La littérature sous caféine


mercredi 27 novembre 2019

Les violences faites aux femmes : fin de l'histoire

Entre 2006 et 2013 j’ai écrit trois romans sur les violences faites aux femmes (notamment « Suicide Girls » chez Léo Scheer) en partie parce que j’étais très étonné par le silence qui se faisait autour de ce sujet. Je ne comprenais pas que les femmes ne se révoltent pas contre certaines figures médiatiques connues pour leur brutalité sexuelle, mais aussi que la plupart des gens engagés à gauche ne cherchent pas à s’emparer du thème. A ce sujet, je me souviendrai longtemps de ce libraire du 20ème arrondissement de Paris, à côté de chez moi, qui a refusé d’organiser une table ronde autour de viol « parce que c’était trop glauque. »

Aujourd’hui, le mouvement contre les violences faites aux femmes est mondial, et je pense que c’est une bonne chose – même si je suis horripilé par de certaines figures féministes, que je trouve parfois idéologues. En tout cas je suis surpris que les choses changent aussi vite en la matière, bouleversant au passage le champ littéraire. Et je pense maintenant ne plus écrire sur le sujet, à la fois parce que mes trois romans n’ont pas eu d’écho, et parce que nous entrons sans doute dans un âge où le thème se banalise, où les livres à ce propos se multiplient, et où les éditeurs et les lecteurs attendent davantage des paroles de femmes que des regards d’hommes.

mardi 19 novembre 2019

Les personnages punching ball

Il y a une certaine jouissance à mettre en scène des personnages endurant toutes sortes d’avanies. Connaissant le pire, ils nous rassurent forcément sur notre propre condition. C’est par ce biais que les littératures très noires ont souvent un effet revigorant – à condition bien sûr que les épreuves et les humiliations subies par le personnage ne s’étirent pas en longueur, la catharsis devenant un véritable exercice de sadisme, comme Aragon nous en donne l’exemple à la fin des « Voyages de l’Impériale » avec ce personnage qui agonise indéfiniment.

Olivier Adam propose dans son dernier roman, « Une partie de Badminton » (Flammarion, 2019), qui se lit d’une traite, ce type assez particulier de plaisir : il fait traverser à son avatar romanesque un nombre important de déconvenues – des problèmes de santé, de carrière et de couple. Au fond, le lecteur a du plaisir à le voir chuter, et le narrateur lui-même s’en amuse puisqu’il fait un clin d’œil à Frédéric Beigbeder qui a précisément surnommé Olivier Adam Ouin-Ouin, pour sous-entendre qu’il aimait bien mettre en scène la plainte.

Seulement, et c’est ce qui peut rendre le narrateur horripilant, ce n’est pas qu’il se plaigne, après tout chacun en a le droit dans ce genre de circonstance, mais qu’il se présente par ailleurs comme un modèle de vertu : il est gentil, honnête, travailleur, du bon côté de la barrière politique (les gens de droite sont désignés comme des connards, les gens d’extrême-droite comme des salopards à éliminer) ; il va même jusqu’à comprendre que sa femme pusse le tromper, et avec une femme qui plus est. En d’autres termes, il est un modèle d’homme nouveau, celui du 21ème siècle, refusant toutes les médiocrités de l’homme viril du 20ème siècle. Le vrai sujet du roman n’est donc pas la crise de la quarantaine ni la dureté de la vie en général, mais bien la cruauté de la vie qui s’abat même sur les gens cochant toutes les cases de la bonne moralité ! Le narrateur n’est pas seulement Ouin-Ouin, il est bel et bien Oui-Oui, très satisfait de lui-même et persuadé d’acquiescer à toutes les valeurs commandée par l’époque.

En fin de compte, le personnage n’est ici qu’un punching ball à moitié : le romancier lui donne quelques gifles mais tient à le recoiffer juste après.