La littérature sous caféine


mercredi 6 septembre 2023

Lavant au off

Quand j'habitais à Belleville, je croisais souvent Denis Lavant. J'étais intrigué par ce petit homme au visage chiffonné, toujours pressé, habillé comme un vagabond. Je me souvenais de certains de ses rôles au cinéma. M'intéressant davantage à lui, j'ai découvert la carrière merveilleuse d'un acteur intense et exigeant. Je le retrouve avec plaisir au Festival d'Avignon en compagnie de Samuel Mercer dans ce "Je ne suis pas de moi" tiré des "Carnets en marge" de Dubillard. Prenez Beckett, ajoutez du Sartre, saupoudrez de burlesque et de sexualité horrifique et vous obtenez ce dialogue foutraque et furieux. L'instant métaphysique de mon festival !

mardi 5 septembre 2023

Charles Marteau

Un ami proche, Guillaume Le Talaër, lance le projet d'une série de superhéros français, illustrée par un dessinateur de talent, Yann Lovato. Son idée est de croiser l'esprit Marvel avec un certaine idée de l'héroïsme français, de Fantômas à Arsène Lupin. Longue vie à "Charles Marteau, L'homme aux poings lourds"! Disponible sur Amazon, avant d'autres supports...

jeudi 24 août 2023

Laclos woke

Etonnant comme « Les Liaisons dangereuses » (Laclos, 1782) paraît anticiper, avec deux cent cinquante ans d’avance, les débats brûlants du moment. Valmont, sous couvert d’insistance amoureuse, a vraiment tout du harceleur et même du violeur – la scène où il « force le consentement » de Cécile paraît presque insupportable. Merteuil incarne à la perfection la femme manipulatrice capable d’accuser à tort un homme d’agression sexuelle. Cécile, décrite comme une « machine d’amour » parce qu’elle n’a pas assez de caractère pour résister aux assauts masculins, superficielle et légère, n’est pas sans évoquer l’esprit même des réseaux sociaux. Seule la Présidente de Tourvel, s’arc-boutant sur une morale conservatrice de l’amour et du mariage, paraît avoir disparu du paysage actuel… A moins que sa rigidité de principe n’évoque un certain wokisme ? Mais on dirait d’elle aujourd’hui qu’elle « refuse les amalgames » entre tous les hommes...

" Après avoir calmé ses premières craintes, comme je n'étais pas venu là pour causer, j'ai risqué quelques libertés. Sans doute on ne lui a pas bien appris dans son couvent, à combien de périls divers est exposée la timide innocence, et tout ce qu'elle a à garder pour n'être pas surprise : car, portant toute son attention, toutes ses forces, à se défendre d'un baiser, qui n'était qu'une fausse attaque, tout le reste était laissé sans défense ; le moyen de n'en pas profiter !" (Lettre XCVI)

mercredi 26 juillet 2023

Les petits romans de charme

J'aime beaucoup ce que j'appelle "les petits romans de charme". Parfois naïfs, parfois vieillis, mais faciles à lire et bien écrits, ils sont un bon délassement entre deux livres consistants. Je pense aux romans champêtres de George Sand, au Grand Meaulne, à d'autres moins connus (ou disparus) comme cette "Roche aux mouettes" de Jules Sandeau, qui fait appel à des sentiments forts comme la peur de perdre un enfant, l'appel du grand large... Il y a des lectures de vacances qui ont du caractère.

"D'où me vient la terreur croissante que me cause cet élément ? D'où vient que je ne saurais le regarder longtemps sans éprouver un sourd malaise ? Je me défie de ses caresses, ses emportements m'épouvantent. J'ai beau me dire que je lui dois le dernier trésor qui me reste, je ne l'aime plus, je ne veux plus l'aimer. "

mardi 25 juillet 2023

Voyages

Quel meilleur poète que Baudelaire pour se préparer au Hellfest ? Mort, cimetières, apocalypse... En écoutant Iron Maiden, je me croirais dans le "Voyage" concluant Les Fleurs du Mal, cette longue bordée de fascination morbide... Le métal est vraiment cette famille du rock assumant la dimension funeste de l'existence - un penchant artistique que l'on trouvait déjà en germe chez notre cher Villon.

"Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre ! Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons ! Si le ciel et la mee sont noirs comme de l'encre, Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons !"

lundi 24 juillet 2023

Eclipse du héros français

En ce moment je m'intéresse beaucoup à la notion de héros, ce personnage que la société française ne paraît plus vouloir assumer. L'œuvre de Serge Lehman, les conférences de Gérald Garutti, des revues comme l'étonnante Fantask (dont l'image est tirée), rééditée récemment, nourrissent mes interrogations sur cette sorte d'éclipse de l'âge héroïque. Les raisons en sont bien sûr en grande partie politiques, comme le souligne Bernard Joubert dans le numéro 1 de cette revue, en évoquant l'étonnante Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l'enfance et à l'adolescence, toujours active et qui a sans doute contribué à étouffer l'émergence de superhéros. La France serait-elle devenue depuis plus d'un demi-siècle une terre de censure et de crainte devant ses propres forces créatives ?

jeudi 6 juillet 2023

Le monstre idiot de l'époque

Tocqueville décrivait parfaitement le danger de nos démocraties, celui d’un « pouvoir immense et tutélaire » qui se chargerait de notre bien-être et ferait peser sur nos existences un joug de contrôles. C’est ce que je ressens chaque jour un peu plus, le numérique ayant démultiplié les procédures. Et je me sens proche de tous ceux qui le constatent et cherchent à desserrer l’étau.

D’où mon plaisir à lire le second livre de Ludovic Escande. Dans « Vers les hauteurs » (Allary Editions, 2023), le narrateur en difficulté se laisse guider par un ami ressemblant fort à Sylvain Tesson dans une série d’équipées sur les toits de Paris. Grimper les murs et sillonner la capitale par les toits (j’apprends d’ailleurs ce mot, « stégophile ») change les perspectives et provoque son lot de mésaventures, propres à révéler les mesquineries de certains contemporains comme les beautés, malgré tout, du monde moderne, pour peu qu’on sache adopter la bonne distance. C’est aussi à ça que sert la littérature : tenir en respect le gros monstre idiot de l’époque.

« Nous vivons l’ère du discrédit radical, tous ces moyens mis en œuvre pour préserver notre liberté donnent au contraire le sentiment d’une entrave, comme si les données qui ruissellent de nos comptes numériques étaient la source du soupçon contre lequel nos justifications deviennent dérisoires. » (page 29)

mercredi 28 juin 2023

L'écriture ou la mort

Dans le dernier numéro de Décapage, François-Henri Désérable confie avoir vécu la tentation d’en finir et trouvé une échappatoire dans la poésie. « Cet automne-là j’ai pensé mettre fin à mes jours, mais, comme disait Prévert, je ne savais jamais par lequel commencer. (…) Je n’ai gardé de cet épisode qu’une petite cicatrice. (…) C’est aussi ce jour-là que j’ai recommencé à écrire. Pas un roman, pas un récit, non : des poèmes. »

Pour ma part, c’est en traitant frontalement la chose que je lui ai échappé, notamment par la page liminaire d’un roman noir, « Suicide girls » (2010), et la fiction qui lui faisait suite. Le rude ou le joli, thas is the question… Quoi que les deux puissent être lyriques.

La question hante de nombreux auteurs, les pages fameuses à ce sujet sont légion – curieusement, les trois qui m’ont marqué sont toutes des noyades : celle de Javert dans « Les Misérables », celle de « Martin Eden » et celle de Nora dans « Mort à crédit » de Céline, que j’ai découverte récemment.