La littérature sous caféine


mardi 24 mai 2011

Effets de style et neutralité chez Guibert (Mes parents)



Ce qu’il y a de fort dans Mes parents, de Hervé Guibert, c’est la grande neutralité du ton qui, appliquée à une matière incandescente, en multiplie les pouvoirs évocateurs. Il y a de longues pages faites de phrases courtes énonçant des faits simples mais qui, cumulés, dessinent de spectaculaires destinées, comme dans ce passage (la fin d’une longue page) où Guibert propose un des portraits possibles du couple de ses parents :

« (…) Elle s’est acheté un collant noir épais. Elle se rend compte qu’elle est encore souple. Elle fait des sauts de lapin. Une fois par mois le club organise une fête, avec un buffet garni et une projection de film. Ils trouvent ça sympathique. Ils se lient avec d’autres couples mais refusent toute invitation personnelle, « pour ne pas avoir à rendre », « pour ne rien devoir à personne ». Puis en lisant une annonce dans un journal, il décide de maigrir en appliquant la méthode Weight-Watchers. Il achète une petite balance et elle doit lui peser tous ses aliments avant de les faire cuire. Il arrête le régime car il s’aperçoit que perdre du poids lui donne un visage inquiétant, presque osseux. Ils rangent la petite balance au fond du buffet. Ils lui disent qu’ils ont peur du communisme, peur de ne pas toucher leur retraite, peur d’être renvoyés dans des camps de vieillards, peur peut-être même d’être séparés l’un de l’autre. » (Mes parents, Folio, page 113)

Cette neutralité me fait penser à l’écriture blanche d’Annie Ernaux, qui ressemblait à celle de Camus dans L’Etranger, même si les projets différaient évidemment beaucoup.

Dans le cadre de cette neutralité, le moindre effet de style (phrase plus longue, absence de ponctuation, anacoluthe…) prend un relief particulier, signalant un trouble puissant, une distorsion du sens.

A mesure que le livre approche de sa fin, les scènes raccourcissent, le trait se fait plus dense, les remarques plus cinglantes, et l’émotion naît de ce rétrécissement très progressif vers une sorte de chute hallucinée. Voici le dernier paragraphe, séparé par un blanc :

« Le père partit en mer et se livra à la tempête, son chapelet autour du cou. Il se décharna. Un squelette barrait son bateau, un chapelet en écharpe. »

C’est fou comme l’économie de moyens fait parfois d’un livre une petite œuvre infiniment plus forte qu’un pavé prétendument génial.

samedi 21 mai 2011

Marcel Pagnol, un auteur régionaliste ?



1) Dialogue entre professeurs de français:
- Vous avez déjà fait étudier Pagnol à vos élèves ? Je lis "La gloire de mon père", en ce moment, et ce livre délicieux serait parfait pour eux.
- Pagnol ? Jamais lu ! La littérature régionaliste, très peu pour moi !

2) Dans un bar de Pyrénées (20è arrondissement), un homme manifestement sous psychotropes, hyper nerveux, relaçant sa chaussure en la posant sur un tabouret, parle à voix très forte: "DSK, il pense avec sa bite, ouais ! DSK, ouais, c'est ça... CONNARD!"

3) Dans le même bar, un homme d'une trentaine d'années fanfaronne auprès d'amis :
"Au lycée, j'ai toujours eu un demi de moyenne. - Un demi... Tu veux dire, un et demi ? - Non, non ! Un demi... Zéro virgule cinq, quoi... C'est vrai, je te jure ! J'avais que des zéros, je foutais rien. Je venais jamais en classe. Alors je récoltais des zéros. Franchement, le demi-point, je sais même pas où ils l'ont trouvé !"

mardi 17 mai 2011

Violences faites aux femmes : le déni ? (Viol en littérature et affaire DSK)


J.F Kahn : imprudence ou viol de DSK par pensetouseul

L'affaire DSK me paraît assez révélatrice du traitement que la société française réserve, en général, au thème du viol. Cela fait quelques années maintenant que je me penche sur la question, notamment par le biais de la fiction. Azima la rouge et Suicide Girls en traitaient de manière très instinctive, sans élaborer de théorie ni faire de morale. Il s'agissait de réfléchir à la notion de traumatisme, le viol représentant une sorte d'archétype de toutes les violences possibles. Et j'ai souvent été frappé par le mouvement de répulsion que provoquait ce genre de littérature : "Pourquoi donc écrire là-dessus ? / Le thème ne m'intéresse pas ! / Ecris donc des choses joyeuses ! / Nous n'avons pas envie de publier des articles sur un livre de cette catégorie-là."

J'étais surtout surpris de remarquer ces réactions chez des femmes, en majorité, alors que je m'étais attendu à ce qu'elles constituent un public privilégié. Les rares qui ont lu et aimé Suicide Girls m'ont semblé être des personnes qui avaient été touchées, de près ou de loin, par de telles choses, ou qui s'y étaient déjà intéressées. Et je me suis souvent donné l'impression d'être moi-même plus féministe que la plupart des femmes dans la mesure où j'éprouvais davantage de compassion, davantage de révolte face à la réalité d'une certaine condition féminine.

(On peut imaginer, bien sûr, des hypothèses à ce mouvement de répulsion : sujet sensible entre tous, fatalisme, caractère insupportable de certains faits que l'on sait pouvoir nous concerner...)

C'est le même genre de mouvement que je crois pouvoir observer dans l'affaire DSK. Sans vouloir bien sûr préjuger de la suite des événements, il est d'ores et déjà frappant de voir combien la question de la victime est évacuée. On ne la voit pas, mais surtout on ne veut sans doute pas la voir. Le vrai traumatisme, pour l'opinion publique et la classe politique, c'est de se rendre compte qu'il existait peut-être une autre réalité derrière la façade prestigieuse. Cela dérange tous les plans. Il est tellement plus facile, tellement plus confortable de s'en tenir à ce que l'on croyait être la réalité de DSK ! On hésite entre reconnaître la souffrance de la victime et préserver sa jolie vision des choses. Mais on n'hésite pas longtemps, en fait. A moins que les faits nous obligent un jour, par leur étalage éclatant sur la voie publique, à reconsidérer le paysage.

(Non pas que le public et la classe politique refusent de voir une réalité dont nous ne savons même pas encore si elle existe... Mais ils souffrent d'avance à l'idée qu'une réalité de cet ordre puisse éclater).

samedi 14 mai 2011

Les désarrois du professeur en ZEP

Dans l'édition du samedi 14 avril du monde, un article de Mattea Battaglia à propos d'Autoportrait du professeur... dans la rubrique Le livre du jour (en ligne ICI).

"On ne compte plus les témoignages de jeunes professeurs meurtris par les conditions de leur "prise de fonctions" - ces "bleus" qui vivent dans leur chair l'écart entre un concours d'élite et le niveau du travail demandé en classe. La réforme dite de la "mastérisation", entrée en vigueur en 2010, a exacerbé le malaise, privant ces enseignants débutants de leur année de stage.

Internet, depuis plusieurs mois, s'est fait l'écho de leur désarroi : sur les blogs et les forums de discussion, la parole des enseignants se libère, pointant la difficile transition entre la formation et le terrain.

C'est ce passage, cette mise à l'épreuve que raconte Aymeric Patricot, agrégé de lettres modernes, débarqué, en 2003, dans une banlieue parisienne dont il ignorait tout - ou presque.

Le jeune homme de 29 ans, originaire du Havre, va assurer durant trois années des remplacements - de deux à trois mois - dans des collèges et lycées. Là, il se confronte à ces "zones sensibles" auxquelles, dit-il, ni les médias ni surtout l'institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) ne l'ont préparé.

Première destination : Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), ses barres HLM où plane le souvenir de la jeune Sohane, brûlée vive dans le local à poubelles de sa cité... à quelques centaines de mètres de l'établissement où il est affecté. Et premier conseil asséné par la principale : "Votre travail consiste à tenir vos classes, autant qu'il vous est possible." Quid de la transmission des savoirs ?

VIOLENCE MORALE ET PHYSIQUE

Le jeune homme s'interroge sur un métier qu'il doit, chaque jour, improviser, où la violence - morale et physique - le dispute à l'épuisement. "Je crois pouvoir affirmer qu'il existe deux métiers, écrit-il, dans les collèges favorisés, l'enseignant transmet des connaissances, identifie les progrès à faire, exerce les élèves ; dans les défavorisés, il contient la violence (...) et s'estime heureux lorsqu'il fait apprendre, pendant l'année scolaire, quelques maigres notions comme le présent de l'indicatif..." On ne sait s'il éprouve de l'admiration ou de la compassion, sans doute les deux, face à cette frange de professeurs qui cultive l'abnégation - "ces personnes aux épaules voûtées, rasant les murs, les joues creuses et tirant nerveusement sur une cigarette à la moindre pause, ces personnes que j'avais pour fonction de remplacer, précisément"...

Il est sévère à l'égard de l'institution, le ministère, l'administration, les politiques qui laissent les enseignants aller au casse-pipe. Aymeric Patricot est tout aussi intraitable pour lui-même, ou pour le "débutant" qu'il a été : manque d'autorité, recours à la menace et à l'exclusion... "Je me suis imaginé donner des coups." Il insiste sur la "mauvaise conscience" du professeur en zone d'éducation prioritaire (ZEP), qui n'ose plus se plaindre d'élèves cumulant déjà toutes les difficultés.

Admettre le désespoir n'est pas nécessairement signe d'échec. L'auteur évoque aussi des "expériences lumineuses", l'orgueil de former les adultes de demain, la joie de se confronter à cette "pâte humaine" pas encore formatée par l'idéologie et la morale. La spontanéité contagieuse des adolescents, leur enthousiasme pour Molière, Corneille, Maupassant. Les talents qui se révèlent. Selon une enquête menée par la Société des agrégés, plus de 45 % des professeurs du secondaire ont un jour songé à démissionner.

Aymeric Patricot n'en fait pas partie, mais il a tourné la page des remplacements il y a trois ans pour enseigner en poste fixe dans un lycée de La Courneuve (Seine-Saint-Denis). "Les classes deviennent gérables (...). C'est que les éléments les plus brutaux n'y accèdent pas, et même parfois quittent le système", note-t-il, sans langue de bois.

Autoportrait du professeur en territoire difficile, Aymeric Patricot, Gallimard, 113 p., 9,50 €

Mattea Battaglia
"

mercredi 11 mai 2011

Paris, ville sale / Naples, ville hallucinante



Je ne résiste pas à l'envie de mettre en ligne quelques photos des trottoirs du 20ème arrondissement à Paris (aux alentours de Jourdain, sur les hauteurs de Belleville, le long de la rue de Belleville). Cela fait plusieurs années maintenant que j'y habite, et je trouve que la saleté de ses trottoirs atteint maintenant des seuils franchement répugnants (du moins, le long de certaines rues)... La faute aux parisiens ? La faute aux services publics ? La faute aux commerçants, qui n'ont pas l'idée de balayer devant chez eux ? Sans doute un peu des trois, mais ce détail apparemment sans importance me donne vraiment envie de déménager...

Petit débat à ce propos sur ce lien-ci.



Je ne résiste pas non plus à l'envie de citer ici Malaparte, dont je dévore en ce moment l'hallucinante Peau (hallucinante au sens propre du terme puisque de nombreuses scènes, dans le Naples de 1943 libéré par les alliés, ne relèvent manifestement plus du réalisme) et dont l'atmosphère de joyeuse fin du monde, de honte généralisée, de dépravation débridée, rend dérisoire par contraste la misère grise de mes trottoirs bien quotidiens.

Quel livre ! Prose puissante et classique (limpide et relativement linéaire) mais furieusement moderne par ses envies de provocation (les soldats noirs décrits comme victimes consentantes d'un véritable esclavage sexuel) et par ses visions extatiques d'une Naples livrée à une étrange peste (mélange de rages meurtrières et sexuelles).

C'est du Céline avec moins d'effets, du Bataille avec plus de romanesque (on y trouve le même goût pour les paradoxes sur le thème de la honte et de la salissure), du Moravia avec moins de retenue...

Exemple, avec ce portrait de cyniques homosexuels, séduisant les plus miséreux de Naples (édition Folio, page 126) :

"Parmi ces malheureux, les nobles Narcisse essayaient de racoler quelques nouvelles recrues pour leur fairy band, croyant faire un grand exploit, ou qui sait quel acte intrépide ou astucieux, en essayant de corrompre ces jeunes privés de toit et de pain, abrutis par le désespoir. C'était peut-être leur aspect sauvage, leur barbe hirsute, leurs yeux brillants de fièvre et d'insomnie, leurs vêtements en lambeaux, qui éveillaient chez les nobles Narcisses d'étranges désirs et des concupiscences raffinées. Peut-être l'angoisse et la misère de ces malheureux étaient-elles justement cet élément "souffrance" qui manquait à leur esthétique marxiste ? La souffrance d'autrui, il faut bien qu'elle serve à quelque chose."

jeudi 5 mai 2011

Vivre et penser dans un monde clos (le "romantisme lucide" de Camille de Toledo, dans Archimondain Jolipunk)


Camille de Toledo @ artnet FRANCE par ARTNET_france

Je relis le beau livre de Camille de Toledo, Archimondain Jolipunk, et je trouve qu'il n'a pas pris une ride. Dans cet essai au titre trompeur (la réflexion se veut beaucoup plus sérieuse que ce qu'il laisse entendre), l'auteur dit sa mélancolie, sa colère à vivre dans un monde qui s'uniformise et où tout a déjà été pensé, y compris la dissidence, un système qui intègre la contestation pour mieux se renouveler lui-même. Comment ne pas se sentir désespéré lorsque tout mouvement de révolte se trouve récupéré, de manière quasi-instantanée, par le divertissement ? Inévitablement, on pense à La société du spectacle, mais Toledo réserve quelques piques à Debord auquel il reproche d'avoir finalement donné des armes à ceux qu'il prétendait combattre.

C'est une prose lumineuse, sans effet de lyrisme ou d'artificielle obscurité, comme dans le passage suivant, qui résume assez bien le propos général du texte :

"Au cours des années 90, deux récupérations ont achevé ce festin de charognards. Grâce à elles, le capitalisme s'est approprié pleinement l'esprit de la révolte. Il l'a installé en son coeur. En calquant la rhétorique de la "nouvelle économie" sur l'utopie communiste d'une société sans classes et en revendiquant le métissage comem norme esthétique, il a imposé ce que nous avons appelé, avec quelques amis, "l'Economie de la révolution permanente". Peut-être aurions-nous pu inventer un terme plus marketing : "Rebellionomics", l'économie à l'âge rebelle. Ou bien écrire un traité sur "Les Profits de la dissidence". Comme il était déjà tard et qu'aucun de nous n'avait l'étoffe d'un consultant, nous en sommes restés là, à ces trois mots qui expliquaient notre désarroi. "L'économie de la révolution permanente", un système d'accumulation du capital fondé sur la révolte et la contestation. De ces quelques intuitions, il était possible d'extraire un principe plus déroutant encore : le capitalisme est désormais, et pour les siècles des siècles, le seul régime authentiquement révolutionnaire. Tous ceux qui s'y opposent sont des réactionnaires." (page 71)

La dernière partie, consacrée aux moyens de résister à cette impasse, je la trouve moins convaincante... Il y a de belles idées, comme celle des TAZ (Zones Autonomes Temporaires) ou celle d'un anonymat revendiqué pour retrouver l'épaisseur des corps (Toledo prend l'exemple des zapatistes qui prenaient un malin plaisir à se masquer), mais elles n'ont pas la puissance du mouvement premier de révolte. Le romantisme de Toledo sonne plus juste dans la mélancolie que dans le passage à l'acte, me semble-t-il (la vidéo ci-dessus témoigne d'ailleurs d'une inquiétude, presque d'une blessure, porteuses d'une poésie plus forte que la recherche de solutions concrètes au sentiment d'enfermement).

lundi 2 mai 2011

Les "infâmes salopes" de Stendhal (Souvenirs d'égotisme)



Livre inégal, me semble-t-il, que ces Souvenirs d’égotisme, l’un des deux volumes autobiographiques de Stendhal avec Vie d’Henry Brulard, et plus proche du journal que des mémoires (Son considérable Journal vient d’ailleurs d’être publié chez Folio).

Un certain charme se dégage, certes, de sa liberté de ton, de son énergie, de sa veine satirique. Mais que de passages bâclés ! Et truffés de formules approximatives… Souvent, je ne sais pas s’il s’agit de négligences ou de simples formules vieillies. Beaucoup d’allusions restent obscures faute d’appareil critique suffisant ou d’explications de la part de l’auteur. Résultat, sans doute, d’un texte non relu, non retravaillé (Stendhal préférait ne pas se relire pour ne pas perdre la vérité du texte) et publié de façon posthume.

J’ai quelques scrupules à parler de cette manière d’un livre considéré par beaucoup comme un bijou, mais force est d’admettre que dans la série des quelques journaux ou autobiographies d’écrivains qu’il m’ait été donné de lire, ce livres est l’un des plus frustrants – eu égard au talent de son auteur, bien sûr.

Comme toujours, dans ce genre de texte, c’est une poignée d’obsessions qui se fait jour – ici, le regret de ne pas avoir répondu à certaines avances, le mépris pour la bassesse et le manque d’énergie, la déception de voir que les témoignages d’admiration restent sans écho (« Je fis fiasco par excès d’amour… »), le souci d’ « avoir de l’esprit »…

Et c’est d’ailleurs ce qui fait le seul des bons passages de ce livre, le mélange d’esprit et d’énergie, comme dans ce paragraphes où Stendhal se moque de la jeunesse des salons français :

« Grand Dieu ! Comment est-il possible d’être aussi insignifiant ! comment peindre de telles gens ! Questions que je me faisais pendant l’hiver de 1830, en étudiant ces jeunes gens. Alors leur grande affaire était la peur que leurs cheveux arrangés de façon à former un bourrelet d’un côté du front à l’autre ne vinssent tomber. »

Le passage le plus savoureux, le plus saillant se situe lorsque Stendhal entreprend de raconter une virée chez de misérables et jeunes prostituées anglaises, et bien sûr cela tient au contraste avec la grande correction du style balzacien, par ailleurs. Car on découvre alors une langue plus crue, plus radicale, moins tenue par la morale (plus moderne, en somme ?) :

« Certainement, sans l’idée du danger, je ne serais pas entré ; je m’attendais à voir trois infâmes salopes. Elles étaient menues, trois petites filles avec de beaux cheveux châtains, un peu timides, très empressées, fort pâles.

Les meubles étaient de la petitesse la plus ridicule. Barot est gros et grand, moi gros, nous ne trouvions pas à nous asseoir, exactement parlant, les meubles avaient l’air faits pour des poupées. Nous avions peur de les écraser. Nos petites filles virent notre embarras ; le leur s’accrut. Nous ne savions que dire absolument. Heureusement Barot eut l’idée de parler du jardin
. »

jeudi 28 avril 2011

Chronique d'Audrey Pulvar sur France Inter



Belle chronique d'Audrey Pulvar ce matin sur France Inter à propos de "Autoportrait du professeur en territoire difficile" (podcast sur la page de France Inter).

En fin de billet, j'apporte quelques précisions pour dissiper les malentendus auxquels pourrait donner lieu la lecture de l'article...

"Une fois de plus Aymeric Patricot nous parle de ce qu’il connaît bien : les collèges de ZEP, où il a travaillé pendant trois ans.

Mais cette fois, pas sous une forme romanesque. C’est bien d’un témoignage qu’il s’agit et j’avoue que le ton utilisé peut parfois mettre mal à l’aise. A moins, à moins qu’on n’accepte de lire ce livre à plusieurs degrés. Par exemple, on pourrait sourire devant la façon dont il évoque ces « jeunes femmes d’une vingtaine d’années… persévérantes, travailleuses, animées d’une foi véritable en l’enseignement, prête à se sacrifier pour les élèves » et semble-t-il lâchées parmi des fauves tendus vers un seul but, les lacérer -on s’attend presque à ce qu’il emploie l’expression « sexe faible ».

On pourrait aussi s’étonner que cet enseignant semble regretter l’interdiction faite au personnel scolaire de riposter physiquement aux agressions physiques perpétrées par des collégiens. Des profs qui se feraient justice eux-mêmes, en quelque sorte !

Il est vrai qu’à lire Aymeric Patricot, ils ne peuvent pas vraiment compter sur leur administration pour cela, même dans les cas très graves. On pourrait aussi tiquer sur ce qui semble être une justification des discriminations pratiquées à l’égard d’étrangers ou de Français de parents étrangers, lors d’un parallèle bizarre avec la propre expérience d’Aymeric Patricot au Japon, mais l’essentiel est ailleurs.

Dans la dénonciation intransigeante de la violence scolaire, quotidienne, répandue, presque érigée en dogme, au sein de ces établissements dits difficiles. Pas de transaction donc, avec l’inacceptable, au motif qu’il serait le fait d’élèves en grandes difficultés personnelles ou mis, injustement, au banc de la société. Patricot ne trouve pas d’excuse non plus, à une administration dont il pointe les lâchetés tout en reconnaissant qu’il est souvent bien difficile de compenser le manque de moyens et de personnel.

A quoi rime le métier d’enseignant, quand on n’obtient parfois pas une seule minute d’attention de sa classe sur toute une heure de cours ? Quand on ressort lessivé d’une journée passée à hurler, en vain, pour se faire obéir et que l’on chemine la peur au ventre jusqu’à son train ? Et quand surtout, on n’ose s’en plaindre ou partager ses angoisses, parce qu’un bon prof doit savoir en toutes circonstances « tenir sa classe » et se faire respecter ?

De victime, c’est donc le prof qui devient l’accusé, s’il ne parvient à discipliner trente adolescents rétifs à toute idée d’autorité. Et pendant ce temps, c’est bien l’école à deux vitesses qui s’installe. Celle des quartiers bourgeois et celle des quartiers pauvres, « relégués », c’est le mot à la mode.

Aymeric Patricot en veut aux politiques. Il accuse la droite de ne pas traiter la question, par manque d’intérêt pour des populations qu’elle accepte à peine et estime perdues. Il reproche à la gauche son « optimisme » devant une réalité, « moins docile qu’elle ne l’aurait souhaité ».

Patricot rêve, comme beaucoup, d’une société où les mots « égalité des chances » sonneraient moins creux, où il n’aurait pas une impression de les tromper, quand il essaie de convaincre ses élèves que non, l’origine ethnique ou sociale ne sont pas un frein à leurs ambitions.

Une France où, si le concept d’Identité nationale ne veut plus dire grand-chose, au moins pourrait-on essayer celui de « cohésion nationale » avec Baudelaire, Molière, Voltaire ou Corneille pour ciment ? Il a essayé, ça marche !

Allez, malgré la peur, l’épuisement, le désarroi, enseigner, nous dit-il, reste un métier exaltant. A La Courneuve, où il exerce aujourd’hui, il sait être en immersion dans ce qu’il nomme « la matière même de la France », le cœur d’une Nation qui se prépare. Il y a pire, comme horizon !"


A propos de cette chronique, quelques précisions :

- Certes, j'ironise sur le contraste entre le dévouement de certains jeunes professeurs et la dureté des conditions de travail. Mais loin de moi l'idée d'un "sexe faible" mal armé pour un tel contexte ! Je suis au contraire très admiratif de la persévérance et de la force morale de la plupart de mes collègues - et je le dis dans le livre.

- Loin de moi aussi l'idée de justifier le principe de la discrimination (même d'un point de vue "philosophique", comme a pu le faire Eric Zemmour). J'évoque simplement dans le livre une série de petits événements vécus sur le thème du racisme, et quelques pointes de mépris dont j'ai pu être victime au Japon. J'explique comprendre, au fond, certains mouvements de xénophobie japonaise, mais je n'en tire bien sûr aucune conclusion sur la nécessité de la discrimination. J'explique ne pas avoir été blessé par ces marques de mépris, tout en comprenant parfaitement qu'on puisse l'être, dans d'autres contextes.

- Quant à l'autodéfense, il va de soi qu'elle est à proscrire... Je me contente de décrire la détresse qui peut être celle de professeurs dont personne ne garantit la sécurité.

Ces quelques précisions faites, merci à Audrey Pulvar pour sa chronique, qui fait un relevé judicieux des quelques thèmes abordés par le livre.