La littérature sous caféine


vendredi 14 novembre 2008

Les écrivains sont des gens bien / On n'est pas là pour caresser les chats !



(Clip de la semaine : sublime chanson que ce I love you golden blue, titre crépusculaire pour le groupe Sonic Youth, qui signait avec cet avant-dernier album, Sonic Nurse, son album le plus mélodique et le plus délicieusement mélancolique... Le son Sonic Youth, on le retrouve quasiment à l'identique sur chaque album, mais il est tellement efficace...)

Hier matin, conversation échevelée près de la photocopieuse : une collègue de mon lycée de la Courneuve, par ailleurs poétesse émérite (je connaissais son nom, j'avais d'ailleurs plusieurs volumes d'elle dans le rayon que je consacre à la poésie), publiée chez P.O.L, m'a remonté le moral après le coup dur qui m'était arrivé la veille. Extrait :

- Je m'en sors pas ! Depuis deux ans, tout ce que j'entreprends est un échec ! Hier, ce renvoi d'un boulot qui me tenait à coeur, comme un malpropre... Et puis tous ces manuscrits qu'on me refuse, encore et toujours, mois après mois... Et puis mon couple, qui s'est pété la gueule, et puis... Comment tu fais, toi, pour tenir le coup ? Franchement, cette manie d'écrire, j'ai l'impression qu'elle me bouffe la vie, et qu'il n'en reste pas grand chose... C'est dingue les sacrifices que ça implique !

- C'est sûr ! Moi je tiens parce qu'on est tout un petit groupe de poètes, chez P.O.L., une dizaine, et qu'on se sert les coudes à toute occasion ! Notre éditeur nous apporte un soutien considérable ! Il m'a souvent dit : "Je prendrai tout ce que vous m'apportez, ma chère ! Je veux tout de vous !"

- Tu as de la chance... Je suppose que tu ne gagnes pas grand chose ?

- Tu penses bien ! Rien du tout ! Mais ça me permet de voyager, malgré tout... C'est un grand bonheur, ça, les voyages pour faire des conférences ! A tel point que je n'imagine presque plus voyager si ce n'est pas dans ce cadre...

- J'imagine ! J'ai un autre problème, tu sais : le dernier manuscrit que j'ai écrit, c'est encore quelque chose de très sombre... J'ai peur d'être catalogué ! Il y a pas mal de lecteurs qui trouvent ce que j'écris trop pessimiste...

- Tu les emmerdes ! C'est pas eux qui vont te dicter ce que tu dois faire ! Même un éditeur, il ne doit pas s'immiscer dans ton travail ! Ca doit venir de toi ! Tu suis ton chemin, sans te préoccuper de ce qu'on te dit ! Jamais écouter les autres, c'est la base ! Ils ne comprennent rien ! C'est incroyable, ça, de dire à quelqu'un que ce qu'il fait est trop pessimiste... Merde, on est en littérature ! On n'est pas là... comment dire... On n'est pas là pour caresser les chats !

- Ah ah ! Tu as raison !

- Moi je fonctionne de la façon suivante : toujours présenter un travail nickel... Quitte à patienter six mois, un an, avant de présenter un livre. Je ne fais jamais lire à personne avant de donner le manuscrit à l'éditeur ! Mais quand je le donne, je sais qu'il n'y a rien à retoucher ! Et jamais mon éditeur ne m'a demandé la moindre correction !

- Tu as sans doute raison... J'ai le défaut d'être impatient... Il faut que je souffle un peu, que je ralentisse le rythme...

- Et surtout, je le répète, ne jamais faire lire quand le travail n'est pas achevé... C'est le meilleur moyen pour que le lecteur s'engouffre dans le livre, tu vois, un peu comme pour se l'approprier, et foutre tout ton travail en l'air... On ne sait plus où l'on en est, après, on ne sait plus pour qui on travaille ! Pour le lecteur ? Pour soi ?

- Bon, ça me requinque, cette conversation... Je vais arrêter de vouloir caresser les chats, en tout cas...

mercredi 12 novembre 2008

Du happy end en littérature, et de son (éventuel) effet sur les femmes



Il y a quelques années maintenant, quelques personnes de ma famille m'avaient conseillé de mettre de l'humour dans ce que j'écrivais. Plus récemment, une amie m'a dit qu'elle n'avait pas aimé l'un de mes derniers manuscrits : la fin n'était pas joyeuse... Elle ne reprochait pas à la chute d'être mauvaise, ou maladroite, ou mal écrite, non, simplement ce n'était pas un happy end. Et cela semblait gâcher à ses yeux l'ensemble du texte.

Je n'avais pas relié jusqu'à maintenant ce problème avec celui de la différence des sexes, parce que j'aime plus trop faire de généralités dans ce domaine (même s'il est si tentant d'y revenir !). La vidéo de Houellebecq ci-dessus m'a précisément amusé pour cela : il s'étonne lui aussi qu'on soit déçu que ses textes soient pessimistes, car il trouve, lui, qu'il y a quelque chose de revigorant dans la noirceur en art (c'est assez vrai, je trouve, même si le phénomène reste assez curieux). Et il attribue ce goût du happy end notamment aux femmes (Ses statistiques personnelles sont peut-être cependant biaisées par le fait que les lecteurs de romans sont en grande majorité des lectrices...)

Quand bien même le goût des femmes pour la littérature joyeuse serait avéré, je ne me risquerais pas à des interprétations... D'autant plus que le même Houellebecq, dans son dernier livre, controversé, Ennemis Publics (Flammarion-Grasset, 2008), écrit de concert avec Bernard Henri-Lévy, (vigoureux échange de lettres sur lequel je reviendrai) nous offre une belle page sur l'évolution des goûts littéraires français depuis trente ans en matière de bonheur et de dépression, dépassant cette fois-ci la distinction des sexes pour distinguer plutôt les époques :

"Que la France (et pas seulement elle, l'Europe Occidentale tout entière) ait sombré dans la dépression après les Trente Glorieuses, cela me paraît absolument normal. L'optimisme était trop général, la croyance au progrès trop franche et trop naïve, les espérances trop partagées. Extension du domaine de la lutte était, je crois, un livre salutaire ; et je crois aussi qu'il ne pourrait plus être publié aujourd'hui. Parce que nos sociétés en sont maintenant arrivées à ce stade terminal où elles refusent de reconnaître leur mal-être, où elles demandent à la fiction de l'insouciance, du rêve ; elles n'ont simplement plus le courage de voir leur propre réalité en face. Car le mal-être n'a nullement diminué, il n'a fait que s'aggraver, il suffit de considérer comment aujourd'hui les jeunes boivent : brutalement, jusqu'au coma, pour s'abrutir. Ou bien ils fument une dizaine de joints à la file, jusqu'à ce que l'angoisse s'éteigne. Sans même parler du crack." (Extrait de Ennemis Publics, p69)

dimanche 9 novembre 2008

Le plaisir de mettre des mots sur les intuitions (Zizek et la notion de "limite impossible")



A l'âge de vingt ans, j'étais obsédé par l'idée de "tension vers l'infini" : aidé en cela par quelques cours de statistiques en école de commerce, et par quelques lectures de philo mal digérées, j'avais en tête le schéma d'une courbe approchant, en asymptote, une limite horizontale (désignée sur le dessin ci-dessus par "y=3"). Cette courbe représentait pour moi la connaissance humaine élargissant constamment la masse de ce qu'elle connaît, s'approchant de plus en plus de l'infini de tout ce qu'il est possible de savoir, mais toujours incapable de faire le "saut vers l'infini" qui lui permettrait d'avoir un regard englobant.

C'était une intuition très abstraite, qui me paraissait généralisable pour beaucoup de choses, mais qui me rendait très insatisfait, car tous ceux à qui j'essayais de l'expliquer ne comprenaient pas vraiment où je voulais en venir, et je n'avais pas trouvé d'auteurs obnubilés par le même genre de problème. Je me suis fait à l'idée que j'avais donc en tête une sorte de figure géométrique obsessionnelle, sans fondement réel, un peu comme un schème esthétique fondamental qui me suivrait toute ma vie.

Et puis l'intérêt de la philosophie, parfois, c'est qu'un auteur vous explique ce que vous avez dans la tête, l'élargit, l'enrichit et le connecte à certains domaines du savoir... Je viens tout juste de l'expérimenter avec la lecture du dernier essai d'un philosophe que j'aime beaucoup, Slavoj Zizek, philosophe de culture lacanienne et marxiste (entre autres), qui s'est fait une spécialité de ces livres fourre-tout dans lesquels fusent les références, les raccourcis, les métaphores, pour un joyeux feu d'artifice conceptuel censé prendre l'époque à bras le corps.

Dans Fragile Absolu (Flammarion, 2008), je suis effectivement tombé sur de pleines pages développant cette idée de limite impossible. En plus de me donner un sacré coup de jeune (brutale réminiscence du bouillonnement intellectuel de mes vingt ans), ces développements lacano-mathématiques m'ont redonné de l'appétit pour concevoir d'autres figures abstraites, et lire parallèlement les auteurs qui pourraient leur donner un peu de poids conceptuel (Foucault, Lacan, Deleuze, une petite touche de Heidegger, tiens, pourquoi pas...).

"Les blagues sur le président croate Franjo Tudjman présentent en général une structure d'un certain intérêt pour la théorie lacanienne. Exemple : (...) Conscient des rumeurs selon lesquelles une grande partie des Croates sont dans la misère et le malheur, alors que lui et ses copains amassent des richesses colossales, Tudjman dit: "Et si je balançais un chèque d'un million de dollars par ce hublot pour rendre au moins un Croate heureux ?" Sa femme le flatte : "Mais Franjo, chéri, pourquoi ne pas balancer deux chèques d'un demi million de dollars chacun et faire ainsi le bonheur de deux Croates ?" Et sa soeur d'ajouter : "Et pourquoi pas quatre chèques d'un quart de million de dollars chacun pour faire quatre heureux ?" Et ainsi de suite, jusqu'à ce que son petit-fils (...) dise : "Mais, grand-papa, pourquoi tu ne te jetterais pas toi-même par le hublot, je suis sûr que ça rendrait heureux tous les Croates !" Tout est dit : l'illimité des signifiants se rapproche, par la division, de la limite impossible, comme Achille essayant de rattraper la tortue, jusqu'à ce que cette chaîne sans fin, prise dans la logique du "mauvais infini", se totalise, se close et se termine par la chute du corps dont le Réel est le sujet lui-même." (Extrait de Fragile Absolu)

jeudi 6 novembre 2008

Obama Coke (+ Clip de la semaine)



(Clip de la semaine : Clip de circonstance avec ce tube de Nas, assez médiocre au demeurant (terriblement gnangan, ce refrain), mais si représentatif d'un certain volontarisme à l'américaine. Son titre, I can, évoque évidemment le slogan de Barack Obama pendant la campagne, et reprend un rengaine qu'on entend constamment dans les films, livres et chansons made in USA. "Si vous voulez, vous pouvez..." J'ai toujours eu du mal à comprendre d'où venait exactement cette obsession américaine de la volonté et de la réussite)

1) Entendu à une terrasse parisienne, mardi 4 novembre :
"Si Barack Obama gagne, on devrait tous avoir droit à du Coca gratuit !"

2) Extrait d'une brève conversation dans une gare, au pied du train :
- Elle a perdu cinq kilos d'un coup, putain ! En une semaine ! Elle a mangé rien que des légumes !
- La pauvre !
- Putain la misère... Elle doit être amoureuse, y'a que ça !
- Putain...

3) Dans un bistrot parisien, une femme d'un certain âge détache le regard du Parisien, se tourne vers moi, et me déclare de but en blanc, hilare :
- J'ai perdu ma jeunesse, mais qu'est-ce que j'ai gagné comme kilos !
Puis elle retourne à sa lecture.

mardi 4 novembre 2008

Familles, je vous dissèque ! (Grimbert, Sers, Janicot)



Rentrée littéraire 2008 (3)

Très efficace, le pitch d'un secret de famille faisant peser sur des générations entières le poids des non-dits et des névroses, jusqu'à ce qu'un membre plus névrosé encore que les autres, ou plus souffrant, ou plus fou, ou plus courageux, se décide à crever l'abcès...

J'ai parfois l'impression que ce schéma narratif est utilisé par 50 % des romans, mais il faut reconnaître qu'il peut donner lieu à de beaux effets. Je me souviens du mot célèbre de Malraux sur Faulkner : Faulkner, disait-il eu substance, c'est l'intrusion de la tragédie grecque dans le roman policier... Nous pourrions reprendre ce schéma pour décrire certains romans familiaux comme l'intrusion du roman policier dans le roman d'analyse psychologique - Simenon fusionnant avec Benjamin Constant, en somme.

Un bon exemple pourrait être donné par Un secret, le court et beau livre de Philippe Grimbert récemment adapté au cinéma : écriture simple et précise, mais dense, pour cette histoire qui plonge dans une page noire de l'histoire française, et flirte souvent avec la psychanalyse pour expliquer le surprenant mensonge du narrateur, qui s'invente un frère sans trop comprendre encore les ressorts de son comportement...

"Régulièrement on m'interreogeait sur les origines du nom Grimbert, on s'inquiétait de son orthographe exacte, exhumant le "n" qu'un "m" était venu remplacer, débusquant le "g" qu'un "t" devait faire oublier, propos que je rapportais à la maison, écartés d'un geste par mon père. (...) Un "m" pour un "n", un "t" pour un "g", deux infimes modifications. Mais "aime" avait recouvert "haine", dépossédé du "j'ai" j'obéissais désormais à l'impératif du "tais"" (Extrait de Un Secret, Livre de poche, p17)

Autre surgissement du passé sous une forme plus ou moins cauchemardesque, plus ou moins mystérieure, avec le troisième roman de Caroline Sers aux éditions Buchet-Chastel : Les petits sacrifices (Août 2008), prose plus ample que le précédent, très élégante, un poil classique, avec un joli sens du développement romanesque et de la phrase bien tournée. On remonte ici jusqu'à la Première Guerre Mondiale, pour l'histoire de cette famille, les Dutilleul, dont une réception fut troublée par une mort violente qu'on mettra des décennies à élucider. Le meilleur roman de l'auteur, sans aucun doute, qui se fait un malin plaisir à installer de paisibles atmosphères familiales pour les dynamiter en quelques lignes.

"Dans la cuisine, depuis plusieurs jours, le ballet ne s'interrompait que quelques heures pour laisser les protagonistes prendre du repos avant de replonger dans l'effervescence de la préparation de la grande fête. Comme tous les ans, il s'agissait de se surpasser, autant dans le choix du menu que dans sa réalisation et dans la profusion qui devait laisser les invités repus et béats Marie supervisait chaque opération avec vigilance, veillant à ce qu'aucun détail ne soit laissé au hasard." (Extrait de Les Petits Sacrifices, p 25)

Dernier exemple pour aujourd'hui de ce genre littéraire (s'il est possible de parler de genre), le roman de Stéphanie Janicot, Cet effrayant besoin de famille (Albin Michel, 2006), très efficace succession de courts chapitres pour décrire les destins des membres d'une fratrie marquée par les malendendus, les mesquineries, les désespoirs, les incompréhensions. Une nouvelle fois toute la logique d'histoire n'apparaîtra qu'à la fin, par petites touches progressives, et il est très plaisant de suivre dans trois pays différents, à plusieurs époques, les à-coups dans les destinées de ces personnages attachants.

"Vincent avança que la loi française ne reconnaissait pas aux enfants adultérins les mêmes droits qu'aux enfants légitimes, que ceux-ni ne pouvaient prétendre qu'à la moitié de ce que recevaient les autres. Mais le notaire écarta cet argument en s'appuyant sur l'existence du testament. Pablo avait été explicite : ses biens devaient être répartis équitablement entre ses quatre enfants." (p88)

vendredi 31 octobre 2008

Maître Yoda en Indochine (Marguerite Duras, L'Amant de la Chine du Nord)



Si j'ai bien compris, c'est après avoir marqué son désaccord à propos du travail de Jean-Jacques Annaud sur L'Amant que Marguerite Duras a décidé d'écrire L'Amant de la Chine du Nord, reprise de la même histoire mais avec un ton nouveau. Duras insiste notamment sur la dimension cinématographique de l'oeuvre : souvent la narratrice intervient dans le livre pour commenter la succession des images, ce qu'il faut voir, ce qu'on sait ou ne sait pas.

Les premières pages du roman ressemblent au commentaire en temps réel d'un film qui serait celui que tournerait Duras de son propre roman.

"La mère est couchée.
Elle ne dort pas.
Elle attend son enfant.
La voici. Elle vient du dehors. Elle traverse la chambre. Peut-être reconnaît-on sa silhouette, sa robe. Oui, c'est elle qui marche vers le fleuve dans la rue droite le long du parc.
Elle va vers la douche. On entend le bruit de l'eau.
Elle revient
." (Extrait de L'Amant de la Chine du Nord, Folio, p 24)

C'est une écriture envoûtante, indéniablement, très incantatoire, un peu comme si Duras s'émerveillait constamment de la simple présence des choses, et de sa présence aussi, sa présence d'écrivain.

Et pas n'importe lequel, pourrait-on dire : car Duras me donne souvent l'impression d'être très consciente de son talent, de son pouvoir évocateur. Certaines de ses phrases sont simples à l'excès, comme si l'auteur génial qu'elle était s'abaissait à déposer par toutes petites touches des aperçus de son génie, sans l'accomplir tout à fait.

C'est plus frappant encore avec certains de ses tics d'écriture : une tendance à l'a-grammaticalité, d'une part, c'est-à-dire à faire des phrases qui s'allongent, tout à coup, et se permettent des ruptures de structure et de sens...

"Elle, elle est restée celle du livre, petite, maigre, hardie, difficile à attraper le sens, difficile à dire qui c'est, moins belle qu'il n'en paraît, pauvre, fille de pauvres, ancêtres pauvres, fermiers, cordonniers, première en français tout le temps partout et détestant la France, inconsolable du pays natal et d'enfance, crachant la viande rouge des steaks occidentaux, amoureuse des hommes faibles, sexuelle comme pas rencontrée encore. Folle de lire, de voir, insolente, libre." (Folio, p36)

... d'autre part un certain goût, plus rare, pour les inversions dans l'ordre des mots, du type : "Belle cette femme est." C'est poétique, c'est aérien, mais j'ai du mal à ne pas penser à la manière dont s'exprime Maître Yoda dans Star Wars (je doute cependant que Duras ait été voir la trilogie...)

Il y a un autre tic d'écriture chez elle (il faudrait sans doute l'appeler trait stylistique) qu'à vrai dire je ne m'explique pas : celui qu'on repère par exemple à la page 45 : "Ils se regardent. Il est pour dire qu'il ne comprend pas..." Anglicisme ? Décalque du Chinoins ? Formule personnelle ? Je ne trouve pas ça très heureux, mais peut-être cela participe-t-il de la "petite musique" (comme on a pu l'écrire de Sagan) propre à Duras.

Au final, je suis à la fois très admiratif de ce talent qu'a eu Marguerite Duras pour imposer ce ton si particulier, cette manière très inspirée (presque mystique) de voir les choses (quelques pages splendides en prime)... Et assez dubitatif, malgré tout, devant cette oeuvre qui me fait l'impression d'être saturée d'elle-même...

mercredi 29 octobre 2008

La marquise a faim, mangeons la marquise ! (+ clip de la semaine)



(Clip de la semaine : Retour au rap avec LA découverte 2008, Lupe Fiasco, qui a signé avec son deuxième album The Cool une série racée de titres planants, un brin mélancoliques, aux atmosphères sonores soignées et au phrasé souple. Ce titre, Dumb it Down, est une véritable claque, avec son beat étouffant, son refrain tout en retenue maniérée... On attend la suite !)

Passé deux jours à Lyon, que je ne connaissais pas, avec le sentiment de découvrir le véritable coeur de l'Europe : toutes ces jolies rues, impeccables, évoquant parfois l'Italie, parfois d'autres villes plus nordiques... Un véritable bonheur !

En prime, il y a eu cette discussion surprenante entre barmen surprise dans un café du centre-ville, au petit matin :

- Tu connais la dernière ? Stéphane a tapé dans la marquise...
- C'est pas vrai !
- Si... Faut vraiment avoir la dalle !
- A ce niveau-là, c'est plus la dalle, c'est le Tiers-Monde !
- Tu sais comment je le sais ?
- Non.
- J'ai vu Stéphane, je lui dis : "T'as pas trop la cote, en ce moment, Monsieur, je me trompe ?" Il me répond : "Détrompe-toi, j'ai encore tiré mon coup hier. - Ah oui ? C'est qui ? - Motus..." Cinq minutes après, y'a le fils de la marquise qui débarque et qui lui dit : "Tu ronfles fort, toi, la nuit..."
- AH AH !
- Putain la marquise...
- Elle est méchante, il paraît, en plus d'être vieille et laide !
- Ouais, il est aigri le mètre-cube !
- Aigrie mon cul, elle s'est tapée tout le quartier.
- Ce genre de truc ça veut rien dire.
- En tout cas, à la place de Stéphane, j'aurais presque préféré me taper le fils !
- Arrête, déconne pas...

vendredi 24 octobre 2008

Les choix de vie alternatifs (Russel Banks / Guillaume Dustan)



Passé trente ans, les vies de ceux qui vous entourent se ressemblent. Les trentenaires sont heureux, posés dans l'existence. Ils empruntent des chemins si balisés : mariage, enfants, quelques voyages, travail presque agréable, du sport et des amis (parfois des maîtresses, mais on en apprend finalement peu sur ses propres amis).

Je n'aurais même pas l'idée de le critiquer, mais il m'arrive d'éprouver une certaine mélancolie. Comment donc s'organiser une vie qui sorte un tant soit peu du cadre ? Comment ne pas, dans cette tentative, renouer tout simplement avec les expériences de nos aînés - et se condamner au ridicule, ou à une mélancolie plus forte encore ?

C'est sans doute parce que je m'interroge fortement en ce moment sur certaines nouvelles directions à donner à ma vie que j'ai dévoré la première partie du roman de Russel Banks, tout juste sorti en poche, American Darling (Russel Banks, excellent romancier américain à qui l'on doit par exemple Affliction, d'ailleurs adapté avec brio au cinéma) : on y découvre le parcours chaotique de la protagoniste dans les milieux d'extrême gauche des années 60 (elle croise les fameux Weathermen, sujet d'un documentaire récemment réédité au cinéma), avant sa fuite au Libéria, où elle s'engagera pour la défense des chimpanzés.

"A l'université, Zack avait donc un fort penchant pour des filles de la classe moyenne noire ou pour des filles juives - n'importe qui pourvu qu'elle ne soit pas comme maman. De mon côté, je n'étais attirée que par des garçons de la classe moyenne noire ou par des garçons juifs - n'importe qui pourvu qu'il ne soit pas comme papa. Par conséquent, tout acte sexuel entre Zack et moi ressemblait trop à un inceste pour produire en nous autre chose que de l'anxiété." (Extrait de American Darling, p 67)

C'est pour cette raison sans doute aussi que je m'amuse tant à relire certains livres de Guillaume Dustan, comme Génie Divin (J'ai Lu) : quand j'avais découvert cet auteur il y a dix ans j'avais trouvé sa plume assez faiblarde. Aujourd'hui je suis précisément accroché par son côté clinquant, provocateur, destructeur, revanchard, hargneux, défonce et hard sex... Non pas que je veuille me faire fist-fucker dans les backrooms du Marais, mais je deviens très sensible à cette façon de revendiquer une vie résolument à contre-courant (même si Guillaume Dustan, dans Génie Divin, se met à rêver souvent que tout le monde adopte le même genre de vie que la sienne).

Il s'était fait beaucoup d'ennemis au début des années 2000 quand il avait défendu l'idée du barebacking (l'amour sans capote, même quand on se sait séropositif). Je ne me sens pas qualifié pour donner mon avis sur la question, mais les textes en question, dont on retrouve justement certains dans Génie Divin, fleurent bon l'énergie primale, la rage et la sueur. En littérature, c'est toujours bon à prendre...

"Je considère que, depuis la crise du sida, chacun d'entre nous est présumé atteint. Jusqu'à preuve du contraire. Et c'est spécialement vrai dans un contexte homosexuel, quel qu'il soit. Pas seulement en backroom. Partout. Dès lors, une relation non protégée entre adultes consentants, et par conséquents, présumés responsables de leurs actes, signifie que chacun des deux est d'accord pour choper n'importe quoi. Ce qui est le droit le plus strict de chacun. On a le droit de se suicider. Et même, à petit feu. Et dès lors qu'apparaissent les trithérapies, que la terreur s'estompe, il ne faut pas s'étonner que la capote récède (sic) encore." (Extrait de Génie Divin, p125)

"Pendant les quelques mois où tout le monde était hyper drogué et tu avais des supers clubbers, une ambiance idéale j'ai absolument jamais connu ça, et moi je dansais sur le podium pendant six mois quasiment tous les dimanches, je montais sur le podium et je faisais genre une heure, j'étais défoncé. Il a fallu qu'ils me jettent à coup de pied parce qu'à la fin ils en avaient marre de me voir. Je me suis rendu compte que j'avais été tellement heureux dans ces endroits-là, que quand ça s'est arrêté, c'était comme si quelqu'un m'avait quitté, comme si quelqu'un avec qui en plus j'aurais été extrêmement heureux m'avait quitté." (Extrait de Génie Divin, p 92)