La littérature sous caféine


mardi 12 avril 2022

N'oublions pas les Gilets jaunes !

Avec « La Fièvre » d’Aude Lancelin (Les liens qui libèrent, 2020), je pensais lire un compte-rendu factuel, légèrement romancé, de la crise des Gilets jaunes, et je tombe sur un véritable brûlot, satire acérée non seulement de la bourgeoisie parisienne, mais de ces milieux de gauche radicale qui se targuent de subversion tout en exprimant du dédain vis-à-vis des loqueteux qu’ils sont censés défendre. Ce roman, meilleur livre qu’il m’ait été donné de lire à propos des Gilets jaunes, notamment parce qu’il égrène une série de portraits bien troussés, souvent mordants, propose une vision étonnamment proche de celle que je déployais dans « La révolte des Gaulois » (Léo Scheer, 2020), à la différence peut-être que nous n’avons pas le même degré d’optimisme vis-à-vis d’une éventuelle convergence campagne / banlieue.

Pas étonnant, finalement, qu’Aude Lancelin ait été la première journaliste de gauche à parler des « Petits Blancs » en 2013. Comme elle, je suis sensible au mépris que s’attirent les gens de peu de la part de personnalités qui, politiquement, prétendent parler en leur nom – après tout, c’est ce genre de contradiction qui a toujours aiguillonné mon écriture.

« Le pape de Nanterre avait commencé à trouver la parade au silence dont il ne savait plus comment sortir depuis des semaines. Avouer à demi-mot ses atermoiements et mettre cet attentisme sur le compte d’une espèce de grandeur d’âme qui lui interdisait, en tant que grand Blanc universitaire, de rejoindre les petits Blancs d’en face, par peur de trahir les anciens colonisés. Voilà à vrai dire tout ce que son cerveau en surchauffe avait réussi à mettre au point en rejoignant à pied la soirée de Ménilmontant. » (p 93).

mercredi 6 avril 2022

Lundi 28 mars au Flore







mercredi 23 mars 2022

Résumer l'existence en dix lignes

Dans « Les Misérables » et dans « anéantir », on trouve deux passages étrangement proches, deux tentatives de résumer l’existence en dix lignes. Hugo ramène tout à des questions d’ombre et de lumière, Houellebecq préfère le point de vue administratif et médical. Le plus drôle, c’est que ces hyper-condensés prennent place dans de très vastes romans.

« Toutes choses de la vie sont perpétuellement en fuite devant nous. Les obscurcissements et les clartés s’entremêlent. Après un éblouissement, une éclipse ; on regarde, on se hâte, on tend les mains pour saisir ce qui passe ; chaque événement est un tournant de la route ; et tout à coup on est vieux. On sent comme une secousse, tout est noir, on distingue une porte obscure, ce sombre cheval de la vie qui vous traînait s’arrête, et l’on voit quelqu’un de voilé et d’inconnu qui le dételle dans les ténèbres » (« Les Misérables », I, 7, 5)

« La vie humaine est constituée d’une succession de difficultés administratives et techniques, entrecoupée par des problèmes médicaux ; l’âge venant, les aspects médicaux prennent le dessus. La vie change alors de nature, et se met à ressembler à une course de haies : des examens médicaux de plus en plus fréquents et variés scrutent l’état de vos organes. Ils concluent que la situation est normale, ou du moins acceptable, jusqu’à ce que l’un d’entre eux rende un verdict différent. La vie change alors de nature une seconde fois, pour devenir un parcours plus ou moins long et douloureux vers la mort. » (« anéantir », p 272).

mercredi 16 mars 2022

Les points de rupture

A quelle profondeur ausculter la folie ? Les romanciers ont toujours maille à partir avec les dilemmes, mais ils choisissent des sujets plus ou moins douloureux, des points de bascule plus ou moins radicaux. Dans une majorité de mes romans, j’ai mis en scène la violence. Dans le dernier en date, La Viveuse, je braque mon attention vers les physiques blessés et la figure controversée de la prostituée. Immanquablement, je m’attire des réactions du type : « Mais pourquoi donc écrire là-dessus ? », à quoi je réponds : « Pourquoi pas ? », suivi de : « C’est le rôle de la littérature, après tout, de s’intéresser à ce qu’on ignore habituellement. »

Parfois, je croise d’autres romanciers qui font ce pari du thème radical traité de manière classique, c’est-à-dire avec une prose limpide et sage, et je pense par exemple à Sophie de Baere dont le dernier roman, « Les ailes collées » (JC Lattès, 2022), représente une étonnante réussite. On croit entrer dans un univers policé de sentiments romantiques et d’intrigues familiales, on tombe bientôt dans une redoutable histoire de sexualités cachées, de harcèlement et de meurtre, le tout servi par un style sonore et maîtrisé. Peut-être faut-il de la mesure et même une forme de délicatesse pour approcher les points de rupture les plus fous ?

mardi 15 mars 2022

Poutine, homme d'initiative ou pantin ?

La lecture de « Guerre et Paix » m’a accompagné tout au long de l’année 2021. Forcément, avec la guerre en Ukraine, elle prend un écho particulier. Inlassablement, Tolstoï s’y moque de Napoléon qui se croit un grand homme et que les historiens s’évertuent à dépeindre comme tel. Il n'est pourtant que le jouet de forces qui le dépassent – Tolstoï évitant d’ailleurs de nommer précisément ces forces et de proposer une théorie sur ce qui anime exactement l’Europe et la Russie.

Qu’aurait-il pensé de Poutine, maintenant que le pays agressé devient l’agresseur ? Aurait-il une nouvelle fois considéré l’homme fort du moment comme un pantin ? Se serait-il au contraire inquiété de ce qu’un despote puisse impunément faire basculer l’Histoire ? Curieux comme on aimerait entendre la voix d’un écrivain disparu voilà plus d’un siècle…

lundi 14 mars 2022

Y aurait-il une école Houellebecq ?

Si l’on devait retenir une seule dimension novatrice de l’œuvre Houellebecq (à part la fréquence des mots « bite », « chatte » et « pénible »), ce serait l’importance des digressions d’ordre sociologique, et leur caractère provoquant – une certaine nonchalance dans la manière d’asséner des propos dérangeants. Parmi les épigones, un nouveau venu me paraît être Tom Connan. Dans « Radical » (Albin Michel, 2020), il avait eu le culot de dépeindre des amours homosexuelles en milieu fasciste – le thème existe, et je pense notamment à Mishima, mais on sait combien la critique est frileuse en France et s’effraye parfois de fausses provocations. Il récidive dans « Pollution » (Albin Michel, 2022), avec un thème moins frontal (celui du « woofing », ou l’accueil d’urbains en milieu rural) mais en proposant de longues considérations, bien senties, sur de multiples aspects peu ragoûtants de notre époque : le sentiment de vacuité, la désespérante ubérisation, la bureaucratisation de la vie quotidienne, l’appauvrissement généralisé, le tout avec de petites pointes de sensations fortes comme le récit d’un viol masculin ! Disons que la littérature française trouve peut-être, avec ce genre de roman, un certain équilibre entre l’autofiction, jugée nombriliste, et l’évocation trop impersonnelle du monde extérieur.

mercredi 9 mars 2022

Rencontre et lecture autour de "La Viveuse"

Le Lundi 28 mars, à partir de 18h30 au 1er étage du Café de Flore à Paris, la comédienne Natacha Régnier lira des extraits de "La Viveuse".

Rencontre animée par Laurence Biava.

mardi 8 mars 2022

Saucissonnage de Houellebecq

J’ai disséqué, tronçonné, saucissonné, classé le dernier Houellebecq par thèmes et mots clés. Avec ces listes j’ai la sensation de l’avoir digéré. La lecture en était pourtant assez fluide, assez légère en dépit de sujets sombres.

Bilan ? C’est un roman sur la vanité de l’existence, mais si désabusé que l’art du roman lui-même en paraît affecté. Les personnages constatent en eux de l’amour, du désir, de l’indifférence, du désespoir, sans en comprendre vraiment les ressorts, et finissent par mourir sans en tirer de leçon particulière. L’humour s’est évaporé… Signe de la sagesse de l’auteur ? Je ne saurais pas répondre…