La littérature sous caféine


lundi 11 mars 2019

"Le professeur doit-il apprendre à se taire ?"

Article publié dans le "Valeurs actuelles" du 7 mars 2019:

"En dépit de la sympathie que m’inspire Jean-Michel Blanquer, je redoute parfois de saisir la logique profonde de ses réformes. Et la loi tout juste adoptée par le Parlement n’y fait pas exception. Comment comprendre, notamment, cette notion d’ « exemplarité des personnels de la communauté éducative » contenue dans le premier article, notion qui fait déjà beaucoup parler d’elle et dont on annonce qu’elle pourra être invoquée dans le cadre de mesures disciplinaires ? Faut-il y voir, comme beaucoup, une volonté d’intimider les professeurs à l’heure où la réforme du lycée suscite des protestations ? Il s’agirait de rendre effectif ce fameux devoir de réserve aux contours jusqu’à maintenant si flous et qui interdirait désormais de dénigrer l’institution scolaire « par des propos diffamatoires ».

A moins qu’il ne s’agisse d’un gage donné aux élèves et aux parents d’élèves pour mieux leur faire accepter la deuxième partie de l’article, ce respect que l’institution scolaire attend d’eux, et dont on souligne souvent le redoutable affaiblissement. Dans un même mouvement, Blanquer chercherait ainsi à « responsabiliser », comme il le dit lui-même, les professeurs et les parents, de manière à retrouver le chemin d’un exercice plus serein du métier.

Il reste cependant permis de s’étonner que cette nouvelle exigence pesant sur le professeur survienne quelques semaines après le vaste mouvement PasdeVague, où les professeurs se plaignaient déjà de l’omerta qu’ils subissaient de la part de leur administration. Combien de violences passées sous silence depuis des années, depuis des décennies ? Combien d’humiliations minimisées, relativisées, finalement tues, sous prétexte de ne pas envenimer les choses mais pour mieux contenir, en réalité, la révélation d’une dégradation spectaculaire des conditions d’exercice ? Par le miracle de l’anonymat sur internet, la parole se déliait enfin. Peut-être attendait-on, par conséquent, un signe de compréhension de la part du gouvernement plutôt que cette défiance vis-à-vis de la liberté d’expression.

Quoi qu’il en soit, cette curieuse façon de commencer par exiger quelque chose du professeur au moment même où l’on déclare vouloir instaurer la confiance me paraît assez révélatrice du statut paradoxal de la parole dans le métier, statut dont je me plais à décrire les raffinements dans Les bons Profs.

En effet, le professeur est l’objet d’une injonction paradoxale. D’un côté, on lui demande de maîtriser l’art de la parole, d’en déployer avec force les effets devant son public ; on lui demande même d’éveiller chez l’élève une passion comparable. De l’autre, on exige de lui qu’il contribue au bon fonctionnement d’une institution par nature très hiérarchisée puisque tentaculaire et, qui plus est, hantée par le principe d’autorité. Par conséquent, au cours de sa carrière, le professeur devra surtout apprendre à se taire, du moins à canaliser sa parole. Non seulement il comprendra l’importance des silences dans son propre cours, non seulement il se retiendra de révéler certaines difficultés sous peine de ternir sa propre réputation, mais il devra surtout apprendre à jouer le jeu de cette hiérarchie que lui-même instaure dans la classe. D’une certaine manière, le professeur apprend à devenir le plus discipliné des élèves, lui dont le rôle est pourtant, si l’on se réfère aux ambitions humanistes du métier, d’enseigner les rudiments de la liberté. Au fond, l’article 1 de la nouvelle loi ne fait-il pas qu’entériner l’un des aspects fondamentaux de ce paradoxe ?

Après la Champagne de Daniel Rondeau...

... nous évoquerons le champagne d'Amélie Nothomb, forcément !

mardi 5 mars 2019

Les petits Blancs seraient-ils devenus mainstream ?

Aussi contestée soit-elle, la notion s'affiche désormais, cinq ans après la publication des "Petits Blancs", à la Une des médias: L'Express en a fait sa couverture le 27 février dernier, même s'il s'agit de prendre encore des pincettes ("Nous les petits Blancs, disent-ils"). La journaliste chargée de rédiger le dossier, Agnès Laurent, a fait son travail et nomme l'ouvrage. Elle m'a d'ailleurs prévenu par téléphone: "Nous avons pillé votre livre", ce que je prends pour une sorte d'hommage. Après tout, j'en ai croisé qui parlaient du livre sans l'avoir lu ou qui, surtout, l'attaquaient sans en avoir compris une traître ligne. Pour un peu, ils m'auraient interdit rétrospectivement de l'écrire ! Je pense à Thomas Guénolé, par exemple, sur le plateau du Ce soir ou jamais de Frédéric Taddéi.

Quant à Alain Finkielkraut, je suppose quand je l'entends préciser que l'homme l'ayant récemment agressé dans la rue "n'était pas un petit Blanc", qu'il a lui aussi pris la peine de lire l'ouvrage - tout au moins se permet-il d'utiliser le mot sans en contester a priori la légitimité, tout à fait conscient du fait que nous ayons besoin, pour décrire une situation sociale et culturelle française de plus en plus complexe, de plus en plus éruptive, de quelques termes à la fois contemporains et bien sentis.

samedi 2 mars 2019

2ème trimestre de l'atelier: "Parler de sa région" (Daniel Rondeau)

Mardi prochain, aux lieux et horaires habituels, nous entamerons donc le deuxième et dernier trimestre pour la saison 2018-2019, consacré au thème : "Parler de sa région".

Nous y évoquerons la Champagne, ses paysages, ses mœurs, ses gens, mais aussi le champagne bien sûr !

(Plus généralement, nous nous intéresserons au fait de parler d'une région, quelle qu'elle soit)

Quelle meilleure occasion pour boire une petite coupe, précisément ?

Comme le trimestre précédent, nous travaillerons dans deux directions: à côté des exercices ponctuels de chaque séance, nous ferons un travail au long cours, étalé sur les 10 séances.

Lors de la première séance, nous évoquerons l'oeuvre de Daniel Rondeau, auteur champenois s'il en est.

Les Gilets jaunes sont-ils des petits Blancs ?

Lundi 4 mars, j'interviendrai devant la très respectable fondation Jean Jaurès pour évoquer l'épineuse question du rapport entre Gilets jaunes et petits Blancs.

mardi 26 février 2019

Un Arabe au FN

Je découvre le livre de François Beaune, « Omar et Greg » (Le Nouvel Attila, 2018), et je suis heureux d’y découvrir un véritable complément à la galerie de portraits des petits Blancs. Dans ce dernier, je croquais par exemple le personnage de Karim, tiraillé entre sa mère d’origine bretonne devenue folle et son père d’origine algérienne, ancien ouvrier. Discutant volontiers avec des Blancs pauvres, Karim n’allait pas jusqu’à se rapprocher du FN. Dans le livre de François Beaune (un dialogue entre un Arabe et un Blanc ayant sympathisé dans les rangs du FN avant d'en repartir, déçus), Omar, en revanche, franchit le pas et tente de faire admettre au parti de Marine Le Pen une ligne moins identitaire et plus strictement patriote, plus ouverte à l’intégration des minorités. Cette histoire peut paraître surprenante – en dépit de sa véracité –, elle ne l’est pas tant que ça quand on s’intéresse à la question des errances identitaire. Un beau livre, à la fois vivant et lourd en enseignements.

« Omar.

Mon attrait pour le FN, c’est plein de choses, une marmelade. Des fois je me dis, Omar, tu es maboul ou quoi ? Pourquoi tu es parti voir Jean-Marie ? Et là je me réponds, mais quand même, il fallait bien montrer la bonne image ! Mais de qui ? De moi ? Des musulmans ? des Arabes ? C’est un truc important cette reconnaissance.

Et puis il y a mon passé dans la délinquance. Je culpabilise pas, parce que la rue m’a forgé, merci la rue, grâce à elle j’ai connu des épreuves dans la vie, j’ai souffert ce qu’il faut, et sans elle, peut-être que je me serais suicidé, à quarante-six ans, j’ai toujours du mal à me positionner sur l’échiquier français. C’est un truc de malade, tu joues ou ?

Je fais partie de la génération sacrifiée. On n’a pas été Français, on n’a pas été émigrés, on avait le cul entre deux chaises. Le Front national c’était ça, il fallait que je trouve des réponses à mon questionnement. Est-ce que je suis ou pas un Français ? Marine m’a dit que non, Jean-Marie m’a dit que oui, et au final j’ai pas eu ma réponse. » Omar et Greg, page 102

lundi 25 février 2019

Les bons Profs, 4ème de couverture

J’ai été cet élève studieux jusqu’à l’absurde, malade de ses fiches et de ses résultats, jouant le jeu de la discipline jusqu’à s’oublier lui-même – un véritable cancre à l’envers. Maintenant je suis professeur et je ne conseillerai à personne d’adopter la même névrose.

En revanche, j’essaye de réfléchir à ce que peut-être un bon professeur aujourd’hui, c’est-à-dire à l’heure où la massification scolaire produit une pression inédite sur l’institution. Comment rester humain dans un système qui vous scrute et qui vous juge ? Comment donner du sens à un enseignement qui se réduit trop souvent à un catalogue de compétences ? Comment transmettre la sorte de flamme en quoi consiste, envers et contre tout, l’objet secret du métier ?

« Les professeurs sont des passeurs de feu. A mesure que leur carrière avance ils sentent le fil d’énergie qu’ils font rouler dans leurs paroles, qu’ils lancent dans la classe, qu’ils mêlent à leurs propres impulsions. Toutes les méthodes ne sont qu’un prétexte pour que survienne ce ballet d’énergies, parfois court, parfois contraint, souvent éruptif, dans l’idéal exponentiel, les éclats pouvant embraser le groupe, les étincelles répandre l’incendie. Le nom de ce feu n’a pas d’importance : libido, libido sciendi, élan vital, flux de vie, mojo, karma… Mais tout le monde pourra vérifier ce concert de forces (…) qui finissent par s’épouser et dont l’entretien, voire la croissance, devrait être le fin mot de toute éducation. »

mercredi 20 février 2019

Les bons Profs (15 mars 2019, Plein Jour)

Très heureux de reprendre le chemin de la publication avec "Les bons Profs", qui sortira chez Plein Jour le 15 mars prochain. Dans ce livre mêlant récit et réflexion, je fais le portrait de ces véritables hussards de la République à qui l'on demande aujourd'hui, plus que jamais, d'être à la fois efficaces et charismatiques.