La littérature sous caféine


dimanche 13 juin 2010

Un peu de noir à la Houellebecq, un peu de blanc à la Teilhard



1) En attendant la parution du nouveau roman de Houellebecq, chez Flammarion, en cette rentrée littéraire 2010 (je n’en connais pas encore le titre), j’ai plusieurs fois débattu sur les talents comique de Michel avec des amis. « On ne dira jamais assez que c’est un écrivain drôle. – Drôle ? Tu plaisantes ? Il est sordide ! – Ce qu’il écrit est sombre, voire cynique, mais ça me fait rire. C’est tellement appuyé que, mécaniquement, je suis hilare. – La preuve qu’il n’est pas drôle, c’est que son personnage de comique dans la Possibilité d’une Ile est incapable d’en sortir une bonne. Ses blagues sont affligeantes, et même tristes. Je n’arrive pas à savoir si Houellebecq s’est vraiment cru bon dans ces passages-là. – Ils m’ont bluffé, moi, les passages dont tu parles ! Je les ai trouvés parfaitement maîtrisés. – C’est impossible, tu dis n’importe quoi. Je te l’accorde, les interventions télévisées de Michel sont drôles… Mais c’est un comique involontaire, et je suis sûr que Houellebecq ne plaisante pas du tout. Il se prend très au sérieux. C’est un personnage sinistre, tout simplement. Sincèrement dépressif, et toujours au premier degré. – Je n’en suis pas sûr. Un noir si noir, un humour si grossièrement humoristique, il y entre forcément une part d’exagération… »

Ce qui me frappe de plus en plus, en outre, dans l’œuvre de Houellebecq, ce sont les passages qu’on pourrait affilier à la tradition des moralistes français du XVIIème. Comme La Bruyère ou La Rochefoucauld, Houellebecq dresse un impitoyable tableau des mœurs, souvent ridicules et cruels, de ses contemporains, et plus généralement du genre humain. Mais c’est avec un désespoir accentué, des jugements plus implacables qu’il reprend le flambeau des classiques. Un certain relâchement dans l’expression lui permet d’exprimer un mépris, un dégoût parfois surprenants.

« La seule chance de survie, lorsqu’on est sincèrement épris, consiste à le dissimuler à la femme qu’on aime, à feindre en toutes circonstances un léger détachement. Quelle tristesse, dans cette simple constatation ! Quelle accusation contre l’homme !... Il ne m’était cependant jamais venu à l’esprit de contester cette loi, ni d’envisager de m’y soustraire : l’amour rend faible, et le plus faible des deux est opprimé, torturé et finalement tué par l’autre, qui de son côté opprime, torture et tue sans penser à mal, sans même en éprouver de plaisir, avec une complètement indifférence ; voilà ce que les hommes, ordinairement, appellent l’amour. » (La possibilité d’une île, Fayard, page 188)

Ou encore, page 208 : « Le rêve de tous les hommes c’est de rencontrer des petites salopes innocentes, mais prêtes à toutes les dépravations – ce que sont, à peu près, toutes les adolescentes. Ensuite peu à peu les femmes s’assagissent, condamnant ainsi les hommes à rester éternellement jaloux de leur passé dépravé de petite salope. Refuser de faire quelque chose parce qu’on l’a déjà fait, parce qu’on a déjà vécu l’expérience, conduit rapidement à une destruction, pour soi-même comme pour les autres, de toute raison de vivre comme de tout futur possible, et vous plonge dans un ennui pesant qui finit par se transformer en une amertume atroce, accompagnée de haine et de rancœur à l’égard de ceux qui appartiennent encore à la vie. »

2) Ce cynisme, ce désespoir ne rendent que plus savoureuses les pages de littérature résolument optimistes, comme celles du petit livre de Pierre Teilhard de Chardin, Sur le bonheur / Sur l’amour (Points/Seuil), que je viens de terminer. Le philosophe jésuite (ou devrait-on dire « sage » ?) se propose entre autres d’y établir quelques principes sur le bonheur, possible si l’Homme entreprend d’accompagner le mouvement même du monde, qui est un long chemin vers « toujours plus de conscience pour toujours plus de complexité –, comme si la complication grandissante des organismes avait pour effet d’approfondir le centre de leur être. » (page 20)

« Pour être pleinement soi et vivant, l’Homme doit : 1. Se centrer sur soi ; 2. Se décentrer sur « l’autre » ; 3. Sur surcentrer sur un plus grand que soi. » (page 21) J’aime beaucoup cette idée de « surcentration », cette image d’un soi que l’on cale, en quelque sorte, sur le centre même du monde en évolution vers un état de plus grande clarté, de plus grande conscience de lui-même. Ce genre de typologie des centres d’intérêts de l’être humain peut paraître simpliste, et même assez naïve, mais elle me plaît et je vais garder en mémoire cette précieuse notion de « surcentration. » Elle a le mérite de préciser une intuition que j’avais depuis longtemps sur l’intérêt d’épouser le mouvement du monde pour être heureux (il y a de belles pages de Montaigne là-dessus). Décidément très utile pour la tonicité de l’esprit, une séance de spiritualité béate après le kärcher moral à la Houellebecq…

jeudi 10 juin 2010

Les proies de Ronsard



(Ci-dessus l'un des clips de l'excellent titre d' Uffie, en attendant la sortie dans huit jours de son album très attendu)

Lors des oraux du bac blanc 2010, à la Courneuve :

1) Au cours d'un commentaire sur le poème de Ronsard, "Mignonne, allons voir si la rose...", l'élève évoque la stratégie de Ronsard pour séduire la jeune femme: "Dans ce poème, Ronsard est prêt à tout pour annexer des proies..."

2) Un plan de commentaire en deux parties sur le monologue de Dom Juan dans lequel il fait l'éloge de l'inconstance en amour : I) Un séducteur passionné. II) Un séducteur vraiment très passionné...

3) Entretien à propos des Liaisons Dangereuses de Choderlos de Laclos: "Pourrais-tu me définir ce qu'est la littérature épistolaire... - La littérature quoi ? - Epistolaire... - Euh... Eh bien... C'est la littérature avec un pistolet ?"

samedi 5 juin 2010

L'intensité de l'activité littéraire (Stephen King, Ecriture)



De plus en plus, je compte, je note, j’archive, j’établis des statistiques sur ce que je fais, ce que je vis, ce que je consomme… Je n’avais jusqu’à maintenant jamais noté le titre des livres lus, mais je le fais depuis presque un an et cela me permet d’avoir une idée de mon rythme de lecture. Intérêt limité, me direz-vous, si ce n’est le plaisir assez gamin d’archiver et de calculer. Et puis d’avoir une idée sur l’intensité de ce qu’on pourrait appeler mon « activité littéraire ». Bien sûr, la qualité d’une écriture ne se mesure pas au nombre de lectures. Certains écrivains revendiquent d’ailleurs un très faible rythme – au nombre desquels James Ellroy, mais doit-on le croire ?

Cependant je me rappelle le conseil que donne Stephen King dans son livre Ecriture à tout apprenti écrivain, le conseil d’or, le tout premier conseil dans la série des conseils d’importance : « Beaucoup lire, beaucoup écrire. » Et pour illustrer son propos, le grand Stephen nous explique qu’il aime bouquiner le soir, notamment, à raison de soixante-dix livres en moyenne par an. Consultant mes cahiers, j’en arrive au même chiffre. Je lis en moyenne entre un et deux livres par semaine – faisant d’ailleurs l’effort depuis quelques mois de finir la plupart des romans, alors que j’avais jusqu’ici la fâcheuse tendance de lâcher le moindre livre peu convaincant au bout de cent pages.

Je constate d’ailleurs que cela coïncide avec ma consommation de films – 70 par an. En comparaison, ma consommation d’expositions reste beaucoup plus faible. Ainsi que ma consommation musicale – je découvre en détail une quinzaine d’albums par an. A la seule différence près qu’un disque nous accompagne de longs mois, voire des années, et que les heures cumulées d’écoute peuvent atteindre des sommets (en comparaison, combien de fois relit-on vraiment un roman ?)

Quant au rythme d’écriture de Stephen King, il peut paraître assez monstrueux : « J’aime bien rédiger dix pages par jour, ce qui équivaut à deux mille mots, soit cent quatre-vingt mille sur une période de trois mois. » (Ecriture, p181) A titre de comparaison, j’arrive depuis deux ans maintenant à m’astreindre à une cinquante de pages par mois (que ce soit en vacances ou pendant l’année scolaire), ce que j’appelle une page correspondant à 1500 signes espaces compris, ou 250 mots. Stephen tient un rythme cinq fois supérieur ! Et je pense être à mon maximum… Au-delà de la question du talent, il s’agit sans doute aussi d’une différence de nature entre nos productions respectives.

Il y a en tout cas de très beaux passages dans ce livre-méthode de S.King, et j’aime beaucoup l’idée développée dans le paragraphe suivant : « « Ecris ta propre histoire, Stevie, me dit-elle. Ces Combat Casey ne valent rien. Il est toujours en train de faire cracher ses dents à quelqu’un. Je parie que tu peux faire mieux. Inventes-en une toi-même. » (…) Je me souviens d’un fabuleux sentiment de possibilité à cette idée, comme si l’on venait de m’introduire dans un vaste bâtiment rempli de portes fermées en m’autorisant à ouvrir n’importe laquelle. Il y avait plus de portes à pousser qu’on ne pouvait en franchir au cours de toute une vie – voilà ce que je me dis, et voilà ce que je pense toujours. » (Ecriture, page 32)

Pour moi qui souffre parfois à grappiller péniblement quelques idées (malgré ma tendance à écrire des manuscrits dans tous les sens), et qui me fais l’impression de n’avoir qu’un nombre restreint de choses à exprimer dans toute ma vie, cette idée d’une infinité de portes ouvertes dans le monde de l’imaginaire a quelque chose d’exaltant et de profondément rassurant.

Très drôle aussi, l’évocation de sa brève expérience en tant que professeur : comment ne pas m’y reconnaître moi-même ? « Pour la première fois de ma vie, je trouvais dur d’écrire. Le problème, c’était l’enseignement. J’aimais bien mes collègues, j’aimais bien les gosses – même les plus remuants et les plus crétins de la classe n’étaient pas sans intérêt – mais la plupart du temps, quand arrivait le vendredi après-midi, j’avais l’impression d’avoir passé la semaine avec des câbles de démarrage branchés sur le crâne. S’il y eu un moment où j’ai désespéré de jamais devenir écrivain, c’est bien pendant cette période. Je me voyais déjà trente ans plus tard, portant toujours les mêmes vestes de tweed informes avec des empiècements aux coudes, la bedaine passant par-dessus la ceinture de mon falzar à force d’écluser les bières. » (p87)

mercredi 2 juin 2010

Tata Joe a encore frappé



1) Lors d'une sortie au Louvre, une élève de première : "Ouah, Monsieur, c'est trop pourri le centre de Paris : toutes les rues, elles sont vieilles !"

2) Un homme à cran dans un bistrot de Belleville, à qui l'on demande ce qu'il veut prendre : "Oh, un café ! Comme d'habitude ! Qu'est-ce que vous voulez que je prenne d'autre, hein ? (Rire sardonique) Du champagne ? AH AH AH ! Par les temps qui courent..."

3) Dans une ferme en Normandie, un mouton dont la tête déborde de frisettes passe la tête à travers la barrière. Une mère de famille la désigne à sa petite fille: "Regarde, on dirait tata Joe..."

samedi 29 mai 2010

La littérature du bonheur (Benoît Duteurtre et la poétique du charme)



Je passe un temps fou dans les cafés – d’une certaine manière, ils sont ma demeure, dispersée d’un bout à l’autre de Paris… Et j’ai remarqué combien chaque établissement menait une politique identifiable en termes de recrutement : les mois défilent, les serveurs se suivent et se ressemblent… La plupart des cafés proposent chaque fois le même modèle. Dans l’un, ce sont des types secs et vieillissants ; dans l’autre, de jolies filles de vingt-ans ; dans le troisième de belles trentenaires d’un mètre soixante, solidement charpentées. Je ne sais pas si les patrons sont conscients de leurs choix, je serais très curieux d’en parler avec eux.

Peut-être eux-mêmes établissent-ils des typologies de clients ? J’ai d’ailleurs repéré quelques clients obsessionnels des cafés du Marais, comme ce vieil américain, l’air un peu triste, perdu dans une grande gabardine de feutre beige, dévorant la presse avec inquiétude et nostalgie. Je pense qu’il m’a repéré, de son côté…

Toujours est-il que cette vie dans les cafés, menée depuis quatre ans maintenant, a sans doute influencé mon goût récent pour ce que j’appelle « la littérature du bonheur », tous ces livres à l’écriture paisible et contemplative, faisant le bilan d’une existence ou le portrait d’une famille, d’une ville, d’une époque, à distance raisonnable, et privilégiant la sage observation, la dissection des choses et des sentiments, le mot juste posé sur les sensations, les couleurs et les notes.

Il y a Colette, bien sûr, la merveilleuse Colette dont j’aimerais connaître par cœur certains des livres ; Proust dont les descriptions de paysages, de fleurs ou de tableaux restent sans équivalent ; et mille petits livres moins ambitieux mais parfois tout aussi touchants, parmi lesquels l'avant-dernier livre de Benoît Duteurtre, Les pieds dans l’eau, retraçant l’histoire de sa famille depuis l’accession d’un de ses membres, René Cotty, à la présidence de la République française. Atmosphère douce et nostalgique dans ces pages où l’auteur évoque son enfance normande, entre les usines havraises et les falaises d’Etretat, et tous ces étés qu’il a passés, et qu’il passe encore, sur les galets près de l’aiguille creuse.

J’ai d’autant plus été sensible à ce livre que j’ai moi-même grandi au Havre, connu Etretat, et que j’ai toujours autant de plaisir à retrouver les plages sévères et charmantes de Normandie. J’ai beaucoup aimé la prose complice et tendre de Duteurtre, sa chronique familiale ironique mais sans méchanceté. Et j’ai souri lorsque j’ai noté la fréquence du mot « charme » sous sa plume, un mot que je finissais par guetter et souligner (il y en a beaucoup, des auteurs qui reviennent sans avoir l’air de s’en rendre compte vers des expressions fétiches, comme Houellebecq qui ne peut s’empêcher d’écrire le mot « pénible » toutes les dix pages environ – ce qui me fait toujours rire).

« Devenu parisien, je compris soudain, pleinement, l’attrait des fraîcheurs normandes. Quand j’habitais au Havre, où le vent soufflait trop fort, je rêvais de contrées ensoleillées. J’avais passé quelques séjours étouffants à Aix-en-Provence, errant dans les rues brûlantes en me persuadant d’y prendre du plaisir… Depuis mon installation dans la capitale, je m’avisais que cette côté du pays de Caux, qui s’étend du Havre à Dieppe, était pour moi le plus aimable des rivages. J’aimais de plus en plus ses falaises tombant à pic, son eau grise ou turquoise au gré du ciel changeant, ses plages en pente raide, si bien adaptées aux plaisirs de la nage. A peine éloigné de cette région, il m’apparut même que j’adorais ces grands bains salés qui, enfant, me paraissaient détestables. » (Les pieds dans l’eau, Folio 2010, page 142)

lundi 24 mai 2010

Aujourd'hui, Don Juan serait tortionnaire



1) Lors d'un oral blanc pour le bac, dans mon lycée de La Courneuve (93), j'interroge un élève sur la pièce de Molière :
- Effectivement, Don Juan trompe Elvire. Mais il ne se contente pas de la tromper... Que fait-il, après l'avoir sortie du couvent ?
- Il fait plus que la tromper ?... Euh... Il la torture ?

2) Un élève de seconde me demande, en fin de cours: "Monsieur, est-ce que vous avez peur de vieillir ?..."

3) Dans un bar de la Courneuve, alors que j'attends la reprise des cours. Un type usé, aviné, ressemblant vaguement à William Burroughs avec son visage long, rêche, mangé par de grandes lunettes, finissant sa bière devant le clip de David Guetta (ci-dessus), et très sincèrement affligé : "Bon Dieu, ils ont pas honte de passer des trucs pareils..."

jeudi 20 mai 2010

Entrons dans le vide, et jouissons ! (Gaspar Noé / Lin Yutang)



Conversation brève à la sortie de la projection du film de Gaspar Noé, Enter the Void (littéralement, « Entrez dans le vide ») ; je demande à un trentenaire à l’air particulièrement sonné ce qu’il a pensé du film.

« Le connard ! Le connard ! – Comment ça ? – Pour qui il se prend putain ? La grosse tête ! Enflée comme c’est pas possible ! Jamais vu un réal’ aussi prétentieux ! – Le film était bon, non ? – Le connard ! Putain le connard ! – Un peu long sur la fin, mais la première heure et demie est brillante… – Je sais pas, je sais pas ! Putain la prétention ! »

Quoi qu’il en dise, l’expérience est saisissante – deux heures trente de caméra subjective dans le monde de la dope japonaise et des traumatismes en tous genres. Le scénario tourne autour de la mort d’un junky abattu par la police : son esprit se met à voguer, sur la ville et dans le passé, traversant les corps et les esprits, pour un long voyage qui s’apparente à une rédemption. La tension dramatique, contrairement à ce qu’en disaient certaines critiques annonçant un vaste clip sous amphétamines, ne faiblit jamais – sauf peut-être dans la dernière demi-heure.

Le titre me plaît beaucoup, par ailleurs, et, troublé par cette notion de « vide dans lequel on entre », j’ai ressenti les jours qui ont suivi le besoin d’une petite dose de spiritualité orientale (terme affreusement imprécis, j’en conviens). J’ai alors acheté un livre que j’avais repéré depuis longtemps, et dont le titre me plaisait également beaucoup : L'importance de vivre, du poète chinois Lin Yutang . Celui-ci se définit lui-même comme un auteur imprégné de cultures chinoise (confucianiste plutôt que bouddhiste) et occidentale, et se propose ici de réfléchir à la figure du « vagabond », jouissant de la vie par l’oisiveté et le détachement.

Plongeant dans ses pages éthérées, un brin naïves mais si revigorantes, paradoxalement, par leur sagesse apaisée, je réalise à quel point j’aspire à ces philosophies de la douceur et de la réconciliation. Je me souviens des pages magnifiques (bien que maniérées) du jeune Malraux dans son petit livre La tentation de l’Occident : il y faisait dialoguer un Chinois voyageant en Europe et un Français voyageant en Chine. J’ai toujours beaucoup aimé ce livre mais je ne le comprends vraiment qu’aujourd’hui, et j’en partage le point de vue. Comme le Ling auquel Malraux donne la parole, je suis aujourd’hui de plus en plus frappé par la culture du dépassement de soi et de la douleur qui est celle de notre Occident, et j’aspire parfois à m’en détacher.

« Quelle impression de douleur monte de vos spectacles, de tous les pauvres êtres que je vois dans vos rues ! Votre activité m’étonne moins que ces faces de peine auxquelles je ne puis échapper. La peine semble lutter, seule à seule, avec chacun de vous ; que de souffrances particulières ! (…)

« J’ai parcouru les salles de vos musées ; votre génie m’y a rempli d’angoisse. Vos dieux même, et leur grandeur tachée, comme leur image, de larmes et de sang, une puissance sauvage les anime. Les rares visages apaisés que je voudrais aimer, un destin tragique pèse sur leurs paupières baissées : ce qui vous les a fait choisir, c’est de les savoir les élues de la mort
. » (La tentation de l’Occident, Livre de Poche, page 25)

En lisant Yutang, j’ai la sensation d’entrevoir ce que pourrait être une sorte de confucianisme applicable au 20ème siècle, et j’en goûte chaque page, comme cet éloge de l’humour après le drame :

« En tant que Chinois, je ne pense pas qu’une civilisation mérite ce nom tant qu’elle n’a pas passé de la sophistique à la non-sophistique, et fait un retour conscient à la simplicité de pensée et de vie ; je n’appelle pas sage un homme qui n’a pas progressé de la sagesse de la science à celle de la folie, qui n’est pas devenu un philosophe souriant, éprouvant d’abord la tragédie de la vie, ensuite sa comédie. Car nous devons pleurer avant de pouvoir rire. De la tristesse sourd la conscience, et de celle-ci le rire du philosophe, avec la bonté et la tolérance pour tous deux. » (L’importance de vivre, Picquier Poche, page 40)

vendredi 14 mai 2010

"C'est original, tout de même..."



1) Un couple de soixante-quinze ans, dans un bar havrais projetant l'impeccable clip de Rihanna, Rude Boy (ci-dessus). La femme, sévère, refuse d'y prêter le moindre regard. L'homme, manifestement émoustillé par la chute de rein de la (très) jeune chanteuse R&B, ne peut s'empêcher de sourire: "C'est original, tout de même..."

2) Dans un bar de Belleville, un gamin de cinq ans déambulant dans les travées, hilare, hurlant pendant dix minutes: "Le caca c'est pas drôle ! Le caca c'est pas drôle !..."

3) Une élève de mon lycée de la Courneuve, à mon retour des vacances de février : "Monsieur, vous avez grossi... - Tu crois ? Je n'ai pas l'impression. - Si si..." d'une voix douce et rieuse.