La littérature sous caféine


jeudi 1 juin 2023

Eternels élèves

Dans le dernier numéro de la revue Décapage (printemps été 2023), je propose quelques réflexions sur la figure du professeur-écrivain, ce drôle d'oiseau pas si rare et dont les contorsions pour entrer dans les cadres assez rigides des institutions scolaire et littéraires peuvent prêter à sourire.

Merci à la revue Décapage pour son accueil, à Philippe Vilain et Jean-philippe Blondel pour leurs témoignages. J'y évoque également Patrice Jean, Hannah Arendt, Beauvoir, Bégaudeau...

mercredi 3 mai 2023

La mixité ! Oui, mais...

Chez Taddéi dans "Les visiteurs du soir", débat le 22.04.2023 à propos des projets de Pap Ndiaye de mixité sociale dans l'école privée

lundi 5 décembre 2022

Professeurs-écrivains

Passionnants échanges au colloque "Maître d'écriture, écrivant, écrivain" de l'Université Grenoble Alpes, organisé par Nicolas Rouvière et Bénédicte Shawky-Milcent, autour du thème du professeur écrivain... Pour ma part, j'ai disserté joyeusement sur l'idéal de l'écrivain qui consiste à ne plus écrire, l'idéal du professeur qui consiste à ne plus contraindre et l'idéal de l'élève qui consiste à s'enfuir...

mercredi 13 avril 2022

Qui donc a sacrifié Samuel Paty ?

Difficile de ne pas avoir le cœur serré quand on lit « J’ai exécuté un chien de l’enfer » (Le cherche midi, 2021). Avec un imparable sang-froid (il en faut !), David Di Nota dresse la liste des responsables : la barbarie des criminels, bien sûr ; un peu la maladresse de Paty (pas pour les raisons que l’on dit) ; certaines valeurs de l’époque, comme celle du « respect » qui consiste en fait à se soumettre aux susceptibilités ; mais aussi l’incroyable impudence d’une administration qui se félicite d’avoir accompagné jusqu’au bout le professeur (on croit rêver) et qui se promet d’être à l’avenir « toujours plus efficace ». Elle a pourtant prêté une oreille complaisante aux accusateurs de Paty, forts des principes de cette fameuse « école de la confiance » qui, loin de protéger le professeur, le place sous le regard potentiellement accusateur de l’élève. Le point de vue de Di Nota est clair : Samuel Paty a été sacrifié sur l’autel du « Pas de vague ». Que l’administration s’en lave les mains soulève le cœur. Est-elle seulement consciente de sa forfaiture ?

lundi 24 janvier 2022

Colère et tristesse sur le plateau de Laurent Ruquier

Quelques jours après l'assassinat de Samuel Paty, je disais ma tristesse et ma colère sur le plateau de Laurent Ruquier ("On est en direct")

samedi 8 janvier 2022

Sydney Poitier, professeur idéal



Dans « Les bons profs » (2019), j’avais décrit le professeur idéal qu’incarnait Sydney Poitier (1927-2022) à l’écran dans un film assez méconnu, « Les anges aux poings serrés » (1967) : « Au fond si les élèves, même parmi les plus rétifs, finissent par tomber dans son escarcelle, c’est qu’il se présente comme détenteur d’une ultime vérité, la seule vraiment précieuse, la seule qui tienne toutes les autres dans sa main, la vérité de la justesse existentielle, une façon cool de se mouvoir entre tous les écueils du destin. »

mercredi 19 mai 2021

"Les professeurs sous surveillance"



Tribune dans Le Monde du 18 mai 2O21

"A l’heure de la cancel culture – cette nouvelle forme d’ostracisme motivée par des questions morales –, les professeurs subissent un devoir de réserve d’un genre nouveau. Ils n’ont plus seulement l’obligation de taire leurs opinions dans l’exercice de leurs fonctions, ni de respecter l’esprit des programmes, mais de faire attention à ce que les élèves eux-mêmes comprendront du cours. L’affaire Samuel Paty [enseignant de 47 ans assassiné le 16 octobre à la sortie du collège du Bois-d’Aulnes à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines)] en a fourni la macabre illustration.

En effet, la classe prend aujourd’hui parfois des allures de tribunal. L’image d’Epinal veut que le professeur juge l’élève à l’aune d’exigences de travail et de discipline. Mais il semble que la charge se soit inversée : ce sont bien les élèves qui, du haut de leur intimité avec les sensibilités du moment, forts du pouvoir que leur confère l’audience des réseaux sociaux, s’autorisent à porter un regard critique sur le professeur, et de le sanctionner s’ils l’estiment nécessaire.

Le phénomène des classes qui se retournent contre l’autorité a toujours existé – chahut, menaces, contestation du savoir et de la hiérarchie. On se souvient du groupe Pink Floyd exhortant les professeurs à « laisser les enfants tranquilles ». Dans un genre différent, on a connu dans les années 1980 des histoires de professeurs bousculés par des accusations de racisme, fondées ou non, leur valant déjà de sérieux ennuis. Mais, depuis dix ans, les phénomènes d’intimidation menacent de s’intensifier, soutenus par de nouvelles techniques et de nouvelles morales.

Les réseaux sociaux, tout d’abord, entrent par effraction dans la classe. Que les élèves pianotent en cours, filment à l’insu du professeur ou se contentent de relayer leurs perceptions quand le cours s’achève, rien ne s’oppose en pratique à ce que le monde soit au courant de ce qui se dit sur l’estrade. Le professeur ne parle plus seulement aux élèves, il parle à tous ceux qui prêteront l’oreille à ses discours, pour peu que ces derniers soient relayés. Cela se passe malgré lui, et dans des conditions hasardeuses puisque les sons, les paroles, les images y sont sortis de leur contexte scolaire.

De nouvelles valeurs s’imposent, également. Tout au moins certaines valeurs prennent-elles un poids nouveau, au détriment de ce que le professeur croyait être un équilibre raisonnable. Il arrive que les susceptibilités d’aujourd’hui bousculent le goût pour l’histoire, que l’antiracisme entre en conflit avec l’universalisme, que le respect des cultures impose le silence à la critique. Par exemple, il m’a suffi d’évoquer l’affaire Mila devant des classes pour me rendre compte de la solitude morale de cette jeune femme. Le professeur doit composer avec l’esprit de l’époque, qui ne cesse d’évoluer et que reflète l’attitude des élèves.

Le professeur doit tenir compte de ces nouveaux équilibres pour déployer son cours. Certains diront qu’il est naturel d’évoluer avec son temps. D’autres que cette adaptation suppose une vigilance accrue vis-à-vis de la réception qui peut être faite des textes ou des idées. Je ne crois pas que cette vigilance ait jamais été si forte. Je me souviens de professeurs d’histoire dans les années 1980 dont le plaisir était d’entonner de sacrés refrains politiques, hors de toute mesure, hors de toute prudence. J’imagine que cela pourrait leur valoir aujourd’hui de rapides rappels à l’ordre, après signalement de la part des élèves.

Dans la constellation des facteurs de tensions, le sujet du racisme est sans doute le plus délicat. Le professeur se sent tenu à la plus extrême prudence quand il s’agit d’aborder ces questions-là. De même, il prend l’habitude de présenter différemment son corpus. Comment ne pas intégrer de mise au point sur l’évolution des mœurs et des contextes dans une présentation du Cid de Corneille, de L’Etranger de Camus ou des Aventures de Tom Sawyer de Twain ? S’il est assez facile de prévenir les élèves que telle expression ne serait plus utilisée, en revanche il peut devenir gênant de proposer des livres aux mots problématiques trop nombreux, quand bien même l’œuvre se voudrait antiraciste – je pense au Tartarin de Tarascon d’Alphonse Daudet, au Coup de torchon de Bertrand Tavernier, tous les deux criblés entre autres du fameux mot « nègre » désormais imprononçable.

Il devient également douteux de proposer des listes d’œuvres sans faire apparaître au moins quelques auteurs appartenant à des minorités, quitte à souligner cette appartenance, comme je le fais maintenant pour attirer l’intérêt – Toni Morrison afro-américaine, Alexandre Dumas métis, Proust homosexuel. Concession malheureuse ? Simple bon sens, et même souci éthique ? Si le professeur ne fait pas ce travail de mise à l’écart partielle et de diversification, il se demande si ce n’est pas lui qui sera finalement mis sur la sellette.

Ainsi voit-on s’ouvrir une nouvelle ère du soupçon. Les plus âgés redoutent moins la liberté des plus jeunes que les seconds se mettent à guetter les dérapages des premiers. Contre toute attente, la révolte de la jeunesse est une révolte morale. Elèves et étudiants n’en reviennent pas de réaliser combien les générations précédentes ont « fauté » sur l’autel des valeurs sacrées d’aujourd’hui.

Dire que le professeur se rêve en initiateur, en passeur d’autonomie ! Le voilà précisément la cible de ceux qu’il croit avoir formés. Dans les yeux des élèves, il comprend qu’il incarne auprès d’eux le monde ancien, celui des institutions françaises, d’une autorité révolue, d’un charisme contestable. Hannah Arendt soulignait déjà ce paradoxe, dans « La crise de l’éducation » – l’un des six essais publiés dans La Crise de la culture (Folio Gallimard, 1972) – en disant, en substance, que loin de devoir protéger l’enfant de la société adulte, le professeur dans la société moderne est toujours en partie là pour protéger le monde des folles potentialités de l’enfant.

La colère en question s’accorde aujourd’hui beaucoup de droits, dont celui de participer à des phénomènes de meute et de délation. L’arme des réseaux sociaux se révèle puissante et froide. Peut-être serait-il temps d’apprendre à l’utiliser avec quelques scrupules.

En fin de compte, les professeurs subissent un peu rudement le processus égalitaire décrit par Tocqueville : le fait qu’en démocratie, selon lui, rien ne s’oppose à l’égalisation progressive des conditions. Plus de posture autoritaire qui vaille, et dans quelque domaine que ce soit. Les professeurs évoluent sous l’œil immanent de l’esprit des temps. Ils deviennent comptables de leurs paroles comme n’importe quel citoyen s’exprimant sur les réseaux sociaux. Dans le jeu de tensions perpétuelles entre la morale et la loi, c’est la morale aujourd’hui qui bataille le plus ferme pour imposer son emprise. Ainsi les mouvements de l’opinion publique ont-ils ouvert grand les portes de la classe : reste à savoir s’il faut déplorer ces nouvelles conditions, les accepter ou même s’en prévaloir afin de bâtir un nouveau rapport au métier."

mardi 26 janvier 2021

Les professeurs doivent-ils renoncer au scotch et au papier ?

Dans cette tribune publiée dans Le Monde, je fais preuve d’une certaine autodérision : je me présente comme un professeur attaché non seulement au livre mais aux polycopiés, amoureusement fabriquées avec de scotch et des ciseaux. Las ! Si j’en crois la réaction des internautes, il faut croire que ce genre d’archaïsme ne passe plus du tout, même aux yeux de ces professeurs que l’on a souvent vus se braquer contre l’innovation technologique. Un professeur d’université, accablé, me conseille même de prendre ma retraite. Personne n’a donc plus de tendresse pour les antiques volumes de nos bibliothèques ? :D

"La crise sanitaire et le confinement n’ont fait qu’accélérer la voie que prend l’Education nationale sur le chemin du numérique. Cours à distance, documents sur fichiers, corrections sur écran, autant de pratiques acceptées dans l’urgence mais que l’institution nous incite à adopter, par petites touches, depuis des années, dans une perspective affichée de modernisation.

Je n’ai rien contre cette évolution. Non seulement je comprends l’utilité des écrans tactiles et des applications pédagogiques, mais j’ai du goût pour ces progrès. Je ne vois pas trop, après tout, quel genre de fatalité les rendrait néfastes – la télévision n’avait-elle pas, en son temps, suscité des controverses ? Dans ma vie privée je consomme de la musique numérisée, des films Netflix et des jeux vidéo ; en tant qu’enseignant j’envoie des vidéos par mail, j’organise des ciné-clubs et j’emporte mon enceinte portative pour des extraits musicaux. En somme, je ne suis pas réfractaire à l’idée que la circulation accélérée des contenus permise par le numérique relance à une échelle inédite la révolution déjà opérée par Gutenberg.

Malgré tout, je reste curieusement réfractaire à bien des usages. Je ne me résous pas à faire lire mes élèves sur tablette ni même à projeter des documents sur le tableau. Je ne me résous pas à truffer de documents l’Espace Numérique de Travail. A la rigueur, créer ma page où les élèves se rendraient s’ils le souhaitent et pour quelques lectures complémentaires. Mais j’ai déjà du mal à avoir recours à des manuels. Non seulement les textes proposés ne correspondent pas à ceux que j’ai lus, mais je me sentirais paresseux, et même corseté par une structure proposée par d’autres.

Pire, je n’ai jamais passé autant de temps à peaufiner mes documents photocopiés. Une part conséquente de mes préparations consiste à découper des extraits de livres que je possède – je ne veux pas me contenter d’extraits sélectionnés par d’autres – et à les organiser sur des pages A4. Pour la plupart des professeurs, le fantasme n’est-il pas toujours de tirer la substantifique moelle de livres qu’ils ont le plaisir de lire, de commenter, de tenir entre leurs main, voire de griffonner, de surligner, d’agrémenter de commentaires ? J’ai même continué mes infinis découpages-collages à l’occasion du confinement. On aurait pu croire qu’à l’heure des visio-conférences et des fichiers joints la pratique du polycopié tomberait en désuétude… Mais, après quelques cours filmés, quelques enregistrements de mes cours, j’en suis revenu à mes découpages, que je prenais en photo pour les joindre à mes mails. L’idéal aurait été d’envoyer par courrier le résultat de mon travail… Et ce n’est pas d’un scanner ou d’une caméra que j’aurais dû encombrer mon bureau, mais d’une antique photocopieuse et de ramettes A4 !

Primauté de l’œuvre

Vous me direz que le numérique offre précisément l’occasion d’ajouter des hyperliens, des couleurs, de la musique à des textes qui de cette façon gagnent en présence, se connectant à une sorte de conscience universelle et palpitante. J’aurais cependant peur, cédant à la séduction des sens et des ramifications, de perdre de vue le cœur même du métier et de cette littérature qui m’a donné la vocation : les mots, les phrases, les livres… Alors que, attaché à mes ciseaux, distribuant avec méthode mes séries de pages noircies, je garde l’illusion – mensongère ou pas – qu’il existe une primauté de l’œuvre et qu’il vaut la peine de se concentrer sur elle, quitte à oublier qu’il existe un contexte et même un monde autour d’elle.

Je reste donc l’un de ces enseignants-artisans cumulant les volumes dans sa bibliothèque et travaillant le papier. S’agit-il de paresse ? D’inertie face au changement ? De méfiance vis-à-vis de l’image ? De goût pour les matières – bruit des feuilles, poids des volumes, crissement des ciseaux – faisant pièce à l’univers trop cérébral de la littérature ? De superstition vis-à-vis des rituels entourant la littérature, et qui paraissent détenir en eux-mêmes une part de vérité ? Un peu de tout cela sans doute, et je suis partagé sur l’interprétation – positive ou négative – à donner à ce qu’il faut bien appeler une résistance au numérique, que je ne crois pas être le seul professeur à vivre.

Deux façons de résister

Pour essayer d’y voir plus clair, je distingue désormais deux façons de résister, deux façons dans lesquelles je me retrouve en dépit de leur apparente opposition : une conservatrice et une progressiste – à vrai dire, une antilibérale de gauche.

La première consiste à préférer la tradition des beaux livres à la nouveauté des claviers, à considérer que cet amour de la technique cache un intérêt pour des méthodes alternatives perçues comme démagogues. Dans cette perspective, la dispersion numérique est comprise comme un gadget, menaçant une culture sanctifiée par le passage des ans. Cette tentation conservatrice, Hannah Arendt la décrivait dans La crise de l’éducation, et la plaçait même au cœur du métier dans le sens où le professeur se donne avant tout pour mission de présenter à l’élève le monde tel qu’il existe, tel qu’il doit même le protéger vis-à-vis de la puissance créatrice de l’élève.

La seconde relève d’une prévention plus générale contre un certain ordre néo-libéral fondé sur la circulation, la fluidité, le repérage des compétences et l’insertion de l’individu dans un réseau toujours plus serré d’optimisation des ressources. Le numérique devient l’avant-poste du monde entrepreneurial, prompt à utiliser les citoyens et à les rendre utiles à leur tour. Dans ce monde-là, l’épanouissement des personnes sert l’épanouissement du système, dans ses composantes économiques comme dans ses injonctions morales. A cet égard, tablettes et cours à distance deviennent le cheval de Troie de l’entreprise dans la forteresse humaniste.

Quel point commun partagent ces deux formes de résistance ? Sans doute la conscience que le numérique reste un outil, dont l’éclat ne doit pas faire oublier la valeur de ce qu’il véhicule. Rappelons-nous l’expression d’« exception culturelle » : elle supposait déjà l’existence d’une sphère à préserver des jeux cruels de la pure économie. Le monde de l’éducation vit perpétuellement de cette tension. On attend de lui qu’il prépare l’élève au monde professionnel – et au monde moderne en général – tout en lui fournissant l’épaisseur d’une culture humaniste. Or, on oublie parfois que ces idéaux-là peuvent être amenés à se confronter, notamment par cette question de l’usage du numérique en classe.
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