La littérature sous caféine


dimanche 13 octobre 2013

Pourquoi le petit Blanc penche du côté des adeptes de la pensée magique... (Stanislas Kraland, Huffington Post)



Stanislas Kraland ouvre le bal pour "Les Petits Blancs" (17 octobre) dans le Huffington Post:

"Et si l'un des antidotes au racisme était justement de parler de la couleur de peau? Alors que l'élection partielle de Brignoles s'impose comme un nouveau symbole de la montée du FN, c'est l'hypothèse sous-jacente d'un ouvrage au titre provocateur, Les Petits Blancs (éd. Plein jour).

Attention, sujet tabou: "C'est avec pudeur qu'on utilise, en France, l'expression petit blanc," débute cet ouvrage entre enquête journalistique et essai, "si l'on devine ce qu'elle recouvre, on n'aime pas la définir." Dont acte.

On l'aura compris, tout est dans ce titre qui ne s'attache qu'à nommer, bêtement, simplement, ces petits Blancs dont le livre dresse les portraits, raconte les parcours et les discours. Mais qui sont-ils?

Pour le savoir, Aymeric Patricot, 38 ans, agrégé de lettres, diplômé d'HEC et de l'EHESS, est parti à leur rencontre, et à cette question, il apporte une réponse simple: "Un petit Blanc est avant tout quelqu'un qui se perçoit comme tel ou que l'on désigne ainsi."

Blancs et pauvres

Les petits Blancs, ce sont donc autant de visages que de situations. Ce qui les rassemble? Le fait d'être désignés ou de se ressentir en tant que blanc et pauvre, que ce soit dans leur regard ou dans celui des autres.

Le petit Blanc, c'est par exemple ce jeune blanc qui en traite un autre, plus aisé, de "sale blanc" rejetant ainsi sur lui le mépris qu'il ressent. C'est aussi cet adolescent de banlieue, ce "visage pâle" qui, "vivant d'expédients, fragilisé socialement, se découvre aussi pauvre que ces minorités qu'on dit occuper le bas de l'échelle. C'est encore cet ouvrier au chômage qui évoque autant sa "fêlure" que les "délires racistes" de sa tante.

Les petits blancs, ce sont également ce paysan pauvre moqué dans Striptease, cette enseignante vacataire qui a basculé dans la haine, mais aussi cet étudiant fatigué noyé dans sa rancoeur qui dit travailler "beaucoup pour pas grand chose" et qui a "le coeur serré quand il voit "tous ces gens que le système aide alors qu'ils lui crachent dessus."

Autant de mots parfois violents, cruels et lourds, que l'auteur a choisi de regarder en face.

Une réalité

Un propos politique? Aymeric Patricot refuse toute récupération et préfère parler de réalité. "S'il existe une spécificité de l'expérience de populations récemment immigrées, victimes de discriminations, de difficultés économiques et culturelles, alors il existe, mécaniquement, une spécificité de l'expérience de populations paupérisées et non récemment émigrées."

On ne naît pas blanc, on le devient, pourrait-on dire. L'auteur raconte en avoir d'ailleurs fait l'expérience, Aymeric Patricot s'étant lui-même "découvert blanc", lorsqu'il est devenu professeur de lettres en banlieue parisienne.

"On ne peut pas accepter l'immigration sans accepter qu'il y ait des regards croisés," explique-t-il au HuffPost. En d'autres termes, il faut assumer les mots. "Sur le terrain, ceux que j'ai rencontré se disent 'petits blancs'. Il y a une spontanéité du langage chez les plus pauvres ou chez les jeunes que l'on ne retrouve pas dans les médias."

De la race en France

À l'heure où certaines personnalités politiques agitent opportunément le spectre d'un "racisme anti-blanc", Aymeric Patricot entend davantage témoigner de la richesse de ces regards, au-delà de la haine et du ressentiment.

Politiquement incorrect? C'est pourtant aux États-Unis qu'il est allé chercher l'inspiration. En témoigne cette citation en exergue de l'ouvrage, extraite d'un discours de Barack Obama devenu célèbre, De la race en Amérique: "La plupart des Américains de la classe ouvrière et de la classe moyenne blanche n'ont pas l'impression d'avoir été spécialement favorisés par leur appartenance raciale."

Nombre de Français blancs pourraient en dire autant, ce qui n'implique pas de nier les discriminations et le racisme dont peuvent être victimes les populations issues de l'immigration. Mais en France, ce discours est difficilement tenable. En cause? Un paradoxe: "les Blancs sont considérés comme majoritaires, tout en n'ayant d'existence qu'incertaine et même précaire. Un élément neutre, décidément, dont on ne peut rien dire, et dont on n'a le droit de rien dire."

Mépris

La figure du petit blanc apparaît dès lors comme oubliée par les politiques et notamment par le Parti socialiste. À cet égard les années 1980 marquent un tournant. "La gauche renonce alors à lutter contre le chômage, tourne le dos à l'économie pour investir le sociétal," analyse l'auteur. Le coup de grâce sera porté par une note du think tank Terra Nova, proche du PS.

Effondrement démographique de l'électorat ouvrier, divorce des valeurs entre un monde ouvrier fragilisé et une "Nouvelle France", le programme est clair: pour gagner, le PS doit aller chercher les voix de la "France de demain", "plus jeune, plus diverse, plus féminisée". "Rejetés par la gauche, mais aussi par la droite parce qu'ils sont trop pauvres, le FN rafle le marché électoral des petits blancs," explique Aymeric Patricot.

Mais les petits blancs ne se sentiraient donc pas si petits sans le mépris des "nantis", ces grands blancs qui, ne voulant pas leur ressembler, les mettent à distance, au risque d'aboutir à une forme de racisme inversé.

"Ces Blancs déchus ont pourtant le mérite de donner bonne conscience à ceux qui les rejettent: ces derniers donnent en effet des gages de leur éminente hauteur de vue. Ils prouvent même leur absence de racisme. Ce faisant, ils suscitent cependant une nouvelle forme de racisme dans la mesure où ce Blanc misérable, figé dans son archaïsme, est si distinct d'eux que sa nature n'a plus rien à voir avec la leur."

Symétries

Mis à l'index par les élites, décriés de toute part, déchus de leur humanité, les petits Blancs s'imposent, à leur corps défendant, comme les récipiendaires d'une rancoeur postcoloniale qui les place du côté des oppresseurs. "Ils représentent ceux des Blancs que l'on voit, ceux des Blancs à qui l'on peut s'adresser et que l'on considère, en dépit de leur modestie sociale, comme détenant les clés d'un système qui vous humilie."

Perçus à tort ou à raison comme "le fond du peuple français", ils symbolisent la colonisation tout en proposant une figure symétrique de l'échec. Alors que le petit Blanc est stupéfait de se découvrir "aussi pauvre que les plus pauvres", "de même le Français d'origine immigrée se trouve étonné de constater qu'il existe des Blancs aussi peu diplômés que lui, aussi isolés socialement, en souffrance aussi manifeste." Double mépris.

Mais cette symétrie peut aussi être source d'une connivence qui témoignerait davantage d'une solidarité de situations, que de classe. Grand Blancs et petits Blancs se fuient alors que petits Blancs et immigrés peuvent s'identifier. Voilà comment le "rappeur sous testostérone" Booba rend un hommage inattendu au chanteur Renaud, figure culturelle du petit Blanc s'il en est. "On se serait attendu à ce qu'il préfère Gainsbourg, sexuel et clinquant," écrit Patricot, "non, Booba se sent plus proche du petit Blanc que du dandy."

Considération

Ce qu'il ressort de ces portraits autant que de la réflexion de l'auteur, c'est avant tout l'absence cruelle de considération pour ces petits Blancs. Damnés de l'époque, leur malédiction est bien d'être blanc, et donc de faire partie d'une majorité dans laquelle ils perdent "tout trait identifiable".

La situation du petit Blanc s'impose alors comme l'exact inverse du Juif tel que le définissait Jean-Paul Sartre: "Le Juif de Sartre reste juif en dépit de ses inlassables efforts pour se fondre dans la masse," écrit l'auteur, "le Blanc d'aujourd'hui reste anonyme dans un vaste ensemble en dépit d'une expérience qui lui rappelle, chaque jour, à quel point il est particulier."
Et c'est sans doute ce qui explique pourquoi le petit Blanc penche du côté des adeptes de la pensée magique, de ceux qui instrumentalisent son sentiment d'appartenir à une communauté qui exclurait ceux qui le renvoient à sa propre condition. D'où, peut-être, la nécessité de nommer et donc d'accepter de voir une réalité qui sans cela demeurerait silencieuse, contiendrait sa rancoeur, au risque qu'elle n'explose dans la haine.
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samedi 12 octobre 2013

"Qui comprend encore les "vrais gens" ?"

Le site Atlantico.fr m'interroge, avec d'autres, sur le thème : "Politiques, syndicats, médias : Qui comprend encore les "vrais gens" ?

Invité dans "Des paroles et des actes", Jean-François Copé a été violemment pris à partie par Isabelle Maurer, une demandeuse d'emploi de Mulhouse (voir ici). "Je suis désolée Monsieur Copé, ce soir je ne peux pas être calme", a commencé la femme. Et de poursuivre : "Les Français vous regardent. Ils vous écoutent. Et malheureusement il y a beaucoup de paroles et pas beaucoup d'actes !". Déstabilisé, le président de l'UMP n'a pas su quoi répondre. Au-delà de cette séquence et de la gêne de Jean-François Copé qui aurait pu réellement comprendre et répondre aux questions d'Isabelle Maurer ?

Jean Spiri : Mais que voulez-vous répondre ? Qui aurait pu répondre ? Aucun élu national ne vit cette réalité de tenter de vivre avec le RSA socle en cherchant du travail – aucun élu national, car la situation des élus locaux est très variée, et il ne faut pas oublier les milliers d’élus locaux qui exercent leur mandat bénévolement. Mais beaucoup – voire tous – y ont été confrontés, dans leurs fonctions d’élu local, lors de leurs permanences. Une situation comme celle-ci ne peut laisser insensible. Un élu local a des solutions particulières, mais un élu national se doit de proposer des solutions générales. C’est le problème de confronter des responsables politiques à des interventions de ce type : soit ils restent dans le pathos et ne peuvent rien dire, car oui, ils ne vivent pas cette situation, soit ils proposent des solutions qui sont sans commune mesure avec la détresse de leur interlocuteur immédiat. Cela n’est ni de droite ni de gauche : on se souvient de Christiane Taubira confrontée à la mère d’une victime d’un multirécidiviste. Que voulez-vous répondre face à une telle douleur ? Le responsable politique qui répondra en généralité paraîtra froid, insensible, technocratique ; cela qui répondra sur le registre personnel paraîtra déconnecté et démuni, sans réponse.

Mais nous ne devons pas nous arrêter à ce niveau d’analyse. Premièrement, il y a en effet des propositions systémiques pour répondre à un cas particulier. J’irai même plus loin : ce sont souvent des décisions macroéconomiques qui changent, sur le long terme, les destins individuels. Mais qu’il est difficile de faire comprendre que telle ou telle mesure représentera demain de l’emploi en plus, du pouvoir d’achat en plus, si l’on n’est pas capable de répondre à l’urgence d’une situation. Deuxièmement, il y a, comme l’a rappelé Jean-François Copé, des élus, qui eux accomplissent un vrai travail de développement territorial, de solidarités locales. Ce n’est pas un hasard si, malgré la baisse globale de la cote des élus, c’est encore le maire qui inspire le plus confiance à nos concitoyens. Enfin, je rappelle que le cas particulier est toujours dangereux pour l’analyse globale (désolé pour ceux qui voulaient une réponse dans le pathos). Je prendrais un seul exemple : aujourd’hui, le niveau de vie des retraités dépasse celui des actifs. C’est inédit. Mais chaque fois que vous le rappellerez, vous aurez aussitôt l’exemple de la veuve de marin-pêcheur fort mal lotie qui surgira. C’est vrai, il faut le prendre en compte. Est-ce une raison pour balayer d’un revers de manche tout discours général sur un rééquilibrage entre les générations (avec par exemple l’alignement de la CSG) ? Je ne le crois pas. Mais face à la veuve qui a une petite pension de réversion, que ce discours devient dérisoire et difficile à entendre ! Dans une certaine mesure, ce type de procédés empêche le débat de fond, celui de l’intérêt général qui transcende la somme des intérêts particuliers – même s’il ne doit pas oublier les cas concrets !

Raphaël Liogier (auteur de Ce populisme qui vient, Textuel, septembre 2013) : Il me semble que la vraie question n’est pas qui aurait pu répondre, mais quoi répondre. Si la plupart des hommes politiques, et non seulement Jean-François Copé, peuvent être paralysés par ce genre d’intervention de "simples citoyens", c’est qu’ils ont fondé toute leur tactique politique sur l’empathie. En réalité ils ne sont pas plus éloignés de la vie populaire que les hommes politique de jadis, parce que c’est le principe même du pouvoir politique de créer une distance. La spécificité de notre époque, c’est qu’il y a une crise du récit collectif, et corrélativement une perte de confiance non seulement dans la politique en tant que telle mais dans le sens du vivre ensemble.

Une telle situation se traduit par le développement du populisme : une sorte de politique de l’empathie, vide de tout programme, qui cherche sans cesse à suivre les courants d’une opinion versatile. En réalité, cette façon de faire de la politique est la véritable trahison des aspirations populaires profondes. C’est ce que Baudrillard appelait la "politique du signe" : les dirigeants ne cherchent plus à faire sens, mais à montrer au peuple qu’ils comprennent leurs angoisses, qu’ils les éprouvent aussi. Ils vont même faire des lois, prendre des mesures qui ne seront destinées qu’à faire signe et non pas à faire sens, non pas à résoudre un problème réel.

Copé a été pris au dépourvu parce que cette femme le met face à ses contradictions, autrement dit face au fait évident qu’il ne peut pas ressentir ce qu’elle ressent, tout simplement parce qu’il fait partie d’un autre monde. Et s’il n’avait pas été populiste, entière voué à la politique du signe, mais authentiquement politique, à mon avis il aurait dû répondre : "oui, tout à fait je ne ressens pas ce que vous ressentez, et je ne cherche pas à le ressentir, ce serait hypocrite de ma part de prétendre le contraire. En revanche, je défends un programme politique que j’entends appliquer sans me laisser distraire si j’arrive au pouvoir, y compris sans me laisser distraire parce que vous ressentez à l’instant, justement pour qu’un jour vous vous sentiez durablement mieux".

La suite du triple entretien ici :[...]

mercredi 9 octobre 2013

Rater le coche du progrès social

Extrait d'un article de Sean J. Rose dans le Livres Hebdo du 4 octobre, à propos des "Petits Blancs" :

"Aux Etats-Unis, où le melting-pot est la règle, les termes white trash, « déchet blanc », sont utilisés pour désigner ces Blancs plus pauvres que les Noirs et les Latinos, ces Blancs qui ont raté le coche du progrès social. Si, en France, la référence à la couleur de la peau peut choquer (...), elle traduit une réalité tout à fait concrète sur le terrain. (...) Aymeric Patricot a fait ce voyage dans "la France d'en bas"."

samedi 5 octobre 2013

"Impression de lire un journal intime..."

Une lettre de lectrice :

"Bonjour M. Patricot,

Nous nous sommes rencontrés lors du salon du livre à l'île de Ré, j'ai acheté votre livre Suicide girls et vous avais promis de vous donner mon avis sur ce roman!

J'ai d'abord été surprise par le style parce que j'ai l'habitude de lire de la littérature classique. Finalement j'ai eu l'impression de lire un journal intime, et d'être à la meilleure place pour comprendre les préoccupations du narrateur.

Le suicide, la dépression et la "folie" sont des sujets qui m'ont toujours interrogée.

J'ai pu agréablement me retrouver dans le personnage principal, fasciné par ses "suicide girls", ("suicide boys" pour moi!) Il recherche à comprendre comment fonctionne ces filles, ce qu'elles ressentent.

Comment interpréter le personnage de Laurence? ne représente t-elle pas les gens "normaux" qui nous entourent? Elle vie avec le personnage principal, elle est censée le connaitre mais finalement elle est incapable de comprendre l'homme avec lequel elle vie. Un gouffre se crée entre elle et lui, le "faible". Et pourtant on l'excuse!

À propos du personnage de Manon, je pense que vous retranscrivez de manière juste la situation de malêtre que tout adolescent ou adolescente peut rencontrer au collège. Le regard des autres, la peur d'être différent. Avec son passé on comprend le besoin de chasteté qu'elle éprouve lorsqu'elle est avec son "ange noir".

J'avoue avoir été un peu perplexe par la fin du livre, les deux personnages se séparent, semblent chacun aller vers une vie plus lumineuse. Ils sortent des ténèbres mais je n'ai pas bien compris ce qui leur a permis de sortir de l'obscurité, de lui dire adieu et d'aller sereinement vers une vie apaisée. Est ce le fait de savoir que quelqu'un les comprend? Pour le personnage principal de s'être accepté tel qu'il est? d'avoir donné une explication à l'hypothèse du suicide de son père?

En définitive, j'ai apprécié votre livre, il m'a permis d'aborder la question du suicide d'une autre façon. Il me semble que vous vous attachez plus à l'expérience, au passé de la personne tandis que j'avais l'habitude de l'aborder d'un point de vue plus existentialiste, plus théorique par rapport au sens de la vie.
"

mardi 1 octobre 2013

"Effrayé par le titre mais..." (Lescop)

Un petit mot de Lescop : "Je me rends compte que je ne vous ai jamais dit que j'avais beaucoup aimé votre livre "L'homme qui frappait les femmes", ça m'a vraiment beaucoup touché! J'ai également apprécié votre petit mot qui m'a fait plaisir, j'ai mis du temps à lire le livre, un peu effrayé par le titre mais dès les premières pages on comprend qu'on a à faire à une âme tourmentée seule et complexe (je parle du personnage) et à un vrai style (là je parle de vous)...."


Lescop - La Forêt par umusic

jeudi 11 juillet 2013

"Les petits Blancs": parution le 17 octobre 2013 aux éditions Plein jour



Présentation du livre sur le site des éditions Plein jour :

« Moi, je peux toujours crever dans mon quartier pauvre, me dit Laurent. Et plus ça va aller, plus mon quartier va s’appauvrir parce que les bourgeois blancs vont partir et les bourgeois noirs et arabes aussi et il ne restera que les déchets de la France, avec moi dedans. »

Comment vivent les « petits Blancs » des quartiers pauvres de la République ? Les Américains utilisent, pour désigner ces oubliés du progrès social, méprisés d’être plus pauvres encore que les Noirs ou les Latinos, l’expression white trash. Se vit-on, dans la France métissée d’aujourd’hui, comme un « déchet blanc » ? Une conscience raciale est-elle en train de se substituer à la conscience de classe ?

Loin des préjugés qui empêchent de s’intéresser à ces hommes et ces femmes, Aymeric Patricot est allé à leur rencontre. Récits, analyses, portraits, conversations libres, approfondies, sans tabou : il trace le tableau précis et vivant d’une réalité plus diverse que l’idée qu’on en a, une réalité certes brutale, parfois cynique, souvent désespérée, mais qu’éclairent la générosité et la lucidité de certains de ses interlocuteurs. Le racisme, la violence, la haine de soi et du monde sont une tentation permanente quand, pauvre et sans horizon, on se sent relégué. Beaucoup s’y abandonnent, d’autres non. Tous offrent, sous le regard acéré d’Aymeric Patricot, un visage inattendu de notre société, qu’il est urgent de regarder en face.

vendredi 28 juin 2013

Nouvelle maison d'édition : Plein jour

Article paru dans Livres Hebdo (juin 2013), signé Catherine Andreucci :

"La voix des gens

Sybille Grimbert et Florent Georgesco veulent donner la parole aux gens, ceux que l’on entend peu, par le biais des écrivains. Ils créent donc les éditions Plein jour, dédiées aux documentaires littéraires. « Les écrivains ont une force de dévoilement de la réalité plus grande que celle que peuvent avoir les journalistes », estime Florent Georgesco, lui-même journaliste, notamment au Monde des Livres, et qui a été éditeur pendant dix ans chez Léo Scheer, où il était également rédacteur en chef de la Revue littéraire, il y aura aussi des documents journalistiques plus classiques. Mais, pour l’instant, pas de romans. « Il est très difficile de commencer avec de bons romans, et nous ne voulions pas ajouter à la surproduction romanesque. Surtout, nous avions envie de proposer quelque chose de nouveau », explique Sybille Grimbert, écrivaine. Son huitième roman paraîtra à la rentrée chez Anne Carrière, maison avec laquelle le couple a signé un contrat commercial qui permet à Plein jour d’être diffusé et distribué par Interforum et de bénéficier de la fabrication. « Notre indépendance éditoriale et financière est totale », soulignent-ils. Les premiers titres paraîtront le 17 octobre : Avant de disparaître, dialogue avec les ouvriers de PSA-Aulnay, de Sylvain Pattieu, et Les Petits blancs, un voyage dans la France d’en bas, d’Aymeric Patricot. Viendront ensuite une enquête de Claire Berest avec les policiers de la brigade des mineurs, et une autre d’Yves Mamou sur le Hezbollah. Dix titres sont prévus en 2014.
"

lundi 24 juin 2013

Olivier Adam ou l'éloge paradoxal du déracinement (Les Lisières, Flammarion 2012)


Olivier Adam, aux « lisières » de Paris par FranceInfo

« Son plus grand roman », précise Le Monde. Et il est vrai que Les Lisières (Flammarion 2012) d’Olivier Adam en impose par son souffle, sa tension dramatique, son ambition. Il s’attache notamment à dresser le vaste portrait de ces zones périurbaines en constante expansion – zones pavillonnaires, HLM – et de la mélancolie, voire du mal-être qui s’y développent.

Le narrateur, qu’il est difficile ici de ne pas confondre avec l’auteur tant les points de comparaisons sont nombreux, se remet difficilement d’une séparation. Il quitte la Bretagne pour rendre visite à sa famille restée vivre en banlieue parisienne. Mais le séjour ne fait qu’approfondir le gouffre entre ce romancier que le succès pousse à fréquenter les « bobos » et ses propres parents restés si modestes. Des parents qui s’obstinent par ailleurs à rester vivre dans la région.

« Si étrange que cela puisse paraître, cette banlieue où personne n’avait jamais eu envie de vivre, cette banlieue que j’avais toujours entendu qualifier de pourrie, ni plus ni moins qu’une autre mais simplement pourrie, de laideur commune, de banalité pavillonnaire et d’ennui résidentiel, était devenue l’objet d’une flambée immobilière qui me laissait interdit. » (Page 87)

Cette répulsion pour les zones pavillonnaires s’accompagne bientôt d’un éloge du déracinement. Le narrateur se demande comment les gens peuvent éprouver de l’attachement pour des lieux si désincarnés. Le racines ne sont-elles pas foncièrement illusoires ? De même, et malgré tout l’amour qu’il porte à la Bretagne, il ne comprend pas les sortes de délires identitaires qui attachent les Bretons à leur région.

« J’avais débarqué en Bretagne étonné de découvrir une terre où tout le monde était blanc, où il restait encore des gens pour se définir comme « catholiques », où beaucoup se revendiquaient d’ici depuis des générations et paraissaient en tirer une fierté que je trouvais, selon les jours, suspecte ou carrément imbécile. Où certains parlaient sans rire d’identité régionale, de traditions locales, de coutumes, de particularismes, de racines. Un truc surgi du passé en somme, une France telle que l’imagine Jean-Pierre Pernaut, attardée et refermée sur elle-même. » (page 124)

Il me semble déceler cependant un paradoxe dans cette double posture : éloge du déracinement / répulsion pour la banlieue. La banlieue parisienne en effet n’est-elle pas devenue, précisément, le lieu par excellence du déracinement ? Une sorte de territoire indécis, sans ancrage particulier, qui devrait alors faire les délices du narrateur ?

D’autant que le tempérament dépressif de ce dernier ne plaide pas en sa faveur : comment avoir envie de le suivre si c’est pour vivre un tel effondrement intérieur ? Si c’est pour flirter avec le perpétuel effacement de sa personne ?

Autre aspect du paradoxe : le narrateur fait l’éloge du déracinement mais il n’a l’air de réussir à vivre, comme l’auteur d’ailleurs, qu’en Bretagne et au Japon : une région dont la « culture locale » est sans doute la plus forte de France, comme le souligne le narrateur lui-même ; et un pays qui fait de l’isolement et du refus du métissage une sorte de principe... Comment justifier, dès lors, à la fois le refus des racines et le bonheur de vivre parmi des gens qui, eux, revendiquent ces racines ?

Non pas que l’éloge du déracinement soit une mauvaise chose. Moi-même, je me sens proche de cette posture de la marge. Et j’ai, comme Olivier Adam, ce double amour de la Bretagne et du Japon… J’adore me sentir comme un passager clandestin dans une région dont je maîtrise mal les codes, qui m’ignore et grâce à quoi je me sens libre. Mais il me paraît étrange de ne valoriser que ce déracinement : le goût pour ce dernier ne peut qu’aller de pair avec la présence, proche et même envahissante, de populations et de cultures qui se sentent, elles, « ancrées ». Le plaisir d’errer est sans doute d’autant plus fort que les autres, eux, refusent d’errer. Et puis, comment raisonnablement imaginer un monde où tout le monde se mettrait à errer ?

La passion du narrateur pour la Bretagne et le Japon me font ainsi l’effet d’un véritable retour du refoulé : plus il se libère des entraves, plus sa tristesse s’approfondit. Sans se l’avouer, il paraît rechercher la présence de gens qui « s’installent ». Et il reproche à son père de détester le métissage tout en refusant lui-même de vivre en région parisienne : le prétexte est l’affreuse monotonie des pavillons, des centres-villes et des supermarchés. Mais ce rejet tout architectural ne masquerait-il pas l’angoisse d’un monde entièrement voué au déracinement ?