La littérature sous caféine


lundi 12 décembre 2011

Jourdain, quartier chaud



Suicide en direct, accident grave de scooter, mort sur le trottoir d’une sdf, incendie non loin de là des locaux de Charlie Hebdo, tout cela sur un lit copieux d’ordures et de papiers qui traînent… Le quartier de Jourdain (Paris 20), pourtant réputé pour son atmosphère de village bobo, réserve bien des surprises, et la dernière en date vaut son pesant de feux d’artifice : dans la nuit de vendredi à samedi (10 décembre 2011) derniers, la petite rue Constant Berthaut s’est entièrement embrasée. Dix voitures brûlées, deux magasins détruits, façades noircies, quatre blessés. Tout le week-end, c’est un spectacle de désolation qui s’est offert aux yeux des habitants.

Les langues se délient, on dit que des flics en civil rôdent pour attraper les rumeurs. Certains ironisent sur le fait que l’incident annoncerait de bien joyeuses festivités de Noël et du Nouvel An – l’année dernière, une vieille dame est morte carbonisée dans son appartement qu’un pétard avait atteint. J’entends une femme murmurer qu’ « il faut quitter Paris, pendant qu’il en est encore temps », pendant qu’une autre vitupère contre « cette époque de voyous, sans valeur ni courage ». Ambiance… Le même soir, j’avais fait boire quelques amis plumitifs dans mon appartement. Le petit groupe cacherait-il un dangereux pyromane ?

vendredi 9 décembre 2011

Les Alliés contre les Opposés

Lors d'oraux de bac blanc :

1) - On le voit dans la pièce Oedipe-Roi, de Soclope... - Soclope ? Tu ne confondrais pas avec Cyclope ? - Euh... Soclophe ?... Clophope ?... Phosocle ?...

2) - Tu m'as dit que la pièce avait été écrite en 1784... C'est juste. Peux-tu me dire ce qu'il s'est passé quelques années plus tard, en 1789 ? - 1789 ?... Euh... Non, je vois pas... - 1789 ! - Euh... Non, vraiment... 1789... Non, je vois pas...

3) - Tu m'as expliqué que le poème se passait en 1944 à Brest, sous les bombardements. Peux-tu me rappeler de quelle guerre il s'agissait ? - Je sais plus trop... - Ceux qui bombardaient étaient les Alliés. Te rappelles-tu contre qui luttaient les Alliés pendant la seconde Guerre Mondiale ? - Les Alliés ?... Euh... Contre les Opposés ?...

Dans la rue, le même jour :

4) Un petit groupe scolaire guidé par une institutrice. Deux garçons (sept-huit ans) s'amusent: "Ouah, je lui filais des coups de pied dans la gueule, il était là, il pleurait, il me disait "Me frappe pas! Me frappe pas!", et moi je continuais, je lui filais des coups dans la gueule, des coups de pied, tu vois, ça saignait de partout, trop marrant !" Les deux garçons, tout excités, rient très fort. A côté, l'institutrice fait semblant de ne rien entendre et parle bonbons avec une petite fille qu'elle tient par la main.

5) Un homme parle très fort au téléphone: "Cette affaire va très mal finir ! Quelqu'un va y laisser sa peau, c'est obligé !"

lundi 5 décembre 2011

Entretien sur Beur FM avec Philippe Robichon

Discussion sympathique à bâtons rompus avec Philippe Robichon sur Beur FM, le 1er septembre 2011, à propos d' Autoportrait du professeur en territoire difficile :


Aymeric Patricot sur Beur FM par monsieurping2

mardi 29 novembre 2011

La mort ordinaire dans les rues de Paris



Il y a quelques jours, moment de stupeur et d'émotion devant une chapelle ardente, à deux pas de l'église du métro Jourdain. Une Sdf qui squattait le même matelas depuis des années venait de nous quitter. Mimi, victime d'un arrêt cardiaque à 57 ans... Les gens l'avaient plutôt évitée, de son vivant. Constamment ivre, elle n'avait fait qu'apostropher les passants pour leur demander des cigarettes. Ses amies d'infortune étaient parfois plus agressives, mais non moins touchantes. Elle avait fait partie du décor. Nous l'avions croisée tous les jours et nous nous étions faits à sa présence. Quelques personnes ont éclaté en sanglots devant les bougies... Nous savions que l'histoire finirait de cette façon, et j'imagine que tout le monde ou presque a ressenti une grande impuissance, en même temps qu'une grande tristesse.

Hasard des calendriers, et au risque de paraître futile en bifurquant vers la littérature, je finissais le même jour un roman de Simenon, Maigret et le clochard, que j'avais décidé de lire depuis que j'avais appris qu'il était considéré par certains comme le mieux écrit de l'auteur. C'est un petit livre agréable, racontant une enquête à propos d'un clochard qu'on a tenté de noyer, près du pont Marie. Les atmosphères se mêlent, sur fond de désespoir ordinaire et de rivalités familiales. Ce n'est pas le style qui m'a plu, au demeurant fort simple, mais bien la justesse et la force des sentiments dont la peinture est tout juste esquissée. Cela m'a rappelé l'un des "romans américains" de Simenon, lu l'année dernière, tout imprégné de vapeurs alcoolisées - et je préfère, je crois, les drames familiaux de Simenon à ses romans de format policier.

A propos de style, j'ai remarqué une curieuse particularité chez Simenon : dans la plupart des phrases réclamant le passé simple, parce qu'elles décrivent des actions ponctuelles, Simenon préfère l'utilisation de l'imparfait. Après deux cents pages, je n'ai toujours pas compris l'intérêt de cette pratique - Simenon cherchait-il à créer comme une sorte de poésie de la suspension des actes brefs ?

Un joli paragraphe établissant sans doute un parallèle implicite entre le travail de l'enquêteur et celui du romancier:

"Maigret parlait rarement à sa femme d'une enquête en cours. Le plus souvent, d'ailleurs, il n'en discutait pas avec ses plus proches collaborateurs à qui il se contentait de donner des instructions. Cela tenait à sa façon de travailler, d'essayer de comprendre, de s'imprégner petit à petit de la vie de gens qu'il ne connaissait pas la veille." (page 107)

vendredi 25 novembre 2011

La littérature salvatrice

Sophie Adriansen signe une belle critique d'Autoportrait du professeur sur le site La cause littéraire :

"Aymeric Patricot enseigne la littérature dans des établissements situés dans ce que l’on nomme des quartiers sensibles – des Zones d’Education Prioritaires, selon l’appellation officielle. Il y découvre un monde à mille lieux de tout ce qu’il a connu lui-même en tant qu’élève, un monde, surtout, auquel rien ne l’avait préparé.

« Je crois pouvoir affirmer qu’il existe ainsi deux métiers : dans les collèges favorisés, le professeur transmet des connaissances, identifie les progrès à faire, exerce les élèves ; dans les défavorisés, le professeur contient la violence, lutte contre le bavardage, œuvre pour ce qu’on appelle la vie de classe, égrène les principes du « vivre ensemble » et s’estime heureux lorsqu’il fait apprendre, pendant l’année scolaire, quelques maigres notions comme le présent de l’indicatif ou les grandes lignes de l’Odyssée. Certains redoutent l’avènement d’un système à deux vitesses. Il me parait évident qu’il existe déjà » (page 28).

Après quelques années d’expérience, il tente un premier bilan, mettant en regard ses désillusions et les promesses qui ont jalonné sa formation, pointant aussi les inepties du système et la double peine dont sont victimes les enseignants malmenés par les élèves, et qui ne trouvent aucun soutien de la part des directeurs d’établissement.

Quand l’enseignement se limite à la discipline, quand la transmission est davantage celle de quelques valeurs fondamentales que du savoir, comment conserver foi en ce que d’aucuns considèrent comme une vocation (l’auteur lui-même, diplômé de HEC, a réorienté sa carrière par goût des lettres et envie de les partager) ? Comment ne pas se sentir trahi par l’institution ?

Dans cet Autoportrait bref et percutant, Aymeric Patricot ne cède pas à la facilité de la généralisation ni de la complainte. Il se base sur son seul parcours pour faire sa démonstration, amener ses réflexions plus globales sur la fracture sociale sensible dès l’école, et, malgré le constat amer, révèle ce qui le maintient la tête hors de l’eau du désespoir : la littérature et la possibilité de partager, par petites touches, des textes forts avec les élèves. Les œuvres de Molière, Baudelaire, Corneille, La Fontaine sont de ceux-là.

D’une plume aiguisée et maîtrisée, choisissant toujours le mot juste et percutant, Aymeric Patricot rend avec cet essai un hommage à la littérature salvatrice et se pose en ardent défenseur de la cause littéraire."

lundi 21 novembre 2011

David Wojnarowicz, l'auteur qui traumatise les jeunes femmes


Fire in My Belly de David Wojnarowicz, Diamanda... par altimsah

La découverte, il y a dix ans, du Chroniques des Quais de David Wojnarowicz, m’a profondément marqué. J’y ai vu l’une des limites que la littérature pouvait atteindre, la description d’un monde de violence infernale dont certains auteurs, d’époques et de sensibilités proches, comme Kathy Acker, Lydia Lunch, Hubert Selby Jr, ont donné d’autres aperçus. Cela m’a décomplexé pour écrire certains textes, et ces auteurs-là brillent désormais d’une lumière particulière dans mon panthéon, une lumière plus crue que d’autres, parfois plus simpliste, mais indéniablement plus intense.

Le 20 Octobre dernier, Laurence Viallet proposait à la librairie Le Monte en l’air une soirée de lectures et de projections (dont le film ci-dessus) autour de la sortie de deux nouvelles traductions de David Wojnarowicz, Spirale et Seven Miles a second. C’était très touchant de voir réunis des admirateurs de l’écrivain, mais aussi quelques personnes l’ayant connu et aimé, comme Marion Scemama, photographe. J’ai très envie d’écrire un jour un essai qui rendrait hommage à l’écriture de Wojnarowicz. En attendant, j’ai dévoré Spirale, trop court à mon goût, mais réservant de belles surprise comme ce cri du cœur, page 59, à propos des ravages de la maladie (on dirait du Guibert, en moins élaboré) :

"Parfois j'en viens à détester les gens parce qu'ils ne peuvent pas se mettre à ma place. Je suis devenu vide, complètement vide et tout ce qu'ils voient c'est une forme visuelle ; mes bras et mes jambes, mon visage, ma taille et mon attitude, les bruits émis par ma gorge. Mais putain que je suis vide. La personne que j'étais il y a seulement un an n'existe plus ; un tourbillon m'emporte lentement et je me laisse aller à la dérive dans les profondeurs lointaines de l'éther."

Dans le cadre d’un atelier d’écriture que j’ai animé cet automne sur le campus havrais de Sciences-Po, j’ai fait découvrir à mes élèves Wojnarowicz et quelques auteurs de la même trempe, et il semble que ces lectures aient fait leur effet. Une élève, après nous avoir livré une nouvelle de son cru particulièrement sombre, nous a dit en riant avoir été traumatisée par Wojnarowicz et Lydia Lunch. Elle n’avait écrit jusqu’à maintenant que des histoires de princesses. Ces lectures ont fait basculer son univers mental de visions de robes blanches à celles de cutters plein de sangs. Merci David !

lundi 14 novembre 2011

Le chapitre 4 du Système Victoria, d'Eric Reinhardt



Ce que je préfère dans le dernier roman d'Eric Reinhardt (Le Système Victoria, Stock, 2011), l'un des romans les plus célébrés en cette rentrée 2011 (et le vainqueur, pour l'anecodte, du fameux Prix Trop Virilo dont j'ai parlé ici-même), ce ne sont ni les digressions sur l'érotisme du capitalisme, ni les scènes érotiques elles-mêmes, ni les dialogues sur les différences entre la droite et la gauche, ni les rebondissements de l'intrigue économique (le narrateur est en charge d'un immense chantier parisien), mais le chapitre 4 en son entier, qui se détache singulièrement à mes yeux.

Il y est question de la déchéance de la petite amie du narrateur, Sylvie, lorsqu'ils sont encore jeunes. On la voit progressivement sombrer dans les délires et frôler la schizophrénie. Le narrateur est très touché par cette épouvantable souffrance, et le père, militaire aux principes rigides (comme il se doit), rejette la faute sur son beau-fils, qu'il trouve beaucoup trop féminin à son goût. Les quelques jours de coma de Sylvie, venant clore cet épisode de profonde dépression, scelleront le destin du narrateur.

La précision des descriptions, le souffle du chapitre, la tension dramatique m'ont fait penser à quelques classiques évoquant la chute dans la folie (je pense à Mademoiselle Else de Schnitzler), et par contraste l'histoire du narrateur avec sa future maîtresse, Victoria, perd un peu de sa saveur. C'est un véritable petit roman dans le roman, le genre de passage à pouvoir éclipser le reste de l'oeuvre - sans doute parce qu'il touche un point sensible. J'avais ressenti la même chose en lisant par exemple Le Bûcher des Vanités, de Tom Wolfe, avec le monologue d'un pasteur noir (si mes souvenirs sont bons), dans la première partie du roman, dont le caractère incandescent avait affadi la suite.

Un passage particulièrement juste, dans ce chapitre 4, sur le "déclassement de soi-même" :

"C'est en désacralisant la vie, c'est en se déclassant soi-même dans la représentation qu'on peut s'en faire (au lieu de sanctifier la réalité et d'en attendre des événements qui en seraient l'écho sacré), c'est en envisageant l'existence comme un lieu de hasards, d'efforts, d'accidents, de volonté, de transactions, de compromis, de trahisons ou de rapports de force - c'est alors qu'on peut décider de ne plus différer et de se mettre à vivre, de se jeter avec les autres dans la fosse aux lions et de s'y battre. C'est quelque chose que j'ai mis des années, des années, des années à comprendre." (Le Système Victoria, page 134)

Au passage, légère surprise en lisant, page 305, la phrase suivante :

"Je lui réponds que ce coma s'est solutionné un matin par le réveil de Sylvie."

J'avais peur que ce verbe affreux de "solutionner", qui a déjà contaminé le vocabulaire journalistique, contamine aussi celui de la littérature, et il semble que ce soit chose faite...

vendredi 11 novembre 2011

La dévotion dure trois ans (Vincent Edin, Chronique Culture)

Sur le blog Chronique Culture, un article de Vincent Edin :

"Le clin d'oeil à l'oeuvre de notre grand escroc littéraire est volontaire. Dans son premier livre, Houellbecq donc nous présentait un informaticien frustré qui ne pense qu'à des fantasmes étriqués et dont la vie pue le céleri rémoulade oublié dans le frigo depuis dix jours. Mais quand le sentiment de réel transpire à ce point des pages (pas du céleri rémoulade évidement), ça fait mouche. Or, Autoportrait du professeur en territoire difficile d'Aymeric Patricot embarque avant tout son lecteur par sa puissance réaliste extrême. Ce n'est pas le cas de toutes les autobiographies, car nombre d'écrivains sont mythomanes soit en se panthéonisant (Hemingway qui d'après lui est le plus grand amant, le plus grand soldat et le plus fin lecteur) soit en se détruisant avec une fausse haine de soi pénible (Nourrissier).

Or Patricot dans ce court récit de ces premières années de sa vie de prof trouve le ton juste, joue juste. Ni victime, ni héros. Ni déconnecté par une jeunesse dorée, ni préparé car issu de la cité, Aymeric avance dans la vie de jeune prof de ZEP sans préparation et cette absence de mise en garde rend la gifle d'autant plus violente. Dans le premier chapitre, il prend des gants sociologiques pour relativiser ce qui lui est arrivé. Il revient sur la violence de l'expérience. Comme pour tout professeur il parle du déclassement, du manque de compassion. Surtout, il évoque très justement le double médiatique du professeur qui complique tout. Dans les médias, on parle des profs de ZEP pour évoquer les agressions ce qui alourdit le climat quand lui raconte n'avoir jamais été agressé mais y avoir toujours pensé. On parle sinon des profs en termes de privilégiés ce qui, quand on connaît la réalité ne prête même plus à sourire...

La vraie violence tient à la ZEP elle même. Ces "5% d'établissements français qui ne sont plus dans la norme". Où on te demande un autre travail, avec d'autres conditions. Interdiction de virer les élèves car il n'y a pas de surveillants. Caractère équivoque des sanctions: les mômes s'en foutent, les parents s'en foutent, la hiérarchie ne veut pas savoir. Objectif: tenir votre classe... Après, on peut te tenir tous les discours du monde sur les Hussards de la République, on voit bien que cela confine à la mauvaise plaisanterie et que ceux qui parlent de ça sont hors sols.

Difficulté supplémentaire: la ségrégation ethnique: 95% de profs blancs pour 95% d'élèves non blancs. Patricot le dit très bien, l'incarnation du ghetto c'est le collège. C'est là véritablement ou se cristallise au plus fort les inégalités. Au lycée, on respire déjà mieux. Il enseigne aujourd'hui à la Courneuve dans un lycée et les classes sont beaucoup plus assidues (en filière générale, en technique c'est autre chose) car les plus violents sont partis. Les filles noires sont lycéennes, pas les garçons. Que vont-ils devenir ? Le livre ne le dit pas par lassitude de dire tout ce qui ne va pas mais on sent poindre les pages des faits divers du Parisien...

Pour ne pas accabler son lecteur, Patricot finit son récit sur une note positive: comment il s'en est sorti. D'abord, il a l'humilité de le reconnaître, en restant 3 ans. L'amour dure trois ans, la dévotion ordinaire aussi. Pour les autres, ceux qui prolongent leur engagement au-delà de la garantie décennale, l'auteur tire son chapeau et on le comprend. L'écriture, aussi, qui lui a permis de transcender son quotidien pendant. Après, il a pu se replonger dans la réalité et trouver cette parfaite distance de l'opus. L'écriture au quotidien, c'est aussi ce qui a poussé mon amie Titcheure a créer son blog, http://inglichetitcheur.canalblog.com/ qui est d'une drôlerie sans pareil. En créant un avatar blogesque d'elle même, elle a su se tourner en dérision et aimer ses élèves d'autant plus. Elle a changé la charge de la pierre qui pèse sur Sysiphe et en s'imaginant heureuse, elle a réussi. Patricot aussi, il est heureux de pouvoir transmettre via les mots, son quotidien qui est celui de tous les professeurs débutants. Ce n'est pas toujours rose, mais ça va mieux en le disant et encore mieux en l'écrivant. Reste à le faire lire."