est difficile ici de ne pas confondre avec l’auteur tant les points de comparaisons sont nombreux, se remet difficilement d’une séparation. Il quitte la Bretagne pour rendre visite à sa famille restée vivre en banlieue parisienne. Mais le séjour ne fait qu’approfondir le gouffre entre ce romancier que le succès pousse à fréquenter les « bobos » et ses propres parents restés si modestes. Des parents qui s’obstinent par ailleurs à rester vivre dans la région.

« Si étrange que cela puisse paraître, cette banlieue où personne n’avait jamais eu envie de vivre, cette banlieue que j’avais toujours entendu qualifier de pourrie, ni plus ni moins qu’une autre mais simplement pourrie, de laideur commune, de banalité pavillonnaire et d’ennui résidentiel, était devenue l’objet d’une flambée immobilière qui me laissait interdit. » (Page 87)

Cette répulsion pour les zones pavillonnaires s’accompagne bientôt d’un éloge du déracinement. Le narrateur se demande comment les gens peuvent éprouver de l’attachement pour des lieux si désincarnés. Le racines ne sont-elles pas foncièrement illusoires ? De même, et malgré tout l’amour qu’il porte à la Bretagne, il ne comprend pas les sortes de délires identitaires qui attachent les Bretons à leur région.

« J’avais débarqué en Bretagne étonné de découvrir une terre où tout le monde était blanc, où il restait encore des gens pour se définir comme « catholiques », où beaucoup se revendiquaient d’ici depuis des générations et paraissaient en tirer une fierté que je trouvais, selon les jours, suspecte ou carrément imbécile. Où certains parlaient sans rire d’identité régionale, de traditions locales, de coutumes, de particularismes, de racines. Un truc surgi du passé en somme, une France telle que l’imagine Jean-Pierre Pernaut, attardée et refermée sur elle-même. » (page 124)

Il me semble déceler cependant un paradoxe dans cette double posture : éloge du déracinement / répulsion pour la banlieue. La banlieue parisienne en effet n’est-elle pas devenue, précisément, le lieu par excellence du déracinement ? Une sorte de territoire indécis, sans ancrage particulier, qui devrait alors faire les délices du narrateur ?

D’autant que le tempérament dépressif de ce dernier ne plaide pas en sa faveur : comment avoir envie de le suivre si c’est pour vivre un tel effondrement intérieur ? Si c’est pour flirter avec le perpétuel effacement de sa personne ?

Autre aspect du paradoxe : le narrateur fait l’éloge du déracinement mais il n’a l’air de réussir à vivre, comme l’auteur d’ailleurs, qu’en Bretagne et au Japon : une région dont la « culture locale » est sans doute la plus forte de France, comme le souligne le narrateur lui-même ; et un pays qui fait de l’isolement et du refus du métissage une sorte de principe... Comment justifier, dès lors, à la fois le refus des racines et le bonheur de vivre parmi des gens qui, eux, revendiquent ces racines ?

Non pas que l’éloge du déracinement soit une mauvaise chose. Moi-même, je me sens proche de cette posture de la marge. Et j’ai, comme Olivier Adam, ce double amour de la Bretagne et du Japon… J’adore me sentir comme un passager clandestin dans une région dont je maîtrise mal les codes, qui m’ignore et grâce à quoi je me sens libre. Mais il me paraît étrange de ne valoriser que ce déracinement : le goût pour ce dernier ne peut qu’aller de pair avec la présence, proche et même envahissante, de populations et de cultures qui se sentent, elles, « ancrées ». Le plaisir d’errer est sans doute d’autant plus fort que les autres, eux, refusent d’errer. Et puis, comment raisonnablement imaginer un monde où tout le monde se mettrait à errer ?

La passion du narrateur pour la Bretagne et le Japon me font ainsi l’effet d’un véritable retour du refoulé : plus il se libère des entraves, plus sa tristesse s’approfondit. Sans se l’avouer, il paraît rechercher la présence de gens qui « s’installent ». Et il reproche à son père de détester le métissage tout en refusant lui-même de vivre en région parisienne : le prétexte est l’affreuse monotonie des pavillons, des centres-villes et des supermarchés. Mais ce rejet tout architectural ne masquerait-il pas l’angoisse d’un monde entièrement voué au déracinement ?

mardi 18 juin 2013

Vomir devant examinateur / Le bruit de la neige qui tombe

1) En tant qu'examinateur (oraux de bac, de bts...), j'ai connu l'élève vulgaire, l'élève sale, l'élève qui pleure, l'élève qui claque la porte... Mais je n'avais encore jamais rencontré l'élève qui fait semblant de vomir au moment de s'installer devant le jury.

2) Dans les galeries de peinture du château de Chantilly, une mère de bonne famille fait réciter à son fils la liste des rois et empereurs de France. Ce dernier clôt la liste en énonçant fièrement: "Mais mon préféré, ça reste bien Napoléon."

3) Dans une copie de BTS Communication, un élève imagine un spot radio. Il précise qu'on doit entendre, en fond sonore, "le bruit de la neige qui tombe."

mercredi 5 juin 2013

Tarantino invente le "Politiquement correct trash"



Des femmes vengeresses achèvent un macho dans un duel de voitures (Boulevard de la mort). Un groupuscule juif scalpe des nazis puis massacre des collabos dans un cinéma parisien (Inglorious Basterds). Un Noir libéré de ses chaînes règle son compte à un esclavagiste pervers et fait un carton parmi les petits Blancs qui lui servaient de sbires (Django unchained).

Dans chacun de ses trois derniers films, Tarantino semble appliquer la même recette : choisir un personnage honni de la morale contemporaine (le macho, le nazi, le raciste) et, profitant du blanc-seing que lui confère la doxa, laisser libre cours à ses appétits de violence. Pas de pitié pour les figures répulsives de l’époque, pas d’hésitation même à les massacrer – du moins, à l’écran. C’est une catharsis autorisée, l’accomplissement d’une pulsion destructrice que la morale, pour une fois, approuve, et tout cela dans une sorte de grand rire libérateur.

Au-delà de la qualité de ces films (sens du dialogue, visuels puissants, scenario léché), comment ne pas ressentir une certaine stupeur ?

Certes, les débauches finales de violence, comme il en existe souvent dans le cinéma américain, peuvent également susciter le malaise : que l’on pense aux vigilant movies, ces films mettant en scène la vengeance de citoyens à qui la police ne vient plus en aide et qui décident de se faire justice eux-mêmes, massacrant les voyous dans un accès de rage qui, le plus souvent, les perdra. Chez le spectateur il y a le plaisir d’imaginer dézinguer de purs méchants, mais aussi la tristesse de voir le protagoniste seul dans sa quête, perdu par la colère qui le dévore, et la mélancolie consistant à se dire que la vengeance personnelle reste un pis-aller, moralement, politiquement condamnable.

Dans Scarface, le héros massacre à tour de bras les mafieux venu le déloger parce qu’il aura été trop loin dans son appétit de puissance. Si l’on jouit de son incroyable résistance, en revanche on le sait condamné. On comprend sa défaite en dépit de la sympathie qu’il nous inspire. C’est un massacre qui ne débouche sur rien, sinon la disparition d’un homme et de l’univers qu’il portait en lui. Il avait ses raisons, mais il avait choisi la mauvaise voix. Catharsis à vide, rage contre le destin, violence tout azimut et sans avenir.

Dans les films d’horreur, même logique : l’homme sage qui, ne supportant plus la cruauté des agresseurs, se met à les massacrer (La colline a des yeux) ; la fille mal dans sa peau qui, parce qu’elle doit survivre, démembre et réduit en poussière les forces maléfiques (Evil Dead). Mais il s’agit de repousser des monstres, des poupées dégoulinantes. Les agresseurs sont des cauchemars. Quand on achève des zombies, on ne fait que réduire en bouillie des marionnettes spécialement crées pour l’occasion, désignées comme le support idéal à fantasmes d’agression – des marionnettes sans visage, sans épaisseur, sans correspondance bien établie avec le monde réel.

Tarantino reprend cette logique, mais en l’inscrivant dans l’Histoire : le cinéma vous offre, en toute bonne conscience, la jouissance de laisser libre cours à votre agressivité, et Tarantino dirige celle-ci vers les figures archétypiques du « méchant idéologique ». Un peu comme si James Bond, du temps de sa splendeur, ne s’était pas contenté de lutter contre les communistes, mais s’était employé à les torturer puis à les éliminer de la surface du globe par quelques bombes H bien ciblées.

Ainsi Tarantino semble-t-il bien avoir trouvé, dans ses trois derniers films, une formule inédite : le « trash politiquement correct », ou « politiquement correct trash ». Une formule qui fait mouche, tout au moins quand on a son talent. Une formule que l’on accusera d’attiser les rancœurs, voire la violence, entre groupes qu’opposent les idéaux de l’époque, ou bien à laquelle on attribuera le mérite de la catharsis – Django Unchained viderait le sac des haines raciales, éviterait à quelques Noirs de tuer des Blancs parce qu’ils auraient purgé leurs pulsions dans les salles obscures.

Quoi qu’il en soit, il est permis de se demander quelle nouvelle déclinaison nous prépare Tarantino s’il compte poursuivre sur cette voie : des gays massacrant des couples hétéros ? Des petits garçons tuant par dizaines des pédophiles ? Des Sud-Africains noirs éliminant les Blancs de leur territoire ? Des Irakiens débarquant aux Etats-Unis pour réduire en cendres des villes entières ?

A moins que la prochaine étape ne soit, logiquement, l’inversion de cette tendance : le politiquement INcorrect trash… Mais on n’ose imaginer l’horreur que cela pourrait donner.