La littérature sous caféine


jeudi 22 octobre 2015

Le jour où plus personne ne connaîtra le nom de Woody Allen

La cinéphilie va-t-elle disparaître ? Je lance un ciné-club dans le cadre de mes classes préparatoires et, en dépit de la belle affluence, je me demande si le goût pour les classiques, les films singuliers, les chefs-d’œuvre, n’est pas en train de se raréfier. Sur cent élèves, à peine deux ou trois ont déjà vu un Woody Allen ou un Scorsese – et la plupart ne connaissent même pas ces noms-là. Résultat de l’omniprésence des séries ? Accélération du temps, de la consommation, de la valse perpétuelle des références ? Ou bien simple vieillissement, et donc éclipse partielle, des quelques artistes qui forment mon panthéon ?

mardi 13 octobre 2015

L'Europe trouve aussi ses racines dans le Graal du Moyen-âge

Quand on évoque les fameuses "racines culturelles" de l'Europe, on fait généralement référence au judéo-christianisme, un peu moins souvent à la culture gréco-latine, parfois à d'autres influences plus récentes, mais presque jamais à ce véritable continent imaginaire que représentent les récits du Moyen-Age, ce bouillonnement épique et merveilleux dont a parlé Jean-Pierre Legoff, et notamment l'univers légendaire celtique (mais aussi germanique, scandinave...) si bien représenté par le cycle du Graal et des chevaliers de la Table ronde.

Chrestien de Troyes, Boron, Malory... Autant d'auteurs dont la richesse de plume n'a rien à envier à celle d'Homère, et je m'étonne toujours que l'on oublie - ou que l'on feigne d'oublier - l'étonnante fécondité de cette littérature. Préjugé persistant sur "l'âge sombre du Moyen-Age" ? Gêne à évoquer le fait qu'il puisse exister une culture européenne substantielle ? Heureusement que cet imaginaire-là continue malgré tout à vivre par l'intermédiaire de la création contemporaine - par exemple par le biais de ce film sublime, en passe à mon avis de devenir un véritable classique: Excalibur, de John Boorman (1981).

mercredi 30 septembre 2015

Eva Ionesco, noirceur

Si je tarde à lire "Eva" de Simon Liberati (Août 2015), et alors même que cette même Eva (Ionesco) se trouve en couverture de "Suicide Girls" (2010), c'est que j'hésite à déflorer le mystère de cette photo somptueuse qui nous semblait, à mon éditeur et à moi, correspondre idéalement à mon histoire de jeunes filles perdues dans leur propre noirceur. Eva chercherait d'ailleurs un peu plus tard à faire retirer cette couverture, sans succès cependant puisque c'est sa mère, auteur de la photo, qui en détenait encore les droits.

dimanche 20 septembre 2015

Qui donc, au juste, comprenait Racine ?

Chaque fois que je lis du Racine, je suis taraudé par la question du public de l'époque : comment faisait-il donc pour comprendre l'intrigue ? Par quel miracle pouvait-il saisir, en temps réel, la signification de ces vers extrêmement denses, saturés de métaphores et de références mythologiques ? Baignait-il vraiment dans une culture antique qui le préparait à ce genre de pièces ? Avait-il eu vent de l'intrigue avant la représentation ? Etait-il si raffiné, si cultivé ? Ou bien venait-il au théâtre, au fond, surtout pour se faire voir...

samedi 29 août 2015

La Tour sombre : tout et n'importe quoi

Je suis un grand fan de Stephen King - j'admire sa créativité monstrueuse, et la sorte de fécondation de l'imaginaire mondial à laquelle il se livre. Mais il faut reconnaître que certains de ses livres relèvent du grand n'importe-quoi. Je pense par exemple à sa série en 8 volumes, La Tour sombre, publiée tout au long de ses quarante ans de carrière, dans laquelle je me lance tout juste et qui réalise le miracle de compiler des genre innombrables: western, science-fiction, mondes parallèles, post-apocalypse, heroïc-fantasy, épouvante, et j'en passe… C'est comme un grand gâteau trop crémeux, trop coloré, complètement indigeste mais amusant aussi pour ça - avec, en prime, malgré tout, quelques scènes d'anthologie.

mercredi 29 juillet 2015

Rien de nouveau depuis l'Antiquité

Chaque fois que je lis stoïciens, épicuriens, cyniques et autres philosophes et moralistes antiques, j'ai l'impression d'une grande bouffée de modernité... Un peu comme si les deux mille ans qui avaient suivi ne nous avaient pas apporté grand-chose, sinon des raffinements excessifs, et pour tout dire assez monstrueux.

mardi 28 juillet 2015

De la scatologie en Allemagne

J'ai l'impression que l'Allemagne - et plus généralement les pays du Nord de l''Europe - ont un rapport particulier avec la scatologie, qu'ils abordent volontiers et dont ils s'amusent. Je pense aux récents succès de Giulia Enders ("Le charme discret de l'intestin", 2015) et de Charlotte Roche ("Zones humides", 2009). Ce rapport très pragmatique au corps aurait-il un rapport avec le protestantisme ?

lundi 27 juillet 2015

William Styron, équivalent catholique à Philip Roth

J'ai enfin trouvé l'équivalent catholique du génial Philip Roth : William Styron, dont l'époustouflant "Choix de Sophie", best-seller de 1979, fait feu de tout bois dans un style comparable à celui de Roth. Dramatisation, vigueur, fluidité, passion... Et puis cette obsession pour le thème des identités qui se rencontrent et qui se heurtent, en Europe comme aux Etats-Unis.

D'ailleurs, et cela ne me semble pas un hasard, Styron adresse dans son roman des clins d'œil appuyé à Roth, par exemple en nommant Nathan le personnage de Juif incandescent, amant de Sophie à New York; puis en évoquant la place éminente du "grand roman juif" dans la littérature américaine.