Tiens, c'est chose faite : la fiction française, dûment soutenue par le CNC, s'empare enfin du thème abordé dans "La Viveuse". La série "Extra" parie sur l'humour et ce qu'on appelle l'inclusivité. J'avais misé, pour ma part, sur un équilibre entre franchise et sensibilité. La seule provocation tenait au sujet, et peut-être au final - je n'ai pas pu m'empêcher d'y lorgner vers Cronenberg
Retour à la Japan Expo, où j'avais situé la scène d'ouverture de La Viveuse. Ça n'était pas pour rien : l'univers de fantasmes convenait au parcours de cette fille qui s'apprêtait à quitter un quotidien trop balisé. J'y vais maintenant comme en pèlerinage. Lorsque je vivais à Tokyo, j'aimais voir les Japonais se laisser vivre dans les fantaisies mentales. La ville portait à incandescence une pente contre laquelle je luttais en vain - le culte de l'enfance. Ici, l'armure rétro steampunk d'un personnage mythique du jeu vidéo BioShock. L'hommage à Jules Verne est transparent.
"La queue de Pikachu frôlait les visages, les cheveux de Sangoku provoquaient des cris, les bourrelets de Mario singeaient les soubresauts du jeu. Mille autres personnages se taillaient un chemin de gloire au milieu de la foule. En somme, l’événement tenait la promesse qu’il semait sur les réseaux sociaux – les couleurs, les caricatures, les fantasmes s’y déployaient plus nombreux qu’ailleurs."
Pour une fois, le cinéma est en avance sur la littérature. La Palme d'Or est allée cette année à un film américain de Sean Baker, "Anora", mettant en scène une TDS. Avant d'écrire La Viveuse je m'étonnais déjà que seul le cinéma américain, avec The Sessions, ose parler du thème sensible de l'accompagnement sexuel pour handicapés. Après, j'ai été atterré par la réaction de journalistes qui me déclaraient, affligés : "Mais pourquoi donc parler d'un thème pareil ?" Eh bien, parce que c'est intéressant, voilà tout. Encore faut-il dépasser le stade d'une certaine rigidité qui se croit vertueuse.
J'ai publié quatre livres chez Léo Scheer. Je n’ai croisé que rarement cet homme affable mais j’ai toujours aimé son ouverture d’esprit. Elle est si rare. Je suis chaque jour plus conscient de sa valeur. Qui d’autre pouvait accueillir dans ses collections des titres aussi improbables que « Suicide girls » ou « La Viveuse » ? Qui d’autre pouvait s’en amuser, preuve qu’il avait compris la charge à la fois subversive et drôle de toute littérature ? Angie David a déjà repris le flambeau. Puisse-t-il inspirer d’autres audaces. Merci Léo, tu te proclamais anarchiste mais au fond c’était le courage et la fantaisie qui te guidaient.
Dans son précédent roman, Solange Bied-Charreton abordait le thème original des entreprises familiales qui périclitent à l'heure où le temps long disparaît. Dans "L'acceptation" (Stock, 2023), elle trouve un angle original pour poursuivre avec talent son auscultation d'une France en déshérence : la narratrice vit un amour romanesque mais douloureux avec un Islandais, et cet échec est à l'image des tensions du multiculturalisme. Ce sont peu ou prou les mêmes dilemmes, les mêmes inquiétudes que vit la narratrice dans les fjords ou dans la gare du nord, soulignant à juste titre que la rencontre avec l'Autre peut être belle, mais qu'elle est rarement facile.
"On peut le dire, en débarquant en France, j'ai fait l'expérience de la différence, relatait-il. (...) Il y a cette incapacité à faire fonctionner les choses, chez les Français, qui me trouble beaucoup. La moindre démarche administrative, le moindre appel téléphonique au plombier-chauffagiste qui doivent obligatoirement être réitérés pour aboutir. (...) Les actions ne s'enchaînent pas, parce qu'il faut toujours que quelqu'un y aille de sa petite histoire personnelle sur le sujet, répète les choses ou bien les théorise, ou écrive des bouquins, grosse manie française... " (p. 119)