La littérature sous caféine


lundi 27 janvier 2020

Préférer les simagrées

C’est curieux, je suis resté complètement indifférent à deux films récemment adoubés par la critique… Le dernier Scorsese, The Irishman (Netflix, 2019), m’a fait l’effet d’une indigeste resucée de ses plus grands classiques, notamment Les Affranchis et Casino, mais sans l’énergie viscérale ni la créativité de ces derniers. Copié-collé sans âme et sans jeunesse, avec des acteurs usés jusqu’à la corde. Remix à tous les étages et sentiment de vacuité. Quant au film de Sam Mendes, 1917, il avait tout pour me plaire et promettait un feu d’artifice émotionnel – du sang, des larmes, de la révolte, de la beauté… Au lieu de quoi, quelque chose de froid et d’appliqué qui ne m’a pas inspiré le moindre frisson. Serais-je de glace en ce début de décennie ? Le dernier Tarantino m’a pourtant arraché des sanglots avec les simagrées de DiCaprio. Quant aux outrances du Joker, elles m’ont séduit. Je pensais que la maturité me forgerait un goût plus sûr, je commence à en douter.

mardi 21 janvier 2020

L'hommage du grand baiseur à la grande sensuelle

Découvrant avec plaisir un des rares romans de Philip Roth que je n’avais pas encore lu, Professeur de désir (1977) (cycle Kepesh, moins réputé que le cycle Zuckermann), je me demande si je ne préfère finalement pas ses œuvres apparemment plus légères sur le couple et le désir que ses grandes fresques historico-politiques, dont je me demande toujours ce qu’elles racontent exactement.

Et cette préférence se confirme quand je lis ce bel hommage du narrateur à l’œuvre de Colette, à vrai dire inattendu. Autant Roth peut se montrer sarcastique envers une certaine avant-garde littéraire française, autant il a l’air d’admirer sincèrement notre chère auteure bourguignonne. Ne devrait-on pas trouver cela très naturel ? Le grand baiseur américain ne pouvait qu’apprécier cette femme de caractère à la sensualité virile, et je suis heureux que deux de mes auteurs préférés se lancent ainsi des fleurs par-dessus l’Atlantique.

« Feuilletant une pile de ses livres, je me suis demandé s’il avait jamais existé en Amérique une romancière avec une optique du plaisir pris et donné comparable même de loin à celle de Colette, un écrivain américain homme ou femme aussi profondément sensible qu’elle aux parfums, à la chaleur, à la couleur, un être aussi réceptif aux besoins du corps, aussi en accord avec tout le sensualisme du monde, connaisseur des plus fines nuances du sentiment amoureux, inaccessible, cependant, à tout fanatisme si ce n’est, dans le cas de Colette, animé par une farouche détermination de sauvegarder l’intégrité de son moi. Elle semble avoir été douée d’une sensibilité exquise à tous les désirs et les promesses des sens, « ces plaisirs qu’on appelle avec légèreté physiques » - et cependant nullement entachés de puritanisme, d’impulsions meurtrières, de mégalomanie ou de noires ambitions, de revendications sociales. On l’imagine égotiste au sens le plus précis, le plus acéré du mot, la plus pragmatique des sensualistes, des facultés d’introspection parfaitement équilibrées par ses facultés d’enthousiasme. (…) Le paganisme correct, robuste, bourgeois de Colette me semble toujours unique en son genre. » (Folio, page 242)