La littérature sous caféine


mardi 26 janvier 2016

Le bonheur selon Colette



"Je suis jaloux de Colette. J’aime sa façon d’aimer, forte et sensuelle. Et je suis effaré par son assurance. Elle ne doute ni du génie de la vie pour la combler ni de son pouvoir pour en jouir – et cela passe en partie par le langage qui est préparation, délimitation puis saisie de ce même plaisir.

Le bonheur de Colette, c’est la jouissance comprise et systématisée. Pas de morale, mais l’exigence de toujours saisir les frémissements de vie pure. Colette est dure ; elle ne pardonne ni les mesquineries ni les à-peu-près. Mais c’est une façon de répondre à son désir impérieux, son souci de dire, sa lucidité sans scrupule. On s’en voudrait de ne pas obéir à sa loi : ce serait manquer quelque chose comme l’érotisme même."

Extrait des "Vies enchantées - enquête sur le bonheur"

lundi 25 janvier 2016

La prostitution revendiquée (Marie L. Barret, Ephémère, vénale et légère)

Dommage que la presse – et plus particulièrement la presse féminine – ne se soit pas emparée du beau livre de Marie L. Barré, "Ephémère, vénale et légère" (Plein jour, 2015) .Sans doute parce que le propos de la prostituée qui prend du plaisir à son métier, du moins le considère comme une activité comme un autre avec ses joies, ses servitudes, passe difficilement à une époque où l’on considère la prostitution comme une une activité dégradante – ce qui reste vrai la plupart du temps mais peut malgré tout donner lieu à des destins singuliers quand il sont assumés, et même recherchés.

C’est du moins la conclusion que semble tirer l’auteur, qui se prostitue depuis de longues années dans son pavillon de zone périurbaine. Elle y dresse un certain nombre de clients réguliers – certains auraient d’ailleurs pu figurer dans mon livre "Les Vies enchantées" – et cela donne une série de textes saisissants, parfois pathétiques, souvent émouvants, toujours criants de vérité.

Ces deux paragraphes proches de la fin résument bien la tension à l’œuvre dans l’ensemble du livre :

"(...)Des mains brusques qui triturent mes seins, un menton rugueux qui râpe avec insistance mon bas-ventre, une forte odeur de sueur qui goutte sur moi, ce n'est pas si difficile. Une goutte de sueur n'est rien de plus qu'une goutte de sueur, je m'essuierai, je me laverai, je l'oublierai. Même dans la brutalité d'un geste, il n'y a pas de méchanceté, juste de la maladresse ou de l'ignorance. Ce n'est pas rien, mais ce n'est pas si difficile. Le plus difficile, c'est d'entendre une vie qui se confie: Jacques et les cancers qu'il a pu enrayer, René dont le fils s'est suicidé, Michel et son garçon qu'il n'a pas revu depuis le départ de sa femme pour une destination inconnue, Simon et sa fille anorexique en phase terminale (...)"

mercredi 20 janvier 2016

J'ai demandé que l'on gomme quelques poils

lundi 18 janvier 2016

Ricard et Lenoir n'ont qu'à bien se tenir ! ("Vies enchantées - enquête sur le bonheur"

Argumentaire du service de presse des "Vies Enchantées" :

"Quand l’auteur des Petits Blancs débarque dans le feel good book, le résultat détonne. Prenant à rebours les livres qui tentent de nous expliquer comment être heureux, il est allé à la rencontre de ceux qui n’ont eu besoin d’aucune recette, et surtout d’aucune sagesse, et ont trouvé le bonheur en cultivant leurs vices, leurs défauts, leurs vertus parfois, mais qui ne ressemblent en rien à celles dont les Lenoir, Ricard ou Rabhi donnent le mode d’emploi. Le réel balaye toutes les règles. Aymeric Patricot en restitue ici le souffle anarchique et joyeux."

mercredi 13 janvier 2016

L'énergie de Bowie dans les années 80

La période de Bowie que j'ai le plus de plaisir à écouter est une période pourtant relativement décriée: celle des années 80, certes moins créative, moins subtile, moins touchante que celle des années 70, mais dont j'aime l'énergie sauvage, la sorte de naïveté adolescente. On daube d'ailleurs pas mal, en général, sur les arrangements des années 80, mais je les aime de plus en plus - et Roxy Music par exemple brille de plus en plus fort dans mon panthéon personnel.

mardi 5 janvier 2016

Sortie en format poche chez Points Seuil

Sortie en format poche, chez Points, des Petits Blancs, le 21 janvier prochain.



Le livre proposera une postface inédite, dont voici les trois premiers paragraphes:

"Il peut être utile, pour comprendre une partie des réactions que le livre a suscitées, de faire référence à la notion d’intersectionnalité telle qu’elle est employée en sociologie et en philosophie politique, notamment aux Etats-Unis.

L’intersectionnalité se propose d’étudier les effets de cumuls de discriminations. Si l’on considère qu’il existe dans nos sociétés contemporaines plusieurs lignes de fracture – parmi lesquelles, notamment, celles de la race, de la classe, du sexe et du genre – en vertu desquelles certains individus se verront ou se sentiront discriminés, alors il est logique que certains se voient discriminés en fonction de plusieurs critères. Il existerait ainsi des sortes de coefficients d’oppression. Par exemple, une femme noire et lesbienne subirait trois formes de discrimination quand un homme noir hétérosexuel n’en subirait qu’une. Et l’on suppose que la situation de la première serait ainsi plus complexe, plus douloureuse que celle du second.

C’est dans le cadre de ces privilèges et dominations qui se croisent, se cumulent ou s’annulent que naissent les débats. On comprend ainsi qu’il faille plaindre un individu subissant plusieurs formes de discriminations… Mais que penser de celui qui subit une forme de discrimination tout en jouissant, face un autre, d’une forme de privilège ? Victime d’un côté, oppresseur de l’autre ; discriminé le matin, discriminant le soir. Faut-il par conséquent tenir certaines formes d’oppression comme plus fondamentales que d’autres ? Cela permettrait de clarifier les choses et de ramener le faisceau des oppressions à une ligne essentielle. Ou bien doit-on s’efforcer de rester vigilant vis-à-vis de chaque forme de discrimination, tenant une sorte de comptabilité de celles que l’on subit et que l’on fait subir tour à tour ? (...) "

mardi 15 décembre 2015

"Les vies enchantées - enquête sur le bonheur", parution le 21 janvier 2016 aux éditions Plein Jour



Présentation de l'éditeur:

Vies enchantées, bonheurs paradoxaux, les personnes qu’Aymeric Patricot a rencontrées pour ce livre ont réussi une chose exceptionnelle : être heureuses. Et pourtant, elles ne diffèrent d’aucun d’entre nous. Toutes se sont simplement focalisées sur leurs goûts les plus intimes, et si leur bonheur est souvent inattendu, s’il peut parfois ressembler à une lubie, c’est qu’il coïncide avec ce qu’elles ont de plus singulier.

Un détail contamine leur vie, qui vient les combler. Que ce soit Camille ravie par son jardin, Jodie nourrie par sa colère, Denis content de son cynisme ; que ce soit l’idiot du village, la femme douce, l’oiseau de nuit ; ou encore des écrivains aussi divers que Montaigne et Céline, Proust et Beauvoir, aucune satisfaction extérieure n’aurait suffi à leur accomplissement : c’était à eux de l’inventer, selon des méthodes qu’Aymeric Patricot recense avec humour et admiration dans cette nouvelle enquête, qui est aussi un traité du bonheur conçu comme « ce qui nous permet d’étendre notre moi aux confins de l’univers ».

mardi 24 novembre 2015

L'hiver des prépas

Depuis que je s’enseigne à Troyes, j’entends parler du romancier Jean-Philippe Blondel. Il travaille dans un lycée voisin et ses livres rencontrent un certain écho. J’avais notamment repéré son dernier en date, Un hiver à Paris (Buchet Chastel, 2014), évoquant l’univers parfois difficile des écoles préparatoires – que je connais comme étudiant et comme professeur, désormais. La prépa, l’enseignement à Troyes, l’écriture de romans… Cela nous fait décidément des points communs et je me suis finalement décidé à lire Un hiver à Paris.

J’en suis ressorti séduit. Cette chronique douce-amère se lit d’une traite, bien écrite, sensible, impeccablement construite. Un certain art du romanesque à l’économie, proche de l’autofiction mais plus classique dans la forme, à mille lieux de l’héroïsme parfois épuisant des pavés américains.

« Clauzet était l’un des pires spécimens d’enseignants que j’avais rencontrés. Convaincu de son importance, lui qui n’avait rien publié d’autre que de petits articles dans d’obscures revues universitaires et dont la Grande Ambition se limitait à un éventuel « Que sais-je ? » sur le classicisme – projet sur lequel il ne cessait de gloser. Persuadé aussi d’enseigner à l’élite mondiale qui devait néanmoins être traitée comme tout étudiant de classe préparatoire, voire comme tout élève de collège ou de lycée : avec un dédain affiché et, de temps à autre, une syllabe de reconnaissance ou d’encouragement, telles des miettes négligemment lancées à des pigeons. Il était célèbre pour ses reparties blessantes, ses saillies drolatiques qui crucifiaient ses victimes. Cela aurait été amusant s’il s’était adressé à des gens de son âge – la petite quarantaine. Cela ne l’était pas du tout, parce qu’il s’adressait à des encore adolescents souvent fragiles. Vomir la jeunesse pour son inculture n’est qu’une ultime preuve de la détestation de soi. » (page 49)