La littérature sous caféine


mercredi 31 octobre 2007

Spéciale Mamies avec leurs chiens



Vacances obligent, pause dans les perles de cours.

Je vous propose une Spéciale Mamies avec leurs chiens:

1) Dialogue entre deux petites vieilles qui se rencontrent à une terrasse et comparent leurs chiens :
- Vous en êtes contente, de votre chien ?
- Oh oui alors ! Moi vous savez, je n'aime pas trop les chats.
- Ah bon ?
- Oh non ! Qu'est-ce que vous voulez faire avec un chat ? Le chien, c'est bien, avec un chien vous pouvez faire connaissance avec d'autres gens, mais un chat, franchement, vous avez déjà fait connaissance avec quelqu'un grâce à un chat ?

2) Une personne qui présente son caniche:
"Ah, celui-ci, il nous en a fait du bonheur !"

3) Une personne qui ferme la porte de sa chambre, le caniche grattant contre la paroi comme un fou :
"Si je ferme la porte, vous savez, c'est qu'il entend le bruit des voitures et ça le rend fou, complètement fou. Ca l'excite, les voitures ! Si vous saviez ! Dans la rue, il perd complètement la tête ! Il pisse partout, il chie partout, il saute sur tout ce qui bouge ! Ah ça oui, les voitures, ça l'excite !"

Cette histoire d'excitation mécanique m'a fait penser au chef-d'oeuvre de JG Ballard, Crash, qui met en scène des individus fantasmant des accidents de voiture et que ça fait jouir.

J'ai considéré ce caniche d'un oeil nouveau.

mardi 30 octobre 2007

Piégé dans sa tête / Piégé dans son corps (Claire Fercak / Fabrice Pataut)



Rentrée Littéraire 2007 (10)

Dans Le Rideau de Verre de Claire Fercak (Un premier roman chez Verticales, août 2007), la narratrice souffre d’une maladie neurologique qui l’enferme dans une perception particulière des choses, douloureusement sensible et régulièrement bouleversée par les sursauts de la pathologie. En butte à l’incompréhension de certains proches, notamment de son père, le langage de la jeune femme se morcelle, s’éparpille, se fait tour à tour précis et poétique. La grammaire en est chamboulée, comme lorsque s’incrustent dans la phrase d’autres fractions de phrases en italique. La douleur est palpable et poignante.

« Dans l’existence du père, certes, des formations lacunaires, des repères ratés et des motifs vengeurs. Des fondements douloureux à expier. Des circonstances atténuantes pour favoriser le pardon, justifier un comportement indigne, je ne l’ai pas mieux compris. Mon esprit verrouillé refuse de s’y faire, l’assimiler. Tombant sur ma poitrine, ses larmes ma bienveillance tarie ne feraient pas fondre la glace. Je peine à comprendre car je n’accepte pas. » (p83)

Le narrateur du roman de Fabrice Pataut (auteur de trois précédents livres, dont deux romans, chez Buchet/Chastel), dans En haut des marches (Seuil, mars 2007) parle de manière plus paisible. C’est qu’il a changé de peau : Antoine s’appelle maintenant Dorine, et revient trente ans plus tard sur les lieux des événements qui auront décidé de tout. Atmosphère feutrée, douceur des phrases, sentiments et sensations par petites touches sensibles, il n’y a sans doute pas moins de douleur exprimée que dans Le Rideau de Verre. Mais le choix narratif est inverse, sans doute parce que la voix prend la parole après la libération, et ne se sent plus piégée nulle part.

Les dernières pages, avec leur impressionnante sérénité, leur manière de s’attacher à des détails apparemment anodins, me font d’ailleurs penser à l’ouverture d’Azima… Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur le plaisir, pour un auteur homme, à choisir un personnage de femme pour y investir toute la douceur dont il est capable.

« 17 août. Anniversaire de Stéphane. C’est une magnifique diversion, une manière festive de tout passer sous silence. Ma mère adore cette fête obligatoire placée au milieu des grandes vacances, sans amis, en petit comité. Stéphane est tout à elle, comme à l’insu du monde. On invite simplement le gosse du coin qu’il retrouve parfois à la plage ou au marché, un morveux qui fouine partout et se tient à table comme un cochon. » (p75)

jeudi 25 octobre 2007

Sale bonhomme de neige !



1) Une élève vient me voir en fin de cours :
"Dites Monsieur, vous croyez que c'est méchant quand on traite quelqu'un de bonhomme de neige ? Parce qu'on vient de me traiter de bonhomme de neige, et je sais pas comment le prendre..."

2) Lu dans une copie :
"Cette personne était quelqu'un de plutôt impulsivé."

3) Lu dans une autre cope :
"Elle se maquilla violemment."

4) Une prof de retour en salle des profs après un cours particulièrement houleux:
"Comment résoudre le problème de cette classe, à part les tuer un par un ?"
(Sur le ton de la blague, cependant...)

mercredi 24 octobre 2007

A l'intérieur des choses, à l'intérieur du système, à l'intérieur des religions (Sollers et le catholicisme)



Pendant ma longue année de préparation aux concours d’école de commerce, à Sainte-Geneviève, j’avais profité de la présence d’aumôniers dans l’établissement, et des entretiens qu’ils proposaient, pour poser une question qui me taraudait : quel était le sens, bien mystérieux à mes yeux, de l’Eucharistie, c’est-à-dire du fait que Dieu s’incarnait dans une nourriture que les fidèles mangeaient ?

Quelle déception lorsque j’avais compris que l’aumônier n’avait rien à me répondre là-dessus. Comprenait-il le sens de ma question ? S’était-il lui-même demandé ce genre de choses ? Pratiquait-il donc une religion qu’il ne comprenait pas ?

Cela m’a définitivement convaincu (s’il était encore nécessaire) que je n’avais pas grand chose à attendre de la pratique d’une religion, et que le seul aspect qui m’intéressait, décidément, dans cette prépa HEC, était l’approche intellectuelle des choses… Cela aurait dû me mettre la puce à l’oreille, et j’aurais dû prendre mes jambes à mon cou. Ce n’est que trois ans plus tard que j’aurais le courage de lâcher des études commerciales, du moins de les lâcher dans ma tête (je finirais HEC et je poursuivrais même un an mes études dans ce domaine…) pour m’avouer que les livres, seuls, me bottaient.

La semaine dernière, je suis tombé sur une page de Sollers, extraite de sa Divine Comédie (Folio, 2002), qui m’a replongé dans cette étrange période d’école préparatoire catholique, si éloignée de ce à quoi j’aspirais sans le savoir :

« C’est le problème de ceux-là mêmes qui sont à l’intérieur du christianisme ! Ils ne savent pas de quoi il s’agit. Ce qui est ennuyeux, c’est qu’ils croient le savoir. De même que ceux qui y sont hostiles. Il suffit de vérifier sur trois ou quatre choses énormes, énormissimes, pour voir qu’ils n’en ont pas la moindre idée. Il existe des églises, des basiliques, des cathédrales, on y donne des messes, mais de quoi s’agit-il ? A la question : qu’est-ce que l’Immaculée Conception ?, aucune réponse… C’est très long, car il n’y a là rien de familier. Cela nous est de plus en plus étranger. » (p86)

mardi 23 octobre 2007

Coït non existantus



1) Lisant à voix haute une page de L'Etranger, de Camus, je vois arriver, à quelques lignes, le mot "coït"... Je réfléchis, tout en lisant, à la manière la plus discrète possible de prononcer le mot, de manière à ce que le moins de monde possible l'entende - a fortiori ceux qui se contentent d'écouter, les yeux détachés du livre.

Le mot arrive, et je marmonne quelque chose qui ressemble davantage à "cooot..." ou à "coï..." qu'à coït.

Miracle, personne ne pouffe, personne ne rit... Dormiraient-ils tous ?

Soulagement : la plupart ne connaissaient pas le mot.

2) En plein cours :
"Dites, Monsieur, vous avez des bonbons ?"

3) - Sylvain (je change les prénoms...), pour la quatrième fois je te demande de noter ce que je dicte... Il n'y a quelques mots !
- Pfff, Monsieur... C'est pas de ma faute, j'ai la flemme !

lundi 22 octobre 2007

Mascarade du Bac ? (Jean-Robert Pitte: Stop à l'arnaque du Bac)



Interview dans VSD de Jean-Robert Pitte, à propos de son livre Stop à l’arnaque du bac, chez Oh ! éditions. L’auteur, président de la Sorbonne depuis 2003, et présenté comme « issu d’une famille modeste », n’y va pas de main morte :

« Ce sont les universités qui paient les pots cassés de cette mascarade. Et je ne trouve pas d’autre mot pour qualifier le baccalauréat depuis les années 90. (…) La plupart des bacheliers s’inscrivent dans les universités littéraires ou juridiques croyant que ce sera facile et ils échouent dans des proportions dramatiques : 72% de taux d’échec en première année ici, à la Sorbonne. Nos amphithéâtres sont emplis de toujours plus de bacheliers incapables de s’adapter au travail intellectuel qui est exigé. »

« On veut assurer la réussite d’un maximum de candidats, alors on donne le baccalauréat comme une sorte de consolation à des jeunes. Le pire, c’est qu’on n’ose pas leur dire qu’ils n’ont pas leur place dans l’enseignement supérieur. »

« Le mécanisme qui permet par magie d’offrir le bac à des élèves qui ne le méritent pas a été clairement démontré : des correcteurs reconnaissent avoir mis des 15 sur 20 selon des barèmes avantageux à des élèves qui n’avaient pas plus de 8,5 de moyenne sur leur livret. »

En général, je tempère ce genre de propos alarmistes (parfois tenu en salle des profs, l’essentiel des collègues ayant quelque expérience constatant une baisse assez spectaculaire du niveau moyen des élèves depuis 20 ans) en considérant qu’il y a eu « massification » de l’enseignement en lycée, comme on a l’habitude de dire, et qu’une part beaucoup plus importante d’élèves accédant au bac, il est naturel que le niveau général baisse quelque peu.

Il m’arrive même de penser que le niveau général des adolescents est plus élevé aujourd’hui qu’il y a trente ans, puisqu’à cette époque un grand nombre d’entre eux n’entraient même pas au lycée.

J’avoue que je n’arrive pas à me faire une idée. Deux anecdotes cependant :

Un inspecteur s’adressant à des professeurs du 93 qui s’apprêtaient à corriger le brevet des collèges, cette année : « Le brevet est un brevet social. Il faut que tout le monde l’ait. »

Un prof, en réunion préparatoire pour la correction du bac de Français, dans un lycée technique de Paris, en juin dernier : « Notez bas, notez bas ! De toutes façons si les élèves ont 8 en Français ils auront tous 19 en sport, alors vous imaginez qu’ils s’en foutent bien… »

vendredi 19 octobre 2007

L'annuaire mondial du futur (Philip K. Dick, Ubik)



Adolescent, j’ai dévoré ce roman, Ubik, de Philip K. Dick, sans rien y comprendre, mais le hissant à la première place de mon panthéon des meilleurs bouquins de Science-Fiction. A l'âge de vingt ans j’ai remis le couvert, décrochant assez vite et plus guère intéressé par ces histoires de voyages dans le temps, de contraction de l’espace et de paradoxes narratifs.

Et puis je l’ai relu la semaine dernière et ça a été le choc. La puissance de ce romancier déglingué, inspirateur d’un nombre incroyable de films hollywoodiens (de Blade Runner à Minority Report en passant par Total Recall), m’a frappé pour longtemps. J’ai ressenti un plaisir sidérant – celui d’un gamin surintelligent shooté aux amphét’. Le roman est trépidant, parfaitement construit (comment cela se fait-il qu’il n’ait pas été adapté encore au cinéma ?), et d’une imagination absolument folle (les vivants communiquent avec les morts, les temps se télescopent, les emboîtements du scénario deviennent vertigineux).

Les jours suivants, je bouillonnais d’idées pour des romans de genre (thriller horrifique et compagnie), mais il y a des maîtres en la matière qu’il est intimidant d’affronter.

Seul bémol, qui fait le charme du livre : publié en 69, les aperçus sur le monde du futur sont souvent risibles.

Exemple :
« - Qu’on me passe l’annuaire mondial, dit-il. Je vais prévenir le moratorium pour qu’on nous attende.
Il regarda sa montre. Encore dix minutes de vol.
- Voilà, Mr Chip, dit Jon Ild après avoir fait des recherches.
Il tendit à Joe la grande boîte carrée avec son clavier et son microsondeur.
Joe tapa sur le clavier SUI, puis ZUR, et enfin MOR FRE BNAIM.
- C’est comme de l’hébreu, dit Pat derrière lui. Les condensations sémantiques.
Le microsondeur se déplaça d’avant en arrière, en procédant à des sélections et à des éliminations ; puis le mécanisme finit par éjecter une carte perforée que Joe glissa dans la fente réceptrice de l’audiophone
. » (p106)

Vous imaginez, un annuaire mondial à l’heure de la colonisation de la lune ! Et des fax ! K. Dick était loin d’avoir imaginé ce que pourrait être internet.

(Serait-il cependant à l’origine de l’idée de matrice telle qu’elle sera développée dans Matrix ? L’écrivain William Gibson passe pour son inventeur, et pourtant l’idée de matrice et de vrai monde parallèle est reprise plusieurs fois dans Ubik…)

jeudi 18 octobre 2007

C'est bon, la méchanceté ! (Giesbert, Chirac, Royal et les autres)



Quel bonheur de se vider la tête en dévorant un livre politique bien méchant. Le livre de Franz-Olivier Giesbert, La Tragédie du Président (Flammarion, 2006), remplit cette fonction. Le style n’en est pas très élaboré, mais les piques fusent de toutes parts, et ce feux croisé des vannes entre hommes politiques est un régal. L’auteur n’a même plus à esquinter les hommes dont il fait le portrait, il laisse parler les autres (quoi qu’il descende allègrement Villepin, Balladur, Blondel et quelques autres) (épargnant au passage Sarkozy)…

Florilège :

Sarkozy, sur Chirac, à Jean-Luc Lagardère : « On croit que Jacques Chirac est très con et très gentil. En fait, il est très intelligent et très méchant. » (p156)

Balladur sur Villepin : « Ce pauvre garçon, ce n’est vraiment pas une lumière. Un excité qui fait son faraud et ne se mouche pas du coude. Avec ça, pas un grain de bon sens. Quand je pense que Chirac en est réduit à utiliser des gens comme ça, franchement, j’ai de la peine pour lui. » ( p200)

Mitterrand sur Le Pen : « C’est la droite à visage découvert. L’autre avance masquée, comprenez-vous. Bien entendu, il s’appuie sur des forces maléfiques et flatte les sentiments xénophobes mais il n’est pas nazi ni fasciste pour deux sous. Je l’ai bien connu sous la IVè République. C’était un parlementaire très doué, président de groupe à 27 ans, toujours assoiffé de reconnaissance. Observez comme il est ému quand on lui serre la main. Un homme comme ça, on le calme avec un maroquin. » (p302)

Chirac sur Sarkozy : « « Nicolas est fou, complètement fou. » Le ministre de l’Intérieur n’est pas en reste, qui décrit le chef de l’Etat, selon les jours, comme un « trouillard », un « fourbe » ou un « vieillard carbonisé » ». (p323)

(Je profite d'ailleurs de ce billet pour lancer un appel : depuis quelques temps je suis intrigué par une phrase de Chirac, qui aurait un jour lancé : "Ils ne vont quand même pas nous faire le coup de Plic et Ploc !" Quelqu'un comprendrait-il l'allusion ?)

En comparaison, le livre de Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin sur Ségolène Royal, La Femme Fatale (Albin Michel, 2007), pourtant présenté comme un brûlot, est plutôt pauvre en méchancetés.

Extraits :

« Nicolas Sarkozy, qui la regarde se débattre dans l’adversité, juge dans une formule d’un machisme exquis : « Elle n’est pas outillée. » » (p142)

« DSK ne cache pas son mépris à ses proches : « Elle est nulle ! Elle n’imprime pas. Mitterrand ne connaissait rien en la matière mais, au moins, il faisait illusion sur le reste. » » (p177)

mercredi 17 octobre 2007

Plastique orgasmique



1)- Monsieur, pour le mot "maître", y'a le chapeau chinois ?
- Je suppose que tu veux parler d'accent circonflexe ?

2) - Monsieur, ça vous saoule pas trop d'etre prof de français ?
- Comment ça ?
- Bah je sais pas, moi, prof de français, quoi, les textes, toujours les mêmes trucs...

3) Lu dans une copie, dans le cadre d'un exercice dans lequel il fallait utiliser le mot "plastique" dans une phrase :
"Cette femme avait une plastique orgasmique"...

lundi 15 octobre 2007

Cancre et premier de la classe, même combat (Daniel Pennac et son Chagrin d'Ecole)



Rentrée Littéraire 2007 (9)

Dans son dernier livre, Chagrin d’école (Gallimard, Renaudot 2007), Daniel Pennac revient sur ses années de cancre, les souffrances qu’il y a ressenties, et le rôle qu’elles ont tenu dans son choix, plus tard, de devenir professeur. « En ce qui me concerne, statistiquement, j’étais programmé pour être un élève sans problème. Famille bourgeoise cultivée, aimante, parents unis, frères réussissant leurs études… Et moi ? Un cancre étalon ! Pourquoi ? Mystère… », explique-t-il dans une interview à Elle.

« Le cancre que j’étais m’a toujours dit : « Tu es devenu prof grâce à moi ! » Et il a raison, ce salopard. Grâce à lui, je connais la douleur de ne pas comprendre et j’ai pu agir sur ses effets. »

Difficile de savoir ce qui nous pousse exactement à devenir prof… Je ne me sens pas moins attentif que Pennac à la douleur de ne pas comprendre, chez l’élève, et pourtant je n’ai jamais été cancre – j’ai même toujours trusté les premières places, du moins jusqu’au bac (cela dit sans me vanter : je n’en suis pas fier aujourd’hui, car cela ne m’a pas rendu particulièrement heureux. Cela ne m'a pas aidé non plus pour me choisir une vie les années suivantes. Mes bons résultats m’ont empêché, dans une certaine mesure, d’y voir clair dans ce qui me plaisait vraiment).

Alors, quid de l’envie d’être prof ? Si je mets de côté ces vacances qui me permettent de donner un coup de bourre aux manuscrits, il y a sûrement le plaisir brut de la connaissance partagée, c’est-à-dire la de connaissance créant de la chaleur et du lien. Si Pennac a guéri ses blessures de cancre en devenant professeur, je guéris peut-être une certaine pratique solitaire de la connaissance, une pratique douloureuse, celle du bon élève qui trime en silence parce qu’il n’a pas le choix.

(Cela dit, plus je disserte là-dessus, moins les raisons que j’avance ne me paraissent bien crédibles… )

jeudi 11 octobre 2007

Du fric et des cravates



1) Dans un bistrot à Odéon, une mère et sa fille, friquées, parlent de leurs mariages respectifs.
La mère: Il doit te respecter ! Dis lui que tu es un être humain !
La fille: De toutes manières, la prochaine fois il faudra que je me trouve un mari riche, mais un mari intelligent !

2) Dans mon lycée de Montreuil il y a des élèves que leur formation oblige à venir en costume cravate.
Le fait de les voir, tout endimanchés, attendre leur cours devant les grilles me rappelle ma première année de prof, pendant laquelle j'ai cru bon, une ou deux fois, de venir en costard. Chaque fois je me suis attiré des remarques du genre :
- Ouah Monsieur, vous avez un rendez-vous galant ?
Je sais m'abstenir maintenant.

mercredi 10 octobre 2007

Tous à poil / La malédiction de Dominique Pinon



1) L’une de mes sœurs m’a souvent faire rire en se disant exaspérée par tous ces spectacle de danse ou de théâtre dans lesquels les acteurs se sentaient obligés de se mettre à poil, un moment ou un autre (souvent en guise de final).

Je ne me doutais pas qu’un mouvement de révolte se dessinait contre cela chez les spectateurs… Jacques Juillard a dénoncé le phénomène dans une chronique du Nouvel Obs en accusant « la dictature arbitraire de ce démiurge autoproclamé et mégalomaniaque que l’on nomme metteur en scène », et la « connivence servile d’une partie de la critique. » Les lecteurs ont abreuvé la rédaction d’un courrier nombreux pour réagir (souvent favorablement) à l’article : ils se disaient soulagés qu’on déplore enfin l’« hystérisation » d’une grande partie des mises en scènes contemporaines, souvent au détriment des textes eux-mêmes.

Ainsi Christine D. : « Ouf ! Je ne me sens plus ringarde ! Professeur de français dans un lycée de province, j’emmène parfois mes élèves au théâtre, et souvent je sors mécontente : pourquoi les acteurs se roulent-ils sur le sol ? Pourquoi des actrices nues ? »

Pourtant, si je fais le bilan de ces deux dernières années (j’ai dû voir une vingtaine de pièces), je suis très déçu de constater qu’on m’aura offert très peu de nudité. Où tous vont-ils donc au théâtre ?

Si mes souvenirs sont bons, seul le petit Théâtre de Nesle, près d’Odéon, m’aura montré les corps déments et presque nus de jeunes actrices en proie aux tourments de la prose rageuse de Sarah Kane.

Après deux ans de programmation au Théâtre de la Colline, j’aurai surtout entendu des cris, des gémissements, des imprécations, assisté à des meurtres ou des suicides (le clou consistant dans la projection d’un nourrisson sur un bouclier de CRS, dans une pièce d’Edward Bond). La violence serait-elle plus subversive que le sexe ?

2) Lors du dernier spectacle, la mise en scène ébouriffante d’un texte de Valère Novarina (L’acte Inconnu, long délire métaphysico-poétique sur l’absurdité de la condition humaine), Dominique Pinon, au demeurant excellent acteur, s’est planté sur le devant de la scène, à quelques pas de moi (j’étais au premier rang) et s’est mis à déclamer une tirade au cours de laquelle il accusait certains groupes humains des pires outrages et leur promettait de terribles châtiments.

Un moment il a planté son regard sur moi (sa technique devait être de fixer un point précis pour avoir l’air plus convaincu), m’a abreuvé d’insultes et m’a juré que je subirai l’outrage ultime : ma bouche deviendrait muette.

jeudi 4 octobre 2007

Les questionnements sans fin des élèves



1) En pleine lecture d’un chapitre de L’Etranger, une élève lève la main pour me demander, le plus sérieusement du monde :
- Monsieur, ça fait quoi quand on étale du cirage sur une vitre ?

2) A la fin d’un cours, un élève vient vers moi, l’air préoccupé :
- Monsieur, ce que vous avez sur le côté, là (il montre ma tempe droite), c’est bien trois grains de beauté ?

3) A l’élection des délégués, Bob l’Eponge a obtenu quatre voix.

4) Entendu sur Skyrock :
- Alors, t’es content d’avoir gagné deux places pour le concert de Rakim ?
- Ah ouais, trop cool ! C’est ma copine qui va être contente !
- Ça c’est sûr ! Avec ça, elle va être dosée !

lundi 1 octobre 2007

Banlieue, mon amour (Fawaz Hussein, Audrey Estrougo)



J’essaye de suivre l’actualité de ce qui se fait à propos de la banlieue, et si j’ai été plutôt déçu par le film Regarde-Moi (le jeu des acteurs, notamment, est faiblard, et l'agressivité des dialogues finit par être pénible, mais la réalisatrice a une excuse : elle est jeune, très jeune…), je me régale en lisant le livre de Fawaz Hussain, que j’avais croisé dans l’émission de France Culture orchestrée par Jean Lebrun, et que je retrouve prof dans le lycée de Montreuil dans lequel j'enseigne : Prof dans une Zep ordinaire (Le Serpent à Plumes, 2006).

De son enfance kurde, pauvre mais illuminée par l’enseignement d’un professeur qui poussait chaleureusement l’auteur à persévérer dans l’apprentissage de la langue de Molière, aux dures années d’enseignement dans un lycée professionnel de Seine-Saint-Denis, Fawaz Hussein égrène lentement les souvenirs, sans langue de bois ni démagogie, dans une prose parfois fleurie mais sans trop d’effet ni de moralisme.

Le meilleur du livre se trouve dans le compte-rendu, sans doute assez neutre, mais que certains pourraient juger biaisé, de conversations avec des collègues ou du déroulement de certains cours. L’auteur ne juge pas (ou peu), et prend le risque d’évoquer les tensions intercommunautaires, les non-dits, le tabou des profs qui, malgré leur bonne volonté, finissent par éprouver de la rancœur. L’humanisme et la compréhension prennent le dessus dans la toute fin du livre, mais le narrateur sera passé par toutes les étapes de la défiance et de l’incompréhension.

« A quatre heures de l’après-midi, Alex Vaskolikoff, le professeur d’allemand, a lui aussi la rage à l’arrêt de bus. Depuis le début de l’année scolaire, il essaie d’améliorer ses horaires de travail, mais obtient à chaque fois un refus catégorique de la part de Mme Martins. Dans le RER qui nous emmène vers Paris, il évoque un épisode tragique de sa vie. Avant d’être nommé au lycée, il était maître de conférences, à l’université de la Sorbonne. Il y était bien jusqu’au jour où, pour deux malheureux points, un élève qui lui en voulait s’est mis devant lui dans la salle de classe. Il a plaqué un magnum contre sa tempe. Avec ironie, il m’explique que s’il se trouve à présent dans le train qui nous conduit vers Paris, c’est sans doute à cause de sa peur de la mort et à son évanouissement. Il a senti le métal froid contre sa tempe et il ne se souvient plus de rien. Lorsqu’il a rouvert les yeux, des visages féminins très affables se penchaient sur le sien. Il s’est cru au paradis d’autant plus qu’il entendait des oiseaux gazouiller dans les arbres et que tout était blanc autour de lui. Les infirmières ont appelé le médecin qui s’est chargé de lui expliquer qu’il venait d’avoir un malaise et qu’il avait été transporté en urgence à l’hôpital. Avec l’humour qui ne le quitte jamais, il ajoute que depuis qu’il est au lycée, il lui arrive de regretter la sensation de métal froid, de l’instrument de la mort contre sa tempe. Il préfère encore l’horreur de ce moment-là à celui où il est en face de Mme le proviseur et de la stupidité incarnée. » (p128)