La littérature sous caféine


Comment Maupassant aurait-il jugé l'Arché de Zoé ?



Un collègue, prof d’Histoire, s’adresse à moi en salle des profs : « Tu le sauras sans doute mieux que moi… Maupassant… En politique, il était de quel bord… Je veux dire, il était vraiment réac ?... Parce que j’ai des textes terribles de lui sur la Commune… Comme Zola, c’était le pire des bourges, quand il s’agissait de défendre sa classe, il n’hésitait pas… Maupassant, d’après ce que j’ai compris, il les aurait tous fait fusiller, les Communards… »

Je n’ai pas pu confirmer ses dires, bien que je sois un grand fan de Maupassant. Je suis admiratif de ses nouvelles, dont je n’ai jamais trouvé l’équivalent contemporain – leur regard impitoyable sur la nature humaine, leur sens de la tragédie quotidienne, leur humour sans fioriture, sans illusion, presque tendre, à propos de tous ces paysans, ces nobles, ces bourgeois, si prompts à fermer les yeux sur la morale.

Je trouvais d’ailleurs si frappante cette lucidité, que je ne m’étais jamais demandé si Maupassant pouvait avoir des opinions politiques. Pour moi, il faisait surtout œuvre de moraliste. Il ne portait pas de jugement sur la société : c’étaient les hommes qu’il peignait à grands coups de pinceaux rageurs.

Serait-ce précisément cela, être de droite, porter un regard accusateur sur la nature humaine, alors qu’un homme de gauche chargerait plutôt la société ?

Cela ne m’a pas empêché de faire lire à une de mes classes de seconde le merveilleux recueil Les Contes de la Bécasse, regorgeant de pépites, et par exemple la nouvelle Aux Champs, à laquelle j’ai très fortement pensé lorsqu’on nous parlait de l’affaire de l’Arche de Zoé.

Je vous la résume :

Une grande bourgeoise en mal d’enfants tombe en extase devant les bambins de deux familles de paysans pauvres. Elle propose d’adopter l’un de ces enfants, contre forte rétribution : l’enfant aura d’ailleurs le droit de revenir quand il veut dans sa vraie famille. La famille Tuvache, indignée qu’on puisse vouloir acheter des enfants, refuse. La famille Vallin, cupide, accepte.

Des années plus tard, l’enfant adopté revient dans sa famille : il est riche, bien éduqué, heureux. Le fils des voisins, resté toute sa vie dans sa famille de paysans, observe la scène, et prend tout à coup conscience de la vie qu’il a manquée. Il s’adresse à ses parents :

« « Tenez, j’sens bien que je ferai mieux de n’pas rester ici, parce que j’vous le reprocherais du matin au soir, et que j’vous ferais une vie d’misère. Ça, voyez-vous, j’vous l’pardonnerai jamais ! »
Les deux vieux se taisaient, atterrés, larmoyants.
Il reprit :
« Non, c’t’idée-là, ce serait trop dur. J’aime mieux m’en aller chercher ma vie aut’part. »
Il ouvrit la porte. Un bruit de voix entra. Les Vallin festoyaient avec l’enfant revenu.
Alors Charlot tapa du pied et, se tournant vers ses parents, cria :
« Manants, va !»
Et il disparut dans la nuit
. » »

Je serais bien curieux de voir quel regard Maupassant aurait porté sur l’affaire de l’Arche de Zoé. Si l’on suit la morale de sa nouvelle, il aurait peut-être considéré que c’est une grande hypocrisie de crier au scandale parce que quelques-uns veulent arracher des enfants à la misère, quand bien même ils ne seraient pas orphelins… Que les parents soi-disant indignés devaient être bien heureux, au fond, de laisser partir leur enfant pour une vie plus aisée…

Mais ne faisons pas parler les morts !

COMMENTAIRES

1. Le lundi 3 décembre 2007 à 11:43, par Loïs de Murphy

Bonne question en effet...
Tu m'as donné envie de relire ses nouvelles et rien que pour cela merci :o)

2. Le lundi 3 décembre 2007 à 12:56, par Marco

Encore un billet dense et stimulant!
Personnellement, j'ai de plus en plus de mal avec les gens ("collègues" ou autres) qui veulent tout politiser à tout prix, se livrant au passage à de joyeux anachronismes (de façon assez curieuse, je connais pas mal de profs d'histoire qui ont cette pratique... alors qu'on attendrait plutôt d'eux un surcroît d'analyse prudente...). Maupassant le répressif, Zola le bourge... pourquoi pas Hugo Sarkozyste au passage? Et pour la petite histoire, il faut relire les textes de Maupassant journaliste anti-guerre et anti-militariste... voilà qui troublera le collègue qui le voit en "réac"...
Pour l'"Arche de Zoé", j'apprécie ta réaction... cette malheureuse affaire, que beaucoup dans les médias jugent un peu vite, est en effet très complexe, dès qu'on y regarde de plus près...

3. Le lundi 3 décembre 2007 à 15:00, par pat

c'est marrant, j'ai moi meme tendance à tout politiser, comme tu le dénonces, mais j'aime le faire de manière ironique (ce qui exaspère bcp de gens, d'ailleurs): du genre: le sport est-il à droite ou à gauche ? La beauté, à droite ou à gauche ? A quoi voit-on qu'un écrivain vote à gauche ou à droite, etc... C'est passionnant! MAis ca devient pénible quand ce gerne de discussion débouche sur un jugement péremptoire, du type: je refuse de lire cet écrivain, parce qu'il pense CI ou CA... C'est fréquent !

Je ne connais pas les textes de maupassant anti-guerre ! d'apres ses nouvelles, on comprend aisément qu'il ait détesté la sauvagerie gratuite... Mais il faudrait vraiment que je découvre ses textes engagés ! on les trouve où ?

4. Le lundi 3 décembre 2007 à 18:52, par Marco

Excellente, l'analyse politique de la vie! Bon, moi je dirais que le sport est à gauche (les sports collectifs, en tout cas), et la beauté est à droite. Et je dis cela sans jugement de valeur ni préférence, puisque je ne pratique aucun sport et que je suis plutôt moche :)
Pour Maupassant, on doit pouvoir trouver ses textes anti-armée dans "Maupassant journaliste et chroniqueur" (Albin Michel).

5. Le mardi 4 décembre 2007 à 16:00, par pat

tiens, c'est marrant, moi j'aurais mis le sport à droite : "que le meilleur gagne", si c'est pas à droite, ca !
Et puis l'éloge de l'effort, du sacrifice, du corps...
Pour le clin d'oeil, observons Mitterrand et Sarko : Mitterrand pratiquait la balade, Sarko préfère le jogging... N'est pas un détail des plus parlants ?

6. Le mardi 4 décembre 2007 à 18:32, par Sophie

Rooo...mister Pat! Voilà bien une vue un brin réductrice du sport!...;-)....upon to me of course!
En dehors des valeurs attribuées au sport d'une façon générale, il y a des aspects sociologiques intéressants concernant les rapports "classes sociales/choix d'activités sportives"...

7. Le mardi 4 décembre 2007 à 18:49, par pat

ce qui est drôle, c'est justement de simplifier les choses à l'extreme ! on caricature, et ca peut scandaliser les gens assez vite !

8. Le mercredi 5 décembre 2007 à 12:02, par lila

Trés juste Mister Pat ce rapport entre "Aux champs" et l'Arche de Zoé ! Je connais très bien cette nouvelle mais je n'aurai jamais pensé la relier à cette affaire, merci donc d'y avoir songé ! (Au delà de ça, ça me fait toujours un bien fou de relire un peu de Maupassant, les racines sans doute...)

9. Le mercredi 5 décembre 2007 à 21:51, par pat

oui, les racines... je ne suis pas vraiment normand, mais j'ai quand meme passé là toute ma jeunesse... Et peut etre que dans mon amour pour Maupassant, il y a aussi l'amour pour un auteur qui a parlé de l'atmosphère qui m'a entouré pendant cette période !

10. Le jeudi 24 janvier 2008 à 20:53, par Cornaline

Maupassant était surtout un nihiliste... Alors, je crois que tu te trompes complètement sur sa position politique difficile à déterminer...

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