La littérature sous caféine


mercredi 26 novembre 2014

Balzac, aussi généreux que ses personnages ?



Dans la plupart des romans de Balzac, le protagoniste est un homme pur, au cœur bon, souffrant dans l’adversité, prêt au sacrifice – j’achève tout juste ma lecture de La Recherche de l’infini. Et c’est finalement l’impression que me fait Balzac lui-même : je suis persuadé maintenant qu’il était un homme généreux, bienveillant. Du moins, qu’il avait cette image de lui-même.

En fin de compte, c’est une chose rare que l’écrivain soit un personnage sympathique. Et cette sorte d’ethos compte, à mes yeux, dans l’appréciation que je me fais d’une œuvre. Je ne suis d’ailleurs pas d’accord avec Proust sur ce point : la rupture n’est pas si grande entre l’auteur et son personnage. Souvent, la biographie éclaire des aspects mystérieux d’un livre. Et puis, soyons honnête : la part d’admiration que l’on porte à une œuvre, on la porte aussi et surtout à la femme ou à l’homme qui l’incarne.

dimanche 16 novembre 2014

Le Monde, Zemmour et les "petits Blancs"



En décembre 2013, Eric Zemmour publiait dans Le Figaro un compte-rendu de mon livre "Les petits Blancs" dans lequel il me reprochait notamment de rester "politiquement correct". Le paragraphe suivant allait causer quelques remous :

"Misère financière, misère sociale, misère psychique, misère familiale, misère sanitaire même, Patricot laisse parler ses interlocuteurs qui lui confient leurs malheurs, leur sentiment de déchéance, leur haine des autres et de soi ; jusqu'à la misère sexuelle des jeunes prolétaires blancs qui, éduqués dans l'univers du féminisme occidental, ne peuvent rivaliser avec la virilité ostentatoire de leurs concurrents noirs ou arabes, qui séduisent nombre de jeunes femmes blanches, blondes de préférence, comme le prouve le succès du site blanchablacks.com, que Patricot interprète comme la revanche symbolique de la colonisation, sans voir qu'il exprime aussi l'antique attrait des femmes pour le mâle dominant, le vainqueur, à l'instar de ces Françaises qui couchèrent pendant la Seconde Guerre mondiale avec des soldats allemands puis américains."

Philippe Corcuff, pour Rue 89, non sans tacler le livre, a très vite pointé le fait qu'Eric Zemmour me faisait endosser ses propres obsessions, caricaturant des propos qui se voulaient nuancés. Il s'est par ailleurs étonné que je ne condamne pas sur ce blog les amalgames de l'article en question.

Le Monde, en revanche, n'a pas jugé bon de pointer ce qui me différenciait d'Eric Zemmour. Dans l'édition du 9 novembre 2014, la journaliste Ariane Chemin a publié un long article à charge contre Eric Zemmour, à l'occasion du succès phénoménal de son livre "Le Suicide français". Elle y égrène notamment un certain nombre de références et de lectures de Zemmour - les "Petits Blancs" se trouve alors inclus dans une litanie visant Alain Soral, Renaud Camus... Manifestement, le livre n'a pas été lu. L'article reprend le même paragraphe analysé par Courcuff, mais en laissant croire qu'Eric Zemmour et moi tenons les mêmes propos. Il est notamment difficile de savoir quel est l'auteur de telle ou telle phrase :

"Il [Eric Zemmour] continue (...) à creuser le sillon de ses obsessions. Dans Le Figaro, il chronique Les Petits Blancs, d'Aymeric Patricot, un livre qui décrit « la misère sexuelle de [ces] jeunes prolétaires qui ne peuvent rivaliser avec la virilité ostentatoire de leurs concurrents noirs ou arabes ». Les étrangers qui nous prennent nos femmes ! Pour Patricot, c'est « la revanche symbolique de la colonisation ». Pour Zemmour, bien davantage encore : le signe de « l'antique attrait des femmes pour le mâle vainqueur, à l'instar de ces Françaises qui couchèrent pendant la seconde guerre mondiale avec des soldats allemands puis américains ». La version mainstream, en somme, des Années érotiques 1940-1945, de Patrick Buisson (Albin Michel, 2008), une histoire de la « collaboration horizontale », où les femmes n'ont pas souvent le beau rôle - comme dans les « essais » de Soral et de Zemmour."

C'est d'autant plus dommage qu'il s'agit de la seule mention que Le Monde aura fait des "Petits Blancs".

Mes éditeurs de chez Plein Jour ont protesté, estimant que l'article, pour le moins ambigu, prenait la lecture de Zemmour pour argent comptant, sans se soucier de la réalité du livre. Le Monde a finalement publié le correctif suivant, dans son édition du samedi 15 novembre 2014 - coincé sous une grande publicité pour un déstockage massif de canapés convertibles :

"Eric Zemmour. Sybille Grimbert et Florent Georgesco, directeurs de Plein Jour, la maison d'édition qui a publié en octobre 2013 l'essai d'Aymeric Patricot, Les Petits Blancs, tiennent à signaler que la lecture faite par Eric Zemmour de cet ouvrage (Le Figaro du 5 décembre 2013), reprise dans le portrait du polémiste publié dans Le Monde daté 9-10 octobre, "travestit" gravement la pensée de M. Patricot. "Tout l'objet de son travail intellectuel est, précisément, de rendre possible une analyse objective et équilibrée, loin de la radicalisation, dont M. Zemmour est le symbole, des crises identitaires qui traversent notre société."

dimanche 9 novembre 2014

"J'ai entraîné mon peuple dans cette aventure" (Anne Carrière, janvier 2015)

"J'ai entraîné mon peuple dans cette aventure", sortie début janvier chez Anne Carrière.

lundi 3 novembre 2014

Simone de Beauvoir, éternelle petite fille



Comme beaucoup, je tiens Simone de Beauvoir pour la plus grande diariste française du 20ème. Sa pensée doit beaucoup à Sartre, mais son autobiographie vibre d’une vie que le maître existentialiste peinait à rendre : plume fluide, ample, nourrie, précise.

Le premier volume, Mémoires d’une jeune fille rangée, débute pourtant de manière assez fastidieuse. Dans la première partie, notamment, l’auteur cherche à trop bien écrire… Et les détails étouffent un peu l’ensemble. On dirait que Beauvoir écrit d’une manière aussi bourgeoise que son milieu. Malgré tout, l’écriture s’allège au fil des ans – collant davantage aux émotions, décrivant des faits plutôt que des sentiments. Cela tient sans doute au fait que Beauvoir évoque des événements de plus en plus récents.

Ainsi les Mémoires du Castor se calquent-ils, les années passant, sur le journal dont ils s’inspirent. Et c’est particulièrement frappant dans l’avant-dernier volume, Tout compte fait, qui se lit d’une traite. Voyages, amours, débats… Beauvoir passe sans transition d’un aspect à l’autre d’une vie qui se veut à la fois romanesque et intellectuelle – c’est ce qui fascine.

Malgré tout, la formule devient assez mécanique. Beauvoir alterne dissertations de khâgneuse et journal de jeune fille, sans lisser l’ensemble. Les détails sont charmants mais ils virent à l’anecdotique. Ce que l’auteur gagne en naturel, elle le perd en force. Et elle finit par laisser au lecteur une impression assez regrettable : celle d’une femme mûre qui n’a finalement pas tellement grandi, appliquée comme une élève, laissant filer le quotidien avec la naïveté d’une adolescente qui attend d’en savoir davantage.

Par ailleurs, n’y a-t-il pas de la complaisance à raconter par le menu ses rencontres, ses repas, ses soucis, comme si chacun d’eux contenait une part de vérité ? Comme si le moindre détail participait du prestige de la grande dame ?

Dans le tout dernier volume, La cérémonie des adieux (1981), plus court que les précédents et retraçant les dernières années de Sartre, l’impression se confirme. La complaisance flirte avec le voyeurisme : Beauvoir ne nous épargne pas grand-chose des supplices de Sartre – problèmes de vue, d’étourdissements, de divagations, d’incontinence… Beauvoir ne cède-t-elle pas à des effets faciles, trop faciles pour une œuvre qui se veut exigeante ? Elle-même annonce d’ailleurs en préambule que le livre retrace « la fin de Sartre »…

L’écriture calquée sur celle du journal donne quelques paragraphes assez faibles.

« En un jour le soleil était devenu un soleil d’été ; les bourgeons éclataient, les arbres verdoyaient, dans les squares les fleurs éclosaient et les oiseaux chantaient ; les rues sentaient l’herbe fraîche. »

Toujours cette impression de vie, d’optimisme, mais avec un goût nouveau, cependant, celui du demi-mensonge : Beauvoir soigne le maître, lui dresse un véritable monument, relève le moindre de ses mouvements mais dresse un voile de pudeur devant certains aspects plus problématiques de sa biographie comme sa liaison supposée avec sa propre fille adoptive. Toute à son admiration, elle oublie de se montrer ironique, comme on aimerait qu’elle le soit de temps en temps.

Ce qui ajoute d’ailleurs au malaise que peut susciter l’attitude de cette grande prêtresse du féminisme : elle donne plutôt l’image ici d’une épouse modèle, d’une amante dévouée, d’une midinette agressivement protectrice, d’une véritable dame patronnesse veillant sur un héritage. L’ultime contradiction de ce témoin privilégié des passions du siècle ?