La littérature sous caféine


mardi 12 avril 2022

N'oublions pas les Gilets jaunes !

Avec « La Fièvre » d’Aude Lancelin (Les liens qui libèrent, 2020), je pensais lire un compte-rendu factuel, légèrement romancé, de la crise des Gilets jaunes, et je tombe sur un véritable brûlot, satire acérée non seulement de la bourgeoisie parisienne, mais de ces milieux de gauche radicale qui se targuent de subversion tout en exprimant du dédain vis-à-vis des loqueteux qu’ils sont censés défendre. Ce roman, meilleur livre qu’il m’ait été donné de lire à propos des Gilets jaunes, notamment parce qu’il égrène une série de portraits bien troussés, souvent mordants, propose une vision étonnamment proche de celle que je déployais dans « La révolte des Gaulois » (Léo Scheer, 2020), à la différence peut-être que nous n’avons pas le même degré d’optimisme vis-à-vis d’une éventuelle convergence campagne / banlieue.

Pas étonnant, finalement, qu’Aude Lancelin ait été la première journaliste de gauche à parler des « Petits Blancs » en 2013. Comme elle, je suis sensible au mépris que s’attirent les gens de peu de la part de personnalités qui, politiquement, prétendent parler en leur nom – après tout, c’est ce genre de contradiction qui a toujours aiguillonné mon écriture.

« Le pape de Nanterre avait commencé à trouver la parade au silence dont il ne savait plus comment sortir depuis des semaines. Avouer à demi-mot ses atermoiements et mettre cet attentisme sur le compte d’une espèce de grandeur d’âme qui lui interdisait, en tant que grand Blanc universitaire, de rejoindre les petits Blancs d’en face, par peur de trahir les anciens colonisés. Voilà à vrai dire tout ce que son cerveau en surchauffe avait réussi à mettre au point en rejoignant à pied la soirée de Ménilmontant. » (p 93).

mercredi 13 mars 2019

Les Gilets jaunes sont-ils des petits Blancs ?

Ma conférence à la Fondation Jean Jaurès, le 4 mars 2019.

mardi 5 mars 2019

Les petits Blancs seraient-ils devenus mainstream ?

Aussi contestée soit-elle, la notion s'affiche désormais, cinq ans après la publication des "Petits Blancs", à la Une des médias: L'Express en a fait sa couverture le 27 février dernier, même s'il s'agit de prendre encore des pincettes ("Nous les petits Blancs, disent-ils"). La journaliste chargée de rédiger le dossier, Agnès Laurent, a fait son travail et nomme l'ouvrage. Elle m'a d'ailleurs prévenu par téléphone: "Nous avons pillé votre livre", ce que je prends pour une sorte d'hommage. Après tout, j'en ai croisé qui parlaient du livre sans l'avoir lu ou qui, surtout, l'attaquaient sans en avoir compris une traître ligne. Pour un peu, ils m'auraient interdit rétrospectivement de l'écrire ! Je pense à Thomas Guénolé, par exemple, sur le plateau du Ce soir ou jamais de Frédéric Taddéi.

Quant à Alain Finkielkraut, je suppose quand je l'entends préciser que l'homme l'ayant récemment agressé dans la rue "n'était pas un petit Blanc", qu'il a lui aussi pris la peine de lire l'ouvrage - tout au moins se permet-il d'utiliser le mot sans en contester a priori la légitimité, tout à fait conscient du fait que nous ayons besoin, pour décrire une situation sociale et culturelle française de plus en plus complexe, de plus en plus éruptive, de quelques termes à la fois contemporains et bien sentis.

samedi 2 mars 2019

Les Gilets jaunes sont-ils des petits Blancs ?

Lundi 4 mars, j'interviendrai devant la très respectable fondation Jean Jaurès pour évoquer l'épineuse question du rapport entre Gilets jaunes et petits Blancs.

mardi 26 février 2019

Un Arabe au FN

Je découvre le livre de François Beaune, « Omar et Greg » (Le Nouvel Attila, 2018), et je suis heureux d’y découvrir un véritable complément à la galerie de portraits des petits Blancs. Dans ce dernier, je croquais par exemple le personnage de Karim, tiraillé entre sa mère d’origine bretonne devenue folle et son père d’origine algérienne, ancien ouvrier. Discutant volontiers avec des Blancs pauvres, Karim n’allait pas jusqu’à se rapprocher du FN. Dans le livre de François Beaune (un dialogue entre un Arabe et un Blanc ayant sympathisé dans les rangs du FN avant d'en repartir, déçus), Omar, en revanche, franchit le pas et tente de faire admettre au parti de Marine Le Pen une ligne moins identitaire et plus strictement patriote, plus ouverte à l’intégration des minorités. Cette histoire peut paraître surprenante – en dépit de sa véracité –, elle ne l’est pas tant que ça quand on s’intéresse à la question des errances identitaire. Un beau livre, à la fois vivant et lourd en enseignements.

« Omar.

Mon attrait pour le FN, c’est plein de choses, une marmelade. Des fois je me dis, Omar, tu es maboul ou quoi ? Pourquoi tu es parti voir Jean-Marie ? Et là je me réponds, mais quand même, il fallait bien montrer la bonne image ! Mais de qui ? De moi ? Des musulmans ? des Arabes ? C’est un truc important cette reconnaissance.

Et puis il y a mon passé dans la délinquance. Je culpabilise pas, parce que la rue m’a forgé, merci la rue, grâce à elle j’ai connu des épreuves dans la vie, j’ai souffert ce qu’il faut, et sans elle, peut-être que je me serais suicidé, à quarante-six ans, j’ai toujours du mal à me positionner sur l’échiquier français. C’est un truc de malade, tu joues ou ?

Je fais partie de la génération sacrifiée. On n’a pas été Français, on n’a pas été émigrés, on avait le cul entre deux chaises. Le Front national c’était ça, il fallait que je trouve des réponses à mon questionnement. Est-ce que je suis ou pas un Français ? Marine m’a dit que non, Jean-Marie m’a dit que oui, et au final j’ai pas eu ma réponse. » Omar et Greg, page 102

mardi 15 janvier 2019

Les petits Blancs sont devenus des Gilets jaunes (1)

Comment douter qu’un grand nombre des personnages des « Petits Blancs » (Plein Jour 2013, Points Seuil 2016) ait rejoint les rangs des Gilets jaunes ? Leur colère, leur désespoir, leur envie de violence passaient inaperçus. Moi-même, je n’imaginais pas qu’elle puisse prendre un jour la forme d’une révolte à l’échelle du pays. C’est chose faite.

Fabrice, paysan (page 28 de l’édition originale) :

"L’état d’esprit de mes collègues et des jeunes qui font le choix de rester à la campagne, c’est un mélange d’enthousiasme pour la vie qu’ils mènent ou s’apprêtent à mener et de malaise, voire de rancœur, devant la place que la société leur réserve. On ne parle jamais d’eux. Vue de Paris, la campagne semble une contrée lointaine, assez pauvre, tout juste bonne à proposer des maisons de vacances. La presse n’évoque jamais les difficultés quotidiennes de ses habitants, même les plus méritants – j’en connais tellement qui travaillent comme des chiens tout en vivant du RSA. Une chose qui se dit beaucoup, c’est que les jeunes d’ici ne brûlent pas de voitures : alors, ça n’intéresse pas les milieux parisiens.

» En plus du silence, il y a l’absence de considération : la jeunesse des campagnes perçoit cruellement les clichés qui circulent à son propos. Ce ne sont pas des propos fréquents ni des insultes mais un certain nombre d’idées reçues dont ils sont les premiers conscients. Comme l’idée que les gens de la campagne ne sont pas instruits, que leur niveau culturel est bas – un cliché difficile à admettre quand on gère une ferme et qu’on maîtrise tant d’aspects techniques, tant de leviers économiques. Difficile à admettre aussi quand on connaît les excellentes moyennes de réussite au bac dans les lycées de campagne. Il faut savoir que le faible nombre de diplômés de l’enseignement supérieur, dans nos régions, est en grande partie dû à la faible offre universitaire. »

lundi 10 décembre 2018

"La révolte du Gaulois roulant au diesel" (Le Monde, 08/12/2018)

Ma tribune publiée sous le titre "La révolte du Gaulois roulant au diesel" pour la version papier du Monde, et sous le titre "Aux yeux des campagnes Macron ne les connaît pas. Pis, il mes méprise." (08/12/2018)

"Dans une tribune au « Monde », l’écrivain et professeur Aymeric Patricot estime que, comme les émeutes des banlieues en 2005, la colère des « gilets jaunes » est celle d’une France qui s’est sentie dénigrée par certains propos tenus par le pouvoir.

Il y a deux ans, je quittais Paris pour une petite ville de province, profitant d’une opportunité professionnelle pour laisser derrière moi le métro, la pollution, la vie chère, le climat de violence ethnique et sociale. J’espérais goûter quelque chose comme une vie tranquille et saine. Ce faisant, j’allais observer du point de vue des campagnes les dix-huit premiers mois du quinquennat de Macron. Le moins qu’on puisse dire est que le spectacle a été saisissant. Je vais retranscrire ici quelque chose de ce que j’ai perçu dans l’accueil qui lui a été fait.

La première année, déjà, les campagnes ont bruissé d’un certain mécontentement. Elles s’estimaient bousculées : limitation de la vitesse à 80 km/h ; suppression des emplois aidés ; menace à terme sur les finances locales ; recul persistant des services publics ; dédoublement des classes de primaire dans les quartiers au détriment des territoires. Mais on se contentait de bougonner. Certes, on estimait que l’élection de M. Macron n’était pas vraiment légitime : il était arrivé là par un prodigieux coup du sort. Mais on s’était habitué à cette confiscation du pouvoir par une classe qui parle fort au nom de principes qu’elle ne s’applique pas. On acceptait la fatalité parce que l’essentiel semblait préservé : l’ordre public, quoiqu’il ait été mis à mal sous M. Hollande ; l’ordre économique, quoique le taux de chômage soit resté douloureux.

Et puis tout a basculé pendant l’été 2018. On a parlé d’erreurs de communication mais le mal était plus profond : il s’agissait d’aveux. Pendant des semaines, pendant des mois, jour après jour, une série d’actes a révélé la vérité du quinquennat aux yeux des campagnes : M. Macron ne les connaissait pas. Pis, il les méprisait. Et cela, en toute innocence, en toute bonne foi. C’était avec une sincérité désarmante qu’il révélait le fond de sa pensée, à savoir que les provinciaux sont des gens simples, corvéables à merci, condamnés par l’Histoire et potentiellement dangereux pour le pouvoir central qui incarnerait, lui, la noblesse et même le Bien.

Qu’on en juge. Il y a eu la série des paroles condescendantes à propos de la désinvolture supposée d’une certaine population (« Tu m’appelles Monsieur le président de la République », « Je traverse la rue et je vous en trouve [du travail] », les « gens qui ne sont rien », les « fainéants »…). Il y a eu la défense de proches et de collègues en dépit de toute décence démocratique (Alexandre Benalla, Agnès Saal, Philippe Besson…). Il y a eu ces étalages d’opulence. Il y a eu ces gestes terriblement maladroits, comme ces cadeaux aux chasseurs sous prétexte que ces derniers symboliseraient la ruralité.

Surtout, il y a eu des attitudes qui non seulement n’ont pas été jugées dignes, mais qui ont été tenues pour des insultes. Et ce sont deux incidents qui, conjugués, m’ont semblé proprement explosifs, alors même qu’ils ont été scrutés avec bonhomie par les médias.

Tout d’abord, cette parole malheureuse sur les « Gaulois réfractaires au changement », expression que l’on peut d’ailleurs comprendre tant la grogne semble parfois caractériser le pays. Le problème est que M. Macron, justement, ne désignait pas les Français mais les Gaulois, c’est-à-dire, dans l’imaginaire collectif et notamment en banlieue, les Français blancs, ceux des campagnes, ceux de la France profonde, ceux qu’on a l’habitude de moquer à Paris parce que ce serait des beaufs, des alcooliques et des rougeauds.

L’épisode des photos surprenantes de M. Macron à Saint-Martin, dans les bras d’un ex-braqueur et de son cousin faisant un doigt d’honneur, est la seconde séquence qui a scellé la détestation. Car après avoir signalé l’identité de ceux qu’il méprisait, M. Macron aurait ainsi révélé ceux qu’il aimait beaucoup. Et, cette fois-ci, ses paroles étaient douces. La boucle était bouclée : le banquier d’affaires aurait avoué plus d’amour pour les banlieues que pour les campagnes, pour les voyous que pour les « classes laborieuses », comme il les nomme lui-même. Amalgames ? Bien sûr ! Mais les ressentis, les susceptibilités sont toujours affaire d’amalgames, et le rôle des politiques est d’essayer de les désamorcer. Sans doute aurait-il fallu quelques mots pour trancher le nœud qui se nouait ici, quelques mots très simples pour assurer que l’Etat ne tombait pas lui-même dans ce genre de raccourci. Quoi qu’il en soit, l’idée s’est imposée que les impôts des classes moyennes servaient surtout à nourrir la classe politique et à tenir à bout de bras les classes défavorisées.

Cette dimension culturelle – pour ne pas dire ethnique – n’a pas vraiment été commentée. Elle reste en partie taboue mais elle sous-tend certains raisonnements, elle nourrit certains symboles. Dans l’esprit des campagnes, Macron passe désormais pour un Père Fouettard dur avec les siens, doux avec les autres, et le fait qu’il s’exprime souvent de l’étranger ne passe pas inaperçu.

C’est ainsi que le phénomène de détestation s’est enclenché : quand on ironise sur le physique des gens, quand on les tance alors qu’ils vivent difficilement le quotidien, on provoque des mouvements de rejet très puissants et, malheureusement, je le crains, irréversibles. La révolte des « gilets jaunes » n’est-elle pas le symétrique des émeutes de 2005 ? Mêmes colères de communautés qui se sentent humiliées… Après le banlieusard racisé qui ne supporte plus d’être relégué dans les marges des grandes villes, le Gaulois roulant au diesel qui n’accepte plus d’être ignoré, pressuré, moqué par l’élite.

Enfin, la fameuse goutte qui a fait déborder le réservoir n’est pas anodine non plus. Depuis des décennies, chaque président commence par augmenter les impôts, estimant que la pilule s’oubliera bientôt. Mais la technique devient voyante. Certaines études n’hésitent plus à prouver ce que le peuple pressentait depuis longtemps : le pouvoir d’achat des classes moyennes diminue. Quand, de plus, on se moque ouvertement d’elles en affirmant que c’est pour la bonne cause – à savoir, la transition écologique –, alors on fournit au peuple des raisons objectives de se soulever.

Elément supplémentaire de rancœur, la voiture constitue vraiment le nerf de la guerre en province. Je l’ai appris en venant m’installer en Champagne. Je fais désormais 1 000 kilomètres par mois pour me rendre au travail – autant de frais d’amortissement, d’entretien, d’assurance, de péages, d’essence, qui dépassent les économies réalisées sur le loyer. Comment les Parisiens pourraient-ils s’en rendre compte ?

La situation me paraît désormais celle-ci : à tort ou à raison, la classe politique est tenue pour incompétente, méprisante, illégitime et privilégiée. La plupart des formations politiques sont incluses dans ce rejet. Je ne sais pas comment le régime en place peut trouver une porte de sortie, mais le phénomène de la violence civile est enclenché. Une fois que la fièvre s’empare d’un corps, difficile de la faire retomber. Une chose est sûre : le remède doit être puissant.

Aymeric Patricot, professeur de lettres en école préparatoire, est notamment l’auteur d’Autoportrait du professeur en territoire difficile (Gallimard, 2011) et des Petits Blancs. Un voyage dans la France d’en bas(Plein jour, 2013)
."

mardi 9 octobre 2018

Les témoignages de rancoeur et de souffrance ("Les petits Blancs")

Me sera-t-il donné un jour d’écrire un livre qui suscite autant de réactions viscérales ? Des années après sa publication, « Les Petits Blancs » (2013) me vaut encore des messages du genre de celui que je reproduis ici. Certains lecteurs en seront scandalisés, mais ce courrier aurait très bien pu s’intégrer dans la série de témoignages que propose le livre. Ce dernier cherchait d’ailleurs à ouvrir autant que possible le spectre des réflexions sur le sujet – la pauvreté blanche dans un pays qui se métisse – et donc à accueillir toutes les sensibilités, des plus sombres aux plus heureuses.

Bien sûr, le livre n’avait pas pour ambition de cautionner le genre de paroles qui va suivre – il y eut de sérieux malentendus à ce propos – mais de noter le fait qu’elles existent et qu’il serait ridicule de les ignorer. Le pari était d’ouvrir les vannes d’un certain désespoir afin de le comprendre et, pourquoi pas, de commencer à l’exorciser. Le ressentiment, la haine sont des sentiments douloureux. En publiant « Les Petit Blancs » j’avais fait le choix de ne pas uniquement les condamner. N’y a-t-il pas quelque chose d’absurde, d’ailleurs, à condamner quelqu’un pour sa souffrance ?

« Bel effort sur "Les Petits Blancs", ça a été utile sur moi. Libérateur même. Merci. (…) Mon avis n'apportera rien de nouveau, j'en ai peur. En réalité, j'ai déjà beaucoup lu sur le sujet, et je suis donc trop « informé » pour être surprenant. Il suffit de surfer sur internet, sur twitter pour se rendre compte. Des milliers de petits blancs enragés, abandonnés, qui renouent avec la pratique du samizdat. Évidemment, beaucoup de violence, où cela s'arrêtera-t-il ? Je ne parle pas de haine, parce que si c'est de la haine rendue, ce n'est pas de la haine pure (contrairement à ce que sous-entend votre sous-titre). Je pense que la haine pure n'est provoquée par personne.

Justement, quand j'ai commencé à entrer dans la partie où vous retranscrivez les témoignages, j'étais comme aspiré par le livre. Impossible de lâcher, ça aurait pu durer des pages et des pages. C'est pour ça que je parle de libération. Je ressentais un sentiment curieux. Une fraternité retrouvée. Cette chape de plomb que l'immigration fait peser sur nombre de petits Blancs, qui divise, nous laisse tout ébaubis, personne n'en parle et d'autant moins quand on fréquente des milieux de gauche. Pourtant tout le monde la ressent et au moins depuis le collège. Pour moi, c'est LE tabou de ma génération. Moi comme d'autres, j'ai été victime de réflexions, brimades, moqueries, insultes racistes, jusqu'à l'agression physique (à plusieurs reprises...) Puis la fac, et j'ai oublié. Par la suite, j'ai travaillé dans le secteur social dans les quartiers Nord de Marseille et mon regard a changé à jamais. J'ai ressenti l'exclusion. On peut dire ce qu'on veut mais ce que j'ai appris c'est que les seuls qui veulent « vivre ensemble », ce sont les bobos. En réalité, personne ne se mélange. On est devant un problème très étrange, diffus, insaisissable. Et finalement, le communautarisme s'installe, bientôt la sécession ? La manière dont les minorités sont traitées par les médias, sacralisées, fait naître en moi un profond sentiment de dégoût et d'abandon. Un peu comme Laurent. Il y a aussi Jody dont l'indifférence m'a glacé. Le « petit Blanc » rappeur aussi, qui ne connaît pas sa propre culture (comment pourrait-il en être autrement?). Il ne faut pas dénigrer le phénomène de déculturation. Et j'ai déjà lu et entendu beaucoup de témoignages ! Dans votre livre, c'est peut-être le fait que vous ayez réécrit les témoignages qui fait que ça a marché plus fort. Je ne saurais pas dire. En tout cas, j'ai réalisé mieux que jamais que je faisais partie d'un groupe, que je n'étais pas seul. Au-delà même des problèmes générés par l'immigration (parce que le recours à l'explication par le social n'est pas vraiment fausse bien qu’incomplète), il y a un lien rompu. Quelque chose d'incohérent. On a été élevé dans les valeurs de la république et, je reviens au témoignage de Laurent, tout ça n'a plus de sens aujourd'hui. Tout a changé trop vite. Je suis né en 1984 et 34 ans plus tard, c'est un autre monde. Qui peut avaler ça ? Ou alors rien n'a changé, mais c'était du pipeau depuis le début... On se sent poussé vers le communautarisme. Communautarisme d'un côté, agressivité économique de l'autre... Mais sans savoir où aller. Et votre livre, d'une certaine manière répond à cette question.

Des comme moi, des comme Laurent, il y en a partout, éparpillés, cellules dormantes, incapables de se fédérer car éduqué selon un logiciel totalement étranger à cette conception de la vie. Finalement, la république qu'est-ce c’est ? Un système auquel on se donne corps et âme, quand il disparaît, il ne reste plus rien. Mille et unes réflexions comme celle-ci... Dans le désordre. Parfois, j'ai eu l'impression que vous donniez des gages : « la haine », « c'est plus compliqué que ça »... Alors qu'en fait, la situation n'est pas si complexe. D'ailleurs elle s'envenime, la situation. La terre réclame du sang, dit-on. On vit notre guerre. Larvée, invisible aux yeux de tous, minimisée, banalisée. Elle est pourtant là sous nos yeux et fait beaucoup de dégâts. À coup de propagande, de novlangue. (…)

Je me remets souvent en question du point de vue psychologique. J'essaie de faire la part des choses. De ne pas me laisser avoir, par ma tendance à la dépression. Laisser la dépression trop influer sur ma vision des choses. Mais quelle que soit la couleur qu'on donne à la réalité, les faits restent les faits. C'est un problème lié à la question de l'objectivité, ou du point de vue, forcément biaisé. J'ai l'impression d'halluciner mais, en fin de compte, je pense que je vois juste. Reste une question : combien de France s'affrontent ? S'ignorent ? Se provoquent ? Alors le danger c'est de se focaliser sur certains problèmes qu'on croit avoir identifiés comme cause première et de se dire que s'ils étaient réglés on serait au paradis (blanc ! Ahah !)... Bien sûr c'est un piège ! La cause première... pensez-vous... En tout cas votre livre m'a aidé à voir qui j'étais un peu plus. Et ça c'est pas mal. Voilà, pour mes réflexions mi-témoignage, mi-critique.... En toute honnêteté.
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