La littérature sous caféine


mercredi 30 octobre 2013

Belle lecture des "Petits Blancs" par Sébastien Le Fol (France Culture, Le Point.fr)

« Aymeric Patricot fait œuvre utile, il met des paroles sur un fantasme et par là même il le dégonfle. Tous les politiques devraient lire son livre. » Sébastien Le Fol consacre sa chronique des « Matins » de France Culture, mercredi 30 octobre, aux Petits Blancs.


"Les Petits Blancs" d'Aymeric Patricot (France... par monsieurping2

Sébastien Le Fol a par ailleurs adapté sa chronique pour le site du Point.fr, dans un article abondamment commenté, intitulé "La France des "petits Blancs"" :

Qu'est-ce qu'un petit Blanc ? Dans les chansons du rappeur Eminem, ce sont les "white trash" (littéralement "déchet blanc", NDLR). Mais en France ? Sur toutes les lèvres, le sujet est tabou. "Un Blanc pauvre prenant conscience de sa couleur dans un contexte de métissage et se découvrant aussi misérable que les minorités tenues pour être, a priori, moins bien traitées que lui." Ainsi le définit l'écrivain Aymeric Patricot, 39 ans, dans le passionnant livre qu'il consacre au sujet, aux éditions Plein Jour.

L'expression "Petits Blancs" charrie tellement de fantasmes - elle est utilisée par certains pour ethniciser les problèmes sociaux -, que l'on peut hésiter avant de se plonger dans son ouvrage. Aymeric Patricot, qui se présente comme social-démocrate, n'est pas suspect de sympathies sulfureuses. Sans bonne conscience ni condescendance, il est allé à la rencontre de ces Français déclassés. Il en rapporte une saisissante galerie de portraits, un ouvrage d'atmosphère qui en dit long sur l'état de la France.

De la défiance à l'identification

Le petit Blanc n'est pas un groupe homogène, comme certains essaient de le faire croire. Il prend plusieurs visages. C'est Estelle, professeur vacataire d'anglais à Amiens, qui a "la haine de l'Arabe". C'est Agnès qui déclare : "On nous oblige à accepter l'immigration sous un prétexte moral, et ça m'angoisse." Mais c'est aussi Laurent, l'étudiant timide de la banlieue parisienne, qui, traversant les beaux quartiers, se dit : "Je suis terne, ma vie ne me plaît pas."

C'est Damien, le paysan pauvre filmé par l'émission Strip-Tease, qui "recherche désespérément une bergère". Et c'est encore Irène, secrétaire, mère d'un garçon de 7 ans, qui a besoin de temps en temps de "mettre une racaille dans son lit", de préférence "black". Les sentiments des petits Blancs oscillent entre amour, indifférence, rancoeur et fraternité. Vis-à-vis des Français d'origine maghrébine ou subsaharienne, ils passent de la défiance à l'identification.

"Population rancie"

La classe politique est désarçonnée par ces "gueules cassées de la misère". La droite inspirée par Buisson court après en les idéalisant de manière ridicule. Quant à la gauche, elle s'est depuis longtemps détournée d'eux. Ces "culs terreux" font tache dans les salons bobos. "Tout ce qui est terroir, béret, bourrées, binious, bref "franchouillard" ou cocardier, nous est étranger, voire odieux", proclamait le magazine Globe, dès son premier numéro, en 1985. En 2013, Jean-Luc Mélenchon renchérissait : "Je ne peux pas survivre quand il n'y a que des blonds aux yeux bleus. C'est au-delà de mes forces."

Aymeric Patricot décrit avec force ce qu'il appelle "la mise à l'index d'une population rancie". Il va même jusqu'à parler d'"animalisation d'une partie de la population". Selon lui, "ces Blancs déchus ont le mérite de donner bonne conscience à ceux qui les rejettent : ces derniers donnent en effet des gages de leur éminente hauteur de vue. Ils prouvent même leur absence de racisme." Ce faisant, ils suscitent cependant une nouvelle forme de racisme dans la mesure où ce Blanc misérable, figé dans son archaïsme, est si distinct d'eux que sa nature n'a plus rien à voir avec la leur." Avec son livre, Aymeric Patricot fait oeuvre utile. Il met des paroles sur un fantasme et par là même le dégonfle. "Il dissipe la gêne en éclairant les fantômes", comme il dit. Tous les politiques devraient lire son livre.


jeudi 24 octobre 2013

""On ne se sent plus chez nous" : comment traiter cette angoisse française entre fantasme et réalité ?"

Le site Atlantico.fr m'a interrogé, ainsi qu'un autre auteur, sur un thème d'actualité. Beaucoup de commentaires sur la page en question, ainsi qu'après l'article tel qu'il a été repris (et tronçonné) sur le site Fdesouche.com, habituellement classé à l'extrême-droite - commentaires d'ailleurs assez agressifs, comme je le montrerai dans un prochain billet consacré aux réactions suscitées par le livre.

"Atlantico : La "rumeur du 9-3", selon laquelle des maires recevraient des subventions pour faire venir des populations de Seine-Saint-Denis, semble traduire une peur des grands mouvements de population et des transformations des modes de vie qui y sont liés. Aux terrasses des cafés ou dans les réunions de famille revient de plus en plus souvent cette phrase : "On ne se sent plus chez nous." Comment faire la part des choses entre les fantasmes et la réalité que revêt cette préoccupation ?

Guillaume Bernard : Certains territoires de la République ont démographiquement basculé avec le changement de nature de l’immigration entre la fin des années 1970 et le début des années 1980 : de travail, elle est devenue familiale. L’INED a pu établir qu’entre 1968 et 2005, les jeunes d’origine étrangère étaient passés, par exemple, de 19 à 57 % en Seine-Saint-Denis, de 22 à 76 % à Clichy-sous-Bois ou de 20 à 66 % à Sarcelles.

Ce changement radical d’environnement social a créé, pour les autochtones, une insécurité culturelle qui les a poussé, pour ceux qui en avaient les moyens, à quitter ces quartiers et, pour d’autres, à mettre en place des stratégies d’évitement (par exemple pour l’inscription de leurs enfants dans les établissements scolaires). Il est raisonnable de penser que des Français vivant dans des lieux qui ne sont pas encore concernés par ce bouleversement démographique et culturel le craigne.

Aymeric Patricot : Ces rumeurs traduisent une grande peur, fondée sur un fantasme, celle de voir débarquer en province les populations d’origine africaine que l’on croyait cantonnée, jusqu’à maintenant, à certaines villes et à certaines régions – notamment Marseille, Lyon, l’Ile de France. Elles traduisent un décalage, appelé à se réduire, entre des régions fortement métissées (la population blanche est devenue minoritaire, par exemple, en Seine-Saint-Denis) et une province, notamment à l’Ouest, encore à l’écart, bien souvent, de ce phénomène de brassage.

La peur est à la fois suscitée par ce que l’on voit à la télévision – émeutes, échos de la délinquance, présence de l’islam – et par la rapidité des phénomènes. Il suffit de quelques années pour que le métissage change le visage d’une ville. La nouveauté, c’est que ces changements sont plus visibles que lors de métissages intra-européens : Italiens, Polonais, Espagnols, certes discriminés en leur temps, pouvaient espérer « se fondre dans la masse » en deux générations. La couleur de peau rend les choses plus complexes : un Français d’origine africaine aura le sentiment d’être regardé de travers en dépit de sa carte d’identité française et de sa bonne maîtrise de la langue ; de même, les populations blanches de province auront du mal à s’ôter de l’idée qu’un noir, qu’un arabe sont arrivés récemment sur le territoire.

Quoi qu’il en soit, ces mouvements de population bousculent le quotidien des populations concernées, qu’elles se déplacent ou qu’elles observent les mouvements. Comme le dit Claude Askolovitch, qui s’exprime beaucoup en ce moment sur la mésestime dont souffrent les musulmans : « Il faut être le dernier des bisounours pour croire qu’une société peut devenir multiculturelle sans heurt. » La plupart des journalistes le reconnaissent aujourd’hui : la société multiculturelle, multiethnique peut certes représenter un idéal, il n’en faut pas moins admettre qu’elle suscite des tensions. Et le meilleur moyen de lutter contre elles, c’est d’abord de les reconnaître, d’apprendre à en parler. L’affaire actuelle des rumeurs est l’un des visages de ces heurts.

La suite à lire ici :

[...]

dimanche 20 octobre 2013

10 bonnes raisons de ne pas lire "Les Petits Blancs"

Sur le site salon-litteraire.fr :

A l'occasion de la parution de son voyage étonnant auprès des Petits blancs, un voyage dans la France d'en bas, Aymeric Patricot donne dix bonnes raisons de ne pas lire son texte :

"Il tacle quelques figures de notre petit monde médiatique et c’est mal.

Il parle de misère économique ou culturelle et c’est déprimant.

Il cite de grands auteurs et c’est ennuyeux.

Il cite Eminem et c’est vulgaire.

Il propose une bibliographie et c’est poussiéreux.

Il propose en couverture une belle photo mais elle est floue.

Il aborde un sujet relativement tabou en France et c’est incorrect.

Il cite Obama en exergue et c’est opportuniste.

Il précise sa propre bibliographie en début d’ouvrage et c’est prétentieux.

Il évoque même sa propre vie et c’est impudique."

mercredi 16 octobre 2013

Natacha Polony cite "Les Petits Blancs" dans sa revue de presse sur Europe 1

C'était lundi 14 octobre, et c'est en écoute ICI.

dimanche 13 octobre 2013

Pourquoi le petit Blanc penche du côté des adeptes de la pensée magique... (Stanislas Kraland, Huffington Post)



Stanislas Kraland ouvre le bal pour "Les Petits Blancs" (17 octobre) dans le Huffington Post:

"Et si l'un des antidotes au racisme était justement de parler de la couleur de peau? Alors que l'élection partielle de Brignoles s'impose comme un nouveau symbole de la montée du FN, c'est l'hypothèse sous-jacente d'un ouvrage au titre provocateur, Les Petits Blancs (éd. Plein jour).

Attention, sujet tabou: "C'est avec pudeur qu'on utilise, en France, l'expression petit blanc," débute cet ouvrage entre enquête journalistique et essai, "si l'on devine ce qu'elle recouvre, on n'aime pas la définir." Dont acte.

On l'aura compris, tout est dans ce titre qui ne s'attache qu'à nommer, bêtement, simplement, ces petits Blancs dont le livre dresse les portraits, raconte les parcours et les discours. Mais qui sont-ils?

Pour le savoir, Aymeric Patricot, 38 ans, agrégé de lettres, diplômé d'HEC et de l'EHESS, est parti à leur rencontre, et à cette question, il apporte une réponse simple: "Un petit Blanc est avant tout quelqu'un qui se perçoit comme tel ou que l'on désigne ainsi."

Blancs et pauvres

Les petits Blancs, ce sont donc autant de visages que de situations. Ce qui les rassemble? Le fait d'être désignés ou de se ressentir en tant que blanc et pauvre, que ce soit dans leur regard ou dans celui des autres.

Le petit Blanc, c'est par exemple ce jeune blanc qui en traite un autre, plus aisé, de "sale blanc" rejetant ainsi sur lui le mépris qu'il ressent. C'est aussi cet adolescent de banlieue, ce "visage pâle" qui, "vivant d'expédients, fragilisé socialement, se découvre aussi pauvre que ces minorités qu'on dit occuper le bas de l'échelle. C'est encore cet ouvrier au chômage qui évoque autant sa "fêlure" que les "délires racistes" de sa tante.

Les petits blancs, ce sont également ce paysan pauvre moqué dans Striptease, cette enseignante vacataire qui a basculé dans la haine, mais aussi cet étudiant fatigué noyé dans sa rancoeur qui dit travailler "beaucoup pour pas grand chose" et qui a "le coeur serré quand il voit "tous ces gens que le système aide alors qu'ils lui crachent dessus."

Autant de mots parfois violents, cruels et lourds, que l'auteur a choisi de regarder en face.

Une réalité

Un propos politique? Aymeric Patricot refuse toute récupération et préfère parler de réalité. "S'il existe une spécificité de l'expérience de populations récemment immigrées, victimes de discriminations, de difficultés économiques et culturelles, alors il existe, mécaniquement, une spécificité de l'expérience de populations paupérisées et non récemment émigrées."

On ne naît pas blanc, on le devient, pourrait-on dire. L'auteur raconte en avoir d'ailleurs fait l'expérience, Aymeric Patricot s'étant lui-même "découvert blanc", lorsqu'il est devenu professeur de lettres en banlieue parisienne.

"On ne peut pas accepter l'immigration sans accepter qu'il y ait des regards croisés," explique-t-il au HuffPost. En d'autres termes, il faut assumer les mots. "Sur le terrain, ceux que j'ai rencontré se disent 'petits blancs'. Il y a une spontanéité du langage chez les plus pauvres ou chez les jeunes que l'on ne retrouve pas dans les médias."

De la race en France

À l'heure où certaines personnalités politiques agitent opportunément le spectre d'un "racisme anti-blanc", Aymeric Patricot entend davantage témoigner de la richesse de ces regards, au-delà de la haine et du ressentiment.

Politiquement incorrect? C'est pourtant aux États-Unis qu'il est allé chercher l'inspiration. En témoigne cette citation en exergue de l'ouvrage, extraite d'un discours de Barack Obama devenu célèbre, De la race en Amérique: "La plupart des Américains de la classe ouvrière et de la classe moyenne blanche n'ont pas l'impression d'avoir été spécialement favorisés par leur appartenance raciale."

Nombre de Français blancs pourraient en dire autant, ce qui n'implique pas de nier les discriminations et le racisme dont peuvent être victimes les populations issues de l'immigration. Mais en France, ce discours est difficilement tenable. En cause? Un paradoxe: "les Blancs sont considérés comme majoritaires, tout en n'ayant d'existence qu'incertaine et même précaire. Un élément neutre, décidément, dont on ne peut rien dire, et dont on n'a le droit de rien dire."

Mépris

La figure du petit blanc apparaît dès lors comme oubliée par les politiques et notamment par le Parti socialiste. À cet égard les années 1980 marquent un tournant. "La gauche renonce alors à lutter contre le chômage, tourne le dos à l'économie pour investir le sociétal," analyse l'auteur. Le coup de grâce sera porté par une note du think tank Terra Nova, proche du PS.

Effondrement démographique de l'électorat ouvrier, divorce des valeurs entre un monde ouvrier fragilisé et une "Nouvelle France", le programme est clair: pour gagner, le PS doit aller chercher les voix de la "France de demain", "plus jeune, plus diverse, plus féminisée". "Rejetés par la gauche, mais aussi par la droite parce qu'ils sont trop pauvres, le FN rafle le marché électoral des petits blancs," explique Aymeric Patricot.

Mais les petits blancs ne se sentiraient donc pas si petits sans le mépris des "nantis", ces grands blancs qui, ne voulant pas leur ressembler, les mettent à distance, au risque d'aboutir à une forme de racisme inversé.

"Ces Blancs déchus ont pourtant le mérite de donner bonne conscience à ceux qui les rejettent: ces derniers donnent en effet des gages de leur éminente hauteur de vue. Ils prouvent même leur absence de racisme. Ce faisant, ils suscitent cependant une nouvelle forme de racisme dans la mesure où ce Blanc misérable, figé dans son archaïsme, est si distinct d'eux que sa nature n'a plus rien à voir avec la leur."

Symétries

Mis à l'index par les élites, décriés de toute part, déchus de leur humanité, les petits Blancs s'imposent, à leur corps défendant, comme les récipiendaires d'une rancoeur postcoloniale qui les place du côté des oppresseurs. "Ils représentent ceux des Blancs que l'on voit, ceux des Blancs à qui l'on peut s'adresser et que l'on considère, en dépit de leur modestie sociale, comme détenant les clés d'un système qui vous humilie."

Perçus à tort ou à raison comme "le fond du peuple français", ils symbolisent la colonisation tout en proposant une figure symétrique de l'échec. Alors que le petit Blanc est stupéfait de se découvrir "aussi pauvre que les plus pauvres", "de même le Français d'origine immigrée se trouve étonné de constater qu'il existe des Blancs aussi peu diplômés que lui, aussi isolés socialement, en souffrance aussi manifeste." Double mépris.

Mais cette symétrie peut aussi être source d'une connivence qui témoignerait davantage d'une solidarité de situations, que de classe. Grand Blancs et petits Blancs se fuient alors que petits Blancs et immigrés peuvent s'identifier. Voilà comment le "rappeur sous testostérone" Booba rend un hommage inattendu au chanteur Renaud, figure culturelle du petit Blanc s'il en est. "On se serait attendu à ce qu'il préfère Gainsbourg, sexuel et clinquant," écrit Patricot, "non, Booba se sent plus proche du petit Blanc que du dandy."

Considération

Ce qu'il ressort de ces portraits autant que de la réflexion de l'auteur, c'est avant tout l'absence cruelle de considération pour ces petits Blancs. Damnés de l'époque, leur malédiction est bien d'être blanc, et donc de faire partie d'une majorité dans laquelle ils perdent "tout trait identifiable".

La situation du petit Blanc s'impose alors comme l'exact inverse du Juif tel que le définissait Jean-Paul Sartre: "Le Juif de Sartre reste juif en dépit de ses inlassables efforts pour se fondre dans la masse," écrit l'auteur, "le Blanc d'aujourd'hui reste anonyme dans un vaste ensemble en dépit d'une expérience qui lui rappelle, chaque jour, à quel point il est particulier."
Et c'est sans doute ce qui explique pourquoi le petit Blanc penche du côté des adeptes de la pensée magique, de ceux qui instrumentalisent son sentiment d'appartenir à une communauté qui exclurait ceux qui le renvoient à sa propre condition. D'où, peut-être, la nécessité de nommer et donc d'accepter de voir une réalité qui sans cela demeurerait silencieuse, contiendrait sa rancoeur, au risque qu'elle n'explose dans la haine.
"

samedi 12 octobre 2013

"Qui comprend encore les "vrais gens" ?"

Le site Atlantico.fr m'interroge, avec d'autres, sur le thème : "Politiques, syndicats, médias : Qui comprend encore les "vrais gens" ?

Invité dans "Des paroles et des actes", Jean-François Copé a été violemment pris à partie par Isabelle Maurer, une demandeuse d'emploi de Mulhouse (voir ici). "Je suis désolée Monsieur Copé, ce soir je ne peux pas être calme", a commencé la femme. Et de poursuivre : "Les Français vous regardent. Ils vous écoutent. Et malheureusement il y a beaucoup de paroles et pas beaucoup d'actes !". Déstabilisé, le président de l'UMP n'a pas su quoi répondre. Au-delà de cette séquence et de la gêne de Jean-François Copé qui aurait pu réellement comprendre et répondre aux questions d'Isabelle Maurer ?

Jean Spiri : Mais que voulez-vous répondre ? Qui aurait pu répondre ? Aucun élu national ne vit cette réalité de tenter de vivre avec le RSA socle en cherchant du travail – aucun élu national, car la situation des élus locaux est très variée, et il ne faut pas oublier les milliers d’élus locaux qui exercent leur mandat bénévolement. Mais beaucoup – voire tous – y ont été confrontés, dans leurs fonctions d’élu local, lors de leurs permanences. Une situation comme celle-ci ne peut laisser insensible. Un élu local a des solutions particulières, mais un élu national se doit de proposer des solutions générales. C’est le problème de confronter des responsables politiques à des interventions de ce type : soit ils restent dans le pathos et ne peuvent rien dire, car oui, ils ne vivent pas cette situation, soit ils proposent des solutions qui sont sans commune mesure avec la détresse de leur interlocuteur immédiat. Cela n’est ni de droite ni de gauche : on se souvient de Christiane Taubira confrontée à la mère d’une victime d’un multirécidiviste. Que voulez-vous répondre face à une telle douleur ? Le responsable politique qui répondra en généralité paraîtra froid, insensible, technocratique ; cela qui répondra sur le registre personnel paraîtra déconnecté et démuni, sans réponse.

Mais nous ne devons pas nous arrêter à ce niveau d’analyse. Premièrement, il y a en effet des propositions systémiques pour répondre à un cas particulier. J’irai même plus loin : ce sont souvent des décisions macroéconomiques qui changent, sur le long terme, les destins individuels. Mais qu’il est difficile de faire comprendre que telle ou telle mesure représentera demain de l’emploi en plus, du pouvoir d’achat en plus, si l’on n’est pas capable de répondre à l’urgence d’une situation. Deuxièmement, il y a, comme l’a rappelé Jean-François Copé, des élus, qui eux accomplissent un vrai travail de développement territorial, de solidarités locales. Ce n’est pas un hasard si, malgré la baisse globale de la cote des élus, c’est encore le maire qui inspire le plus confiance à nos concitoyens. Enfin, je rappelle que le cas particulier est toujours dangereux pour l’analyse globale (désolé pour ceux qui voulaient une réponse dans le pathos). Je prendrais un seul exemple : aujourd’hui, le niveau de vie des retraités dépasse celui des actifs. C’est inédit. Mais chaque fois que vous le rappellerez, vous aurez aussitôt l’exemple de la veuve de marin-pêcheur fort mal lotie qui surgira. C’est vrai, il faut le prendre en compte. Est-ce une raison pour balayer d’un revers de manche tout discours général sur un rééquilibrage entre les générations (avec par exemple l’alignement de la CSG) ? Je ne le crois pas. Mais face à la veuve qui a une petite pension de réversion, que ce discours devient dérisoire et difficile à entendre ! Dans une certaine mesure, ce type de procédés empêche le débat de fond, celui de l’intérêt général qui transcende la somme des intérêts particuliers – même s’il ne doit pas oublier les cas concrets !

Raphaël Liogier (auteur de Ce populisme qui vient, Textuel, septembre 2013) : Il me semble que la vraie question n’est pas qui aurait pu répondre, mais quoi répondre. Si la plupart des hommes politiques, et non seulement Jean-François Copé, peuvent être paralysés par ce genre d’intervention de "simples citoyens", c’est qu’ils ont fondé toute leur tactique politique sur l’empathie. En réalité ils ne sont pas plus éloignés de la vie populaire que les hommes politique de jadis, parce que c’est le principe même du pouvoir politique de créer une distance. La spécificité de notre époque, c’est qu’il y a une crise du récit collectif, et corrélativement une perte de confiance non seulement dans la politique en tant que telle mais dans le sens du vivre ensemble.

Une telle situation se traduit par le développement du populisme : une sorte de politique de l’empathie, vide de tout programme, qui cherche sans cesse à suivre les courants d’une opinion versatile. En réalité, cette façon de faire de la politique est la véritable trahison des aspirations populaires profondes. C’est ce que Baudrillard appelait la "politique du signe" : les dirigeants ne cherchent plus à faire sens, mais à montrer au peuple qu’ils comprennent leurs angoisses, qu’ils les éprouvent aussi. Ils vont même faire des lois, prendre des mesures qui ne seront destinées qu’à faire signe et non pas à faire sens, non pas à résoudre un problème réel.

Copé a été pris au dépourvu parce que cette femme le met face à ses contradictions, autrement dit face au fait évident qu’il ne peut pas ressentir ce qu’elle ressent, tout simplement parce qu’il fait partie d’un autre monde. Et s’il n’avait pas été populiste, entière voué à la politique du signe, mais authentiquement politique, à mon avis il aurait dû répondre : "oui, tout à fait je ne ressens pas ce que vous ressentez, et je ne cherche pas à le ressentir, ce serait hypocrite de ma part de prétendre le contraire. En revanche, je défends un programme politique que j’entends appliquer sans me laisser distraire si j’arrive au pouvoir, y compris sans me laisser distraire parce que vous ressentez à l’instant, justement pour qu’un jour vous vous sentiez durablement mieux".

La suite du triple entretien ici :[...]

mercredi 9 octobre 2013

Rater le coche du progrès social

Extrait d'un article de Sean J. Rose dans le Livres Hebdo du 4 octobre, à propos des "Petits Blancs" :

"Aux Etats-Unis, où le melting-pot est la règle, les termes white trash, « déchet blanc », sont utilisés pour désigner ces Blancs plus pauvres que les Noirs et les Latinos, ces Blancs qui ont raté le coche du progrès social. Si, en France, la référence à la couleur de la peau peut choquer (...), elle traduit une réalité tout à fait concrète sur le terrain. (...) Aymeric Patricot a fait ce voyage dans "la France d'en bas"."

samedi 5 octobre 2013

"Impression de lire un journal intime..."

Une lettre de lectrice :

"Bonjour M. Patricot,

Nous nous sommes rencontrés lors du salon du livre à l'île de Ré, j'ai acheté votre livre Suicide girls et vous avais promis de vous donner mon avis sur ce roman!

J'ai d'abord été surprise par le style parce que j'ai l'habitude de lire de la littérature classique. Finalement j'ai eu l'impression de lire un journal intime, et d'être à la meilleure place pour comprendre les préoccupations du narrateur.

Le suicide, la dépression et la "folie" sont des sujets qui m'ont toujours interrogée.

J'ai pu agréablement me retrouver dans le personnage principal, fasciné par ses "suicide girls", ("suicide boys" pour moi!) Il recherche à comprendre comment fonctionne ces filles, ce qu'elles ressentent.

Comment interpréter le personnage de Laurence? ne représente t-elle pas les gens "normaux" qui nous entourent? Elle vie avec le personnage principal, elle est censée le connaitre mais finalement elle est incapable de comprendre l'homme avec lequel elle vie. Un gouffre se crée entre elle et lui, le "faible". Et pourtant on l'excuse!

À propos du personnage de Manon, je pense que vous retranscrivez de manière juste la situation de malêtre que tout adolescent ou adolescente peut rencontrer au collège. Le regard des autres, la peur d'être différent. Avec son passé on comprend le besoin de chasteté qu'elle éprouve lorsqu'elle est avec son "ange noir".

J'avoue avoir été un peu perplexe par la fin du livre, les deux personnages se séparent, semblent chacun aller vers une vie plus lumineuse. Ils sortent des ténèbres mais je n'ai pas bien compris ce qui leur a permis de sortir de l'obscurité, de lui dire adieu et d'aller sereinement vers une vie apaisée. Est ce le fait de savoir que quelqu'un les comprend? Pour le personnage principal de s'être accepté tel qu'il est? d'avoir donné une explication à l'hypothèse du suicide de son père?

En définitive, j'ai apprécié votre livre, il m'a permis d'aborder la question du suicide d'une autre façon. Il me semble que vous vous attachez plus à l'expérience, au passé de la personne tandis que j'avais l'habitude de l'aborder d'un point de vue plus existentialiste, plus théorique par rapport au sens de la vie.
"

mardi 1 octobre 2013

"Effrayé par le titre mais..." (Lescop)

Un petit mot de Lescop : "Je me rends compte que je ne vous ai jamais dit que j'avais beaucoup aimé votre livre "L'homme qui frappait les femmes", ça m'a vraiment beaucoup touché! J'ai également apprécié votre petit mot qui m'a fait plaisir, j'ai mis du temps à lire le livre, un peu effrayé par le titre mais dès les premières pages on comprend qu'on a à faire à une âme tourmentée seule et complexe (je parle du personnage) et à un vrai style (là je parle de vous)...."


Lescop - La Forêt par umusic