La littérature sous caféine


vendredi 19 juillet 2024

Monde à fantasmes

Retour à la Japan Expo, où j'avais situé la scène d'ouverture de La Viveuse. Ça n'était pas pour rien : l'univers de fantasmes convenait au parcours de cette fille qui s'apprêtait à quitter un quotidien trop balisé. J'y vais maintenant comme en pèlerinage. Lorsque je vivais à Tokyo, j'aimais voir les Japonais se laisser vivre dans les fantaisies mentales. La ville portait à incandescence une pente contre laquelle je luttais en vain - le culte de l'enfance. Ici, l'armure rétro steampunk d'un personnage mythique du jeu vidéo BioShock. L'hommage à Jules Verne est transparent.

"La queue de Pikachu frôlait les visages, les cheveux de Sangoku provoquaient des cris, les bourrelets de Mario singeaient les soubresauts du jeu. Mille autres personnages se taillaient un chemin de gloire au milieu de la foule. En somme, l’événement tenait la promesse qu’il semait sur les réseaux sociaux – les couleurs, les caricatures, les fantasmes s’y déployaient plus nombreux qu’ailleurs."

mardi 4 juin 2024

Les rigides

Pour une fois, le cinéma est en avance sur la littérature. La Palme d'Or est allée cette année à un film américain de Sean Baker, "Anora", mettant en scène une TDS. Avant d'écrire La Viveuse je m'étonnais déjà que seul le cinéma américain, avec The Sessions, ose parler du thème sensible de l'accompagnement sexuel pour handicapés. Après, j'ai été atterré par la réaction de journalistes qui me déclaraient, affligés : "Mais pourquoi donc parler d'un thème pareil ?" Eh bien, parce que c'est intéressant, voilà tout. Encore faut-il dépasser le stade d'une certaine rigidité qui se croit vertueuse.

mercredi 8 mai 2024

Courage et fantaisie de Léo Scheer

J'ai publié quatre livres chez Léo Scheer. Je n’ai croisé que rarement cet homme affable mais j’ai toujours aimé son ouverture d’esprit. Elle est si rare. Je suis chaque jour plus conscient de sa valeur. Qui d’autre pouvait accueillir dans ses collections des titres aussi improbables que « Suicide girls » ou « La Viveuse » ? Qui d’autre pouvait s’en amuser, preuve qu’il avait compris la charge à la fois subversive et drôle de toute littérature ? Angie David a déjà repris le flambeau. Puisse-t-il inspirer d’autres audaces. Merci Léo, tu te proclamais anarchiste mais au fond c’était le courage et la fantaisie qui te guidaient.

mercredi 26 avril 2023

L'autre est un autre

Dans son précédent roman, Solange Bied-Charreton abordait le thème original des entreprises familiales qui périclitent à l'heure où le temps long disparaît. Dans "L'acceptation" (Stock, 2023), elle trouve un angle original pour poursuivre avec talent son auscultation d'une France en déshérence : la narratrice vit un amour romanesque mais douloureux avec un Islandais, et cet échec est à l'image des tensions du multiculturalisme. Ce sont peu ou prou les mêmes dilemmes, les mêmes inquiétudes que vit la narratrice dans les fjords ou dans la gare du nord, soulignant à juste titre que la rencontre avec l'Autre peut être belle, mais qu'elle est rarement facile.

"On peut le dire, en débarquant en France, j'ai fait l'expérience de la différence, relatait-il. (...) Il y a cette incapacité à faire fonctionner les choses, chez les Français, qui me trouble beaucoup. La moindre démarche administrative, le moindre appel téléphonique au plombier-chauffagiste qui doivent obligatoirement être réitérés pour aboutir. (...) Les actions ne s'enchaînent pas, parce qu'il faut toujours que quelqu'un y aille de sa petite histoire personnelle sur le sujet, répète les choses ou bien les théorise, ou écrive des bouquins, grosse manie française... " (p. 119)

mercredi 4 janvier 2023

Toute personne se présentant avec une image...

lundi 28 novembre 2022

Dèche au Flunch



Du temps de ma "dèche à Paris", comme aurait dit Orwell (en l'occurrence, un simple mi-temps dans l'Education nationale), j'avais mes habitudes au Flunch de Beaubourg. J’aimais son atmosphère houellebecquienne. Aujourd'hui, je me suis embourgeoisé – un effet de la maturité, sans doute – et j’ai quitté les Flunch pour les étoilés de Champagne.

N'empêche que je retrouve avec plaisir mon Flunch préféré dans le roman de Fabrice Chatelain, « En faut de l’affiche » (Intervalles, 2022), une sacrée satire des mondes de l’art et du cinéma. Personnages grotesques, situations bien croqués, sentiment d’échec à tous les étages, chute vertigineuse à la « Valse des pantins »... Y aurait-il une nouvelle école de la comédie, française irrévérencieuse et mélancolique, dont le chef de file serait par exemple Patrice Jean ?

« Le Flunch de Beaubourg était presque vide et seul le faible tintement métallique des couverts en inox brisait par intermittence le silence morne qui régnait dans la salle de restaurant. (…) Bien que gênée par le comportement étrange de son compagnon qui attirait l’attention des autres clients médusés, Sophie n’osa pas l’interrompre. A la fin de la tirade, il se mit carrément debout pour scander :

« Et l’aigle impérial, qui, jadis, sous ta loi,
Couvrait le monde entier de tonnerre et de flamme,
Cuit, pauvre oiseau plumé, dans leur marmite infâme ! »

Le responsable de permanence du Flunch, qui apparemment n’avait entendu que le dernier vers, se dirigea vers leur table pour signifier à Paillard qu’il ne pouvait pas dire des choses pareilles. Les cuisines de l’établissement étaient irréprochables et faisaient l’objet de contrôles sanitaires réguliers. » (pp 97-99)

samedi 29 octobre 2022

Despentes, semi-maudite

J’ai découvert Virginie Despentes à Tokyo. J’habitais là-bas en 2000, j’y avais croisé un homme qui tractait dans la rue au cri de : « Venez voir le film interdit en France ! Le film interdit en France ! » Il s’agissait de « Baise-moi », et j’ai trouvé sympathique qu’une œuvre s’attire à ce point la censure.

Depuis, j’ai toujours eu plaisir à lire Despentes. Elle a le chic pour mettre les pieds dans le plat. Dans son dernier roman, « Cher connard », elle a l’intelligence de donner la parole non pas seulement à une victime de harcèlement, ce qui finirait par être banal, mais à l’agresseur, présenté comme un homme perdu.

Mais comme il est loin, le temps de la censure… Despentes est devenue la rebelle attitrée du système. Elle s’affiche en couvertures, truste les têtes de gondole, trône dans les jurys, adapte ses textes à l’écran… L’ensemble des forces économiques et culturelles du pays la porte au pinacle, et personne ou presque ne semble relever le paradoxe. Tant mieux pour elle… Ça n’est pas donné à tout le monde de pouvoir à la fois jeter des pavés et recevoir des médailles. En revanche, on a le droit de garder sa préférence pour les auteurs maudits – je veux dire, les maudits véritables.

Signalons au passage sa critique de Céline dans « Cher connard », accusé par un personnage d’être un « galocheur de puissants », ce qui ne manque pas de sel… 😊

« Céline singeait le langage prolétaire en vue d’obtenir un Goncourt, c’est-à-dire qu’il offrait aux salonards le prolo tel qu’ils l’imaginent. (…) J’aime Calaferte et je méprise Céline. Je ne crois pas que tous les artistes aient vocation à être respectables. Mais certains sont repêchés malgré leur mauvaise conduite. Alors que Calaferte a été censuré, c’est tout. On l’a oublié. Ils n’ont pas eu le droit au même traitement. L’un écrivait pour les prolétaires, depuis le prolétariat. L’autre était un galocheur de puissants, frustré dans sa révérence par un contrecoup historique qu’il avait mal évalué. Je méprise Céline. Je devrais en parler, dans un livre. Je manque d’ennemis, en ce moment. » (p 142)

mardi 14 juin 2022

Rencontre à la librairie L'Apostrophe d'Epernay

Après des années de report (covid et cie), rencontre organisée par la librairie L'Apostrophe à Epernay le samedi 18 juin à 16h