« L’exode de Valia » (Ramsay, 2021) dépeint avec souffle une période peu traitée par la littérature française, sans doute pour des raisons idéologiques : l’émigration de Juifs et de Russes blancs (au sens politique du terme) de la Russie soviétique. Et c’est précisément l’articulation de ces deux courants qui passionne ici. On y découvre que de nombreux Juifs, afin d’éviter les pogroms, cherchaient à intégrer l’aristocratie russe, et que la Révolution en a contraints beaucoup à fuir : à la fois juifs et riches, ils se découvraient doublement menacés. Et l’on voit le personnage clé du roman, Valia, par prudence dans une période si périlleuse, se fondre peu à peu dans sa nouvelle identité d’aristocrate russe en exil, s’inventant même d’autres origines mythiques, afin de mieux taire sa part juive. Les répercussions seront terribles sur les générations suivantes. Ce n’est pas une mince affaire que de retranscrire intelligemment et de rendre sensible ces vastes enjeux. La fiction y parvient souvent mieux que l’histoire, et Tamara relève ici haut la main le défi.
« Par ce « d’où elle vient », Pavlina saisissait qu’il évoquait leur judéité. Valia allait devenir comme lui, elle allait pénétrer son monde princier, elle fuirait la Russie comme les plus grandes princesses, cachée, infiltrée parmi les troupes d’un général blanc. Pavlina avait réussi à accomplir son rêve, mais l’époque avait inversé les classes, les milieux, les registres. » (page 109)