La littérature sous caféine


mardi 13 septembre 2016

Ces Lumières qui ne s'aimaient pas

A relire certains des grands classiques du 18ème, je suis frappé par ce qui me paraît être, contrairement au cliché d’un siècle tout entier voué à la raison, cette raison tenue plus tard pour dominatrice et asséchante, une véritable obsession pour le paradis perdu d’une Nature sensuelle et libre – par exemple chez Diderot, chez Rousseau.

Ainsi les philosophes des Lumières, loin de louer unanimement la technique et la réflexion, se lançaient-ils a contrario dans une critique perpétuelle de ces dernières, leur reprochant leur arrogance, leur ridicule, leur nocivité. Ce fameux siècle des Lumières ne proposait-il pas, et cela dès le début, la remise en question de son principe même ?

Si bien que le regard négatif que l’on porte souvent sur lui me paraît désamorcé par cette charge critique. Diderot, notamment, avec ses violentes diatribes contre les mœurs occidentales et son fantasme de Tahitiennes aux mœurs, disons, spontanées, ne dépareillerait pas dans un cénacle d’altermondialistes…

lundi 5 septembre 2016

Michel Butor à Tokyo (2)

En même temps que je recevais Michel Butor avec le succès que l’on sait, quelques membres de ma famille me rendaient visite eux aussi à Tokyo. Je les avais prévenus que je n’avais pas beaucoup de temps à leur consacrer puisque je courais d’une conférence à l’autre pour accompagner celui dont ils ne connaissaient que le nom. Je l'avais décrit l'illustre auteur comme portant salopette et barbe blanche.

Alors qu’ils déambulaient dans l’un des nombreux musées de Tokyo, les membres de ma famille ont eu l’heureuse surprise d’apercevoir précisément un homme à barbe blanche et salopette. De plus, il parlait français… Ma tante a profité de l’occasion pour s’adresser à lui dans les termes les plus chaleureux : « Michel Butor ! Quel plaisir de vous croiser là. Je suis l’une de vos grandes admiratrices… » Bien sûr, elle n’avait pas lu un seul de ses livres. Michel Butor ne s’est douté de rien, rosissant de plaisir. Comment aurait-il réagi s’il avait su qu’il devait cette délicieuse flatterie au jeune homme dont il s’était agacé la veille ?

vendredi 26 août 2016

Nicolas Sarkozy découvre les petits Blancs

Marianne révèle dans cet article que Nicolas Sarkozy, pour cette nouvelle campagne, s’est trouvé une cible électorale de choix : les petits Blancs. C’était précisément l’une des thèses des « Petits Blancs » (2013). Selon moi, les partis traditionnels avaient tout intérêt, comme l’avait compris Obama lors de sa première campagne, d’intégrer dans leurs discours la frange marginalisée de la population blanche plutôt que de l’abandonner aux partis d’extrême-droite. Sarkozy le fait maintenant, mais des partis de gauche auraient tout aussi bien pu l’imiter. Rendez-vous pour le test grandeur nature dans quelques mois…

"Pendant de longs mois, une conviction a mu l’équipe sarkozyste : il fallait le moins de votants possibles à la primaire de la droite et du centre. Pour que seul le noyau dur du parti, le « fond de cuve », comme on dit joliment Rue de Vaugirard, réputé le plus acquis à l’ancien chef de l’Etat se déplace dans les 10 000 bureaux de vote disséminés sur le territoire français les 20 et 27 novembre prochains. Làs, les sondages l’ont montré : la primaire, processus de désignation inédit pour la droite française, emprunté au parti socialiste, attire avant tout les CSP +, cette droite des affaires ou patrimoniale séduite par le programme ultra-libéral de François Fillon ou la modération affichée d’un Alain Juppé. Machine arrière toute.

Pour l’emporter, Nicolas Sarkozy sait désormais qu’il doit surmobiliser les catégories populaires, attirer par exemple le plus possible d’anciens électeurs de Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle 2012. Attendu dans les librairies le mercredi 24 août, le nouveau livre de Nicolas Sarkozy Tout pour la France (Plon), fait dans un premier temps office de véhicule pour la candidature à sa présidentielle. Mais dans le fond, il est entièrement destiné à ce public particulier. Issu des classes populaires ou de la classe moyenne paupérisée. Mais aussi les « Petits Blancs », selon le terme importé en France en 2014 par Aymeric Patricot, professeur en banlieue parisienne dans un ouvrage éponyme.

« Petits Blancs », ou « un blanc pauvre prenant conscience de sa couleur dans un contexte de métissage et se découvrant aussi misérable que les minorités tenues pour être a priori moins bien traitées que lui », selon la définition de ce chercheur passé par l’EHESS. Ces catégories à qui Laurent Wauquiez désormais patron de Les Républicains faisait un grossier clin d’œil sous le quinquennat précédent en évoquant le « cancer de l’assistanat ». A l’époque, en privé, le ministre assurait qu’il s’appuyait sur des tensions relevées dans sa ville, le Puy-en-Velay entre travailleurs pauvres blancs et leurs voisins, d’origine immigrée s’accommodant selon lui des diverses allocations versées par l’Etat.

C’est aux premiers que Nicolas Sarkozy s’adresse quand il fustige « l’identité heureuse » défendue par Alain Juppé. « Il n’y a pas d’identité nationale heureuse quand la politique menée conduit à ce qu’il n’y ait plus qu’une seule France, mais une agrégation de communautés, d’identités particulières », écrit-il. Quand il assure qu’il faut « mettre fin à la situation dans laquelle le travail paye moins que les revenus de l’assistance ». Mais à eux également qu’il promet « la société du plein emploi ».

Le chapitre le plus controversé de l’ouvrage et construit pour résonner dans les médias, « le défi de l’identité », leur est aussi clairement destiné. « L’identité d’un pays n’est rien moins que le ciment de son unité. Moins on détient de patrimoine ou de biens matériels et plus on y est attaché. Car, en définitive, c’est la seule chose qui reste quand on ne possède rien », lance-t-il. Plus loin, il évoque « l’immigration de masse » : « Nos procédures d’intégration sont frappées d’une embolie compète depuis que nous avons été submergés par le nombre », « Dans certains de nos quartiers, les habitants ont parfois le sentiment de ne plus être en France ».

Pour complaire à cet électorat, Nicolas Sarkozy promet donc « un nouveau pacte d’assimilation » avec report à 10 ans (contre 5 aujourd’hui) de la durée de résidence sur le territoire national dans le but d’obtenir la nationalité française. Il réclame également un délai de 5 ans « avant qu’un étranger puisse bénéficier en France d’une allocation sociale non contributive ». Comme il l’avait confié à Valeurs actuelles cet été, il confirme qu’il veut faire « évoluer le droit du sol », et assure aussi qu’il veut « restreindre les conditions du regroupement familial » qui menacerait selon lui « notre cohésion sociale et nationale ». Une victoire à la primaire de la droite et du centre vaut bien selon lui cette entaille dans le droit européen
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Soazig Quéméner, Marianne, le 23 août 2016"

jeudi 25 août 2016

Michel Butor aimait-il la poésie ?

Un souvenir particulier me lie à cette figure éminente de la littérature française, tout juste décédée. Au début des années 2000, j’officiais de manière très approximative au Bureau du Livre de Tokyo, intégré au service culturel de l’Ambassade de France. Jeune homme un peu perdu, davantage porté vers les livres et l’écriture que vers l’organisation de conférences et de le démarchages de traducteurs, j’ai été chargé d’organiser la venue au Japon, pendant une dizaines de jours, de ce Michel Butor dont je n’avais pas lu grand-chose mais qui me paraissait sympathique avec sa grande barbe blanche et sa salopette.

Quelques heures à peine après son arrivée, et après les inévitables approximations dans le planning causées par la maladresse qui était la mienne dans ce pays que je découvrais et à ce poste qui ne me convenait pas, Michel Butor n’a pas pu s’empêcher de me déclarer, sur un ton qui masquait mal sa colère : « Mais enfin, sur quelle planète vivez-vous ? » J’ai compris ce jour-là que les plus grands littérateurs, tous poètes qu’ils soient, n’aiment pas trop la distraction poétique quand ils la repèrent chez ceux dont dépend leur bien-être.

lundi 22 août 2016

Tom Wolfe ou la littérature Hollywood

Le dernier roman en date de Tom Wolfe, « Bloody Miami », donne l’impression d’un Balzac sous amphétamine : la même richesse de de contenu que le maître français dont Tom Wolfe se réclame d’ailleurs, mais très nettement sectionnée par épisodes tous plus survoltés les uns que les autres et structurée comme un polar. Wolfe entreprend de nous montrer la Miami multiculturelle comme une sorte d’enfer de violences et de sexe. Surtout, certaines scènes d’action sont si spectaculaires, si bien rôdées qu’on a parfois l’impression que Wolfe a recours à des effets spéciaux…

vendredi 19 août 2016

"Les vies enchantées" sur Radio libertaire

jeudi 28 juillet 2016

Boire le paysage (Un parisien en Champagne (1))

J’emménage dans une région dont je ne me faisais aucune idée : le cœur du vignoble champenois. Et j’ai la très agréable sensation de vivre un nouveau rapport au paysage. Ici, à peu près toute l’économie, toute la culture tournent autour de l’industrie du champagne. Et les splendides collines couvertes de vignes et coiffées de bois donnent l’impression de se vouer à une sorte de rituel gastronomique. Si bien que j’ai la sensation qu’on le boit, ici, littéralement, le paysage. Autant la Bretagne peut éveiller des rêves tour à tour visuels, culturels, musicaux, autant la Champagne sollicite un véritable fantasme de dévoration géographique. La beauté du lieu, c’est aussi qu’il finit par se consommer – et cela dans une certaine atmosphère de recueillement et de prestige.

lundi 25 juillet 2016

Les classes moyennes vont-elles disparaître ?

"Manifeste en faveur des classes moyennes", co-écrit avec Fabien Verdier, secrétaire nationale du Parti socialiste chargé du pôle "Production et répartition des richesses", sur le site du Huffington Post:

"Nous avons longtemps supposé que les classes moyennes étaient privilégiées et qu'elles devaient constituer la cible principale d'une politique fiscale exigeante. Or, force est de constater qu'elles sont en voie de paupérisation. Menacées par le déclassement, elles vivent de plus en plus mal la baisse de leur qualité de vie. A ce propos, nous entendons beaucoup cette phrase: "On paye toujours plus, mais on ne reçoit rien." Ce sentiment d'injustice fait des ravages dans un électorat pourtant enclin à voter à gauche. Le Parti socialiste, dont l'ambition a toujours été d'apporter son soutien à ceux qui souffrent, devrait tenir un discours fort en direction de ces classes-là.

Le problème est à la fois de nature économique (chômage, intérim, temps partiel subi, lourde imposition, perte de mobilité, crainte du déclassement...) et de nature identitaire, dimension dont la gauche a du mal à s'emparer: cela concerne autant les tensions liées au multiculturalisme que les mutations du monde rural ou encore les fortes difficultés liées au logement (coût des loyers, éloignement des pôles urbains...). Un tiers des Français sont "à l'euro près" en termes de dépenses lorsqu'ils vont faire leurs courses dans un supermarché!

Ainsi les classes moyennes commencent-elles à se sentir exclues des considérations politiques. A propos des questions culturelles, elles se déportent de plus en plus vers l'extrême droite (plus de 30% des inscrits) ou l'abstention (près des 40% des inscrits aux dernières élections régionales). A propos des questions économiques, elles éprouvent le sentiment de payer trop d'impôts et de ne pas bénéficier des aides publiques (municipales, départementales, régionales, nationales...).

Quant aux classes populaires censées être l'objet exclusif des attentions du Parti socialiste, elles ne se réduisent pas aux minorités ethniques comme beaucoup ont été tentés de le croire. Il est temps de considérer qu'il existe d'autres classes paupérisées -ouvriers, artisans, monde paysan- non exclusivement issues de l'immigration. Il ne s'agit certes pas d'opposer "petits Blancs" et enfants d'immigrés. Les deux groupes, aux frontières d'ailleurs floues, ayant chacun des raisons légitimes de protester. Mais plusieurs campagnes de communication ont laissé croire que les Blancs pauvres ne subissaient jamais de violences ni de discriminations. Mis en position d'accusés, ils se détournent naturellement d'un parti qui paraît les mépriser.

Par conséquent le Parti socialiste a tout intérêt, comme les démocrates américains ont par exemple eu l'intelligence de le faire avec Barack Obama (et son fameux discours de Philadelphie), de tenir compte de toutes les difficultés, de toutes les souffrances. C'est d'ailleurs le sens même du combat qu'il entend mener.

Quelques précisions sur les classes moyennes: il est possible de les définir comme les "50% des ménages dont le revenu brut disponible n'appartient ni aux 30 % les plus modestes, ni aux 20% les plus aisés" (Jörg Muller, CREDOC). En France, cela peut représenter jusqu'à environ 38 millions de personnes, recouvrant un ensemble de catégories professionnelles très variées, et surtout très nombreuses : enseignants, employés (plusieurs millions de personnes), personnel soignant, ouvriers, petits artisans, petits commerçants, chargés d'études, chargés d'affaires...

En politique, les ressentis comptent au moins autant que la réalité, si ce n'est davantage. Or, ces classes moyennes éprouvent durement le fait d'appartenir à une strate intermédiaire qu'elles perçoivent comme menacée. "Bientôt, il n'y aura plus que des riches et des pauvres" entend-on. Une intuition d'ailleurs validée par nombre d'études pointant la tendance profonde, dans les pays les plus développés, à une ventilation des classes moyennes vers le haut et vers le bas, sous l'effet d'une mondialisation souvent féroce. Ces deux phénomènes (difficulté à s'élever, menace du déclassement) nourrissent la défiance vis-à-vis des partis traditionnels, partis qui ont longtemps refusé de considérer les effets négatifs de la mondialisation.

Selon l'économiste Alain Lipietz, les classes moyennes ont commencé à se disloquer au milieu des années 1970. Une partie a accédé aux classes supérieures, mais la majorité s'est trouvée reclassée vers les couches populaires. Certains spécialistes (économistes, sociologues...) ont l'habitude de répondre, quand on les interroge à ce sujet: "Il est difficile de définir les classes moyennes puisqu'elles sont en voie de disparition..." Ce fatalisme explique une large part de la désaffection de ces classes moyennes. Et dit tout sur l'objet politique, économique et social, dont elles doivent faire l'objet.

Parfois difficiles à définir, elles constituent pourtant le creuset de notre société. Sans elles, point de démocratie. Sans elles, point de développement économique. Sans elles, point de redistribution. A l'écoute des classes moyennes, nous retrouverions l'élan qui nous fait défaut, la solidarité qui nous caractérise historiquement, l'idéal d'égalité que nous proposons depuis 1789, l'ambition de la fraternité dont nous avons tant besoin dans notre société moderne.

Nous pensons que le Parti socialiste a tout à gagner à redonner espoir à ces classes moyennes -qui constituent le pivot de toute démocratie- et à épauler les classes populaires pour qu'elles rejoignent ces rangs-là. Il convient de réfléchir à une politique fiscale moins négative à leur endroit; à une politique économique favorisant l'initiative; à une politique des mobilités (économique, sociale, culturelle...); à une politique des transports qui, couplée à celle du logement, améliore les vies quotidiennes (qui souffrent par exemple de trop longs trajets).

Retrouvons le sens du peuple! Car le cœur de la gauche, c'est le peuple. Et, par conséquent, d'abord et avant tout les classes moyennes."