Mon goût pour les images s’accentue. J’achète des romans illustrés, je collectionne des cartes, je récompense des élèves en leur proposant de piocher dans une boîte à vignettes. J’aime les mouvements littéraires qui suscitent des floraisons picturales, les mouvements artistiques qui bourgeonnent sur les références littéraires. Récemment, j’ai même offert du champagne à quiconque m’apporterait une image. J’aime leur opacité, leur naïveté, leur mystère. Elles m’adressent des clins d’œil qui ne déçoivent jamais. Mon attirance pour elles s’accompagne d’une fascination pour le surréalisme.
Rien d’étonnant à ce qu’oracles et tarots éveillent mon intérêt. En eux se conjuguent l’art de la parole, le plaisir des visions. Ils jouent sur ces archétypes dont parlait Jung et sur lesquels brode Jodorowski dans son imparable « Voie du Tarot ». Le fait qu’André Breton ait intitulé l’un de ses classiques « Arcane 17 », en référence à l’arcane de l’étoile, ne peut que m’encourager. J’ai la sensation de basculer vers une sorte d’ivresse précédant les mots.
Je découvre surpris l’œuvre de Louise de Vilmorin. La figure de cette grande mondaine, amoureuse de gens riches ou prestigieux, pourrait agacer. Mais sa plume est légère, élégante, au service de vaudevilles dont les jolis accents lorgnent vers Sagan et, à leur meilleur, vers Colette. Seulement, je m’étonne que cette coquette ait pu devenir l’un des grands amours de Malraux. Cette alliance de la femme légère et du pur esprit me laisse songeur. Je pense à cet autre couple, Miller-Monroe, qui cédait lui aussi à cette sorte de cliché. On dirait qu’ils jouent un rôle, le rôle caricatural des genres. A moins qu’il ne s’agisse d’un archétype plus fort que la volonté, plus fort que la conscience.
Pour une fois, le cinéma est en avance sur la littérature. La Palme d'Or est allée cette année à un film américain de Sean Baker, "Anora", mettant en scène une TDS. Avant d'écrire La Viveuse je m'étonnais déjà que seul le cinéma américain, avec The Sessions, ose parler du thème sensible de l'accompagnement sexuel pour handicapés. Après, j'ai été atterré par la réaction de journalistes qui me déclaraient, affligés : "Mais pourquoi donc parler d'un thème pareil ?" Eh bien, parce que c'est intéressant, voilà tout. Encore faut-il dépasser le stade d'une certaine rigidité qui se croit vertueuse.
Il y a quelques jours, un homme s'est fait tuer rue des Envierges, au-dessus du parc de Belleville, à l'endroit exact où j'avais imaginé une série de meurtres dans le tout premier de mes "Contes noirs du Paris moderne", "La grosse du quartier". Mystère des oracles littéraires...
Dans le cadre enchanteur du Père-Lachaise, discussion libre avec Etienne Ruhaud à propos de Houellebecq, Nerval, Colette, Balzac, Jean Rollin, la dépression, la mélancolie, les animaux, la littérature érotique, accessoirement quelques-uns de nos livres...
Quelques aperçus de ma virée à la Nouvelle-Orléans. Rencontre avec le libraire Russell Desmond (Livres d'Arcadie), lecture d'extraits de l'Abbé Prévost, Chateaubriand, Baudrillard, Lovecraft, réflexions sur la culture créole ou l'architecture, blues, rock, jazz, musique cajun...
Les Américains sont meilleurs que nous pour l’accueil, la propreté, le sens du spectacle, le volume des voitures, la taille des maisons, la force des voix, la musique populaire, les rapports de force, la danse, l’expressivité, l’enthousiasme, la passion pour l’argent, la performance, le talent pour monétiser les rapports sociaux (ça se voit à la prolifération des publicités pour les cabinets d’avocats et les bureaux de défense des consommateurs).
Ils sont moins bons que nous pour la cuisine, les trottoirs, l’enfouissement des réseaux électriques, les transports publics, l’écologie (utilisation excessive des sacs plastiques, de l’éclairage, des grosses cylindrées), le bon goût.
Cette chauffeure ne mâche pas ses mots. "New Orleans ? La pire erreur de ma vie. Je suis arrivée ici il y a deux ans et je fais tout pour repartir. On m'avait promis un bon job, j'ai acheté une maison et je me suis fait renvoyer. Depuis, je fais des courses Uber pour payer les factures. J'ai hâte d'avoir assez d'argent pour éponger mes dettes et foutre le camp d'ici. C'est une ville dangereuse. J'ai vu plusieurs cadavres. La dernière fois, il y eu des coups de feu, les gens fuyaient. Est-ce qu'on apprend de ses échecs ? Je ne sais pas. En tout cas, je ne referai pas la même erreur. En attendant j'essaye d'apporter un peu de bonheur aux gens en décorant cette voiture. Servez-vous, il y a des bonbons dans la bannette."