La littérature sous caféine


dimanche 22 juillet 2007

Le Maupassant japonais (Nagaï Kafu)



Il y a chez Mishima des airs de Sartre dans ses longs développements philosophico-psychologiques, des airs de Radiguet dans sa préciosité.

Chez Kawabata je respire des parfums d’une Colette plus macabre, avec le même goût des atmosphères lentes et des pointes d’une sensibilité presque excessive.

Et je viens de trouver le Maupassant japonais : dans les nouvelles de Nagaï Kafu (mort en 1959), qui déclarait d’ailleurs son admiration pour le romancier normand, nous trouvons le même art de l’histoire bien troussée, la même coloration sociologique, le même souci de la chute cruelle, pathétique ou surprenante – avec des touches plus marquées de réalisme et une mélancolie plus typiquement japonaise (celle-là même qu’on trouve chez Kawabata d’ailleurs), comme dans le dernière page de cette courte nouvelle du très beau recueil Voitures de Nuit (chez 10/18), décrivant les quartiers de plaisir dans un Japon troublé par les guerres successives :

« « Vous connaissez mon existence à partir de ce moment-là. J’ai passé le temps à observer d’un œil curieux les modifications de ce monde en perpétuelle transformation, prenant de temps en temps le pinceau pour me distraire, mais me lassant très vite même de cette occupation. Cette année j’aurai cinquante ans. Je songe maintenant sans aucun regret aux notes que j’avais rassemblées avec tant d’ardeur, dans le but de laisser une trace de mon passage sur la terre, et qui ont été réduites en cendres dans l’espace de quelques minutes. C’est même pour moi un sujet de plaisanterie. J’ai appris qu’il n’y a pas de plus grand plaisir que de se laisser vivre sans aucun souci, s’adaptant aux circonstances, et d’échanger librement de temps en temps avec un ami des souvenirs du temps passé. »
Ayant terminé son récit, il fit un grand bâillement et s’essuya les yeux du revers de sa manche
. » (p 258)

J’aime beaucoup cette touche finale où le personnage a l’air de contredire par un geste tout le discours qu’il vient de tenir.

jeudi 19 juillet 2007

Vacances havraises





Sur le net je tombe par hasard sur du rap havrais
je ne savais pas que ça existait, du moins de ce niveau
les quartiers pauvres dont j’entendais le nom, plus jeune
la Mare Rouge et Caucriauville devenus les noms de groupes
en verlan surtout / la Rouge-Ma / Caucri
ces gamins de douze ans qu'on voit peu sur la plage
rapent dans leur cour et ça vaut bien
du 50 Cent

mercredi 18 juillet 2007

La paranoïa du Juif (Philip Roth, Tromperie)



Il est déjà tellement facile d’être plus ou moins paranoïaque aujourd’hui (c’est d’ailleurs un thème étonnamment récurrent dans la littérature américaine) que je n’ose pas imaginer ce que cela peut donner chez des Juifs, qui ont mille fois plus de raisons que n’importe qui, me semble-t-il, de se méfier de leurs contemporains.

Cette méfiance est d’ailleurs un des grands refrains de l’œuvre de Philip Roth, cet intarissable et brillant romancier, refrain qu’il entonne avec une verve imparable dans un petit opus assez méconnu, Tromperie (Folio 1996), composé de bouts de conversations sans fil narratif, portant notamment sur la difficulté d’être en couple (comme toujours chez Roth) et sur l’antisémitisme en Grande Bretagne, comme dans cette excellente page :

« - Pourquoi dans ce pays tout le monde déteste-t-il Israël ? Peux-tu m’expliquer ça ? Maintenant chaque fois que je sors, je me chamaille avec quelqu’un. Et je rentre furieuse chez moi et n’arrive pas à fermer l’œil de la nuit. Je suis apparentée, d’une façon ou d’une autre, avec les plus grands fléaux de la planète, Israël et l’Amérique. Admettons qu’Israël soit un pays abominable (…), pourtant il y a beaucoup de pays qui sont, et de loin, beaucoup plus atroces. Pourtant l’hostilité envers Israël est quasiment universelle parmi les gens que je rencontre.

- Moi non plus je n’ai jamais été capable de le comprendre. Cela me frappe comme l’un des phénomènes les plus étranges de l’histoire moderne. (…) Et selon toi, qu’est-ce qui en est la source ?

- A mon avis, ce n’est pas l’antisémitisme.

- Non ?

- Pas pour l’essentiel, non. C’est seulement la gauche à la mode. Ils sont très déprimants. Je ne peux en conclure qu’une chose, certaines personnes ont épousé si étroitement certaines conceptions irréalistes de la justice humaine et des droits de l’homme qu’elles sont incapables de faire des concessions à des nécessités d’aucune sorte. En d’autres termes, si on est Israélien, on se doit de vivre selon les valeurs les plus nobles, et en conséquence on ne peut rien faire en réalité, sinon se retourner et tendre l’autre joue, comme disait Jésus-Christ. Mais aussi, il me semble que c’est un corollaire informulé que de critiquer le plus durement les gens qui en réalité se comportent le mieux, ou le moins mal. Ce qui est tout à fait banal, pas vrai ? Ces exaltés désapprouvent de façon sélective avec une extrême sévérité les choses les moins répréhensibles. C’est vraiment irréel, n’est-ce pas ? » (Tromperies, p80)

mardi 17 juillet 2007

Livres en ligne

J’ai de grandes frayeurs quand je pense à l’avenir du livre… Je n’achète déjà plus beaucoup de disques en magasin, comment ne pas imaginer pour l’édition de romans un tassement significatif dans les prochaines années ? Mes deux dernières frayeurs en date à ce sujet :

- Faisant passer l’oral du bac de français, je tombe sur une liste de poèmes en tête desquels je peux lire un message accompagnant un petit logo : « Téléchargez les autres textes »... L’édition de très courts romans ou de recueil de poèmes, dans un avenir proche, ne devrait-elle tout simplement pas disparaître ?

- Je lis l’interview dans un récent Nouvel Obs de Chris Anderson, rédacteur en chef du magazine américain Wired, se déclarant très optimiste quant à l’avenir de la diversité culturelle dans un monde où le net permettra l’émergence d’une flopée inédite de talents, plus du tout corsetés par une industrie traditionnelle qui savait imposer au public quelques best-sellers :

« Capable désormais de stocker dans des rayonnages virtuels illimités tous les livres du monde, la librairie de demain ne vendra plus 1000 exemplaires du livre que, conditionné par la publicité, chacun de nous se doit d’acheter, mais un exemplaire des 1000 livres que chacun de nous a envie d’acheter ».

De quoi faire frémir le modeste auteur d’Azima la Rouge qui n’en a déjà vendu, précisément, que 1000 exemplaires… Combien vendra-t-il du prochain s’il n’a même pas le secours d’une industrie quelque peu structurée ?

mercredi 11 juillet 2007

Vivre selon la contradiction



Je ne sais plus quel est l’auteur de cette magnifique formule, « vivre selon la nuance » (à propos de sa pratique de l’écriture), mais je me reconnais si bien dans ces quelques mots (du moins j’aimerais tendre vers l’idéal qu’ils dessinent) qu’il faudrait que je retrouve son nom.

Je pourrais d’ailleurs apporter ma propre nuance à cette formule et préciser que je suis souvent à la recherche d’une nuance si nuancée qu’elle devient paradoxale.

Je suis moi-même victime d’une contradiction majeure : d’une part j’ai tendance à vouloir déceler chez les gens leurs contradictions pour m’en agacer (les contradictions les plus flagrantes sont très souvent de nature politique, beaucoup de gens n’ayant pas les comportements correspondant à leurs idées), d’autre part j’aime en littérature que l’écrivain bouscule les idées reçues jusqu’à flirter avec le paradoxe.

(Rappelons au passage que Freud et Lacan aimaient souligner qu’il est absurde de s’offusquer des contradictions).

lundi 9 juillet 2007

Fais pas ton Musulman !



(Photo : ambiance cool sur l'île de Gorée)

Une grande et belle Black dans le métro, au téléphone :

« J’te jure ! Mon frère il fait trop son rebeu ! Il me sort des trucs du genre : « Sors pas habillé comme ça ! Si tu restes comme ça tu montes pas avec moi dans le RER ! » Tu sais moi je lui ai dit « Je m’habille comme je veux putain, on est des Antillais nous pas des rebeus alors arrête de faire ton musulman ! Si ça te plaît pas que je m’habille comme ça je monte dans l’autre wagon, tu vois, direct ! » »

« En plus mon frère il arrête pas de me taper des clopes ! Juré c’est lui qui taffe mais il a jamais de clopes, il est là, il vient sucer sa sœur, juré, on dirait que je suis sa banque, tu vois ? Il a pris un abonnement, juré, un forfait illimité ! »

La fille veut sortir du métro. Une autre fille lui bloque le passage et n’a pas l’idée d’ouvrir la porte :

« Putain elle est sérieuse elle ! »

(Pour les amateurs, signalons la sortie en juillet du nouvel album de Prince, Planet Earth, dont le premier single s'intitule Guitar (ci-dessous). C'est pêchu, bien ciselé, mais on a décidément l'impression que Prince cherche à plaire à tout prix depuis trois albums et que cela donne des choses plus lisses, plus superficielles, à des années lumières des sursauts douloureux de génie décelables dans des albums comme Sign'O The Times)

vendredi 6 juillet 2007

Perles de rue



(Photo : Dans une rue de Shanghai...)

1) Une fille dans le métro aperçoit le titre du livre que j’ai dans les mains : « La philosophie de Deleuze. » Elle marmonne : « La philosophie… », puis elle pousse un long soupir de mépris et de consternation, avant de se replonger dans la lecture de Closer.

2) Pour la première fois de ma vie, j’ai vu des jumeaux à la fois parfaits et parfaitement obèses.

3) Pour la première fois de ma vie, j’ai également vu un homme aux traits franchement asiatiques, et à la peau franchement noire.

lundi 2 juillet 2007

Murakami par temps froid (Murakami / Dylan)



Vous aurez sans doute remarqué que la densité des émotions esthétiques dépend en grande partie des conditions physiologiques dans lesquelles nous nous trouvons. Pour ma part j’ai souvent noté qu’un léger refroidissement de l’air favorisait mes frissons artistiques (dans une salle de ciné, dans un musée, dans la rue…). Par exemple il devait faire assez frisquet lorsque je suis tombé sur ce beau paragraphe du roman de Haruki Murakami, Au Sud de la Frontière, à l’Ouest du Soleil :

« Notre monde est comme ça. Quand il pleut, les fleurs poussent, et quand il ne pleut pas, elles fanent. Les lézards mangent les insectes, et sont mangés par les rapaces. Mais tous finissent par mourir et se dessécher. Une génération disparaît, une autre prend sa place. C’est une règle absolue. Il y a différentes façons de vivre, et différences façons de mourir. Mais c’est sans importance. La seule chose qui reste en fin de compte, c’est le désert. » (p85)

Comme dans tout bon Murakami, j’aurai trouvé dans celui-ci : une intrigue assez flottante, des personnages qui ne savent pas vraiment où ils vont, un mystère à résoudre (et qui n’est pas résolu à la fin), surtout de longs dialogues évasifs, ponctués de passages plus denses – les plus allégoriques, et les plus réussis.

(A propos de conditions physiologiques, j’oubliais de préciser qu’en bon caféinomane je ne pouvais me passer de deux ou trois tasses de café pour sérieusement me mettre les idées en place, et que je venais naturellement de tomber amoureux de la chanson de Bob Dylan, One more cup of Coffee, dont je vous glisse ci-dessus la vidéo-live (même si dylan ne change pas très juste dans cette version)).