La littérature sous caféine


vendredi 28 avril 2023

Retour aux pays de l'enfance

Quelques jours, je reviens en pays catalan, dans les Pyrénées orientales, où j'ai passé tant de mes vacances. Je vais y guetter ce qui a changé en trente ans, mais surtout ce qui a changé dans mon regard- on ne vit pas les mêmes choses quand on mâche des malabars en lisant Spirou et quand, père de famille, on est devenu sensible à la nature et aux vieilles pierres. Les temps de pause, je relis quelques-uns des livres qui m'ont fait rêver, adolescent, notamment ces Trois mousquetaires revenus à la mode. Le Béarnais D'artagnan n'a rien à voir avec le Roussillon, mais je suis sûr que Porthos aurait aimé les vins de Collioure et les marinades d'enchois.

"Porthos était couché, et faisait une partie de lansquenet avec Mousqueton, pour s'entretenir la main, tandis qu'une broche chargée de perdrix tournait devant le feu, et qu'à chaque coin d'une grande cheminée bouillaient sur deux réchauds deux casseroles, d'où s'exhalait une double odeur de gibelotte et de matelote qui réjouissait l'odorat. En outre, le haut d'un secrétaire et le marbre d'une commode étaient couverts de bouteilles vides."

jeudi 27 avril 2023

Panache

Pour la deuxième fois d’affilée, les blockbusters investissent Paris. Après les massacres en délire de John Wick sur la place de l’Etoile, voici les duels, ruades et cavalcades des Trois Mousquetaires. Manifestement amoureuse de François Civil, une spectatrice derrière moi gloussait à toutes les répliques, mais je lui pardonnais car le panache de l’œuvre originale transparaissait à l’écran. Malgré les concessions à l’époque – un Porthos bisexuel, des références appuyées au multiculturalisme – la joie virile célébrée par Dumas fait plaisir à voir, enfin reprise en main par le cinéma français. Seuls regrets : l’absence d’un thème musical fort, une photo sombre et l’omission de la sublime lettre du père au début du roman :

« Vous êtes jeune, vous devez être brave pour deux raisons : la première, c’est que vous êtes Gascon, et la seconde, c’est que vous êtes mon fils. Ne craignez pas les occasions et cherchez les aventures. Je vous ai fait apprendre à manier l’épée ; vous avez un jarret de fer, un poignet d’acier ; battez-vous à tout propos ; battez-vous, d’autant plus que les duels sont défendus, et que, par conséquent, il y a deux fois du courage à se battre. »

mercredi 26 avril 2023

L'autre est un autre

Dans son précédent roman, Solange Bied-Charreton abordait le thème original des entreprises familiales qui périclitent à l'heure où le temps long disparaît. Dans "L'acceptation" (Stock, 2023), elle trouve un angle original pour poursuivre avec talent son auscultation d'une France en déshérence : la narratrice vit un amour romanesque mais douloureux avec un Islandais, et cet échec est à l'image des tensions du multiculturalisme. Ce sont peu ou prou les mêmes dilemmes, les mêmes inquiétudes que vit la narratrice dans les fjords ou dans la gare du nord, soulignant à juste titre que la rencontre avec l'Autre peut être belle, mais qu'elle est rarement facile.

"On peut le dire, en débarquant en France, j'ai fait l'expérience de la différence, relatait-il. (...) Il y a cette incapacité à faire fonctionner les choses, chez les Français, qui me trouble beaucoup. La moindre démarche administrative, le moindre appel téléphonique au plombier-chauffagiste qui doivent obligatoirement être réitérés pour aboutir. (...) Les actions ne s'enchaînent pas, parce qu'il faut toujours que quelqu'un y aille de sa petite histoire personnelle sur le sujet, répète les choses ou bien les théorise, ou écrive des bouquins, grosse manie française... " (p. 119)

mercredi 12 avril 2023

Sexy terroir

On m’avait annoncé une littérature du terroir, économe et sèche – et c’est une écriture sensuelle que je découvre dans l’« Histoire du fils » (2020) de Marie-Hélène Lafon, sonore, gourmande, éclairées de fulgurances à propos des corps et des étreintes.

« On pouvait de surcroît aimer les jeunes filles, en tomber amoureux ; il devinait cela, cette pente délicieuse, ce vertige capiteux, il avait un peu lu et connaissait par cœur la Rose de Victor Hugo. Le philtre était amer, il ne serait pas vaincu, pas enchaîné, pas comme ça, ce poison définitif ne coulerait pas dans son sang. Le mot sentait trop la messe ; il pensait et disait la viande, et parfois ses mains en tremblaient sous les draps. » (p. 35)

mardi 11 avril 2023

Haro sur le Français

Dans "John wick 4" (la franchise d'action qui renouvelle le genre), c'est un Français qui incarne le méchant, et dans le sens le plus vil du terme : vicieux, lâche, ridicule... Avant de mourir sans gloire d'une balle dans la tête, il se fait traiter d'"arrogant asshole" par un Keanu Reeves qui vient de massacrer sans relâche une centaire de parisiens aux quatre coins de la capitale, sans parler du sbire se faisant pisser dans la bouche par un chien. Depuis Matrix, on n'avait pas vu de telle décharge anti française ! Mais il faut sans doute le prendre comme une sorte d'hommage : après tout, ce n'est pas rien d'avoir un rôle symbolique si fort à Hollywood !