La littérature sous caféine


samedi 1 novembre 2025

Buste

On espère que les œuvres survivent à leurs auteurs. C'est assez rare. Le plus souvent, elles disparaissent corps et âmes. Parfois, les individus survivent plutôt par de petites choses inattendues, comme je le découvre en flânant au cimetière de Sainte-Adresse en ce jour de Toussaint. L'écrivain Hippolyte Fenoux (1842-1913, légion d'honneur) s'est fait faire une jolie pierre tombale, à la fois prétentieuse et amusante. Plus personne ne le lit, il n'est référencé nulle part, je doute même qu'il existe encore en bibliothèque. Mais son buste trône à l'entrée du cimetière, gaillard et souriant - parmi mille tombes modernes désespérantes d'uniformité. En voilà un qui a réussi sa disparition !

lundi 27 octobre 2025

Malet / Tardi

De temps en temps je me laisse aller au polar. J'y ai de grandes joies comme de grandes déceptions. Souvent, le genre me paraît manquer de caractère en dépit de ses pétarades. Récemment c'est Léo Malet qui m'est tombé des mains. Son titre célèbre a du chien : "La vie est dégueulasse" ; le texte manque de vraies bonnes pages et d'une psychologie autre que sommaire. Autant lire Malet dans les versions illustrées par Tardi, le Gustave Doré du 20eme siècle : ses dessins, eux, sont vraiment forts en gueule.

dimanche 26 octobre 2025

Conscience vitale

Je ne suis pas croyant mais je fréquente chaque jour davantage les cultures religieuses. Je lis les mystiques, j'écoute les requiem, j'observe les vitraux, je fréquente la Bible - récemment, j'ai par exemple relu l'Apocalypse dans la somptueuse version Diane de Selliers illustrée par la tapisserie d'Angers. Et ce n'est pas la mortification telle que la pratiquait Bernard de Clairvaux qui m'intéresse mais un certain niveau de "conscience vitale" comme l'écrivait DH Lawrence quand il parlait de la folle dimension païenne hantant certains passages de l'Apocalypse. Les images, les symboles, les élans, les visions... A ce propos je partage l'ironie féroce de Romaric Sangars dans son brillant petit essai "La dernière avant-garde" (Cerf, 2023) vis-à-vis de ceux qui partent à l'autre bout de la planète pour glaner quelque frisson spirituel. Il leur suffirait ici même de tendre l'oreille et d'ouvrir les yeux pour entrevoir des vertiges, des éblouissements.

vendredi 3 octobre 2025

Femmes

Dounia Tengour avait parlé ici-même de "La Viveuse" (il en fallait du toupet pour aborder un sujet si sensible). Je la retrouve trois ans plus tard en historienne et narratrice passionnée, capable d'écrire un gros volume au rythme d'enfer tout en menant de main de maître sa carrière de journaliste. Jeanne la folle, Catherine d'Aragon, Annaëlle, Dounia... Nous en aurons fréquenté des femmes fortes !

vendredi 19 septembre 2025

Habits

Quand j'étudiais à la Sorbonne, j'écoutais avec beaucoup de surprise toutes ces filles qui se passionnaient pour la littérature médiévale. Je ne comprenais pas d'où venait leur fascination. L'une d'entre elles écrivait un mémoire sur la description des habits dans les romans de geste et cette ultra-spécialisation me paraissait un mystère. Aujourd'hui je lis avec le plus vif intérêt la page que consacre Chrestien de Troyes à la tunique de la princesse dans "Erec et Enide". J'aurai donc mis trente ans à comprendre la beauté de ces admirables vieilleries.

mardi 16 septembre 2025

Venus erotica

Ce n'est pas mon genre de souligner les côtés contestables de l'écriture masculine, mais force est de constater qu'en matière d'érotisme les auteurs hommes ont une fâcheuse tendance au culte de la performance. Sade, Louÿs, Apollinaire, pour ne considérer que ces références, rivalisent d'extrêmités et de violences. On quitte le plaisir pour le délire mental. Vous me répondrez que Catherine Millet n'a rien à envier à ces ogres et que Léo Barthe - le meilleur d'entre tous ? - rivalise d'intensité stylistique. N'empêche que la tendance est là, et que je trouve par exemple chez Anaïs Nin une vision subtile et riche, néanmoins sans fadeur, que je peine à trouver chez ses équivalents masculins. Ou alors, peut-être, chez HD Lawrence ou Philip Roth ? Mais on y décèle quelques ferments de vantardise...

Autres temps, mêmes moeurs

Livre difficile d'accès, ces Caractères. Mais quand on s'y est lancé, quel délice de s'amuser à y lire des correspondances avec notre époque. Contredisant son goût affiché pour la vérité, La Bruyère se laisse aller à la satire et ça nous donne une galerie de caricatures qu'on retrouve presque à l'identique aujourd'hui. Trois exemples : La Bruyère tance le goût des femmes de son temps pour les "hommes publics", ceux qui n'ont d'autre mérite que d'être sujet de conversation ; puis il déplore la vogue des directeurs de conscience, qui s'octroient le droit de faire la morale sans en avoir le mérite (Ne s'agit-il pas des influenceurs ? Des éditorialistes ? ) ; enfin, il se moque des dévotes, toutes ces femmes qui du jour au lendemain suivent la mode de la morale et de l'austérité... Autre temps, autres moeurs ? Lui l'affirme, mais iI semblerait que non.

samedi 13 septembre 2025

Gouffres de culture

J’admire Gustave Doré. Ses gravures sont évidemment les plus belles du 19ème, les plus expressives et les plus fortes, mais surtout le projet qu’il s’est donné d’illustrer les grandes œuvres rejoint mes obsessions de lecteur. D’une certaine manière, il accompagne mes découvertes et j’achète maintenant toutes les versions illustrées des chefs-d’œuvre auxquels il s’est attaqué – Rabelais, Cervantès, Dante… Dans l’incroyable volume « Fantastique Gustave Doré » des Editions du Chêne je découvre amusé qu’il se fixait ainsi des listes et j’annexe ces listes aux miennes. Je lirai par exemple Roland le furieux de L’Arioste puisque ce grand maître y a consacré du travail. Ce que j’aime avec Doré, c’est que l’image n’éteint pas l’imagination : elle la relance. Elle est si brillante et précise qu’elle complète et qu’elle enrichit. Doré devient mon guide, le Virgile qui me prend la main vers les gouffres de culture.