La littérature sous caféine


mardi 8 octobre 2024

Finale

Pour la deuxième année consécutive, j'organisais en juin dernier la Finale du tournoi rhétorique interclasses de Prépa Troyes. Souvent délaissée par le système scolaire, la maîtrise de l'expression orale me paraît indispensable pour s'épanouir dans la vie d'adulte et de citoyen. Les étudiants ont relevé le défi haut la main !

mardi 24 octobre 2023

Tournoi rhétorique

Heureux d’avoir organisé le premier Tournoi rhétorique interclasses de prépa à Troyes. Je suis fier d’étudiants qui n’ont pas peur de monter sur scène pour affronter leurs adversaires, quasiment sans préparation, lors de courts débats. Combien parmi nous auraient été capables de cette audace au même âge ?

lundi 17 janvier 2022

Echec de l'enseignement du français

Depuis quelques années maintenant, je demande aux étudiants de remplir un carnet de lecture inspiré par quelques œuvres lues pendant l’année, et d’ouvrir ce carnet par une page sur leur rapport à la lecture. Sans surprise, une grande majorité déclare ne pas aimer lire, du moins autre chose que les mangas (de l’ordre de 80 %). Plus triste, la quasi-totalité des étudiants avoue ne pas avoir aimé les livres recommandés par les professeurs, au point que ça ait pu les détourner parfois de la lecture. Faut-il en conclure à l’échec massif de l’étude des classiques ? Espérons qu’il entre une part de mauvaise foi chez les élèves, voire d’aveuglement sur leur propre rapport au savoir…

lundi 19 juillet 2021

Plaisir des carnets de lecture

Plaisir singulier de faire travailler les classes sur des carnets de lecture. Les étudiants approchent les livres de manière plus libre, ils se les approprient facilement. Quant au professeur, il se laisse bluffer par la beauté plastique, l’humour et la sensibilité de cette véritables œuvres – on en oublie vite les copies traditionnelles.

mardi 20 février 2018

Faire cours en rêvant

D’habitude, mes rêves de cours sont angoissés : chahut, inspection, mauvais retours… Mais, cette fois-ci, mon rêve a été débordé par une sorte d’énergie foncièrement positive. Mieux, je me suis vu faire cours en soumettant des idées qui me venaient dans le rêve lui-même. J’aurais presque pu les prendre en note ! Du moins, c’est ce que je me suis dit au réveil avant qu’elles ne s’effacent irrémédiablement… Si je pouvais corriger mes copies de la même manière, ce serait parfait.

mercredi 31 janvier 2018

Le professeur comme collectionneur de textes

L’autre jour un collègue me confiait qu’il était fier, cette année, d’avoir ajouté deux textes à la liste de ceux qu’il propose habituellement à ses élèves… J’ai d’abord eu du mal à réaliser ce qu’il me disait vraiment – je suis plutôt habitué, par mon travail en école préparatoire, à soumettre chaque année des dizaines de nouveaux extraits. Mais, quelle que soit la quantité de matière qu’on propose aux classes, il n’en reste pas moins que le professeur, au cours d’une carrière, se voit amené à constituer une sorte de réserve personnelle, une collection qu’il finira par connaître sur le bout des doigts, qu’il peaufinera, qu’il complètera, qu’il élaguera, dont il apprendra à densifier le commentaire, dont il apprendra à parler avec un amour croissant et un sens affiné du détail.

Et plus les années passeront, plus il offrira par le biais de cette sélection une image fidèle de lui-même. Cherchant à synthétiser ce qu’il sait de la culture, il proposera ce qu’il espère en représenter la quintessence – ce faisant, par cette sorte d’objet très général passé par le prisme de ses goûts, de ses obsessions, il mettra sur la table un résumé de sa propre vie. Plusieurs décennies de choix ne peuvent mentir !

mercredi 1 mars 2017

Les laborieux

Parmi les étudiants qui m’impressionnent, je viens d’identifier une nouvelle catégorie : les laborieux. Ils ne payent pas de mine mais ils ne courbent pas l’échine quand on leur dit ce qui ne va pas. Capables d’avaler un nombre important de couleuvres, ils tiennent compte des remarques et progressent, progressent, sans que personne ne le remarque. Un jour, ils réalisent des performances inenvisageables encore deux ans plus tôt. Emotion…

lundi 24 octobre 2011

L'école est une horreur (Bénédicte Heim)



Je connais Bénédicte Heim depuis que nous avons, l’année dernière, enregistré quelques entretiens à propos de Suicide Girls. Elle-même a publié de nombreux livres aux éditions des Contrebandiers (dont le dernier en date, Nues, qui a rencontré un certain écho critique et public), forgeant progressivement une œuvre singulière et forte, fondée sur une écriture incandescente, torrent baroque où les adjectifs rares, les phrases en cascade, les sentiments passionnés forment un vaste autoportrait flamboyant.

Parmi la dizaine de titres disponibles, Aly est grand propose un singulier et double récit : l’auteur y évoque à la fois ses années d’écolière et ses années de professorat. Dans le genre foisonnant des témoignages sur l’école, il s’agit vraiment du plus puissant qu’il m’ait été donné de lire (ex aequo avec Requiem pour un émeutier, dont j’ai parlé ICI).

Qu’on en juge par cette déclaration :

« Je n’ai rien appris à l’école, rien. Dès l’origine, j’ai manifesté pour cette vénérable institution une aversion totale, irréversible. Ma première expérience fut désastreuse et prémonitoire : la première année de maternelle je l’ai passée debout, face au mur, dos à la classe, scène primitive chaque jour rééditée et ô combien significative. La maîtresse m’avait assigné cette place en désespoir de cause, ne sachant que faire de cette gamine absolument rétive et terrifiée qui sanglotait continûment à fendre l’âme, à épuiser les plus saintes patiences. Je ne voulais pas y aller, je ne voulais pas être là, le groupe déjà, cet assemblage hétéroclite de mômes jacasseurs et enragés, m’inspirait une horreur insurmontable et inlassablement, jour après jour, je criais mon désaccord, mon impuissance, mon dégoût. » (Page 12)

Evidemment, Bénédicte Heim va mettre au service de ses propres élèves, plus tard, sa sensibilité d’écorchée vive, et si le métier lui réservera son lot d’angoisses, de crucifixions et de malheurs, il lui offrira également nombre d’expériences sublimes. Elle prendra le risque d’autoriser la parole libre dans ses classes, le brouhaha, la créativité, n’hésitant pas à braver les consignes de sa hiérarchie et à mettre en péril, parfois, sa propre santé. Mais la récompense sera l’amour inconditionnel de certains élèves et le sentiment quasi-mystique de faire corps avec certaines classes.

« Je ne me suis pas remise de mon bouleversement. Ce flux torrentiel d’amour que les élèves firent déferler sur moi. Non, ce n’est pas une juste rétribution mais une récolte pharaonique. Ces enfants, j’ai tellement aimé les regarder vivre, vivre avec eux (oui, sur le même plan exactement et bien souvent c’était eux qui m’enseignaient à être juste, qui me guidaient vers la lumière), j’ai tellement aimé les aimer ! Je m’aperçois ce soir qu’avec eux j’ai donné corps à la ligne de conduite, la devise qui s’est inscrite en moi l’année de mes quinze ans : aimer et créer. Jour après jour, j’ai façonné mon idéal dans le vif de la matière humaine et, de la glaise originelle a surgi le nombre d’or, la pluie de feu, le miracle alchimique. Je suis transpercée, émiettée par une joie qui excède mes forces, par le glaive sacré qui départage l’ordinaire et le divin. » (Page 167)

Une autre dimension du livre à laquelle je suis également sensible, celle de l’illumination provoquée par l’écriture :

« Je me suis jetée dans l’écriture parce que la parole m’était interdite. Dans la maison paternelle, la parole était réquisitionnée, monopolisée par le père, mes mots à moi s’étranglaient en travers de ma gorge, ils ne disposaient d’aucun espace pour s’éployer à l’extérieur, ils se sont retournés vers l’intérieur. Peut-être suis-je redevable à mes parents. Peut-être leur dois-je reconnaissance éternelle. Peut-être est-ce cette parole vive mutilée qui m’a inoculé la rage, le démon de l’écriture. Si c’est le cas, merci à vous deux de m’avoir mise au secret, merci pour ces cures de silence forcé. L’écriture est venue, elle a poussé comme des ailes compensatoires, comme l’hyperesthésie aux aveugles. » (Page 72)