La littérature sous caféine


vendredi 30 mars 2007

Footing et romans de gare



Pour la première fois depuis quinze ans j’ai couru pendant 1 heure (3 tours du Parc des Buttes Chaumont à petites foulées, croisant toutes les vingt minutes les mêmes coureurs en sens inverse). Tout en me vidant la tête et le corps des tensions accumulées depuis des semaines, je réfléchissais aux vertus purgatives des romans « faciles » et je comparais l’efficacité de ma course à celle du livre de Douglas Kennedy, Les charmes discrets de la vie conjugale (Pocket, 2007). Je dévore en ce moment les 600 pages de ce best-seller mondial et je me régale de cette prose insipide, sans style, sans lourdeur non plus, parfaite pour vous happer et vous rendre plus serein.

Un moment l’auteur lance une pique à Thomas Pynchon : la narratrice tente de lire quelques pages et laisse très vite tomber. Difficile en effet d’imaginer deux littératures plus antagonistes que celles de Pynchon (dont le dernier roman fait sensation, semble-t-il, aux Etats-Unis en ce moment) et Douglas Kennedy. Mais je prends mon plaisir aux deux…

jeudi 29 mars 2007

Sondages et cerisiers



sleblanc.blog.20minutes.fr/)

Une mousse hier avec un ami professeur de littérature au Japon, Michaël Ferrier, auteur du beau Tokyo, Petits portraits de l’aube (Gallimard, L'Infini). Il me raconte qu’un scandale vient de marquer le Japon : le présentateur météo s’est trompé de deux jours dans sa prédiction de la floraison des cerisiers. Crime de lèse-majesté ! Pendant que les quotidiens japonais fêtent les fleurs en Une, nous avons droit à la Gare du Nord en feu. Pour me remonter le moral, je me précipite chez Gibert pour acheter trois romans japonais.

Cours à Sciences-Po : pas inintéressant de sonder les élèves sur les auteurs étudiés. Sur Houellebecq par exemple : 1/3 des élèves se disent rebutés, 1/3 plutôt séduits, 1/3 indifférents. Pour Sollers le résultat est plus surprenant : 19 élèves sur 20 restent dubitatifs, et le 20ième trouve le trublion bordelais absolument génial…

mercredi 28 mars 2007

Cancer cool

- Dites, Monsieur, c'est grave le cancer ?

lundi 26 mars 2007

Ressaisis-toi, Sigmund !



Je suis un inconditionnel de Freud. Tous genres confondus, c’est un de mes écrivains préférés – j’admire sa prose limpide, la variété de ses préoccupations, le petit air soucieux de son écriture... Même s’il affirme parfois des choses bien loin d’être évidentes, et si beaucoup de ses textes paraissent suspendus sur une vérité toujours plus profondément enfouie.

Je suis tombé récemment sur ses Nouvelles conférences sur la psychanalyse, et je me suis naturellement précipité sur le chapitre intitulé La Féminité. Je n’ai pas été déçu. Comment le maître peut-il se fourvoyer avec des affirmations si terriblement arbitraires – au détour de paragraphes pourtant lumineux ? C’en devient d’ailleurs assez comique. Jugez plutôt :

« Le bonheur conjugal reste mal assuré tant que la femme n’a pas réussi à faire de son époux son enfant, tant qu’elle ne se comporte pas maternellement envers lui. » (p 176)

« La femme, il faut bien l’avouer, ne possède pas à un haut degré le sens de la justice, ce qui doit tenir, sans doute, à la prédominance de l’envie dans son psychisme. » (p176)

« Un homme âgé de trente ans environ est un être jeune, inachevé, susceptible d’évoluer encore. Nous pouvons espérer qu’il saura amplement se servir des possibilités de développement que lui offrira l’analyse. Une femme du même âge, par contre, nous effraie par ce que nous trouvons chez elle de fixe, d’immuable ; sa libido ayant adopté des positions définitives semble désormais incapable d’en changer. » (p177)

« N’oubliez pas cependant que nous n’avons étudié la femme qu’en tant qu’être déterminé par sa fonction sexuelle. Le rôle de cette fonction est vraiment considérable, mais, individuellement, la femme peut être considérée comme une créature humaine. » (p178)

vendredi 16 mars 2007

Lundi cool

- Dis donc, ça fait longtemps qu’on t’a pas vu le lundi matin…

- Eh Monsieur, je croyais que c’était pas obligatoire, moi, le lundi matin !

jeudi 15 mars 2007

Les révélations tardives

Emmanuel Carrère fait un triomphe avec son dernier livre Un Roman Russe (POL, 2007), et je me plonge dans un de ses précédents succès, L’Adversaire (Folio), (Daniel Auteuil incarnant le personnage dans l'adaptation cinématographique), relatant ce terrible fait divers : Jean-Claude Romand vivait depuis quinze ans sur un mensonge – son entourage pensait qu’il était médecin à l’OMS – quand il a décidé de passer toute sa famille par les armes. Carrère s’intéresse à l'affaire avec pudeur, et double son récit des échos que l’affaire a rencontrés dans sa propre vie.

Réflexion sur le métier d’écrivain, réflexion sur la part fantomatique de nos destins. Rien à dire sur ce petit livre ciselé comme on les aime – d’ailleurs le jugement des élèves nous trompe rarement : mes classes semblent avoir tout de suite accroché à la lecture des quelques extraits que je leur proposais.

Citons pour exemple cette belle page sur l’horreur des révélations tardives :

« Le père avait été abattu dans le dos, la mère en pleine poitrine. Elle à coup sûr et peut-être tous les deux avaient su qu’ils mouraient par la main de leur fils, en sorte qu’au même instant ils avaient vu leur mort (…) et l’anéantissement de tout ce qui avait donné sens, joie et dignité à leur vie. (…) Pour les croyants, l’instant de la mort est celui où on voit Dieu, non plus dans un miroir obscurément mais face à face. (…) Et cette vision qui aurait dû avoir pour les vieux Romand la plénitude des choses accomplies avait été le triomphe du mensonge et du mal. Ils auraient dû voir Dieu et à sa place ils avaient vu, prenant les traits de leur fils bien-aimé, celui que la Bible appelle le satan, c’est-à-dire l’Adversaire. » (p27)

jeudi 8 mars 2007

La vie sexuelle d'un homme laid



Je finis de lire le très beau livre de Richard Millet, Le goût des femmes laides (Folio, 2007): phrase ample, goût du mot juste, souci du souffle narratif pour ces confessions d’un homme au visage déplaisant, marquées par ce qu’on pourrait appeler l’éthique du romancier – celle consistant à ne jamais écrire de page qui ne soit à la fois sensible et belle (très peu de romanciers s’interdisent en effet le remplissage).

Exemple, avec la somptueuse ouverture du roman :

« Comme la plupart des hommes, j’ai raté ma vie sexuelle.
De cet interminable naufrage, je crois pourtant m’être moins mal tiré que d’autres. Je n’ai ni vice ni manie à révéler, ni même d’irrépressibles penchants à la sincérité qui me feraient avouer à une femme de quarante ans que je n’aime que les très jeunes filles, à une femme aux seins menus que je ne peux étreindre que celle qui en ont d’opulents, ou à une jolie personne que la beauté me fait peur. Rares d’ailleurs les femmes qu’on puisse dire belles, presque toutes étant en quelque sorte des laiderons qui s’ignorent, avant de tenter d’apporter en aimant la preuve du contraire ; plus rares les hommes qui aiment vraiment les femmes ; et quasi impossibles en fin de compte l’amour, le bonheur, le pur feu du désir. C’est d’ailleurs l’impossible qui gouverne les rapports amoureux. Quant à ce qu’on appelle la vie sexuelle, ce n’est qu’une commodité de langage : rien d’autre, en fin de compte, que l’ombre portée sur autrui de nos songes d’enfants mélancoliques ou de chasseurs de la préhistoire
. »

vendredi 2 mars 2007

Houellebecq / Sollers et les vieilles putes



J'achève ma relecture intégrale des romans de Houellebecq, et je suis frappé par quelques pages d'une teneur unique dans l'oeuvre du génial auteur : des pages de satire du monde de l'édition, vrais noms à l'appui. Il s'agit notamment de deux scènes dans lesquelles apparaît un Philippe Sollers sautillant et drôle, même si le trait de Houellebecq reste assez cruel. Le premier passage est un chef d'oeuvre comique, comme souvent chez Houellebecq d'ailleurs :

"Dans le train il tenta de se plonger dans Une Curieuse Solitude, renonça assez vite, réussit quand même à lire quelques pages de Femmes - surtout les passages de cul. Ils avaient rendez-vous dans un café de la rue de l'Université. L'éditeur arriva avec dinx minutes de retard, brandissant le fume-cigarettes qui devait faire sa célébrité. "Vous êtes en province ? Mauvais, ça. Il faut venir à Paris, tout de suite. Vous avez du talent." Il annonça à Bruno qu'il allait publier le texte sur Jean-Paul II dans le prochain numéro de L'Infini. Bruno en demeura stupéfait; il ignorait que Sollers était en pleine période "contre-réforme catholique", et multipliant les déclarations enthousiastes en faveur du pape. "Péguy, ça m'éclate ! fit l'éditeur avec élan. Et Sade ! Sade ! Lisez Sade, surtout !...
- Mon texte sur les familles...
- Oui, très bien aussi. Vous êtes réactionnaire, c'est bien. Tous les grands écrivains sont réactionnaires. Balzac, Flaubert, Dostoïevski: que des réactionnaires. Mais il faut baiser, aussi, hein ? Il faut partouzer. C'est important."
Sollers quitta Bruno au bout de cinq minutes, le laissant dans un état de légère ivresse narcissique. Il se calma peu à peu au cours du trajet retour. Philippe Sollers semblait être un écrivain connu; pourtant, la lecture de Femmes le montrait avec évidence, il ne réussissait à tringler que de vieilles putes appartenant aux milieux culturels; les minettes, visiblement, préféraient les chanteurs. Dans ces conditions, à quoi bon publier des poèmes à la con dans une revue merdique
." (Les Particules Elémentaires, p 230)

jeudi 1 mars 2007

Le romantique à casquette



1) Mélancolie de mes balades dans les anciennes rues de Saint-Louis – véritable ville en friche, envahie par le sable… Les romantiques éprouvaient sans doute à peu près la même chose devant les ruines de cathédrales ou de temples romains.

2) Un homme m’aborde dans l’intention de me dire la bonne aventure. Pour me protéger du soleil j’ai vissé sur mon front une casquette jusqu’aux arcades sourcilières. Le reste de la partie supérieure de mon visage est masqué par des lunettes de soleil disproportionnées. L’homme n’hésite pas une seconde à lancer sa phrase d’accroche :

« Ton front me dit des choses intéressantes ! »

3) Accents baudelairiens de ce beau poème de Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal :

« (…) Visage de masque fermé à l’éphémère, sans yeux sans matière
Tête de bronze parfaite et sa patine de temps
Que ne souillent ni fards ni rougeur ni rides, ni traces de larmes ni de baisers
O visage tel que Dieu t’a créé avant la mémoire même des âges
Visage de l’aube du monde, ne t’ouvre pas comme un col tendre pour émouvoir ma chair
Je t’adore, ô Beauté, de mon œil monocorde ! »

(Masque Nègre)