La littérature sous caféine


samedi 5 février 2022

Daruma pour La Viveuse

Cette semaine est sorti « La Viveuse », mon cinquième roman (et dixième livre !) – non pas le plus personnel, puisqu’il ne s’agit presque pas de moi, mais sans doute le plus abouti. Comme souvent, j’ai eu à cœur de mettre la main sur un sujet sensible et de l’éclairer par une prose assez sobre. Un grand merci aux éditions Léo Scheer qui, une fois de plus, prouvent leur ouverture d’esprit et leur générosité. Espérons qu’il trouve son chemin dans la jungle toujours plus féroce de l’édition française ! Pour l’occasion, j’ai noirci le premier œil du Daruma que je gardais précieusement dans ma bibliothèque depuis mon séjour au Japon, voilà vingt ans – nous verrons bien si le petit moine bouddhiste m’accompagne dans cette aventure, d’autant que le roman réserve quelques clins d’œil à la spiritualité zen.

mercredi 2 février 2022

Les féministes trahies par le porno (« La Viveuse », lectures connexes (3))

C’est assez drôle de lire, ici ou là, chez des féministes ou plus généralement chez des auteures, un certain désarroi devant leurs goûts en matière de porno (notons que le porno vit une certaine banalisation) : elles avouent trouver du plaisir aux vidéos classiques, conçues pour les hommes et souvent dénoncées comme telles, car mettant en scène des rapports non pas forcément de domination mais de soumission des femmes au plaisir de l’homme. Force est de constater que le porno féministe, woke ou antipratiarcal les ennuie ! Je pense notamment aux livres de Mona Chollet, « Réinventer l’amour » (La Découverte, 2021), et à celui de Claire Richard, « Les chemins de désir » (Seuil, 2019).

Comment l’interpréter ? Persistance d’un inconscient de soumission soufflé par le patriarcat dans les tréfonds de la chair ? Ou bien – mais cette thèse a quelque chose d’inacceptable aujourd’hui – y aurait-il des fantasmes et des rapports sexuels intangibles, une constance biologique dont aucune révolution ne viendra à bout ?

J’avoue ne pas avoir la réponse. Il semblerait en tout cas que la sexualité hétérosexuelle et basiquement genrée ait encore de beaux jours devant elle – pour La Viveuse, je ne me suis d’ailleurs pas aventuré sur le terrain des questions de genre, les thèmes croisés du handicap et de la sexualité hétérosexuelle générant déjà suffisamment de points sensibles.

mercredi 26 janvier 2022

"Et l'amour dans tout ça ?" ("La Viveuse", lectures connexes 2)

Il existe des chemins très différents menant à la prostitution. On pense souvent à la misère, voire à l’exploitation par les réseaux. Mais certains, plus rares, y viennent par goût ou par curiosité (je pense à la « Vie sexuelle d’un garçon d’aujourd’hui » d’Arthur Dreyfus), sinon par quête personnelle, la plupart du temps douloureuse. Les livres de Nelly Arcan offrent un témoignage assez saisissant de ce dernier genre de parcours. Dans des livres comme « Putain » ou « Folle » l’auteure québécoise, suicidée depuis, dit sa fascination et son dégoût pour le métier qu’elle pratique, incapable de se libérer d’un rapport complexe à ses parents – sa mère menant une vie végétative, son père ayant enfermé sa fille dans un rôle de poupée. Difficile dans ce genre de cas d’émettre un jugement de valeur, il est sans doute du seul ressort de la personne de trouver des clés pour sortir de cet enfer. D’où la naïveté de la réaction de Clotilde Courau, sur le plateau d’Ardisson (disponible sur Youtube), qui a cru bon de répliquer au témoignage de Nelly par des réactions du genre : « C’est un effet de mode, ça, de parler de sa vie sexuelle », ou bien : « Et l’amour, dans tout ça ? » Comme si certaines choisissaient littéralement de vivre en enfer.

mardi 25 janvier 2022

Thèmes sensibles ("La Viveuse", lectures connexes (1))

Préparer la publication d’un roman nécessite presque autant de travail que de préparer l’écriture elle-même : il faut peaufiner un discours, et ça n’a rien à voir avec le caractère instinctif de l’inspiration littéraire.

En amont de la sortie de « La Viveuse » (2.02.2022), je m’imprègne ainsi de lectures qui me permettent d’en éclairer les deux thèmes principaux : le handicap d’une part, la prostitution de l’autre, puisqu’il s’agit ici d’assistance sexuelle.

Je découvre à cette occasion deux livres de Clara Dupont-Monod, traitant précisément de ces deux thèmes, mais l’un après l’autre : « Histoire d’une prostituée (Grasset, 2003), « S’adapter » (Stock, 2021, Prix Femina). Et la sensibilité, la prudence, la délicatesse avec lesquelles l’auteure a abordé ces questions-là, je réalise qu’elles deviennent encore plus impératives quand les deux thèmes s’entrechoquent. Curieusement, ce qui me paraissait assez facile au moment de l’écriture se révèle être, au moment d’un parler, proprement explosif – tant de ressentis, de préventions, de polémiques potentielles…

lundi 24 janvier 2022

Colère et tristesse sur le plateau de Laurent Ruquier

Quelques jours après l'assassinat de Samuel Paty, je disais ma tristesse et ma colère sur le plateau de Laurent Ruquier ("On est en direct")

mercredi 19 janvier 2022

L'amour chien (Contes noirs du Paris moderne, 1.4)



Amandine est la petite fille d’une femme agressée par un chien. Son étrange passion pour le monde canin va bousculer sa vie de grande bourgeoise.

lundi 17 janvier 2022

Echec de l'enseignement du français

Depuis quelques années maintenant, je demande aux étudiants de remplir un carnet de lecture inspiré par quelques œuvres lues pendant l’année, et d’ouvrir ce carnet par une page sur leur rapport à la lecture. Sans surprise, une grande majorité déclare ne pas aimer lire, du moins autre chose que les mangas (de l’ordre de 80 %). Plus triste, la quasi-totalité des étudiants avoue ne pas avoir aimé les livres recommandés par les professeurs, au point que ça ait pu les détourner parfois de la lecture. Faut-il en conclure à l’échec massif de l’étude des classiques ? Espérons qu’il entre une part de mauvaise foi chez les élèves, voire d’aveuglement sur leur propre rapport au savoir…

mercredi 12 janvier 2022

Remarques en vrac sur "Guerre et Paix" de Tolstoï (1/3)

Sa lecture m’aura accompagné tout au long de 2021

J’ai apprécié que l’auteur mène le roman comme une enquête sur le sens de la vie, plusieurs personnages convergeant vers une réponse sans ambages : la seule attitude valable à adopter consiste à épouser la force qui structure l’univers, à savoir l’amour / Tolstoï parsème le roman de digressions sur les lois de la guerre et, mine de rien, j’y ai lu des choses beaucoup plus instructives que chez Clausewitz ou Sun Tzu / Il explique à plusieurs reprises que les lois de l’Histoire nous restent mystérieuses, ce faisant il nous donne envie de nous plonger dans des ouvrages d’histoire ou de philosophie, un peu comme si son roman constituait le seuil pour une œuvre encore à venir / A la fin du roman, Tolstoï nous offre de très beaux chapitres sur le mariage, le présentant comme un idéal exigeant et sublime – ce genre de développement peut paraître conservateur, mais il détone dans un paysage littéraire plutôt consacré, d’ordinaire, au sarcasme vis-à-vis de cette institution / L’auteur donne la sensation d’une grande sincérité, comme s’il jouait sa propre vie, différent en cela de tellement d’autres auteurs brillants du même siècle / Le livre est construit par chapitres assez courts, fondés sur une scène ou une idée forte, aussi denses que des nouvelles ; structure moderne proche du feuilleton, et qui force le respect du lecteur par son efficacité et sa sorte de politesse : il n’y a (quasiment) pas de longueurs dans ce roman de 1500 pages !