La littérature sous caféine


mercredi 6 février 2008

Les outils pour le dégraissage (Modiano, Villa Triste)



Un ami lance sur le comptoir, furax, un exemplaire du dernier roman de Modiano, Le Café de la Jeunesse Perdue (Gallimard, 2007):

"C'est incroyable, ce type ! La presse lui tresse des lauriers, tout le monde crie au génie, les lecteurs se pressent par centaines de milliers, tout ça pour quoi ? Pour une prose qui sent la naphtaline, pour des histoires chiantes à mourir, pour des romans qui ne contiennent rien, rien, RIEN !... Qu'a-t-il donc de si particulier ? "

Je l'écoute d'une oreille attentive et je pense au livre que je porte justement dans la poche, un roman de Modiano sorti chez Folio, Villa Triste, dont je me souviens de l'adaptation cinématographique avec l'impayable Marielle. En ce moment je me consacre corps et âme au "dégraissage" d'un roman (d'où les relatives friches de ce blog depuis quelques jours...), c'est-à-dire à l'élimination des paragraphes longuets, des phrases inutiles. Il est d'ailleurs toujours difficile, dans cette phase d'écriture, de trouver le juste milieu entre style et fluidité, clarté et densité. Comment proposer des textes à la fois plein d'allant, et pourtant relativement écrits ?

Pour cela j'essaye toujours de m'inspirer de belles plumes, et celle de Modiano fait parfaitement l'affaire dans Villa Triste: l'intrigue s'épuise assez vite, mais la description de cette atmosphère étrange et chic, sur un lac près de la Suisse, avec des personnages en fuite ou en recherche d'eux-même, est un plaisir.

"Elle marchait vers notre table, une écharpe verte en mousseline nouée autour du cou. Elle me souriait et ne me quittait pas des yeux. Quelque chose se dilatait du côté gauche de ma poitrine, et j'ai décidé que ce jour était le plus beau jour de ma vie." (p31)

vendredi 1 février 2008

Les répliques qui tuent

1) Dans le film d'Ozon, Swimming Pool (variation contemporaine sur la Piscine, avec Alain Delon ?), l'éditeur de l'auteur de thrillers incarné par Charlotte Rampling lance à celle-ci :

"Les Prix Littéraires, c'est comme les hémorroïdes : n'importe quel trou du cul finit par en avoir..."

2) Un couple d'une soixantaine d'années, se tenant la main et marchant d'un pas vif dans la rue, parlant haut et fort.

La femme : "C'est une salope ta copine, je te dis ! C'est une salope, c'est une salope !"
L'homme : "Oui, c'est vrai, c'est une salope ! Mais bon, elle est sympa quand même..."

3) Dans un bar, deux hommes discutent. L'un des deux s'emballe:
- Tu vois, l'intelligence, c'est un outil, en fait... Tu en fais ce que tu veux... C'est comme un marteau, tu vois... Un marteau, tu peux faire plein de trucs avec !... Tu peux construire une maison... Tu peux aussi taper sur la tête de ton voisin !...
- Tu peux aussi... euh... te le foutre dans le cul ?...
- Euh, oui, par exemple...

Clip de la semaine : le dernier clip de Prince, sur un titre extrait de son dernier album, Planet Earth. De la disco-pop parfaitement calibrée pour les ondes (ce qui est devenu rare, chez le Nain Pourpre), et singulièrement efficace :

lundi 28 janvier 2008

Paranoïa made in USA (Hubert Selby Jr. / Philip Roth)



Il est frappant de voir à quel point la littérature américaine est traversée par le thème de la paranoïa. Les deux derniers romans américains que j’ai lus sont hantés par des ennemis plus ou moins visibles, et par la folie que cette menace provoque chez les protagonistes. C’est particulièrement frappant dans La Geôle, de Hubert Selby Jr., dont j’avais déjà dévoré Le Démon (qu’on pourrait sous-titrer « roman d’un baiseur ») et Last Exit to Brooklyn (« Roman des mamies qui se shootent »).

Il s’agit ici du monologue halluciné d’un homme apparemment arrêté à tort, et qui se morfond en prison jusqu’au procès des policiers… Qui donc est coupable ? Le système est-il monstrueux ? Sommes-nous tous déments ? Hurlements et délires dans une prose particulièrement brutale… On découvre un Kafka sous amphétamines, en plus douloureux encore et plus terre à terre.

« …mais attendez seulement que vienne mon grand jour au tribulal. Jeleur tricoterai les nefs à ces salauds. Jeles ferai comparaître et jeles réduirai en miettes. Jeles montrerai tels qu’ils sont : de vrais singes. Je les crucifierai les salauds. Jen’aurai pas besoin d’un putain d’avocat pour m’aider à les écraser. Jeferai ça tout seul. Quand je leur aurai réglé leur compte ils maudiront leur mère pour les avoir mis au monde, ces vilaines pédales. Le putain de procureur et le juge pourront bien manipuler toute la merdouille de procédure qui leur plaira. Je m’en fous. Jeneveux qu’une chose : les amener à la barre. C’est tout. Laissez-moi seulement les obliger à déposer et jeles punirai ces pinnespuantes. Jeleur montreraiqui est coupable à ces culs pourris. » (La Geôle, p 166)

Quant à l’avant-dernier opus de Philip Roth, Le Complot contre l’Amérique (Folio, 2007), c’est la paranoïa du Juif qu’il met en scène : Roth imagine quel aurait été le sort des Juifs américains si Lindberg, pilote mythique et notoire antisémite, était parvenu à la Présidence en 1940 à la place de Roosevelt. J’ai hésité à me plonger dans ce roman, car à vrai dire je ne voyais pas vraiment l’intérêt de cette politique fiction...

Cela aurait été sans compter l’étonnant talent de ce type : dès les toutes premières pages on est happé par le réalisme étourdissant de sa fiction, et la démonstration devient passionnante. C’est une vie fragile qu’on découvre, celle de familles entières que l’Histoire aurait pu menacer. L’émotion naît de l'infime décalage avec le réel, et du fantasme de basculement dans l’horreur. Je ne me voyais lire qu’une cinquantaine de pages de ce livre, je vais être bien obligé de le finir…

jeudi 24 janvier 2008

Souffler sa peine (Poèmes d'élèves, suite et fin)



Dernière salve de poèmes d'élèves: j'en présente ici trois, parmi les meilleurs, et je publierai les autres dans les commentaires de ce billet, pour ne pas prendre trop de place sur ce blog...

1) Souvenirs défunts

Les rayons de soleil percent la brume / Froide d'automne, baigne une amertume. / Dans la rue personne, pas même ceux / Qui dansaient autrefois; dehors il pleut.

Et puis l'horloge du clocher sonna / L'heure où ton doux sourire s'effaça. / L'espoir fait vivre, m'avait-on dit; / Ce jour-là, m'aurait-on encore menti ?

Mon paradis s'est enfui sous la terre / Le soir où cette nouvelle au goût amer / Eut assombri ces souvenirs... défunts.

Ton coeur battait, mais c'est déjà la fin, / Silence interminable entre toi et nous. / Dehors il pleut, comme sur mes joues.

Anonyme, 2AA

2) Alice au pays des merveilles

Parce que ma tête est malade, elle me joue des tours, / Rêve classé anormal, puis un mauvais détour. / Me voilà chez Alice, une belle brune et ses yeux noirs, / La dame de coeur dans mon jeu et une lueur d'espoir.

Je relance la mise, elle va enfin se coucher, / Mais la peur d'un recul va me faire avancer. / Dans le noir alors, la souffrance crie et se débat, / Puis reste seule sur le lit, vulgaire pantin de bois.

Alice oublie mais perd de sa belle innocence, / Elle sort la nuit avec ce qu'elle a d'insolence, / Elle prend tout ce qu'il faut pour planer, sans trop y croire, / Et planifie déjà sa fin entre deux trottoirs.

Parce que ma tête est malade, elle me joue des tours, / J'ai vu ma reine de coeur dans le journal du jour, / Que j'ai acheté avec des roses et des jasmins, / Ce soir je vais chez Angélique, je sais qu'elle m'aime bien...

Aude Peyssou, 2AA

3) Le vieillard

Il s'est assis sur le banc / A l'ombre du marronier / Comme il le fait depuis des années / Le vieillard au chapeau blanc.

Son ami de tous les jours / N'étant plus au rendez-vous, / Il est seul, la tristesse l'envahit... / Qui pourra le comprendre ?

Son regard vide et absent / Fixe sans cesse l'horizon / Devinant sa fin qui est proche, / Il baisse la tête calmement.

Les jours défilent à toute vitesse / Son corps fatigué a cessé de lutter, / Gouttant la vie un dernier instant / Il souflle sa peine.

Nina Fayard, 2AA.

mardi 22 janvier 2008

"Romanciers, vous êtres priés de tout inventer !" (Paul Amar Vs Eric Zemmour)



Réaction à chaud après le visionnage de cette vidéo - réaction indépendante du contenu du livre d'Eric Zemmour, ou même de son personnage : il se laisse embarquer ici dans un surprenant débat, à propos de son roman Petit Frère (Denoël, 2008). Le plus étonnant n'est pas que son livre provoque l'indignation (comme à son habitude, l'auteur joue la provocation, et traite de thèmes sensibles en fonçant bille en tête ; d'autre part il se permet de s'inspirer ici d'un fait divers encore très frais, ce qui pose de vrais problèmes de déontologie), mais qu'il suscite des levées de bouclier qu'on pourrait croire d'un autre temps.

Le reproche principal adressé au chroniqueur de Ruquier, dans le débat ci-dessus, semble être d'avoir osé s'inspirer de personnages réels (heurtant la sensibilité de personnes n'ayant pas encore fait leur deuil - réaction parfaitement compréhensible, par ailleurs), et de mettre dans la bouche de ses protagonistes des propos souvent contestables...

A cet égard, Zemmour se compare à Flaubert ou Balzac, qui ont tiré leurs plus fameux récits de sordides faits divers... Ce n'est pas très modeste de sa part, mais l'argument semble imparable. Surtout lorsqu'il s'agit de préciser que les paroles des personnages ne sont pas celles de l'auteur. En comparaison, certaines répliques de Paul Amar peuvent surprendre - notamment vers la fin du débat, lorsqu'il lance par exemple sur un ton péremptoire : "La prochaine fois, s'il vous plaît, inventez tout !" Peut-être cela fait-il partie d'une certaine mise en scène, le présentateur cherchant à se faire l'écho d'une véritable Vox Populi ? Les mauvaises langues diront qu'en fait tout le monde gagne (en termes de ventes et d'audiences) à ces débats faussement virulents...

lundi 21 janvier 2008

Certains livres sont délicieux (Michel Déon : Cavalier, passe ton chemin !)



Je me demande souvent si la littérature française est la seule à cultiver le goût pour la jolie phrase, la tournure élaborée, la pointe de style, la belle page indépendamment de toute structure romanesque. En tout cas c'est la question que je me pose chaque fois que je passe de la lecture d'un roman étranger à celle d'un livre "bien de chez nous" - parfois c'est un supplice (la belle phrase pour la belle phrase, ça peut être asphyxiant), parfois c'est un délice : et c'est l'excellente surprise que m'a réservée le dernier livre de Michel Déon, Cavalier, passe ton chemin ! (Folio, 2007).

Le fameux académicien, souvent affilié au mouvement littéraire des Hussards, et qu'il m'est arrivé d'apercevoir chez des libraires, livre ici toute une série de souvenirs de ses séjours, nombreux, en Irlande, et brosse les portraits d'aristocrates usés, de postiers fantasques, d'écrivains increvables en dépit de leurs échecs...

L'humour pointe à chaque page, l'écriture est élégante (elle ne verse jamais dans l'effet ou la surcharge), et je me suis surpris à aimer cette littérature pleine de bonheurs et de discrètes nostalgies. Depuis quelques années j'étais devenu amateur de sensations fortes : tout à coup j'ai retrouvé l'ancien plaisir du lecteur de Colette ou de Proust que j'étais, amateur de phrases sensationnelles et de formules fines. Il est donc des livres heureux, apaisés, d'une beauté délicate... Ne seraient-ce d'ailleurs pas les plus difficiles à écrire ?

"Chaque fois que je pense à Derek T. (...), chaque fois me revient le triste diagnostic : fin de race. Il symbolisait à la perfection cette moyenne aristocratie anglaise venue, des siècles auparavant, s'installer en conquérante sur les traces de Cromwell. L'Irlande l'avait lentement phagocytée, lui dérobant ses vertus et lui distillant le lent poison de sa paresse dans un curieux mouvement de balance. Quelques-uns de ces Anglo-Irlandais avaient réagi, passant, avec superbe et au péril de leur vie, dans le camp opposé à leur patrie d'origine et mettant au service de perpétuels insurgés qui rêvaient d'indépendance le talent, l'intelligence et le cynisme politiques qui avaient tant marqué au cours de mille jacqueries étouffées dans des bains de sang. Derek n'était pas un imbécile, mais peut-être avait-il décidé de le paraître et de se réfugier dans la futilité pour continuer de vivre pavillon haut aors que le navire avait sombré depuis déjà plusieurs décennies." (p34)

samedi 19 janvier 2008

Bilan du 20ème siècle : NUL

1) Après la lecture d'une série de poèmes du 19ème siècle, je commence à distribuer des polycopiés présentant des poèmes du 20ème. Histoire d'instaurer un minimum de dialogue pendant la distribution, je demande à la cantonade :
- Alors, à votre avis, elle sera comment, la poésie du 20ème ?
J'attendais des réponses du genre : "moderne", "bizarre", "marrante"...
Elle fut plus cinglante, et plus spontanée :
- Nulle !

2) Introduisant la lecture de poèmes de Victor Hugo, j'essaye de sonder les connaissances des élèves :
- Il y a un événement tragique qui a beaucoup marqué Victor, et qui lui a inspiré quelques poèmes... Vous savez quel est cet événement tragique ?
- Euh... Il est mort ?

3) Entendu en salle des profs. Une prof d'histoire corrige des copies :
- J'ai proposé un sujet de dissertation dont le sujet était : "La Guerre 14-18". Vous me savez ce que cet élève m'a fait comme plan ? I) 1914, II) 1918..."

vendredi 18 janvier 2008

Un vers, ça va... (Poèmes d'élèves, 5)



1) Un amour perdu


Je me souviens encore / De tes caresses sur mon corps / De nos deux coeurs en accord / Ton parfum, ta voix / Que mon corps accueillait en frissons.

J'aimerais encore faire partie de toi / Pour combler tout ce qui manque en moi / Comment oublier ta tendresse / Ton regard, qui m'ensorcelle.

Toi ma perle d'or, / Ma splendeur aux mille trésors / Une vie passée, couverte de roses / Car avec toi j'ose.

Rêve, emmène-moi, emmène-moi / Sur son chemin, sur ses traces / Rêve, emmène-moi, le temps d'une illusion / Que mes yeux se soulagent / Que quelques secondes, mon coeur s'apaise / Rêve, je te supplie / Le désespoir frappe à ma porte.

Un nouveau jour qui se lève / Et ma vie me pèse / Elle n'est que lamentations et désespoir / La douleur de vivre alors que tu n'es plus / La torture d'un sourire qui n'est tient / Mon coeur va mal, et je ne suis pas de taille / T'oublier, tel est ma tourmente.

Lettre d'une image abstraite / A son amour en retraite / Pour te faire revivre une dernière fois.

Mélany Semedo Mendès, 2AA

2) La musique

Elle, elle rythme ma vie / Changeante selon mes envies / Elle combat mon ennui.

Comme une drogue, non néfaste / Elle m'aide à faire face / Dans une folle ronde / Elle m'emmène vers d'autres mondes.

Et il arrive que parfois, / Elle me transporte de joie / Sur son tempo saccadé / Elle me fait onduler.

COmme une drogue, non nuisible / Elle me permet de survivre. / D'intensifier chaque moment / D'amplifier chaque sentiment.

Elle, elle me fait planer, / Vibrer, pleurer, rêver. / Et m'aide à ne pas sombrer.

Jade de Rooster, 2AA.

3) J'adore ton corps sué / Ce corps rempli de douceur / Que j'aime tant savourer.

PLus jamais je n'oublierai / Ton corps brûlant de chaleur / De tes baisers colorés.

Tu aimes me faire attendre / Me donner du plaisir / Sans pour autant me prendre / Cela te donne du plaisir.

Mon coeur s'est déchiré / D'extase que tu m'offrais / Mon corps tout épuisé / Dans tes draps je m'endormais.

Anonyme, 2AA