La littérature sous caféine


mercredi 3 septembre 2008

Les frissons métaphysiques de Flaubert (Madame Bovary 1)



J'ai redécouvert cet été Madame Bovary, attentif à la qualité des phrases, puisque Flaubert passe pour l'un des plus grands, sinon la plus grande styliste du 19eme, et à celle de la structure : quel exploit de fonder un roman sur le thème de l'ennui !

Première chose frappante, pour le récent lecteur de certaines oeuvres de Zola que je suis : avec des moyens comparables (récit classique à la troisième personne, dans un style réaliste), Flaubert se montre beaucoup moins ambitieux dans la variété des thèmes traités : il s'en tient à un fil narratif assez mince, et à une gamme de sentiments et de considérations plus étroites. L'ampleur de l'oeuvre de Zola, par comparaison, devient vertigineuse. Pas un endroit qu'il ne veuille décrire, pas un élan de l'âme qu'il ne cherche à scruter.

Les romans de Flaubert (du moins dans cette veine réaliste) parient davantage sur une sorte d'épure romanesque, et c'est peut-être en cela que Madame Bovary paraît plus moderne que tous les Zola réunis : il passe comme un frisson métaphysique dans la description de ce destin tragique de femme courant après un bonheur qu'elle ne parvient jamais à saisir. On est proche de l'abstraction, du constat définitif et désabusé sur la nature humaine.

Le passage suivant est le plus beau du livre, à mon avis : Emma découvre Rouen, ville dans laquelle elle connaîtra bientôt toute la banalité de l'adultère :

"Quelque chose de vertigineux se dégageait pour elle de ces existences amassées, et son coeur s'en gonflait abondamment, comme si les cent vingt mille âmes qui palpitaient là eussent envoyé toutes à la fois la vapeur des passions qu'elle leur supposait. Son amour s'agrandissait devant l'espace, et s'emplissait de tumulte aux bourdonnements vagues qui montaient. Elle le reversait au dehors, sur les places, sur les promenades, sur les rues, et la vieille cité normande s'étalait à ses yeux comme une capitale démesurée, comme une Babylone où elle entrait. (...)" (p317, édition Pocket Classiques)

lundi 1 septembre 2008

Les pizzas jusque-boutistes



(Plage de Venice, à Los Angeles)

Reprise en douceur avec ces quelques perles tirées de ma vadrouille californienne en solo, le genre de choses qu'on ne pourrait pas vraiment entendre ou voir de ce côté de l'Atlantique :

1) Sur un grand boulevard de San Francisco, un homme en costard cravate, manifestement pressé, passe en courant devant un clochard qui fait le pitre à demander de l'argent pour un faux numéro d'automate. Il lui crie dessus, très en colère : "Respect yourself, man !"

2) Une marque de pizza, Extreme Pizza, propose aux passants le sublime slogan suivant - grosso modo : "Quand il y a trop de goût, c'est chez nous !"

3) C'est sur la route de la Vallée de la Mort, dans un village d'une centaine d'âmes, et par une température de 45 degrés, en plein désert, que j'ai vu cette baraque de bois sur laquelle trônait fièrement une pancarte : "SEXUAL ASSAULTS SERVICES"

(Au rayon Artistes qui pourraient donner de grandes choses très bientôt, voici Kenna, l'une des dernières productions de Pharrell Williams (dont la nervosité sautillante, les accords excédés sont très reconnaissables sur ce titre, Say Goodbye to Love), qui signe un album très funk mâtiné d'étonnantes envolées lyriques à la Cure :

lundi 30 juin 2008

Quelques nouveaux mots pour l'été (Néologismes de copies du bac français 2008)



Pause estivale pour ce blog qui mine de rien fête ses deux ans...

Programme de l'été : lecture de classiques (Madame Bovary, Moby Dick...), de pavés contemporains (Gass, Vollmann...), 15 jours en Californie (s'il reste quelques arbres) et 10 jours en Sicile... Sans compter l'écriture, évidemment, avec plusieurs projets que j'entame ou que je poursuis.

En attendant de vous retrouver en Septembre, quelques jolis néologismes des copies toutes fraîches du Bac de Français 2008 :

1) "Bouvard et Pécuchet mènent ennuyeusement leur vie..."

2) "Cette phrase démontre la passabilité de cette femme face aux nouvelles tendances des villes..."

3) "Nous montrerons l'importance de l'aspect échapatoir de la réalité dans un roman..."

4) "Bouvard et Pécuchet veulent recommencer ailleurs une vie ambitieuse et prospérante..."

mercredi 25 juin 2008

Les réponses un peu fausses (Avant-goût des perles du Bac de français 2008)



(Clip : premier extrait, faiblard, du tout dernier album des N.E.R.D, le groupe de Pharrell Williams, Seeing Sounds, album d'électro-funk par ailleurs plutôt bon, voire excellent, à déguster pour l'été qui vient...)

1) Perle 2007 racontée par un prof pendant une réunion de préparation de l'oral du bac 2008 :
- Parle-moi de l'auteur du texte.
- Alors, euh... Luis-Fernandez Céline...
- Pardon ?
- Euh... Luis-Fernandez Céline...
- Je suppose que tu es fan de football ?
- Euh... Oui, pourquoi ?

2) Idem :
- Alors, Marivaux, elle est née au 17ème siècle...
- Pardon ?
- Euh... 16ème siècle ?
- Non, c'est pas grave, oublie de quel siècle il s'agit... Tu as bien dit "elle" ?...
- Euh... Bin ouais... Je sais pas, moi... C'est bien Marie, non ?... Marie... Vaux...

3) Une prof consternée par le tournant récent que prend le Brevet des collèges :
"C'est bien ce qu'il nous a dit, l'inspecteur, le brevet est un brevet social, maintenant... Globalement, on le donne... L'année dernière, on avait pour instruction de rattraper tous les élèves qui avaient au-dessus de 7,5 / 20... En français, il fallait mettre les points quand l'élève se contentait de répondre par Oui ou par Non à une question, et en maths, il fallait mettre des points, pas tous, mais des points quand même, quand les réponses étaient jugée "un peu fausses, mais pas trop..."

dimanche 22 juin 2008

Les angoisses du célibataire, celles de l'homme marié



(Photo : Javier Marias)

Je lis toujours avec une certaine avidité les romans qui mettent en scène les relations de couple... Indépendammant de la qualité même du roman, d'ailleurs. Il suffit que l'intrigue soit fondée sur un doute du narrateur, un questionnement inquiet sur sa vie sentimentale, pour que je me sente littéralement happé.

Récemment j'ai ainsi dévoré deux livres qui pourraient représenter deux symétriques en la matière : le très bon recueil de Serge Joncour, Combien de fois je t'aime (Flammarion, 2008), série de textes sur les attachements plus ou moins fugaces du narrateur, ses angoisses à l'idée que le temps passe et que les sentiments fluctuent, s'effacent, échouent, reviennent, fassent souffrir, exaltent ou déçoivent... Ce sont les mille tracas de la vie de célibataire, passés par le filtre d'une vision mélancolique et juste. Le recueil évoque les novellistes américains comme Carver par son immédiate simplicité, sa manière de coller au tempo des sentiments les palpables, les plus acérés.

« Sans chercher à faire moins que son âge, sans le refuser, il y a un jour où on sent bien que la jeunesse ne nous concerne plus, qu'elle est un territoire autre, un monde livré à des êtres faciles, des détachés aux moeurs étranges et au langage divergeant, un jour on réalise que la jeunesse est un exil dont on est revenu, on s'en sait pour tout dire exclu. Entre toi et moi je croyais qu'il n'y avait qu'une génération d'écart, alors qu'en fait c'est tout un monde qui nous sépare, une civilisation. » (Extrait de Combien de fois je t'aime, p123)

Dans Un coeur si Blanc (Folio, 2008), le romancier espagnol Javier Marias (décidément, y aurait-il une « nouvelle vague » espagnole ? J'entends de plus en plus parler d'excellents romanciers hispaniques, et j'en lis de plus en plus...) met en scène un narrateur analysant longuement certains épisodes de sa vie depuis le jour précis de son mariage, et le pressentiment croissant que tout cela se finira par un désastre. Beaucoup de longueurs et d'effets de narration dans ce texte, mais d'amples et belles pages aussi, surtout celles font la part belle à la noirceur et à la désillusion (comme c'est bon, en littérature, tout ce qui sent le désastre...)

« « En réalité, je me demande si quelqu'un m'a jamais aimée sans que je l'y oblige, même mes enfants, enfin, ce sont toujours les enfants que l'on contraint le plus. Cela s'est toujours passé ainsi pour moi, mais je me demande s'il n'en va pas de même pour tout le monde. Voyez-vous, je ne crois pas à toutes ces histoires que l'on raconte à la télévision, des personnes qui se rencontrent et s'aiment sans aucune difficulté, libres et disponibles tous les deux, aucune n'a d'hésitation ni de culpabilité préalables. Je ne crois pas que cela arrive jamais, même chez les jeunes. Toute relation personnelle est toujours une accumulation de problèmes, de résistances, mais aussi d'offenses et d'humiliations. Tout le monde oblige tout le monde, non pas tant à faire ce qu'il ne veut pas que ce qu'il ignore vouloir, car pratiquement personne ne sait ce qu'il ne veut pas, et moins encore ce qu'il veut, et cela, il n'y a aucun moyen de le savoir." » (Extrait de Un coeur si blanc, p98)

jeudi 19 juin 2008

Bégaudeau, volontiers volontaire



Il y a plusieurs manières de parler des établissements dits sensibles, et plus généralement de ce qu'on appelle "les problèmes de banlieue" : soit on montre le bon côté des choses, soit on noircit le tableau, soit on essaye de rester le plus neutre possible, relevant simplement des faits.

François Bégaudeau, dont le succès soit dit en passant force le respect (plus de 200 000 exemplaires vendus de son Entre les Murs, et cette Palme d'Or à Cannes 2008 pour le film tiré du livre...), a choisi de combiner deux postures : il annonce d'une part s'en tenir au réel, et faire un relevé clinique de certaines situations, de certains discours ("Juste documenter la quotidienneté laborieuse", écrit-il en 4ème de couverture), d'autre part il enrobe le tout dans une série de commentaires délibérément optimistes, considérant (à juste titre d'ailleurs) que ces populations dites "sensibles" ne forment pas une pâte humaine différente des autres et qu'elles dégagent une énergie, une volonté de s'en sortir dont il faut apprendre à tirer le meilleur parti.

Un professeur s'exprimant dans son livre :

"J'en ai marre de ces guignols, j'peux plus les voir, j'veux plus les voir. Ils m'ont fait un souk j'en peux plus, j'peux plus les supporter, j'peux plus, j'peux plus, ça sait rien du tout et ça te regarde comme si t'étais une chaise dès qu'tu veux leur apprendre quelque chose, mais qu'il y restent dans leur merde, qu'ils y restent, moi j'irai pas les rechercher, j'ai fait c'que j'avais à faire, j'ai essayé de les tirer mais ils veulent pas, c'est tout, y'a rien à faire, putain j'peux plus les voir..." (p 200)



Par rapport à cette vision volontariste, un juste milieu pourrait être représenté par l'excellent article du Nouvel Observateur du 15 Mai 2008 dans lequel un jeune professeur témoignait de son expérience dans un collège de Clichy-sous-Bois. Pour le coup, le principe de neutralité y était vraiment tenu, puisque l'article décrivait le travail des professeurs, mais relevait également un certain nombre d'impasses, de désespoirs, et de perspectives pour le moins sordides.

"Le 14 avril dernier, une enseignante a surgi dans la salle des profs pour nous annoncer qu'il y avait eu une explosion et que les élèves fuyaient hors du collège. Nous sommes sortis pour les encadrer, sans même réfléchir au danger. Il faut dire qu'avec le temps, on devient moins impressionnable. Un mois plus tôt, nous enterrions un ancien élève tué d'un coup de couteau dans Clichy. Devant le portail, les cailloux volaient. L'un d'eux a atterri sur le plexus d'un collègue. Deux nouvelles explosions ont eu lieu entre 10h30 et 12h30, puis d'autres encore à 14 heures. Huit bombes à l'acide chlorhydriques en tout. (...)"

"Le lendemain, l'inspecteur d'académie déclairait que l'incident ne représentait pas un "danger grave et imminent" ! Ultime provocation d'une administration coupée de la réalité et qui nous répond que Louise-Michel n'est pas le seul collège à connaître ce type de violences. (...) Un renoncement complet ! Nous sommes totalement abandonnés."

"A Louise-Michel, les WC sont ouverts et fermés à clé par les surveillants, depuis le viol d'une collégienne. Certains de nos gamins sont des repris de justice, d'autres finiront à Sciences-Po. Impossible de dresser le portrait type de l'élève de banlieue, si ce n'est qu'il est souvent un peu perdu, et qu'il n'a pas le même capital social et culturel que la plupart des autres petits Français."

La vision noire, alarmiste, pourrait être représentée par Alain Finkielkraut, auquel Bégaudeau aime d'ailleurs s'affronter sur le terrain des idées (cf ICI). Avec Azima la Rouge, pour ma part, je m'étais placé sur le terrain de la fiction pure, m'extrayant de toute vision idéologique pour tirer de la situation un parti romanesque : ne jugeant pas les faits, ne tirant aucune conclusion, mais m'inspirant d'événements réels pour en extraire une matière sombre et belle - un peu comme le font les auteurs de polars. Au final il y a quelques pages que je regrette un peu, car elles ont pu être mal interprétées, mais il y a toujours le risque, quand on aborde un sujet aussi délicat que celui-ci, d'être rejeté malgré soi dans un camp ou dans l'autre.

samedi 14 juin 2008

Badiou contre la dépression sarkozyste



Succès de librairie pour l'opuscule du philosophe Alain Badiou, De quoi Sarkozy est-il le nom ? (Lignes, janv 2008).

Ce texte singulier consiste moins, finalement, en un pamphlet contre celui que l'auteur appelle "l'homme aux rats" (clin d'oeil à la légende de cet homme qui attirait les rats par le son de sa flûte, et référence au fait que les rats quittent le navire socialiste pour aller à la soupe), qu'en une attaque en règle de notre démocratie - pure et simple imposture qui permettrait au système capitalistico-militaire de s'auto-valider (Badiou parle du "fétichisme parlementaire", qui nous donne l'illusion que l'Assemblée puisse nous représenter...)

Sarkozy à cet égard serait le plus parfait représentant d'un certain "transcendantal pétainiste", c'est-à-dire une tradition politique jouant sur la peur, et coupable de désorienter le peuple en prônant par exemple un vigoureux sentiment national, tout en faisant le jeu de forces étrangères (hier, les Nazis, aujourd'hui, les Etats-Unis).

"Je ne dis pas que l'essence des élections est répressive. Je dis qu'elles sont incorporées à une forme d'Etat, le capitalo-parlementarisme, appropriée à la maintenance de l'ordre établi, et que, par conséquent, elles ont toujours une fonction conservatrice, qui devient, en cas de troubles, une fonction répressive." (p44)

"Que les étrangers nous apprennent au moins à devenir étrangers à nous-mêmes, à nous projeter hors de nous-mêmes, assez pour ne plus être captifs de cette longue histoire occidentale et blanche qui s'achève, et dont n'avons plus rien à attendre que la stérilité et la guerre. Contre cette attente catastrophique, sécuritaire et nihiliste, saluons l'étrangeté du matin." (p 94)

Le passage le plus intéressant du livre à mon goût se situe lorsque Alain Badiou, cherchant à contrer l'état dépressif qui fait suite chez l'homme de gauche à l'élection de Sarkozy, fait appel à Lacan définissant ce qu'est une cure :

"Lacan disait que l'enjeu d'une cure c'est "d'élever l'impuissance à l'impossible." Si nous sommes dans un syndrome dont le symptôme majeur est l'impuissance avérée, alors nous pouvons élever l'impuissance à l'impossible. Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Beaucoup de choses. Cela veut dire trouver le point réel sur lequel tenir coûte que coûte. N'être plus dans le filet vague de l'impuissance, de la nostalgie historique, de la composante dépressive, mais trouver, construire, et tenir un point réel, dont nous savons que nous allons le tenir, précisément parce que c'est un point ininscriptible dans la loi de la situation. Si vous trouvez un point, de pensée et d'agir, ininscriptible dans la situation, déclaré par l'opinion dominante unanime à la fois (et contradictoirement...) absolument déplorable et tout à fait impraticable, mais dont vous déclarez vous-mêmes que vous allez le tenir coûte que coûte, alors vous êtes en état d'élever l'impuissance à l'impossible." (p46)

J'ai du mal à savoir que penser de ces propos (écrits par ailleurs dans un style proche de celui de Lacan, par exemple dans ce genre de phrase, p100 : "Le courage (...) s'origine d'une conversion héroïque...") : je trouve l'intuition psychologique de Lacan plutôt séduisante, à première vue (même si j'aurais tendance, pour me sortir d'un état qui tend à la dépression, à chercher le contact avec le réel le plus immédiat, plutôt qu'un quelconque "impossible"...). Mais je reconnais qu'il me serait difficile, en bon progressiste-réformiste, de clamer haut et fort la nécessité de chercher des voies impraticables...

mercredi 11 juin 2008

Douceur des hommes (Barthes et la féminité)



Je me souviens d'une conversation à Tokyo avec une jeune femme qui se disait féministe, au cours de laquelle j'avais essayé de définir ce que représentait la féminité pour moi. La jeune femme s'était irritée que je cherche à déterminer une "essence de la femme": j'avais beau préciser que je parlais de "traits féminins", indépendamment du sexe de la personne, elle se braquait à mon discours.

Au fond, j'étais sans doute plus féministe qu'elle... Elle n'arrivait pas à comprendre que je ne parlais pas de la femme, mais de la féminité. Elle n'entendait que ce mot "femme", contenu dans "féminité". Il aurait fallu que nous inventions un vocabulaire nouveau, pour notre petit bout de conversation.

Des années plus tard, je dévore le livre splendide de Roland Barthes, Fragments d'un discours amoureux, malheureusement non disponible en poche (Oeuvres Complètes, vol. 5), et je repense à cette ancienne conversation. Non seulement Barthes évoque cette part de féminité en l'homme :

"Il s'ensuit que dans tout homme qui parle l'absence de l'autre, du féminin se déclare : cet homme qui attend et qui en souffre, est miraculeusement féminisé. Un homme n'est pas féminisé parce qu'il est inverti, mais parce qu'il est amoureux." (dans le chapitre L'Absent).

...mais tout le livre est baigné, me semble-t-il, par cette féminité qu'il définit par intermittences : cette douleur douce, cette attention pour les signes infimes, cet art de l'attente, de la souffrance muette et délicate, du silence non pas accusateur mais stupéfait, de l'analyse détachée, presque drôle, évanescente...

Tout au long de cet essai composé par courts chapitres, eux-mêmes divisés par paragraphes structurés autour de citations, de références, d'éclats de pensée, c'est dans le murmure d'un auteur qu'on s'immerge, c'est la pudeur d'un grand écrivain qu'on découvre, écrivain par ailleurs brillant mais dont ce livre est peut-être le plus accessible, le plus limpide. Il y a une forme d'élégance et de raffinement dans ces confidences délicieusement adoucies - celle du philosophe qui ne se trahit que par aphorismes.

"Je souffrirai donc avec l'autre, mais sans appuyer, sans me perdre. Cette conduite, à la fois très affective et très surveillée, très amoureuse et très policée, on peut lui donner un nom : c'est la délicatesse : elle est comme la forme "saine" (civilisée, artistique) de la compassion."