La littérature sous caféine


jeudi 22 juillet 2010

Le professeur passe le bac

1) Deux anglaises, dans un café de Beaubourg : « Never trust french guys ! They can look so much younger than they are ! - So true... »

2) Dialogue entendu sur le parvis de Beaubourg: « Salut, c’était sympa de te rencontrer… – Tu t’appelles comment ? – Oasis. – Ouais, c’est ça, et moi c’est Coca-Cola. – Non, je te jure, je m’appelle Oasis. – Arrête de te foutre de ma gueule. C’est comment ? – Oasis. – Putain, va te faire foutre. – Salope, va ! – Bâtard ! »

3) Pour la première fois de ma carrière, j’ai rêvé que j’étais un élève. Je passais l’oral du bac français, je n’avais rien révisé. Je me suis curieusement retrouvé devant la reproduction d’une image (Scène du Moyen Age ? Scène inca ?) à propos de laquelle je n’avais strictement rien à dire. J’ai essayé d’improviser un exposé, qui s’est avéré lamentable. J’ai parfaitement compris que le professeur, dont je ne voyais pas le visage, me mette une note à l’avenant…

samedi 17 juillet 2010

Les artistes qui mettent en scène leurs faiblesses (Harvey Pekar, American Splendor)



J’apprends la mort de Harvey Pekar, l’auteur de la merveilleuse bandes-dessinées American Splendor (adaptée récemment au cinéma), que j’ai découverte cette année. Il en était le scénariste, racontant sa vie par courts épisodes qu’il faisait mettre en images par plusieurs dessinateurs, parmi lesquels le fameux Crumb, devenu par la suite une véritable icône de l’underground, flirtant constamment avec la vulgarité, les fantasmes sexuels et le portrait, souvent cruel, et souvent politiquement incorrect, d’ailleurs, de l’Amérique.

Ce qui m’a frappé dans cette bande-dessinée, et ce qui m’a plu, c’est que l’auteur ose se mettre en scène comme un dépressif chronique, assailli par les angoisses les plus diverses, éprouvant les pires difficultés dans sa vie professionnelle et sa vie sentimentale. Œuvre glauque ? Non, sincère, et le succès foudroyant qu’elle a rencontré ne m’étonne pas. Mécaniquement, on se sent beaucoup plus proche, en fin de compte, d’une personne avouant ses faiblesses. Et c’est bien la première fois que je lis, du moins de cette qualité, une bande-dessinée dont la force, la maturité, la gravité même des enjeux reste comparable à celles de grandes œuvres littéraires.

jeudi 15 juillet 2010

Les obsessions des écrivains (Mathieu Simonet, Les Carnets Blancs)

Dans ses Carnets Blancs (Seuil, 2010), Mathieu Simonet raconte une expérience singulière : il a entrepris de disperser ses journaux intimes auprès de gens qui pourraient en faire ce que bon leur semblerait – les détruire, les manger, les peindre… C’était une manière de s’en débarrasser, de se couper de son passé, de s’en libérer, mais aussi de rendre ces carnets à une vie autre. Le corps du texte consiste en notes, en extraits de lettres et de mails dans lequel Mathieu Simonet rend compte, de près ou de loin, de cette expérience.

Dans l’avant-propos il essaye de définir le fantasme présidant à l’écriture de ce livre :

« Des histoires de coïncidences surgissaient au milieu de ces initiatives. Certains participants me dévoilaient leur rapport à leurs journaux intimes. D’autres interprétaient mon geste, me parlaient de ma mère, malade d’un cancer, avec laquelle j’apprenais, en parallèle de ce projet, à imaginer l’après. On me parlait de mon père, de ses problèmes psychiatriques, de l’éclatement de sa personnalité et de l’éclatement de mes carnets.

Je ne sais pas s’ils ont raison.

Quatre ans plus tard, à l’heure où j’écris cet avant-propos avec un certain recul, un recul qui reste très fragile, presque à vif, je crois que ce geste « s’explique » par mon fantasme de construire sur l’éclatement. Sur mon désir de réunir les opposés, les objets cassés, les photos déchirées
. » (page 13)

Nul doute qu’à l’origine de tout geste artistique il y ait ce genre de fantasme, dont on découvre progressivement la teneur à mesure que s’accomplit l’œuvre. La lecture de ce livre m’a fait demander quelle pouvait être ma propre obsession… Si chaque livre répond à un fantasme particulier, il devrait être possible également d’identifier une ou plusieurs images hallucinées présidant au fait même d’écrire pendant toute une vie. Dans mon propre cas, s’agirait-il non pas comme Mathieu Simonet de « construire sur la dispersion », mais de prendre le mal par la racine ? D’éclaircir l’ombre ? De tirer vers la lumière tout ce qui dans l’existence vous attire vers les abîmes ? J’ai tendance à écrire des livres sombres, c’est vrai, mais avec le fantasme qu’on puisse trouver un sens lumineux aux pires angoisses.

Une autre de mes tendances seraient de fantasmer la notion d’effacement. Je suis d’ailleurs en train d’y réfléchir dans un long texte dont j’aurai sans doute fini l’écriture cet été…

vendredi 9 juillet 2010

Colette, ma bible en amour et botanique



Des années maintenant que je suis jaloux de Colette. Chacune de ses phrases m’envoûte par la richesse de son vocabulaire, son arrogante préciosité, sa connaissance vertigineuse du cœur humain, des intrigues de couple et des émotions si fortes et raffinées que nous procurent les mondes animal et végétal. Ses romans, ses chroniques relèvent souvent de cette prose poétique à côté de laquelle toute autre fiction paraît fade. Et son art du croquis psychologique et moral, ponctué de savants aphorismes sur la séduction, vaut bien celui des grands moralistes français.

J’achève tout juste ma troisième lecture de ce qui me paraît être son grand chef-d’œuvre, Le Pur et l’Impur, livre d’une certaine maturité sentimentale dans lequel elle dresse le portrait de séducteurs prestigieux et de hautes figures de l’homosexualité (féminine ou masculine). Le style, précieux, maniéré, grandiloquent par moments, peut sembler daté, mais il ne rend que plus impressionnant ce véritable petit traité du cœur humain, cette évocation poétique des hypocrisies, manipulations, faux-semblants, flamboyances de l’amour sous toutes ses formes.

Je commence à avoir une vue d’ensemble de l’œuvre – pour l’instant je n’en gardais qu’une impression touffue – et j’ai le sentiment de parvenir à réduire quelque peu le mystère qu’il représentait jusqu’à maintenant pour moi (ce qu’on appelle un chef-d’œuvre réside d’ailleurs peut-être dans une densité particulière, une complexité qui oblige à y revenir de nombreuses fois pour que les choses s’éclaircissent…)

Exemple de petit bijou littéraire, cette évocation des « êtres au sexe incertain » :

« La séduction qui émane d’un être au sexe incertain ou dissimulé est puissante. Ceux qui ne l’ont jamais subie l’assimilent au banal attrait des amours qui évincent le principal mâle. C’est une confusion grossière. Anxieux et voilé, jamais nu, l’androgyne erre, s’étonne, mendie tout bas… Son demi-pareil, l’homme, est prompt à s’effrayer, et l’abandonne. Il lui reste surtout le droit, même le devoir, de ne jamais être heureux. Jovial, c’est un monstre. Mais il traîne incurablement parmi nous sa misère de séraphin, sa lueur de larme. Il va du penchant tendre à l’adoption maternelle… » (Le pur et l’impur, Livre de poche, page 71)

dimanche 4 juillet 2010

L'art de la relecture



Les livres, il est assez rare que je les relise (faute de temps, principalement ; il est déjà difficile, voire impossible, de lire ne serait-ce qu’une fois tout ce qui mériterait de l’être). A quelques exceptions notables, cependant :

- La Recherche du Temps Perdu, de Marcel Proust, que j’ai déjà lue deux fois et que je m’apprête à relire parce que j’ai le sentiment à la fois d’en avoir oublié l’essentiel, et de pouvoir en goûter vraiment les beautés maintenant qu’à trente-cinq ans je commence à avoir accumulé du bagage littéraire.

- Le plus beau livre de Colette à mes yeux, Le pur et l’impur, auquel je reviens souvent parce que ses phrases chargées de formules et de sensualité m’hypnotisent, en dépit de leur côté vieilli (j’y reviendrai bientôt).

- Certains classiques dont une lecture adolescente ne m’avait laissé qu’un souvenir très vague (dans deux genres très différents, Madame Bovary ou Last Exit pour Brooklyn).

J’entre d’ailleurs dans un âge où la relecture devient un art, et notamment la relecture des livres parmi les premiers lus – tous ceux qui nous ont laissé une impression forte, et même écrasante, mais dont on se doute que l’effet de surprise et de découverte absolue, à un âge où certains enjeux littéraires nous échappaient, brouillait notre lucidité.

Il y a par exemple deux livres que j’ai dévorés au collège, et que je me suis promis de relire prochainement : La Nausée de Sartre, qui m’avait inspiré un exposé en classe de sixième à propos de l’horreur du narrateur devant « l’épaisseur des choses » (sa propre main, la racine d’un arbre dans un parc…), premier éblouissement au contact de la littérature mâtinée de philosophie. Et Les Trois Mousquetaires, qui m’avait embarqué dans une lecture passionnée, sans répit, le genre de lecture dont on est nostalgique, adulte.

Sans pouvoir le justifier vraiment, j’ai le pressentiment que je serai déçu par ma relecture du premier, et enchanté par celle du second… Peut-être l’envie de jouer un peu à l’enfant ?

jeudi 1 juillet 2010

La couverture de Suicide Girls est prête ! (Photo d'Irina Ionesco)



La couverture est enfin prête, le livre devrait nous arriver par cartons entiers dans une dizaine de jours... Cela fait deux mois que nous prospectons, Florent Georgesco, Léo Scheer et moi pour trouver la photo qui convienne et je suis très fier de celle que nous avons finalement choisie, un superbe cliché de la célèbre photographe Irina Ionesco.

Un premier projet de couverture avait été celui-ci, et je pense que c'est une bonne chose que nous ayons fait l'effort de chercher autre chose :



Vous pouvez décrouvrir ICI (blog des Editions Léo Scheer) une série de premières réactions de lecteurs du blog en question à propos du projet initial. Et LA (2nd billet sur le blog des ELS) une seconde discussion sur la couverture finalement adoptée.

lundi 28 juin 2010

Vive le sport en cours de français !

Quelques perles des oraux du bac 2010 :

1) "Dernière question pour finir cet entretien... Tu as aimé Bel-Ami ? - Euh... Pour tout vous dire, c'est pas trop mon truc la lecture... Les romans surtout... Le théâtre, parfois, ça va, ça peut être drôle... - Ok. Tu as quelque chose à ajouter, pour clore cet oral ? Un détail que tu voudrais préciser, une analyse que tu aurais oubliée ?... - Euh... Je sais pas, non... Ah oui : VIVE LE SPORT !!"

2) "Pourrais-tu me parler des rimes, dans la première strophe ?... - Les rimes ? Euh... - Par exemple, tu as remarqué que nous avions la structure a-b-a-b ? - Ah oui, j'allais le dire ! - Et comment s'appellent ce genre de rimes ? - Euh... Des rimes inversées ? - Non. - Des rimes enjambées ? - Non. - Des rimes alternées ? - Non. - Des rimes emboîtées ? - Non. J'attendais plutôt: des rimes croisées. - Ah oui, j'allais le dire !

3) Pour la première fois de ma carrière, et même pour la première fois tout court, j'entends quelqu'un me dire du bien des descriptions chez Balzac. Il s'agit d'un élève passant en candidat libre et que j'ai fait travailler sur un texte de Proust, grande première aussi pour moi en tant qu'interrogateur pour le bac : "Tu m'as dit aimer lire Balzac... Qu'apprécies-tu en particulier chez lui ? - Eh bien j'aime beaucoup ses descriptions, ses portraits... - Tu me surprends ! On a l'habitude de dire que ses descriptions sont ennuyeuses. - Je ne trouve pas. Ce sont même les meilleurs passages à mon goût. Elles sont chargées de sens, avec une lueur fantastique, parfois. On y devine en creux toute la signification du roman, et c'est même la métaphysique de l'auteur que l'on y entrevoie..." (Dans mon esprit, la note 18 faisait progressivement son apparition...)

jeudi 24 juin 2010

Faut-il épuiser la substance de ce que l'on est ? (Pierre Guyotat, Explications)



J’exprimais récemment le plaisir que j’avais eu à lire chez Stephen King l’idée qu’il y ait un nombre infini de « portes » dans l’imaginaire humain – j’aimais cette idée parce qu’il y a quelque chose d’encourageant et même d’exaltant dans cette intuition pour un auteur. Cependant je viens de lire une page du beau livre de Pierre Guyotat, Explications (dans ce long entretien avec Marianne Alphand, récemment réédité chez Léo Scheer, l’auteur revient notamment sur les principes qui régissent son œuvre et nous donne quelques précieux aperçus biographiques et philosophiques), page dans laquelle il exprime l’intuition inverse – encore qu’il ne s’agisse pas exactement de la même chose, King évoquant l’imagination lorsque Guyotat parle plutôt de la substance de l’écrivain lui-même (dans quelle mesure les deux se recoupent-elles ?) :

« Le drame, au sens théâtral, de l’artiste, c’est qu’il tire de lui-même sa matière, et il tire, il tire jusqu’au jour où il se peut qu’il n’y ait plus rien, et il le sait et il le craint tous les jours. C’est d’une certaine façon, là aussi, un rêve, un désir très fort de disparaître par extinction de matière, extinction de lumière. Toute œuvre d’ampleur produit sa naissance, sa vie et sa mort. En même temps qu’on pense et qu’on désire aller plus loin, donc perfectionner la machine, on désire y disparaître, c’est-à-dire crever avec la chose. » (Explications, page 48)

Très belle image que celle de l’artiste s’engloutissant en quelque sorte dans sa propre œuvre, se vidant complètement en elle et par conséquent disparaissant au monde. Image à la fois romantique et très moderne, dans laquelle je me reconnais finalement davantage que dans celle de King, même si elle reste moins séduisante à accepter. Disons que j’ai tendance à penser comme Guyotat, mais que j’aimerais tendre vers une conception plus proche de celle de King. Balançant entre la peur de l’épuisement de soi-même (pourtant présenté par Guyotat comme un idéal) et le rêve d’une fécondité toujours plus généreuse…