La littérature sous caféine


mercredi 4 juin 2008

Voir les choses comme Bergman ou comme Allen ?

Dans les périodes troublées de sa vie, plusieurs manières de voir les choses : soit on penche vers la tragédie froide, implacable, humaine en même temps, que nous présente Bergman (des dialogues tendus, denses, noirs, hantés par la mort)...



... soit on bascule vers le swing de Woody Allen, sa mélancolie, ses drames qui s'achèvent en pirouettes, ses tragédies qui se concluent par un bon mot, ses engueulades rattrapées par l'humour...



Le paradoxe étant qu'il faut être en pleine forme pour apprécier les films de Bergman. Un couple qui regarde Scènes de la vie conjugale sans immédiatement se séparer peut vraiment croire en son avenir !

Le besoin d'humour est-il vraiment bon signe ?

Hier soir je me suis plongé avec délices dans le très bon Steak (cf vidéo) avec Eric et Ramzy, que je pensais pourtant catalogué navet sidéral. J'ai hâte de pouvoir me replonger sereinement dans Bergman, ou même goûter l'humour racé de Woody, sa mélancolie jazzy...



dimanche 1 juin 2008

Spielberg, plus grand écrivain français du 19ème siècle (+ clip de la semaine)

1) - Que veut dire la "polygamie" ?
- Plusieurs femmes !
- Pour être plus précis, la polygamie, c'est le fait d'avoir plusieurs conjoints, plusieurs partenaires sexuels. Quand un homme épouse plusieurs femmes, on appelle ca la "polygynie"... Et quand une femme a plusieurs hommes ? Comment appelle-t-on ça ?
- Une partouze !

2) Lors d'un quizz de culture générale en classe de seconde :
- Qui a écrit le Rouge et le Noir ?
- Spielberg !

3) - Quel est le titre du film de Spielberg qui se passe en Pologne, pendant la 2ème Guerre Mondiale ?
- E.T. !

(Clip de la semaine : en ce moment je redécouvre le discrographie de James Brown... Son véritable génie, je trouve, réside dans ses titres soul, révisités par un funk ravageur : une émotion virile, massivement sensible, qui déborde progressivement dans une énergie millimétrée... Bel exemple avec sa reprise du classique Sunny :

mercredi 28 mai 2008

20 ans n'est peut-être pas le plus bel âge, mais le plus clairvoyant



Gallimard vient de publier les Cahiers de Jeunesse (1926-1930) de Simone de Beauvoir, qu'elle a rédigés de 18 à 22 ans... Talent impressionnant ! Des centaines de pages, déjà, parfaitement fluides et savoureuses, constamment tendues par l'exigence d'accomplir son oeuvre et d'accomplir sa vie. Le plus frappant, c'est la constance des obsessions tout au long de sa carrière, celles-là même qu'on retrouvera dans les Mémoires d'une jeune fille rangée - comme le souci de la transparence.

Quand elle réfléchit au mariage, elle se dit prête à franchir le pas, mais à la seule condition de ne pas soumettre son propre épanouissement à celui de son époux. Ni d'y sacrifier son honnêteté... On dirait les termes mêmes de son futur contrat avec Sartre !

"Un mois déjà que j'ai quitté Paris ; quinze jours que je suis ici. J'aime ces longs après-midi qu'il m'est permis de passer dans un recueillement oisif ; les jours de spleen, c'est dur parce que rien ne vient faire diversion. Mais les jours de lucidité calme, quelle détente saine ! Pouvoir enfin sans être pressée par un travail, gênée par une présence importune, épuiser tous mes sentiments ; ne plus rien étouffer, mais se livrer au caprice des émotions. Si seulement j'avais des livres, j'entends de ces livres qui sont des amis et des maîtres !" (p 69)

On dirait toute sa vie future dans une poignée d'intuitions précoces.

La proximité avec Sartre est également frappante, avant même que la rencontre ait eu lieu, et cela dès les premières pages : le paragraphe suivant, le tout premier du volume, ressemble à s'y méprendre à certaines réflexions de Jean-Paul nous expliquant que La Nausée (son roman sur les troubles existentiels d'un jeune professeur...) perd toute son importance à côté d'un enfant qui meurt (je ne me souviens plus des termes exacts) :

"Devant ces malades de Lourdes, quel dégoût soudain de toutes les élégances intellectuelles et sentimentales ; que sont nos peines morales à côté de cette détresse physique ; de tout cela j'ai eu honte, et seule une vie qui fût un don complet de soi, une totale abnégation, m'a semblé possible. Je crois que j'avais eu tort ; j'ai eu honte de vivre, mais puisque la vie m'a été donnée, j'ai le devoir de la vivre, et le mieux possible."

Simone me fait l'impression d'être un Jean-Paul en moins philosophe, et donc en plus souple, en plus vivant... Y aurait-il un côté jazz chez Simone ?

En la lisant je pense également à une Colette en moins luxuriant, mais en plus prolixe, en plus universel, en plus discrètement conceptuel...

vendredi 23 mai 2008

Même Socrate n'avait pas prévu le coup



1) Une petite vieille, rougeaude et courbée, s'adresse à la buraliste qu'elle connaît bien, bronzée, manifestement en pleine forme:
- Vous avez mauvaise mine, non ?
- Vous m'avez déjà dit ça hier ! Non, je vous assure, tout va bien...
- Si si, vous avez mauvaise mine...
- Ah bon...
- Oh oui, ça n'a pas l'air d'aller. D'ailleurs, vous avez remarqué, les gens ne vont pas bien en ce moment, non ? Pas bien du tout, vraiment... Tout le monde est malade je trouve...
- Ah bon...

2) - Alors, que pouvez-vous me dire sur le "zen" ? On a déjà vu ça dans le cours sur les haïkus... Le zen, vous vous souvenez ? C'est quoi le zen ?...
- Euh... Le nez ?

3) - Vous vous rappelez ce qu'on disait sur l'anneau de Gygès ? Cette légende grecque rapportée par Socrate selon laquelle un homme possédait une bague qui lui permettait de devenir invisible... La question était de savoir s'il continuerait à bien se comporter, sachant que personne ne le verrait par exemple voler... Je vous soumets maintenant un autre dilemne: imaginez qu'on vous permette d'appuyer sur un bouton qui provoque la mort instantanée de cent Chinois, à l'autre bout de la planète, cent Chinois dont vous n'avez jamais entendu parler, que vous n'avez jamais vus et dont vous n'entendrez plus jamais parler...

- J'appuie direct !

- Attends... Je n'avais même pas fini... Imaginez qu'on vous offre 1 Million de Dollars pour ça... Mais bon, si tu appuies sans même accepter d'argent en contrepartie, tu es pire que tout ce que les légendes grecques imaginaient...

mercredi 21 mai 2008

La beauté vous écrase ou vous foudroie (+ clip de la semaine)

Balade agréable, dimanche, sous un prudent soleil, dans le quartier de Belleville qui ouvrait au public ses dizaines d’ateliers, semés dans une bonne quinzaine de rues (cf ICI). Beaucoup de croûtes au menu, comme de saisissants chefs-d’œuvre, d’autant plus étincelants qu’on ne s’attend pas forcément à les voir ici.

A plusieurs reprises j’ai laissé diffuser en moi de délicieux frissons, quelques minutes après être tombé sur telle ou telle toile. La beauté me fait souvent un effet très particulier. C’est une émotion qui progresse lentement, qui me saisit d’abord, et paraît exploser dans mon corps, avant de m’emporter complètement, comme le grand reflux d’une marée qui s’empare d’un homme sans jambe.

En fait, j’ai la sensation d’être anéanti. Littéralement écrasé par l’évidence de cette chose. Je me fais l’impression de n’être plus rien. C’est à la fois le comble de la vie, et le comble de l’inexistence – je n’ose pas parler de la mort. J’ai toujours envie de pleurer, quand la beauté s’empare de moi. Et même envie de mourir. Elle me tombe dessus, pour me ridiculiser.

Je me rappelle le fameux poème de Baudelaire, A une passante, dans lequel le poète exprime le même genre de sentiment devant une femme qui passe, si ce n’est qu’elle le foudroie, littéralement, et qu’il retourne dans la nuit quand elle disparaît. Baudelaire est brûlé vif par la beauté, je me sens davantage écrasé par elle…

« Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair… puis la nuit ! Fugitive beauté…
»

(Même sentiment de sublime devant cette chanson méconnue de Curtis Mayfield, Right on for the Darkness, chanson parfaite, extraite de l’album Back to the World : sensibilité tendue, swing précis, colère rentrée s’écoulant dans un lyrisme noir, délicieux…

dimanche 18 mai 2008

Pluto chez les cyniques



1) – Qu’est-ce que la démocratie ?
– Euh… Le pouvoir au peuple ?
– Oui, c’est ça : « cratie », pouvoir, et « démo », peuple. Et la théocratie ?
– Euh…
– « Théo », Dieu, donc le pouvoir à Dieu, ou tout au moins le pouvoir aux représentants de Dieu. Et l’aristocratie ?
– Euh…
– Littéralement, « le pouvoir aux meilleurs »… Et la ploutocratie ?
– Euh… Le pouvoir à Pluto ?
– AH AH ! Trop fort ! T’imagines, le pouvoir à Pluto !
– AH AH AH ! Les chiens au pouvoir ! C’est trop Disneyland ce truc !!
– AH AH ! Trop fort !

2) Petite discussion en salle de profs sur les types d’élèves :
- Il y a un genre d’élèves avec lequel j’ai un peu de mal.
- Ah oui, lequel ?
- Le genre religieux… Tu sais, l’élève qui refuse d’aborder certains thèmes parce qu’il ne faut pas critiquer la religion, et puis qui refuse aussi en cours de dessin de regarder des représentations de femmes nues, et qui refuse aussi de faire les sujets correspondants.
- Pas possible… Vraiment ? Il refuse vraiment de regarder les femmes nues ?
- Je te jure.
- Moi y’a une catégorie qui ne me déplaît pas forcément, c’est les cyniques. Ceux qui te sortent des phrases bien senties, tu sais, assez intelligentes, mais noires.
- C’est vrai. C’est pas mal cette catégorie. Faut juste qu’ils soient vraiment intelligents. Parce que des cyniques pas intelligents, c’est vraiment pénible.
- Oui, tu as raison, il faut un minimum d’intelligence pour être cynique.

3) A propos de cynisme et d’esprit, j’incruste ici un court passage de la pièce de Sacha Guitry, Mon père avait raison. Ca faisait longtemps que je voulais en lire une, et c’est chose faite avec celle-ci parmi les plus connues. Avouons que la pièce donne l’impression d’avoir été vite écrite, pour être vite lue, vite regardée (mais ça, ce n’est pas possible), et vite oubliée.

« - Le plaisir de mentir !
- C’est un plaisir ?
- Ah ! C’est mieux que ça… c’est une volupté !... C’est une des plus grandes voluptés de la vie !... C’est une joie qui n’est pas fatigante… et qui n’est limitée que par la crédulité des autres… tu vois jusqu’où ça peut aller !... C’est une habitude à prendre !... Moi je l’ai prise très jeune… oui… j’ai menti à mes parents… à mes professeurs… j’ai menti à mes maîtresses, à mes amis et puis alors, je me suis marié…
- Et alors… là, n’en parlons pas !
- Là… alors… Parlons-en ! Quand ta pauvre maman est morte, j’avais cinquante ans… comme je ne pouvais plus lui mentir, je me suis mis à me rajeunir pour me distraire !... Je me suis rajeuni jusqu’à soixante-dix ans… et puis alors, tout à coup je me suis mis à vieillir pour avoir l’air plus jeune !... Actuellement, ça ne donne rien encore… mais, dans cinq ou six ans, quand j’aurai soixante-dix-huit ans… songe que je dirai que j’en ai quatre-vingt-cinq !... Et alors tu verras la tête des gens !... Je serai entouré de prévenances et d’admiration… d’autant plus qu’à ce moment-là, tu le penses bien, mes relations avec Louis XVIII auront pris une importance considérable… une sorte d’intimité !...
»

mercredi 14 mai 2008

Les polars plus ou moins sales (+ Clip de la semaine)



Je vais de finir le premier tome de Millenium, et force est de reconnaître que je suis légèrement déçu… (Sans doute en grande partie parce que j’en avais eu de si bons échos). J’avais entendu quelqu’un dire qu’il n’avait pas pu lire certains passages tellement ils étaient hard ! On disait le livre bien écrit, bien documenté, bien construit, et au suspense imparable.

Au finish :

- Deux cents premières pages agréables, mais étonnamment lentes (avec un goût certain pour la redite, notamment dans les dialogues).

- Une intrigue qui se corse à ce moment-là, et dont la violence culmine dans deux passages certes réussis (viol + soupçons de torture), mais décevants pour des amateurs du genre musclé : je pense à la nouvelle vague de films ultra-violents américains, du genre Hostel, ou même à des auteurs de polars gonflés à la provoc, gonflés à l’amphétamine, comme Ellroy ou Vollmann.

- Quant à l’enquête elle-même, elle se déroule dans un cadre charmant (une petite île en Norvège, atmosphère distinguée à la Agatha Christie), mais elle ne présente aucune véritable originalité (analyse de photos, série de témoins qu’on interroge les uns après les autres…), et la chute est bien vue, mais relativement insipide.

- Le style n’est pas mauvais, mais il est loin d’être percutant non plus, ni même seulement bon : en fait il n’y a pas de style, ce qui n’est pas une exigence du genre me direz-vous, à quoi je répondrais que l’un n’empêche pas l’autre. En fait je n’ai pas le souvenir d’avoir lu de page dont je me sois dit : celle-ci me plaît.

- Les 100 dernières sont terrifiantes de longueur et de rebondissements économico-familiaux dont j’ai eu du mal à voir l’intérêt… Au final j’ai trouvé l’ensemble trop lisse, trop gentil, trop calibré, trop propre (en dépit de personnages annoncés comme croustillants).

Ma perception serait-elle faussée par une trop grande consommation de polars au cinéma, dont les plus réussis jouent beaucoup sur les thèmes de l’amertume, de la déchéance, de la tension politique, et poussent à fond la carte de la noirceur ?

(Clip de la semaine : je suis tenté d'aller voir en concert Lil Jon, qui passe dans quelques jours à Paris - digne inventeur du Crunk, un genre de rap/rnb fondé sur des basses très sourdes. Le problème est que je trouve ses albums particulièrement lourdingues... Je vais être obligé de renoncer je crois.

lundi 12 mai 2008

Soyons sérieux, Tortue Géniale !



J’ai repris depuis quelques semaines maintenant le petit cours (2 heures par semaine) (intitulé Lecture / Ecriture) que je donne à Sciences-Po, devant une vingtaine d’élèves de première année. C’est toujours un plaisir de présenter les auteurs qu’on aime, auprès d’un public motivé. J’ai commencé comme l’année précédente par l’étude de quelques auteurs japonais, mais je suis tombé cette fois-ci sur des spécialistes de culture nippone (du moins, de culture télévisée nippone) qui n’ont pas oublié de me reprendre quand ils me considéraient un peu léger sur certains points d’érudition.

J’ai par exemple plaisanté sur le fait que les auteurs japonais présentaient souvent des personnages de vieillards libidineux, comme dans le classique de Kawabata, Les Belles Endormies, dont l’action se passe dans une auberge où des hommes âgés, si possible impuissants, payent pour passer la nuit avec de jeunes vierges, qu’ils ne sont pas censés toucher.

Cela me rappelait fortement le personnage de Tortue Géniale, ce vieillard sémillant apparaissant dans la série Dragon Ball, qui demandait à Son Gôku d’aller s’entraîner dans la montagne pendant qu’il s’amusait à reluquer les donzelles de passage. Un élève est venu me voir en fin de cours pour me dire que ça se voyait que je n’étais pas un spécialiste de Dragon Ball, car Tortue Géniale n’est pas vraiment un vieillard, mais un immortel, ou quelque chose approchant… J’ai pu constater de cette manière que la culture manga, qui se développait à peine lorsque j’étais ado, a fait de surprenant progrès ! Je réviserai mes classiques, la prochaine fois…

« « Et veuillez éviter, je vous en prie, les taquineries de mauvais goût ! N’essayez pas de mettre les doigts dans la bouche de la petite qui dort ! Ça ne serait pas convenable ! » recommanda l’hôtesse au vieil Eguchi. (…) Les dents de la fille sous le doigt d’Eguchi paraissaient au toucher enduites d’une substance légèrement visqueuse. L’index du vieillard, glissant entre les lèvres, suivit la rangée des dents. Deux fois, trois fois dans un sens, puis dans l’autre. » (Les Belles Endormies, Livre de Poche, p 5 / p 43)