La littérature sous caféine


jeudi 17 février 2022

Mystères de la séduction ("La Viveuse", films connexes (2))

J’ai toujours admiré le travail de François Ozon – films sobres, denses, subtils, osés, produits avec une belle régularité. Avant d’écrire « La Viveuse », je n’avais pas vu « Jeune et jolie » (2013) dont le thème est pourtant voisin. J’ai rattrapé mon retard. Je me sens décidément proche de sa façon de décrire les choses sans fioriture mais avec une belle facture classique, et de ne pas juger les personnages. Ici, la protagoniste (jouée par Marine Vacth) est une jeune bourgeoise qui se prostitue par ennui, par goût de la sensation. Ma Viveuse partage en partie cette motivation, même si sa modestie sociale est également déterminante. Le cœur du film me paraît être la relation à la mère, qui réagit à la nouvelle avec beaucoup de brutalité. Ce seront des personnes plus lointaines (le beau-père, la femme du dernier client…) qui sauront faire preuve d’empathie. Pour la mère, le scandale tient au fait que la fille n'a aucune raison valable de se prostituer : elle est belle, elle est aimée, elle évolue dans un milieu aisé… Forcément, il faut aller consulter un psychologue ! Au fond, elle ne comprend pas que les rapports de séduction sont aussi recherches de limites, et qu’il y a quelque chose d’absurde à vouloir plaindre ceux qui vont apparemment trop loin. La toute fin du film laisse deviner une explication possible. On découvre l’épouse du dernier client de la jeune femme, qui est mort dans ses bras. Cette femme, journée par l’impeccable Charlotte Rampling (on ne pouvait rêver de casting plus approprié), pourrait en vouloir à la prostituée, mais elle avoue finalement qu’elle aurait aimé, elle aussi, plus jeune, se vendre pour de l’argent, mais qu’elle n’en a pas eu le courage. Pied de nez final de la part d’un réalisateur qui s’amuse à laisser le spectateur au-dessus d’un ultime vertige…

mercredi 16 février 2022

La fragilité (films connexes (1))

Dans la scène la plus forte de « Presque » (janvier 2022), le personnage campé par Campan renonce à la prostituée qu’il s’était promise et celle-ci, attendrie par le jeune handicapé joué par Alexandre Jollien, décide d’offrir à ce dernier sa première nuit d’amour. Sans doute certains estimeront-ils que ce personnage de prostituée joué par Marie Benati, belle, sympathique, intelligente, souriante, distinguée, capable d’offrir ses charmes par simple souci d’humanité, relève du simple fantasme masculin. N’empêche que cela donne une scène où Jollien joue très bien la panique qui peut s’emparer d’un homme qui n’a jamais connu l’amour et qui, détournant la tête, bafouille des phrases d’angoisse comme : « Tu vas te salir… » Il s’agit sans doute ici du moment où Jollien exprime avec le plus de profondeur ses peurs et sa fragilité, films et livres confondus. C’est aussi cette fragilité que j’ai cherché à saisir dans plusieurs scènes de « La Viveuse ».

mardi 15 février 2022

Le bourgeois en salopette (Contes noirs du Paris moderne, 1.5)

Où le narrateur apprend à ses dépens qu'il vaut mieux se méfier des artisans bon marché...

lundi 14 février 2022

Une courageuse confidence d'Alexandre Jollien (Lectures connexes (6))

Dans « La sagesse espiègle » (2018), celui qui est devenu la véritable égérie des handicapés, Alexandre Jollien, se livre à une surprenante confidence : il a connu une addiction aux jeunes éphèbes, d’abord par webcam, puis par le biais de l’escorting. Bien sûr, de nombreux lecteurs l’ont pris comme un aveu d’homosexualité, mais il n’en est rien, nous assure-t-il. Comme il l’écrit dans le livre, il s’agissait pour lui de s’abreuver au spectacle de corps en pleine santé, mais aussi de renouer avec la sensation d’un corps acceptable. Il avance bien quelques scrupules (« La souffrance ne donne aucun droit »), vite oubliés. Le simple fait d’observer quelqu’un d’éminemment normal et d’être approché de lui revêt quelque chose de miraculeux. A côté, les techniques de méditation paraissent dérisoires. L’auteur décrit ce recours aux escorts comme une passade à la fois honteuse et éphémère, et finit par rire de cette « pâlotte paire de fesses » qui l’a tellement obsédé, mais on comprend l’importance de cette passade dans son parcours.

dimanche 13 février 2022

L’abolitionnisme a-t-il vraiment emporté la mise ? (Lectures connexes (5))

A en croire le très documenté « Sur les trottoirs, l’Etat » (Gwenaëlle Mainsant, Seuil, 2021), qui fait le point sur la lutte de l’Etat français contre la prostitution de rue, l’abolitionnisme l’aurait emporté dans la sphère politique, au détriment de toute démarche visant à tenir compte des conditions concrètes d’exercice du métier : on se contente désormais de viser la disparition de cette activité. Or, le décalage me paraît assez flagrant avec les échos sur le terrain (associations, personnalités…), où le réglementarisme semble plutôt de mise, à l’exemple de Klou, qui publie ces jours-ci un récit graphique sur son expérience de Travailleuse Du Sexe (« Bagarre érotique », Anne Carrière, SexAppeal).

On y retrouve la fougue et la fierté de Grisélidis Réal, et de jolis développements sur ce qui l’a amenée au métier. Une conviction très forte domine l’ensemble : la prostitution n’est pas une sinécure, bien sûr, mais elle vaut bien d’autres activités. Celles qui le choisissent le font pour des raisons valables. Plutôt que d’interdire la prostitution, clame le livre, facilitons plutôt son accès aux femmes et aux minorités : toutes et tous ont droit à payer pour du sexe !

samedi 12 février 2022

"La Viveuse" au prix Sade

Très heureux d'être nominé pour la 2eme fois pour le Prix Sade, dont j'ai toujours aimé l'insolence et la beauté des choix. Il fallait de l'audace pour couronner le radical "Chienne" de Marie-Pier Lafontaine en 2020 et même pour accepter de mettre en lumière mon improbable "Homme qui frappait les femmes" en 2013. J'ai déjà eu l'occasion de dire à Laurence Viallet, membre du jury, toute mon admiration pour son travail d'éditrice, puisque Kathy Acker et David Wojnarowicz sont deux jalons de ma formation littéraire. La Viveuse n'a sans doute pas la radicalité de ces auteurs, mais l'impulsion de son écriture a puisé dans des sources comparables. Merci à Emmanuel Pierrat !

vendredi 11 février 2022

Les Gilets jaunes, deux ans après

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Mardi 22 février, je présenterai au cinéma CGR de Troyes le beau film d'Emmanuel Gras, "Un peuple", à l'issu duquel j'animerai un débat sur la question des Gilets jaunes, que j'avais abordée dans mon livre "La révolte des Gaulois". Après avoir remporté un prix à Cannes pour "Makala", qui suivait sans un mot le travail acharné d'un jeune Congolais qui produisait du charbon, Emmanuel Gras a posé ses caméras sur un rond-point pendant plusieurs semaines. Son film propose un regard sur les soubresauts de la crise, sans commentaire, mais il m'a semblé particulièrement juste et sensible.

mardi 8 février 2022

"Un roman tendre et doux"

"Un roman tendre et doux", dixit Flore Cherry à propos de "La Viveuse" pour l'émission de Brigitte Lahaie, "Parlons vrai" (Sud radio). Déjà, en 2013, Brigitte Lahaie avait été l'une des seules à m'accorder la parole pour un roman singulier, "L'homme qui frappait les femmes". Une nouvelle fois, en acceptant de diffuser cette belle chronique, elle fait preuve de sa sensibilité aux thèmes délicats et contemporains.