La littérature sous caféine


mercredi 13 novembre 2024

Géographie heureuse



Sandrine Collette, apparue dans la dernière liste des goncourables, s'inspire beaucoup du Morvan pour écrire des romans âpres, durs, tout entiers forgés par l'instinct. C'est curieux, à mes yeux le Morvan est devenu au contraire un paradis, vaste jardin merveilleusement dessiné, patchwork équilibré de prairies, de champs, de forêts, de bocages, de ruisseaux. Les villages y sont paisibles - un peu mourants - et les vaches plus nombreuses que les passants. Quelques châteaux s'y perdent dans la brume. L'eau sous toutes ses formes y est très présente. J'aime y chercher là-bas des leçons de géographie heureuse.

mardi 5 novembre 2024

Vive Vallès

Dévorant la trilogie de Jules Vallès, je découvre un Zola sans épate, un Céline sans esbroufe... Un autofictionnel avant l'heure, aussi. Mais avec un style, un panache que n'afficheront pas ses suiveurs. Le propos se veut modeste. Le gaillard avait pourtant du tempérament : il savait se mettre en scène. C'est un journal sensible et combatif avec de l'humour et le goût du bon mot. Pour un peu, j'épouserais la Commune !

lundi 4 novembre 2024

"En haut des marches" de Fabrice Pataut au théâtre



La critique, par Francis Vladimir, de l'adaptation théâtre du livre "En haut des marches" de Fabrice Pataut, par la compagnie Destination australe :

"C’est une histoire triste et dramatique. C’est ce que m’en a dit Serguei, l’ami russe qui m’a accompagné pour la représentation d’En haut des marches, lui qui n’a du français qu’une toute petite année d’apprentissage. L’adaptation pour le théâtre du roman éponyme de Fabrice Pataut réussit à réincarner sur scène des personnages de papier, à leur donner la chair et le sang, caractéristiques imparables de l’être humain. Il y a dans cette histoire d’arrivée et de départ, de retour et d’éloignement, une parenté avec l’Agatha de Marguerite Duras, d’autant que l’écriture serrée, finement ciselée, dense, au bord de l’amour et de la cruauté, se fait entendre au souffle sensuel des comédiens, lui donnant cette suspension dans laquelle le spectateur, du début à la fin, se met à l’écoute du récit d’Antoine devenu Dorine.

Il y a dans le déroulé, de l’ouverture au final, une tension, un fil ténu tendu à se rompre, entre chacun des protagonistes. Le surgissement de la mémoire auquel l’adolescent Antoine apporte ses éclats de jeunesse, son enthousiasme et son impatience, sa découverte de Bérénice tel un voile tiré tout doucement, dénudant ce corps féminin qu’il ne convoite jamais mais qui est au creux de son envie d’être, de son espérance juvénile déjà meurtrie… La pièce fonctionne ainsi comme une boîte qui, tiroir après tiroir, délivre ses secrets pour nous guider jusqu’à la tour d’Oz où le cercle de famille, tel des fourmis s’affairant à leur quotidien, consentira à la révélation, celle de la mort accidentelle de Catherine, la sœur aînée d’Antoine/Dorine.

Le texte est porteur des possibles de l’ailleurs, ceux qui poussent à la marche le long de la grève, à mouiller ses pieds dans la vague, à se dévêtir tout près de l’autre, à se jouer de cet autre dans l’attente muette de se voir reconnaître tel qu’on est, c’est-à-dire en dehors du soi immédiat, dans cette périphérie qui enclot, assombrit et éclaire en même temps l’inversion, tragique lorsqu’elle ne peut défaire l’assignation à résidence dans un corps différent de celui auquel on aspire. L’aura qui plane d’un bout à l’autre tout en disant son fait au spectateur pour le faire entrer dans le secret familial de la perte et de l’incommunicabilité du dire n’est ici rien de moins qu’un guide, un essentiel du discours poétique.

Les comédiens prennent à bras le corps l’histoire croisée, douloureuse et univoque qui est la leur. Leur partition, si elle est différente, n’en est pas moins le reflet homogène de ce qu’ils sont finalement à eux trois : un corps mêlé, une âme fléchie, une chair troublée, en attente ou en déshérence, une aspiration à être eux- mêmes.

Chacun donne son la : Dorine (jouée par Diego Colin) avec son silence brisé, avec ce rien d’alangui ou de ralenti qui la silhouette au beau milieu de la scène en des gestes retenus, bras croisés qui la tiennent droite, légèrement en déséquilibre, avec un regard intense qui vient nous happer dans l’obscurité de la salle, allure de pythie et profil grec, sombre et lumineuse ; Antoine (joué par Alice Rahimi), adolescent fougueux, impatient dans sa rage d’être, étonnamment mouvant, un brin lutin, un brin perdu, la tête dans les étoiles et le cœur déchiré, pour mieux se fondre en Dorine ; Bérénice (jouée par Eugénie Pouillot), revenue de son monde à elle, secrète, avec son évanescence, tout à la fois proche et distante, femme iconique, forte et cassée à la fois, contrepoint aux deux autres qui se passent la balle en un jeu alterné où les mots s’encensent d’eux-mêmes. Sans cesse, ils s’essayent à nous dire ce que fut l’histoire de Catherine, la sœur cachée et jamais connue, du père indécent et de la mère biffée, du petit frère chaviré, si loin les uns des autres, dans l’échec d’eux-mêmes et dans l’outrance calfeutrée que confère toute vie ratée à ceux qui en sont les artisans. Le texte, s’il lève le rideau pour le laisser retomber, n’en reste pas moins pétri des secrets dont on ne peut savoir s’ils seront bien gardés ou éventés, ce qui invite à se rapprocher du roman qui donne sa matière à la pièce.

Quoi qu’il en soit, le vibrato dans lequel nous installe la mise en scène d’Ulysse Robin, sobre, furtive et frontale à la fois, élégante, presque sur la pointe des pieds, caressant le plancher de la scène plus qu’il ne la balaie, assied le spectateur dans l’écoute d’une partition à trois notes, d’une scansion partagée qui va de l’avant, d’un moderato cantabile si prégnant qu’à la fin on se dit que les vrais personnages de théâtre, s’ils sont appelés à se dissoudre comme la bruine sur le visage qui vient ici diluer les traits, ne sont jamais loin de nous. S’il suffisait d’en tirer les fils pour les retenir un peu — qui sait ? — nous nous sentirions à notre tour mus et vibrants, Arlequins ou Paillasses, mais toujours profondément changeants, aimants et humains."

mardi 29 octobre 2024

Charte du Cercle d'études potaches



Charte du Cercle d'Etudes Potaches

Art 1. Le cercle se réunit par tablées de six, dont la forme rectangulaire ne contredit pas l’éminente qualité circulatoire.

Art 2. Il se peut que cette règle des tablées s'assouplisse, le nombre de six n’étant pas un totem ni la forme rectangulaire la seule imaginable.

Art 3. C'est avec solennité que les soirées seront gouvernées par un principe organisationnel strict, donnant prétexte à toutes libertés d'humour et de légèreté.

Art 4. Le présent cercle affirme la valeur hautement propitiatoire de la bonne chère et du bel alcool.

Art 5. Les participants devront se persuader de la redoutable importance symbolique de ces moments, sans renoncer pour autant à leur instinct de dérision.

Art 6. L'amitié n'est pas une condition préalable à ces soirées mais elle en constitue peut-être le but. Il est probable qu'elle en soit l’effet. En revanche, la camaraderie sous toutes ses formes, bruyante, complice ou taquine, sera exigée.

Art 7. Le jeu se fixe pour ambition d'aboutir à autre chose que lui-même sans pour autant l'admettre. Sans cela, il ne mériterait plus son nom.

Art 8. Nous défions quiconque de définir exactement ce que pourrait être le potache.

Art 9. Dans l’attente d’une proposition satisfaisante, nous déclarons cependant potache toute attitude visant à railler l’épouvantable esprit de sérieux de l’époque et à réagir par l’absurde à toute tentation trop marquée pour la tristesse.

Art 10. Nous accueillerons avec joie tout projet de soirée – entendu que le terme sera maintenu quelle que soit l’heure du forfait – quand bien même il menacerait l'architecture secrète du mouvement.

Art 11. L’auteur de cette charte sera le seul organisateur et le seul dépositaire officiel de la mémoire du groupe. Il s’autoproclame grand maître spirituel du Cercle d’Etudes potaches, à vie et sans contestation possible. Il est bien sûr admis que son autorité soit raillée, bousculée, contestée, mais il tiendra jusqu’à la défaite son rang d’imperturbable imposteur.

Art 12. En attendant que d’autres articles sapent l’autorité morale de cette charte, affirmons la répartition des sources d’inspiration pour le cercle : trente-trois pour cent de Pataphysique, trente-trois pour cent de Surréalisme, trente-trois pour cent d’Oulipo. Que le pour-cent restant serve de principe au dynamitage ultime de ce projet.

mardi 22 octobre 2024

Tentative d'épuisement de Sainte-Adresse

Jour 1 : Les Blockhaus

Sainte-Adresse est la ville de mon enfance / Elle représente la banlieue chic de la très ouvrière Le Havre / A l'ouest, on grimpe jusqu'au sommet d'une falaise où s'égrènent des blockhaus, reliques de la Deuxième Guerre mondiale / Certains surplombent la plage et menacent de s'effondrer, comme il est arrivé récemment à Octeville / Les autres vieillissent tranquillement / Dans plusieurs décennies, sans doute n'en restera-t-il pas grand-chose / On les rasera, à moins d'en élire un comme relique / Certains sont ouverts à tous les vents, d'autres ménagent des antres obscures / Ils sont régulièrement squattés / Leurs tags se renouvellent, signe qu'ils inspirent / Ils ponctuent cinq cents mètres de promenade comme des bornes dont on aurait perdu le sens mais qu'on trouve rassurantes en dépit de leur laideur, en dépit des souvenirs douloureux qu'ils sont censés charrier.

mardi 15 octobre 2024

Trahison

Imagine-t-on James Bond s'enfuir ? Robin des Bois renoncer ? Batman prendre sa retraite ? C'est ce que fait Joker - en pire - dans ce "Joker 2". Todd Phillips sacrifie son personnage au mépris de toute cohérence avec l'univers DC. Je suppose qu'il n'a pas assumé le succès monstrueux du premier opus ni sa dimension prophétique. Son génie avait été d'entrevoir la nature des révolutions à venir. Quelle punition pour ce saccage, pour cette lâcheté ?

mercredi 9 octobre 2024

Le dîner de l'Escargot

J'offre le champagne à cinq personnes qui voudront bien manger des escargots et parler agréablement de la lenteur.

Vendredi 1er novembre, Restaurant L'escargot, 20h-22h

Me contacter en MP

mardi 8 octobre 2024

Finale

Pour la deuxième année consécutive, j'organisais en juin dernier la Finale du tournoi rhétorique interclasses de Prépa Troyes. Souvent délaissée par le système scolaire, la maîtrise de l'expression orale me paraît indispensable pour s'épanouir dans la vie d'adulte et de citoyen. Les étudiants ont relevé le défi haut la main !