La littérature sous caféine


lundi 16 mai 2022

Les pensées mauvaises

Les auteurs sont assommants quand ils décrivent leurs rituels d’écriture. En revanche, quand ils racontent leur quotidien – vices, radotages, pensées mauvaises, joies furtives –, je me régale. J’adore les journaux d’écrivains. Il y a dans ce plaisir du voyeurisme autant que de la curiosité pour la façon dont les uns et les autres s’arrangent avec cette drôle de chose qu’est la vie. Le « Liberty » de Simon Liberati remplit très bien ce rôle. Sexe, drogue, alcool, amours, références littéraires pointues voire sulfureuses, indiscrétions sur le monde des galeristes et des modeux parisiens… Le lecteur n’a pas forcément envie de vivre ce qu’il lit, mais de vivre aussi densément, et c’est sans doute le propre des livres réussis que d’inspirer une curieuse nostalgie pour des événements que l'on n’a pas connus.

« La fréquentation de gens légers et précis, le détachement à l’égard des prétentions intellectuelles (mieux valait lire Détective que les conneries à la mode à l’époque de Mitterrand), la cocaïne, le goût du white trash épanoui au contact de la presse, la maturité sexuelle, je ne sais quelle envie d’adolescence, de drogues et de paillettes né dans les backstages de défilés de mode, les conversations très intimes, pleines de rire et d’attouchements avec H., ma jolie petite modèle marocaine, autant de sollicitations progressives, d’éveils à la réalité de l’idéal oublié. » (p 193)

mercredi 11 mai 2022

Rencontre avec "La vérité des écrivains" (Instagram)



La vérité des écrivains

Essayiste et écrivain, Aymeric Patricot a publié de nombreux ouvrages sur des thèmes de société porteurs tels que la crise des Gilets Jaunes ou encore le déclassement social. Citons «Autoportrait du professeur en territoire difficile» (2011) aux @editions_gallimard ou encore plus récemment «La révolte des Gaulois» (2020) aux @editionsleoscheer. Dans ses œuvres de fiction, l'écrivain parvient avec brio à mêler le social et le littéraire. Dans son dernier roman «La Viveuse» publié en février dernier aux @editionsleoscheer, le romancier revient avec un sujet encore peu connu voire tabou, celui de l'assistance sexuelle aux personnes en situation de handicap. Ni complaisant, ni misérabiliste, «La Viveuse» est le portrait d'Anaëlle, une jeune femme qui, à travers cette expérience, ne rêve finalement que de s'émanciper de son entourage et d'échapper à son quotidien. Un roman surprenant et à découvrir.

«La Vérité des Écrivains» a rencontré Aymeric Patricot à Paris pour parler des héros littéraires, de province et de l'inspiration romanesque.

(Lire la chronique @laveritedesecrivains sur le roman d'Aymeric Patricot, «La Viveuse», publication du 7 mars 2022)

Dounia T. : Aymeric, quel est l'écrivain qui t'a donné envie d'écrire ?

Mon premier coup de cœur littéraire a été pour Jean-Paul Sartre et notamment ses nouvelles comme «Le mur». Cela remonte à longtemps, je devais être en classe de 5e. Mais c'est amusant plus j'avance en âge, moins j'aime Sartre, à la fois son style et le personnage. Depuis Sartre, j'ai eu mille autres coups de cœur littéraires. Mes héros littéraires ont changé. Ce sont Colette, certains auteurs américains et japonais.

Dounia T. : Quel est le roman que tu aimes relire avec plaisir ?

Chaque année, comme un rituel, je lis un roman de Colette. J'ai une profonde admiration pour son style et pour son mode de vie. C'est quasiment une religion. Je relis Colette pour prendre la mesure de ce qu'est un beau style et pour me remettre sur la voie du bonheur. Par ailleurs, chaque année, je tiens à lire ce que j'appelle un «pavé classique». L'année dernière, par exemple, j'étais accompagné de «Guerre et paix» de Tolstoï. Cette année, ça sera «Les misérables» et puis Dante. Je choisis des classiques que je fréquente pendant un an. Aussi pendant dix ans, j'ai beaucoup lu de la littérature américaine du XXe siècle. Mes «dieux littéraires» étaient Américains, de Kerouac à DeLillo. J'aimais aussi la littérature «punk» liée à des mouvements underground des années 1970, je pense à des auteurs comme Kathy Acker par exemple. Maintenant, je reviens à la lecture des classiques européens. Je lis aussi les auteurs russes et japonais (Yukio Mishima, Yasunari Kawabata ou encore Ryū Murakami).

Dounia T. : Comment as-tu choisi le thème de ton nouveau roman «La Viveuse» ?

Curieusement, j'avais ce thème en tête depuis dix ans avant même que je ne sache que cette activité existait. J'y pensais avant même que ce soit médiatisé. Ce thème-là, je l'avais en moi. J'ai toujours été intéressé par le thème de la marginalité et attiré par les vies «cabossées» ou en marge. J'avais cru cerner des psychologies de femmes qui pouvaient faire ce genre de choses. Je me rappelle avoir parler à des amis leur disant que je voulais écrire sur ce thème il y a dix ans. Certains comprenaient, d'autres pas.

J'ai décidé alors d'écrire sur ce thème quand j'ai réalisé que c'était un thème d'avenir qui était peu ou pas traité par la littérature ou le cinéma en France. Alors qu'il existe des films américains, espagnols et italiens à ce sujet. Certains pays ont même légalisé l'activité. En France, il y a encore un grand blocage artistique et sociétal. Je me suis toujours intéressé à la psychologie de jeunes femmes issues de milieux assez populaires, un peu perdues mais qui ont du caractère et sont libres. Je suis à l'aise avec ce type de personnages que j'ai fréquenté dans ma vie et que j'ai l'impression de connaître et que j'apprécie. Le mot de « viveuse » s'est imposé à moi, c'est un néologisme que la narratrice emploie, c'est la femme qui donne la vie. C'est le sens que j'ai voulu donner à ce mot. En réalité, c'est un vieux mot qui existe et qui voulait dire la femme de mauvaise vie.

Dounia T. : Une ville, un lieu qui t'inspirent ? Et où tu aimes écrire ?

J'ai été Parisien pendant quinze années et j'ai passé beaucoup de temps au café. C'est un lieu idéal pour écrire. Depuis que je vis en Champagne, il y a un peu moins de cafés donc je n'y vais plus tant que ça (rires). Une ville ? Ce serait Tokyo où j'ai vécu. J'ai immédiatement eu le coup de foudre pour cette ville, elle est mon fantasme urbain.

Dounia T. : Quels sont tes pojets ?

J'ai une série audio de petites histoires qui se déroulent à Paris intitulée «Les contes noirs du Paris moderne». J'ai aussi plusieurs projets d'écriture liés à des thèmes divers comme le choix de quitter Paris pour vivre en province.

Crédits photos : Aymeric Patricot par Dounia T., Paris 4e. Son roman : «La Viveuse», Paris, Éd. Léo Scheer, 2022. (Photo Couverture : Julia Vogelweith)

lundi 9 mai 2022

Signature à la libraire Guerlin de Reims samedi 14 mai

mercredi 4 mai 2022

"Un roman politique et puissant autour de l'assistance sexuelle"

Chronique de Laurence Biava sur Actualitté.com à propos de La Viveuse:

"De quoi s’agit-il ? Anaëlle, l’héroïne principale, est une fille d’aujourd’hui. C’est une aide-soignante qui exerce dans un hôpital de la banlieue parisienne. A la suite d’une sortie avec son compagnon, elle rencontre à un speed-dating un jeune invalide nommé Christian pour lequel elle ressent rapidement un vif désir. Sous l’influence d’un collègue de travail, Mathieu, infirmier, et quelque peu lassée de sa profession, elle débute une formation d’assistante sexuelle pour handicapés. Un jour, elle apprend que son père qui vit seul est atteint d’un cancer : ce motif suffit à motiver ses velléités de changement professionnel : elle décide alors de l’aider financièrement. C’est un enjeu de taille car Anaëlle ne prend-elle toutefois pas le risque de perdre ses proches quand ils vont apprendre ce qu’elle fait, c’est-à-dire ce qui est souvent pris pour de la prostitution ?

Aymeric Patricot s’empare merveilleusement bien de ce scénario très contemporain. C’est un vrai beau sujet qui dit une époque qui change, à un moment où on parle de plus en plus d’inclusion. Le titre est d’abord très beau, très imprégné, très original et il sied très bien à l’ouvrage et aux déambulations de l’héroïne. Les personnages féminins sont très construits.

Beaucoup de sentiments s’entrechoquent dès le début du livre où il est souvent question de mensonges et de jalousie (l’héroïne quelque peu aguicheuse et aventureuse se cherche, et confesse plus d’une fois à elle-même qu’elle se ment autant qu’elle ment à son compagnon qu’elle laisse sans nouvelles, Mme Puech, sa chef à l’hôpital est trompée par son compagnon, Mme Amparat la mère de Christian, Pauline, sa meilleure amie).

Au cours de ses turpitudes, le personnage d’Anaëlle, lui, démontre plusieurs choses : on distingue un intérêt financier pour cette nouvelle démarche professionnelle, un intérêt sensuel qui la fait avoir plusieurs aventures dans lesquelles il y a beaucoup d’humanité, (c’est facile pour elle, elle est jolie), et enfin, un intérêt spirituel, dans la mesure où elle cherche, ce faisant, autant à s’élever spirituellement, qu’à mener une quête existentielle toute personnelle, pour espérer trouver l’amour. Les personnages masculins sont eux aussi très bien croqués : les interventions du collègue Mathieu sont les plus pertinentes. Quant à la scène avec l’amoureux Christian qui vacille et implore sa mère sur une plage, elle m’a arraché des larmes.

Avec un certain soin, Aymeric Patricot mentionne souvent des différences de classe, d’environnements sociologiques épars. La bourgeoisie catho et le côté verni craquelé de Pauline se frotte à la couche ouvrière d’Anaëlle et de son père déprimé et en souffrance. C’est très intéressant. ll est très perceptible qu’en se livrant à une forme de sacerdoce et d’assistance sexuelle (et bienveillant, et charitable), l’héroïne veut non seulement enjoliver sa vie mais espérer fréquenter un autre milieu que celui de l’hôpital qui l’emploie en qualité d’aide-soignante.

Le texte est ponctué de très jolies épiphanies stylisées qui indiquent clairement dans quel état d’esprit se trouve Anaëlle à chaque fois qu’elle vit un événement nouveau. Ainsi, le lecteur ne perd rien de vue et plonge avec elle dans son histoire, la suivant à la trace.

La fin est assez dure quand le thème de la prostitution revient en filigrane appuyer la succession d’épreuves que l’héroïne subit de plein fouet : la trahison de la meilleure amie, le père qui comprend les choses à l’envers, l’assistance sexuelle littéralement déformée dans ses grandes largeurs et donc incomprise, voire dévoyée, le fait que la mère de Christian l’handicapé se débrouille pour provoquer une rupture sentimentale entre les deux héros, le terrible imbroglio depuis le séminaire et l’annonce faite par Jacques, la rupture du contrat professionnel à l’hôpital : mais Anaëlle parvient magnifiquement à surmonter tout cela avec une force assez extraordinaire.

Pour tous les sujets qu’il aborde avec beaucoup de justesse et d’esprit, du handicap à l’accompagnement de la vie intime, du sentiment amoureux à la recherche intrinsèque de ce que l’on possède en soi, La viveuse est un roman à lire. Un livre politique et puissant. Bravo à l’auteur."

lundi 2 mai 2022

L'avaleur de rasoirs (Contes noirs du Paris moderne, 1.6)



Devant Beaubourg, Jules épate les touristes avec un numéro d'avaleur de rasoirs moins innocent qu'il n'y paraît...

Dernier épisode de la première saison des Contes noirs du Paris moderne.

jeudi 14 avril 2022

Handiglam (La Viveuse, films connexes 2)

Ce qui est fascinant avec Hollywood, c’est qu’elle parvient à tout rendre glamour, le thème de l’assistance sexuelle pas moins que le reste : The Sessions (Ben Lewis, 2012) est l’un de très rares films abordant frontalement le sujet, et tout y est joli, sympathique, drôle et sensuel. La prostituée se montre intelligente et séduisante, son mari ne trouve rien à redire à son travail, le client fait mouche pas sa repartie, tout le monde lui rend hommage à la fin pour son humanité. Le film est une sorte de gros bonbon à peine acidulé, tout juste ce qu’il fallait pour faire passer la pilule. Sans doute avait-on besoin de cette prudence et de cette efficacité pour déflorer le sujet.

mercredi 13 avril 2022

Qui donc a sacrifié Samuel Paty ?

Difficile de ne pas avoir le cœur serré quand on lit « J’ai exécuté un chien de l’enfer » (Le cherche midi, 2021). Avec un imparable sang-froid (il en faut !), David Di Nota dresse la liste des responsables : la barbarie des criminels, bien sûr ; un peu la maladresse de Paty (pas pour les raisons que l’on dit) ; certaines valeurs de l’époque, comme celle du « respect » qui consiste en fait à se soumettre aux susceptibilités ; mais aussi l’incroyable impudence d’une administration qui se félicite d’avoir accompagné jusqu’au bout le professeur (on croit rêver) et qui se promet d’être à l’avenir « toujours plus efficace ». Elle a pourtant prêté une oreille complaisante aux accusateurs de Paty, forts des principes de cette fameuse « école de la confiance » qui, loin de protéger le professeur, le place sous le regard potentiellement accusateur de l’élève. Le point de vue de Di Nota est clair : Samuel Paty a été sacrifié sur l’autel du « Pas de vague ». Que l’administration s’en lave les mains soulève le cœur. Est-elle seulement consciente de sa forfaiture ?

mardi 12 avril 2022

N'oublions pas les Gilets jaunes !

Avec « La Fièvre » d’Aude Lancelin (Les liens qui libèrent, 2020), je pensais lire un compte-rendu factuel, légèrement romancé, de la crise des Gilets jaunes, et je tombe sur un véritable brûlot, satire acérée non seulement de la bourgeoisie parisienne, mais de ces milieux de gauche radicale qui se targuent de subversion tout en exprimant du dédain vis-à-vis des loqueteux qu’ils sont censés défendre. Ce roman, meilleur livre qu’il m’ait été donné de lire à propos des Gilets jaunes, notamment parce qu’il égrène une série de portraits bien troussés, souvent mordants, propose une vision étonnamment proche de celle que je déployais dans « La révolte des Gaulois » (Léo Scheer, 2020), à la différence peut-être que nous n’avons pas le même degré d’optimisme vis-à-vis d’une éventuelle convergence campagne / banlieue.

Pas étonnant, finalement, qu’Aude Lancelin ait été la première journaliste de gauche à parler des « Petits Blancs » en 2013. Comme elle, je suis sensible au mépris que s’attirent les gens de peu de la part de personnalités qui, politiquement, prétendent parler en leur nom – après tout, c’est ce genre de contradiction qui a toujours aiguillonné mon écriture.

« Le pape de Nanterre avait commencé à trouver la parade au silence dont il ne savait plus comment sortir depuis des semaines. Avouer à demi-mot ses atermoiements et mettre cet attentisme sur le compte d’une espèce de grandeur d’âme qui lui interdisait, en tant que grand Blanc universitaire, de rejoindre les petits Blancs d’en face, par peur de trahir les anciens colonisés. Voilà à vrai dire tout ce que son cerveau en surchauffe avait réussi à mettre au point en rejoignant à pied la soirée de Ménilmontant. » (p 93).