La littérature sous caféine


vendredi 19 juillet 2024

Douce Normandie

Benoît Duteurtre avait eu quelques mots aimables sur "Autoportrait du professeur". J'avais aimé sa "Gaieté parisienne" et dévoré ses "Pieds dans l'eau", qui peignait avec humour et sensibilité la région de mon enfance, si souvent décriée : Le Havre et le pays de Caux. L'homme paraissait doux, comme sa prose et comme cette Normandie dont on reconnaîtra, peut-être un jour, le sublime.

lundi 8 juillet 2024

C'est important, une cheminée

Quand j'ai lu qu'Hervé Le Tellier, dialoguant avec Richard Gaitet dans la série Bookmakers, parlait de sa lecture d'un livre méconnu de Melville, "Moi et ma cheminée", j'ai cru à une blague. Puis je me le suis procuré et il est devenu l'un de mes classiques immédiats. J'aime beaucoup le contraste entre l'impérieux sérieux des débuts (ce Moby Dick démentiel par son volume et son sujet) et cette fin de carrière apparemment désinvolte, un brin provocatrice. A ma toute petite échelle, j'amorce un virage comparable en quittant les sujets trop graves pour des questionnements potaches, à l'image de cette "Vie sexuelle de ma tortue" publiée chez Zone critique. Pas si facile, d'ailleurs, la légèreté... Il y faut du métier et, sans doute, de l'expérience.

"Une autre fois, après un jour d'absence, je trouvai ma femme plantée devant la cheminée, en grande conversation avec une personne en qui je reconnus aussitôt un de ces insupportables architectes réformateurs qui, n'ayant aucun talent pour ériger quoi que ce soit, sont toujours prêts à jeter tout par terre."

lundi 24 juin 2024

Survivre à l'amour

Dans "La princesse de Clèves", Mme de Clèves résiste au duc de Nemours même après la mort de son mari. Dans "Les liaisons dangereuses", Tourvel cède à Valmont malgré ses principes et le regrette. Dans "La duchesse de Langeais" (Balzac), la duchesse se refuse à Montriveau par coquetterie, provoquant des torrents qui l'emporteront. Morale de ces circonvolutions ? Les seuls à survivre en amour, dans le roman français, sont ceux qui s'empêchent et qui ont la constitution pour le supporter.

mardi 11 juin 2024

Coquetteries

Je découvre surpris l’œuvre de Louise de Vilmorin. La figure de cette grande mondaine, amoureuse de gens riches ou prestigieux, pourrait agacer. Mais sa plume est légère, élégante, au service de vaudevilles dont les jolis accents lorgnent vers Sagan et, à leur meilleur, vers Colette. Seulement, je m’étonne que cette coquette ait pu devenir l’un des grands amours de Malraux. Cette alliance de la femme légère et du pur esprit me laisse songeur. Je pense à cet autre couple, Miller-Monroe, qui cédait lui aussi à cette sorte de cliché. On dirait qu’ils jouent un rôle, le rôle caricatural des genres. A moins qu’il ne s’agisse d’un archétype plus fort que la volonté, plus fort que la conscience.

mercredi 10 avril 2024

Le Far West de la France

La Louisiane, Far West de la France… Une terre d’aventure aux frontières indécises, finalement bradée à vil prix mais réserve rétrospective de récits hauts en couleur. Je m’y rendrai bientôt avec cet horizon en tête, à l’affût des traces de présence française comme de tout ce qui constitue encore aujourd’hui la source d’une certaine mythologie.

Adolescent, j’avais dévoré le roman que Georges Blond avait tiré de la vie du célèbre corsaire, « Moi, Laffite, dernier roi des flibustiers » (1986). Je le relis aujourd’hui conscient des faiblesses de l’écriture mais heureux de plonger si facilement dans une Louisiane et une Caraïbe croquées avec panache. Puisse la France se souvenir qu’elle est terre de héros !

mardi 2 avril 2024

La crasse et la grâce

En quelques décennies la pratique du catholicisme s'est effondrée. Je n'ai jamais été croyant mais je m'amuse aujourd'hui à fréquenter les mystiques, à guetter ici ou là les restes d'une immense et folle mythologie. Les catholiques deviennent une minorité exotique, bien moins médiatisée que d'autres. Pour cette raison ils ont toute ma sympathie, quels que soient les agacements qu'ils peuvent susciter.

Le récit de Thibault de Montaigu, La Grâce (Plon, 2020) fait partie de ces résurgences incongrues. Le narrateur y raconte sa crise mystique, et son enquête sur un oncle lui-même touché par la grâce. Dans les deux cas, la révélation est survenue après des mois de débauche. Elle a surgi à un moment qui paraissait la refuser, à une époque qui n'était pas faite pour elle. Au fond, le Christ nous fait l'effet d'un Dieu bizarre, un peu inquiétant, alors qu'Il dort sans doute en nous bien plus que nous ne l'imaginons.

mercredi 20 mars 2024

Les masques révèlent

Pour « La Viveuse » (2022), j’ai pensé prendre un pseudonyme. Le prénom Camille, épicène, aurait entretenu le doute et m’aurait évité les jugements du type : « Encore un homme qui fantasme sur les p… ! » (Reproches qui surviendraient en effet). Mon éditrice Angie David m’en a dissuadé. Son argument était qu’il serait dommage de ne pas capitaliser sur un nom d’auteur déjà identifié ici ou là.

On retrouve cet argument dans son propre livre, « La Renommée » (2024, Léo Scheer). Elle y disserte agréablement sur le fait qu’elle a troqué le nom de son père pour celui de sa mère. Son nom d’écriture est ainsi devenu, par le miracle d’une loi opportune, son nom légal – cas original. Le titre joliment polysémique annonce une réflexion subtile sur le rapport complexe des auteurs à leurs noms. Le livre étudie par exemple les cas d’Edouard Louis ou de Constance Debré, dont les œuvres relèvent précisément de l’invention de soi.

Pour ma part, j’ai moins le fantasme de me créer par l’entremise d’un nom que de lancer une carrière-bis sous un pseudonyme qui serait un masque. A son ombre, je m’adonnerais à toutes sortes d’expériences littéraires inavouables. La liberté par l’anonymat, en somme – pas par la fusion du masque et du visage.

lundi 18 mars 2024

Tombeau de Brest

Je suis né dans une ville rasée par les Anglais, j’habite près d’une autre ravagée par les Allemands. C’est dire comme je lis avec attention le « Brest, de brume et de feu » (Gallimard, 2024) d'un ami de longue date, Philippe Le Guillou. Le Prix Médicis 97 y adopte une démarche très modianesque de promenade sur les lieux de son cœur. A vrai dire, toute son œuvre est une rêverie mêlée de souvenirs, parfois romancés – Bretagne baignée de légende, Paris secoué par l’histoire, églises hantées par les rites, pèlerinages littéraires… On passe de livre en livre comme le regard sur une mosaïque.

Ici, l’évocation de Brest par le prisme familial et personnel offre matière à une variété de récits. C’est l’évocation de la ville martyrisée par la guerre, le portrait de grands-parents nés dans la campagne, la peinture d’amours et d’amitiés décisives… Le tout ponctué de clins d’œil à Jean Genet, de coups de griffes à la didactique ou au marigot politique. Le livre est vif, émouvant, structuré par les références à la "cité minérale". Et il se clôt par une épiphanie mélancolique :

« Elle passe la figure de ce monde, mais, comme la cérémonie du thé chez Robbe-Grillet, à la toute fin du Miroir qui revient, « ça n’est jamais fini », un nouveau Brest affleurera bientôt, à moins que ce ne soit le substrat primordial de la cité enfouie qui remonte des abîmes : c’est là le sort des villes-palimpsestes. »