La littérature sous caféine


mardi 26 septembre 2006

Yasunari Kawabata : Les Belles Endormies (Livre de poche)



Un vieil homme paye pour voir dormir à ses côtés de jolies jeunes femmes nues. Comme toujours chez Kawabata, prose brève et délicate, et cet art de la saisie de sentiments profonds par la description de menus événements, de gestes anodins, d'objets discrets. Mine de rien, l'auteur aborde des thèmes beaucoup plus « virils » que ne laisserait attendre son atmosphère subtile : fascination pour la beauté, crudité des rapports sexuels, peur de la mort... Savant dosage d'élégance et de cruauté.

jeudi 21 septembre 2006

Voisines de table

- Samira, je vais te demander d’arrêter de parler avec ta voisine.

- Eh, mais Monsieur, je suis en train de faire connaissance avec elle !!

- C’est bien ce qui m’inquiète…

mardi 19 septembre 2006

La frisée

La sonnerie retentit. Une élève en profite pour hurler de rire et tirer la manche de tous ceux qu’elle croise dans la classe, puis le couloir, pour leur répéter la dernière blague :

« Ta mère est tellement frisée que quand elle promène son caniche c’est au chien qu’on parle ! »

lundi 18 septembre 2006

Marie Ndiaye : Autoportrait en vert (Folio 2006)

Petit livre ciselé à l’extrême, travaillé par le mystère et le souci de la phrase non pas belle, mais savamment énigmatique. Etonnant qu’un exercice d’autobiographie – Marie Ndiaye présente quelques figures de femmes en vert ayant marqué sa vie - débouche sur ces visions légèrement scénarisées, mettant en scène une sorte de fantastique intellectuel (la narratrice doutant de tout ce qu’elle voit et se posant des questions sur les détails les plus anodins). Très beau livre au final, à la fois précieux, fragile et ponctué de quelques somptueuses pages solennelles.

Extrait : « ''Je reviens alors à mon premier sujet :

- Tu t’es marié avec une femme aux yeux bruns et sans doute aimais-tu ses yeux. Mais s’ils sont verts, est-ce que cela ne change pas tes sentiments pour elle ?

Mon père a continué ses dessins et figures abstraites sur le sol, sans me regarder, et j’ai compris qu’il ne souhaitait pas évoquer les yeux de sa femme, mon ex-meilleure amie. Mon père en est à son quatrième ou cinquième remariage. Il est raisonnable de considérer qu’il veut mettre toutes les chances de son côté, à présent qu’il se sent vieillissant et fatigué, en se gardant de toute phrase qui pourrait être entendue ou répétée hors de la cuisine et dont sa femme pourrait un jour s’armer pour démontrer qu’il ne l’a jamais aimée. Qui suis-je pour tenter d’enfoncer un coin dans les fondations de cette union ? Il m’apparaît simplement que mon père, certes très aminci mais plus ni jeune ni fort, n’a pas pris la mesure de l’importance de ces changements dans l’aspect de sa femme.'' »

vendredi 15 septembre 2006

Tom Sharpe : Wilt 1 (10/18, 1998)



Il faut le reconnaître, il est très drôle ce portait d’un homme raté, complexé, humilié par sa femme et cherchant à l’assassiner après une nouvelle déconvenue sexuelle. On dirait une sorte de version rageuse, en négatif, des fameux romans américains mettant en scène un prof de fac fringant (Philipp Roth ayant porté le genre à sa perfection, notamment avec « La bête qui meurt »). Ici la détestation de soi, la honte et le relevé méthodique des médiocrités emportent la mise. Pas de la grande littérature, mais elle a d'indéniables vertus purgatives.

Extrait : « Pendant la fin de la causerie du Dr Mayfield, que suivit de près une grande discussion riche en arguments de toute nature, Wilt étudia les forages sur le chantier d’en face. Ce serait une cachette idéale pour un cadavre, et il y avait quelque chose de délectable à penser qu’Eva, si insupportable de son vivant, aurait à supporter une fois morte le poids d’un immeuble en béton de plusieurs étages. En plus, cela rendrait sa découverte hautement improbable. Quant à identifier le corps, c’était hors de question. Même Eva, qui pouvait se vanter d’avoir une solide constitution et une sacrée volonté, était incapable de défendre son identité contre un pieu de fondation. »

mercredi 13 septembre 2006

François Mauriac : Le Sagouin (Livre de Poche)



Une histoire de fratrie dégénérée, de rancoeurs familiales et politiques, de frustrations et de peurs. Savamment écrit et composé, le roman compense l’atmosphère pesante par une sorte de fluidité lumineuse. Autant les angoisses et les folies paraissent insondables, autant le style s’efforce à la concision. On a l’impression d’un Faulkner passé par le tamis de la respectabilité française.

dimanche 10 septembre 2006

Joël Egloff : L’étourdissement (Folio, 2006)

Petite fantaisie rappelant Jeunet et Carot. Dans un univers sordide fait de décharges et de lignes à haute tension, le narrateur tente de trouver des raisons de vivre. Il travaille à l’abattoir et dresse quelques scènes de burlesque sanguinolent. Prose discrète et fine, quand elle aurait pu se faire lourdingue. La fable fonctionne – on attend que cette plume acérée fasse très bientôt le portrait de quelque monde moins fantasmatique.

Extrait : « On n’est pas tous malheureux non plus, ici, faut bien dire ce qui est. On n’a pas tous échoué là par hasard. J’ai des collègues qui ont toujours rêvé de travailler avec des animaux, qui ont ça dans le sang, c’est une vocation. Des gars qui arrachaient les pattes aux sauterelles avant même de savoir marcher et qui, hauts comme trois pommes, flinguaient déjà les moineaux sans sommation. Leur passion à eux, adolescents, c’était pas la branlette, ils préféraient de loin égorger les chats. Aujourd’hui, ils sont pleinement épanouis et, pour tout l’or du monde, ils changeraient pas de métier. » (p18)

vendredi 8 septembre 2006

Christine Angot : Les Désaxés (Livre de Poche, 2005), Rendez-vous (Flammarion, 2006)



Moins bien accueilli, moins bien vendu que les précédents, Les Désaxés s’est vu reprocher de tourner le dos à l’autofiction. Pourtant Christine Angot y mettait au point un style plus fluide qu’auparavant, également plus dépouillé, cherchant à saisir au plus près la déliquescence d’un couple. Les faits et les pensées nous apparaissaient dans ce qu’ils avaient de plus quotidiens. Les meilleurs pages évoquaient Selby, par leur tentative d’approcher une sorte d’énergie fondamentale et fruste.

Revenant à ce qui fait son succès – la dissection de son propre vécu -, Angot reprend pourtant dans Rendez-vous le souffle, étonnamment limpide, dont elle avait trouvé la formule avec le précédent. Il faut reconnaître que ces confidences sur l’amour, le sexe et l’écriture font mouche. On regrettera quelques longueurs sur la fin, pour mieux apprécier la très forte exigence, sensible dès l’ouverture, d’une écriture à la fois dense et fortement innervée par la vie.

mardi 5 septembre 2006

Olivier Adam : Falaises (Points, 2006)



Difficile d’écrire sur le deuil de sa mère sans être ennuyeux, ni triste à mourir, ni désespérément répétitif. Olivier Adam réussit le parfait équilibre entre l’épanchement de la douleur et la tension romanesque. Dans un livre de facture très classique – court, bien construit, au style ciselé – il fait passer une très large palette d’émotions, souvent sombres, mais toujours puissantes.

« Paris regorgeait d’hallucinations, d’apparitions fugaces au coin d’une rue, dans l’ombre d’un porche, le reflet d’une vitrine. Paris débordait de sosies de ma mère. Femmes discrètes et livides, maigres et blondes, se hâtant sur les trottoirs, au milieu des voitures, disparaissant dans les bouches de métro, le hall d’un hôtel, la porte codée d’un hôtel particulier. Etrangement il s’agissait presque toujours de femmes élégantes et mystérieuses. » (p150)

lundi 4 septembre 2006

Citation de Bataille



Dans la prose torturée de Georges Bataille, ses éternels élancements de désespoir et d’accablement, ses ressassements de quelques vérités, il nous arrive de tomber sur ce genre de fulgurance :

« Se demander devant un autre : par quelle voie apaise-t-il en lui le désir d’être tout ? sacrifice, conformisme, tricherie, poésie, morale, snobisme, héroïsme, religion, révolte, vanité, argent ? ou plusieurs voies ensemble ? ou toutes ensemble ? Un clin d’œil où brille une malice, un sourire mélancolique, une grimace de fatigue décèlent la souffrance dissimulée que nous donne l’étonnement de n’être pas tout, d’avoir même de courtes limites. Une souffrance si peu avouable, mène à l’hypocrisie intérieure, à des exigences lointaines, solennelles (telle la morale de Kant). » (L’expérience intérieure, p10)

samedi 2 septembre 2006

Maylis de kerangal : ni fleurs ni couronnes (Verticales, 2006)

Deux courtes histoires de misère, de naufrage et d'amour retrouvé - merveilleusement écrites. Mine de rien, je connais peu d'auteurs contemporains maniant aussi joliment la plume, et frôlant la préciosité sans jamais l'atteindre.
De plus, des nouvelles aussi dépouillées lorgnent rapidement du côté du conte. Or l'auteur évite ici l'écueil de la parabole, et du ton pontifiant allant de pair. Cet équilibre subtil est la vraie réussite du livre.

"Entre Cork et Kinsale, il y a le bourg de Belgooly, en amont d'un bras de mer glacé. Des hameaux poitrinaires s'y disputent la boue, la terre et les racines, les poignées d'herbes sales. L'un d'entre eux, situé en retrait de la route de Carrigaline, à l'est, est la hameau de Sugàan. C'est là que Finbarr Peary vint au monde, gras et splendide, d'une mère à demi morte et d'n père faible et brutal."