La littérature sous caféine


mercredi 23 mai 2007

Franchitude



Un élève, qui n’est à peu près jamais venu à mon cours, sauf pour le dernier contrôle, m’interpelle dans un couloir :

- Eh Monsieur, j’ai pas trop apprécié la note que vous m’avez mise…

Je me justifie. Ca ne le convainc pas :

- Ouais, mais bon, franchement, faut que je vous dise aussi que j’ai pas trop accroché avec vous au début…

- Je ne vois pas le rapport.

- Enfin bon, quoi, en tout cas, moi je dis c’est pas juste, et j’ai vraiment pas apprécié la note…

lundi 21 mai 2007

Alcoolisme et moineaux (Ted Lewis)



Ce week-end, guettant du coin de l’œil un coït de moineaux sur le rebord de ma fenêtre (très impressionnant), j’ai suivi dans Get Carter la longue plongée de Jack C. dans la violence et l’alcool, sur fond d’Angleterre gangrenée par la misère industrielle.

J’avais les images sublimes du film en tête, ainsi que la destinée tragique de l’auteur de ce sombre polar, Ted Lewis, mort d’alcoolisme à 40 ans. Pour me remonter le moral (mais il était excellent déjà) je guettais les approximations de traduction, comme :

« Il se paya », à la place de : « Il paya sa bière » (p51)

Ou l’énigmatique : « Elle m’adressa son sourire intime si-malin-si-rusé-mais-est-ce-que-tout-n’est-pas-ennuyeux. » (Je suppose que cela correspond à une expression idiomatique)

Quant aux revigorantes scènes de baston, du genre :

« Trois portières s’ouvrirent. Celle de Thorpey resta fermée. Le type qui était pressé d’en finir commença à s’extraire du siège avant. Saisissant la poignée, j’ouvris la portière en grand et la claquai de toutes mes forces sans lui laisser le temps de réagir. J’avais bien calculé mon coup ; il était encore à moitié à l’intérieur. Le haut de la portière le frappa au front et sur l’arête du nez, tandis que le côté lui cognait la rotule. Sérieusement sonné, il tomba à la renverse sur les sièges avant et se mit à vomir. Je sautai sur le capot et balançai un coup de pied dans la tête du conducteur avant qu’il n’ait le temps de se retourner complètement après être descendu de voiture. Il perdit connaissance, mais pas longtemps. Le troisième type s’était mis en garde. Je sautai du capot. Il commit l’erreur de venir à moi au lieu de me laisser venir à lui. IL me décocha un coup de poing ; d’une main je lui saisis le bras, le tirai vers moi et, de l’autre bras, je lui écrasai la trachée… » (p122)

… je les relisais sur fond de la sublime musique crépusculaire de Jonnhy Cash (Visez cette gueule marquée par la vie, dans cette chanson tirée du registre de Nine Inch Nails, Hurt) :

vendredi 18 mai 2007

La pluie qui pleut (Get Carter, de Tel Lewis)



Il y a quelques mois, lors d’un festival du polar donné sur la plage havraise, j’avais entendu l’un des écrivains présents glisser à son voisin de table, Didier Daeninckx, une anecdote concernant la traduction des polars anglo-saxons :

« Figurez-vous que la première phrase de la version française de ce roman, je dis bien : la première phrase, était celle-ci : « La pluie pleuvait… » Mais où donc recrutent-ils leurs traducteurs ? »

Toute la table s’était marrée, tandis qu’au loin passait le troisième porte-container de l’après-midi, et c’est presque un an plus tard que je mets la main, tout à fait par hasard, sur le fameux roman : cherchant quelques bonnes pages de polar pour accompagner ma réécriture d’un récent manuscrit, j’entame l’illustre Get Carter, de Ted Lewis, (Rivages/Noir) ayant inspiré le petit bijou du cinéma britannique du même nom, starring Michael Caine, mis en scène par Mike Hodges (le titre français : La Loi du Milieu) (le remake avec Stallone est moins bon).

En première page nous trouvons effectivement la phrase, bien mise en évidence par la séparation d’avec le second paragraphe :

« La pluie pleuvait. »

C’est tellement gros que je me demande si la version anglaise ne présentait pas un jeu de mot. La suite du passage, d’ailleurs, n’est pas tellement plus convaincante :

« Elle n’avait pas cessé depuis Euston. A l’intérieur du train, il faisait lourd, le genre de lourdeur qui vous salit les ongles… »

Je ne vois pas trop ce que ça peut être, une lourdeur qui vous salit les ongles… N’abandonnez pas tout de suite la lecture ! La suite est brillante…

mercredi 2 mai 2007

La provocation par le sommeil (Thomas Bernhard, Au But)



© www.diplomatie.gouv.fr

Vu la très belle pièce de Thomas Bernhardt, Au but, actuellement portée sur les planches du Théâtre de la Colline : c’est au moment le plus dramatique de la pièce, lorsque la protagoniste, après une heure de monologue quasiment ininterrompu (dans cette langue au souffle sidérant auquel Thomas Bernhard nous a habitués), prononce les paroles les plus sombres et les plus désabusées, qu’un spectateur sur ma droite s’est mis à ronfler de manière particulièrement sonore. Un ennemi personnel du metteur en scène, sans aucun doute.

lundi 30 avril 2007

« Du Britney Spears jusqu’à ce qu’ils en crèvent… » (Houellebecq / Dantec et l’Islam)



Amusant, l’antagonisme parfaitement symétrique entre les opinions de Houellebecq et de Dantec sur l’avenir de l’intégrisme islamiste :

Condamné à s’éteindre le plus naturellement du monde, pour le premier, tout simplement parce qu’il entre en contact avec une société de consommation bien plus séduisante...

Toujours plus agressif, pour le second, et cherchant l’affrontement terminal avec l’Occident Chrétien : nous sommes en guerre, déjà, sans nous en rendre compte (nous dit-il dans le troisième tome de son furieux journal, Le Théâtre des Opérations / American Black Box, Albin Michel 2007), et l’Europe islamisée n’en finit pas de plonger vers sa disparition pure et simple.

Jugez-en plutôt :

« Les intégristes islamistes, apparus au début des années 2000, avaient connu à peu près le même destin que les punks. D’abord ils avaient été ringardisés par l’apparition de musulmans polis, gentils, pieux, issus de la mouvance tabligh : un peu l’équivalent de la new wave, pour prolonger le parallèle ; les filles à cette époque portaient encore un voile mais joli, décoré, avec de la dentelle et des transparences, plutôt comme un accessoire érotique en fait. Et puis bien sûr, par la suite, le phénomène s’était progressivement éteint : les mosquées construites à grands frais s’étaient retrouvées désertes, et les beurettes à nouveau offertes sur le marché sexuel, comme tout le monde. C’était plié d’avance, tout ça, compte tenu de la société où on vivait, il ne pouvait guère en aller autrement. » (Houellebecq, La possibilité d’une Ile, Fayard, 2005) (p 47)

« Les fanatiques wahhabites voudront, dans leur stupidité à peine simiesque, exterminer tout ce qui n’est pas eux. Et lorsqu’ils auront accompli tous leurs crimes, ils seront jugés et nous les forcerons à avaler des bandes magnétiques de vidéos porno et de chansons de Britney Spears jusqu’à ce qu’ils en crèvent. » (Maurice Dantec, American Black Box, Albin Michel, 2007) (p 226)

« J’apprends lors de mon séjour dans la Ville lumière que des imams de la Seine-Saint-Denis ou des faubourgs nord de Paris présentent leurs quartiers comme des « territoires libérés » de l’occupation franque et chrétienne dès lors qu’ils ont pu y ouvrir leur mosquée. La fin de Villa Vortex va peut-être ressembler à une partie de pétanque, en comparaison de ce qui attend la République. » (Dantec, American Black Box, p 237)

« Les « tournantes » sont l’équivalent « civil » des viols de masse perpétrés par les génocidaires serbo-communistes. » (Dantec, ABB, p 427)

Pour ma part, l'opinion de Salman Rushdie dans cet extrait de Tout le Monde en Parle me paraît assez censée...

vendredi 27 avril 2007

Après les infos, plein feu sur les seins nus (France, récit d'une enfance)



© www.zone-litteraire.com

Très beau livre, plein de douleurs et de lucidité, que ce France, récit d’une enfance, de Zahia Rahmani (Sabine Wespieser, 2006), peignant les déchirements d’une jeune femme ayant quitté l’Algérie pour la France à l’âge de 5 ans. La narratrice se rend au chevet de sa mère malade, et lui déclare son amour. Le récit est morcelé, l’histoire se dit par courtes salves très denses. La langue est belle et pudique, comme dans ces deux passages – d’une part le récit de la surprenante bataille que représente pour la jeune femme la volonté de regarder les publicités à la télévision, d’autre part une véritable déclaration d’amour à la littérature américaine :

« Pour l’image, j’ai défié mon père. J’ai voulu comme lui la télévision. Un jour, je l’ai voulue au-delà du strict journal enfin autorisé. Voir en sa présence le défilé des publicités et pourquoi pas les fictions du soir. Fin des informations, je prends la main de ma sœur, je la retiens, on reste. Arrive ce qui doit arriver. La femme nue. Celle du savon Cadum. Le Dove de l’époque. On ne voit que son ventre, l’eau qui ruisselle, la mousse qui s’anime, peut-être un sein, elle tient un enfant, nu pareillement, je rougis en moi, je tiens la main encore, je ne bouge pas. Mon père stupéfié me fixe. Je vais au scandale. Je ne cède pas, je ne baisse pas les yeux.
Sors d’ici. Sors d’ici, tu n’es qu’une pute, me dit-il. » (p30)

« La littérature américaine m’enseigne, et non sans bouleversement, un peuple. Sans honte elle me le dit. Elle me dit ses avanies, sa cruauté et ses dégradations. Et ce procès en infortune, dont par la lecture je suis le témoin, inscrit en moi une ambition. Sur ce peuple et la violence qui l’a mis au monde, je voudrais tout apprendre. Si je n’avais pas rencontré son destin tragique, celui de ses enfants noirs et de toutes ses femmes et ses hommes arrachés à leur lieu, en lutte contre eux-mêmes, j’aurais fait de ma vie un seul et constant désarroi. » (p60)

mardi 24 avril 2007

Plaisir et mauvaise conscience du roman (Sollers et la culpabilité)



© olivier.roller.free.fr

Potassant l’histoire de Tel Quel et feuilletant quelques bouquins de Sollers en vue d’un cours à Sciences-Po, je retombe sur plusieurs passages condamnant dans le roman la construction d’un récit.

Aujourd'hui, celui qui cherche à raconter une histoire doit surmonter la mauvaise conscience que font peser sur lui ces théories fort compréhensibles au demeurant, mais tout de même handicapantes pour celui qui se sent le tempérament d’un romancier… Depuis combien d’années proclame-t-on la mort du roman ? Depuis combien d’années le roman, au sens le plus trivial du terme, continue-t-il en dépit de tout à nous procurer du plaisir ?

Curieusement, Sollers relie l’écriture du roman à la culpabilité… Ne vous sentez plus coupables, nous dit-il, et cessez d’écrire des fictions ! Je trouve ça plutôt fécond, pour ma part, la culpabilité…

« - Le roman doit d’abord être une « histoire », a story… Personnages typés. Enquête plus ou moins policière. Dévoilement d’une cause, d’un ressort, d’un motif, autrement dit d’une culpabilité. Surmontée ou pas, peu importe. Sois coupable, et raconte. Pas de culpabilité, pas de story, ou à peine. Pas, ou peu, de story, rien du reste ! (…)
- Eh bien, vous n’avez qu’à écrire une story !
- Comment faire, sans ressentir la moindre culpabilité ? (…)
- En somme, vous vous situez dans l’indicible ?
- Mais non, mais non… Quand j’ai dit que ça ne se racontait pas, en réalité, ça se raconte très bien. Et même de mieux en mieux. Mais ça ne fait pas une story, vous comprenez ? Ca ne se boucle pas en story !
- Vous voulez dire que ça reste en suspens ? Que ça en va nulle part ? Ou partout à la fois ?
- Un peu, oui.
- Mais c’est la poésie, ça ?
- Ah, non ! Pas du tout, Roman ! J’y tiens !
- Mais pas « nouveau roman » ?
- Non plus ! Ni dix-neuvième, ni dix-neuvième amélioré ! Sensualité d’abord ! Positive !
»
(Extrait d’une interview imaginaire, dans Portrait du Joueur)

lundi 23 avril 2007

Dieu voulait que Voltaire existe



Il est devenu bateau de citer Voltaire, mais lorsque vous sortez de la projection de l’hallucinant Jesus Camp, présentant certains milieux évangéliques américains, tout sauf modérés…

… et qu’un prof, quelques heures plus tard, vous raconte qu’une de ses élèves, la meilleure d’ailleurs, s’est vantée dans une copie de pouvoir affirmer que les événements du 11 Septembre était arrivés parce que Dieu l’avait voulu…

… alors il devient particulièrement réconfortant de savoir qu’un Voltaire a écrit Candide (que je relis en ce moment pour préparer un cours de 1ère) et qu’il existe encore quelques personnes à se reconnaître dans son ironie, son scepticisme, et la sorte de politesse intellectuelle consistant à préférer le bon sens et la raison :

« Quelques citoyens secourus par eux leur donnèrent un aussi bon dîner qu’on le pouvait dans un tel désastre. Il est vrai que le repas était triste ; les convives arrosaient leur pair de leurs larmes ; mais Pangloss les consola en les assurant que les choses ne pouvaient être autrement : « Car, dit-il, tout ceci est ce qu’il y a de mieux. Car, s’il y a un volcan à Lisbonne, il ne pouvait être ailleurs. Car il est impossible que les choses ne soient pas où elles sont. Car tout est bien. » » (Chapitre 5)