Avec « La Fièvre » d’Aude Lancelin (Les liens qui libèrent, 2020), je pensais lire un compte-rendu factuel, légèrement romancé, de la crise des Gilets jaunes, et je tombe sur un véritable brûlot, satire acérée non seulement de la bourgeoisie parisienne, mais de ces milieux de gauche radicale qui se targuent de subversion tout en exprimant du dédain vis-à-vis des loqueteux qu’ils sont censés défendre. Ce roman, meilleur livre qu’il m’ait été donné de lire à propos des Gilets jaunes, notamment parce qu’il égrène une série de portraits bien troussés, souvent mordants, propose une vision étonnamment proche de celle que je déployais dans « La révolte des Gaulois » (Léo Scheer, 2020), à la différence peut-être que nous n’avons pas le même degré d’optimisme vis-à-vis d’une éventuelle convergence campagne / banlieue.
Pas étonnant, finalement, qu’Aude Lancelin ait été la première journaliste de gauche à parler des « Petits Blancs » en 2013. Comme elle, je suis sensible au mépris que s’attirent les gens de peu de la part de personnalités qui, politiquement, prétendent parler en leur nom – après tout, c’est ce genre de contradiction qui a toujours aiguillonné mon écriture.
« Le pape de Nanterre avait commencé à trouver la parade au silence dont il ne savait plus comment sortir depuis des semaines. Avouer à demi-mot ses atermoiements et mettre cet attentisme sur le compte d’une espèce de grandeur d’âme qui lui interdisait, en tant que grand Blanc universitaire, de rejoindre les petits Blancs d’en face, par peur de trahir les anciens colonisés. Voilà à vrai dire tout ce que son cerveau en surchauffe avait réussi à mettre au point en rejoignant à pied la soirée de Ménilmontant. » (p 93).