La littérature sous caféine


mardi 28 février 2023

Colette superstar

Pendant dix ans je n’ai cessé de parler de Colette à mes étudiants, à mes amis, dans mes livres, appelant à redécouvrir cette figure éminente de la sensualité. Son style précieux faisait aussi son charme. Et puis, depuis quelques mois, on ne parle plus que d’elle. Couvertures, rééditions, émissions, inscription dans les programmes… Comment expliquer ce retour de flamme ? Peut-être incarne-t-elle un féminisme moins rude que celui d’aujourd’hui, sachant tacler les hommes sans les détester. Peut-être l’amour pour son œuvre annonce-t-il un retour de l’hédonisme en cette période marquée par l’inquiétude. Quoi qu’il en soit, fidèle à mon esprit de contradiction, je commence à être tenté de me détacher d’elle, puisqu’elle est maintenant si aimée. 😊

mercredi 22 février 2023

Vous reprendrez bien un peu de satire ?

Je n’ai rien contre les « nouvelles pédagogies », je les pratique et j’ai même récemment participé à un colloque de didactique. Mais je ne rechigne pas de temps en temps à une petite satire contre les mœurs de l’époque, et contre l’omnipotence d’un certain progressisme.

Patrice Jean s’est fait une spécialité de la dénonciation des faux espoirs du moment, de la culture du slogan, des endoctrinements collectifs, et c’est assez naturellement qu’il s’en donne à cœur joie, dans « Rééducation nationale » (Rue Fromentin, 2023), contre les idéologies en vogue parmi les professeurs, puisqu’il enseigne lui-même. On attendait cette sorte de coming out… Et c’est mordant à souhait, avec ce qu’il faut de caricature et surtout de noirceur, ce désespoir soft qui fait désormais sa patte.

« Ils se virent trois fois pendant les vacances. Agnès aida Bruno à déserter le camp des généreux, des valets du Bien et des Narcisse de l’engagement. Plus il lisait et plus Bruno revenait à lui-même, au réel, au rien. Ces deux sources – Agnès et la littérature – purifiaient sa volonté maladive d’être utile aux autres, de créer du lien social, de raccommoder les déchirures collectives. » (page 108)

lundi 20 février 2023

Les Français, ces brutes



Le film « La couleur du ciel » (2019), librement inspiré de Lovecraft, s’ouvre par une scène où Nicolas Cage propose du cassoulet à ses enfants, ce qui leur arrache des cris d’horreur. « Un plat traditionnel français. – Une nourriture de ploucs ! » (Peasant, en VO).

Je ne pense pas que ce clin d’œil à la France soit incongru. Il y a en effet chez Lovecraft des références régulières aux quartiers français, par exemple dans « L’appel de Cthulhu ». On a vraiment l’impression que pour Lovecraft les Français représentent le chaînon manquant entre sauvages et civilisés. Je ne sais pas dans quelle mesure cela vient d’une expérience personnelle ou bien d’un cliché bien ancré dans la psyché américaine.

« Le 1er novembre 1907, la police de la Nouvelle-Orléans avait reçu un appel désespéré provenant de la région marécageuse au sud de la ville. Les squatters qui la peuplaient descendants des hommes de Lafitte, individus primitifs mais d’un bon naturel, se trouvaient en proie à une terreur panique, car une puissance inconnue s’était glissée parmi eux au cours de la nuit. Ce devait être le vaudou, affirmaient-ils, et un vaudou particulièrement terrible. »

samedi 18 février 2023

La mèche (Contes noirs du Paris moderne, 2.5)



Jean-Michel est un riche notaire admiré de sa famille. Mais il ne faudrait pas qu'un clown se croie drôle à lui raser un jour sa belle mèche blonde...

mercredi 8 février 2023

Seuls en scène

Je suis très admiratif de ceux qui se produisent seuls en scène. Regardant Céline Hilbich jouer avec conviction le beau texte de Carole Fives, « Tenir jusqu’à l’aube » (Gallimard), au Lavoir moderne parisien, je me suis dit qu’il y avait quelque chose de radical dans le fait d’offrir aux regards une performance dense et travaillée, et que je tenterais bien l’expérience. Je me sens souvent des velléités d’incarner une version excessive de moi-même. Le métier de professeur en donne d’ailleurs un avant-goût.

dimanche 5 février 2023

Le cerveau dans le bocal



Quand un comptable trouve un cerveau dans un bocal, il se pourrait bien qu’il goûte aux plaisirs conjugués de l’intelligence et de la méchanceté…

mercredi 1 février 2023

Se mettre en marche

Dans « La révolte des Gaulois » (Léo Scheer, 2020), j’avais parlé de la « protestation d’existence » des Gilets jaunes. Au-delà des revendications, il y avait surtout le désir d’être regardé, la volonté farouche de s’affirmer comme une force collective méritant davantage que l’ignorance ou le mépris.

Le roman « Rond-point » d'Olivier Sheibling (Rue Fromentin, janvier 2023), l’une des toutes premières fictions centrées sur le thème des Gilets jaunes, part d’une même analyse. Le protagoniste souffre d’une vie atone, en perte de sens. Il a le sentiment de se redresser et de se mettre en marche (n’en déplaise à notre président). Il éprouve ce que Simone Weil décrivait dans ses fameuses lettres compilées dans « La condition ouvrière », la joie de se mettre en mouvement dans les grèves et de desserrer l’étau du quotidien.

« Je n’avais pas encore mis en vente la maison de ma mère, celle où elle avait fini sa vie, et elle m’est d’emblée apparue comme le lieu idéal : aucun de mes amis ne connaissait ce village, tellement banal qu’il en devenait indiscernable, inaccessible, presque absent des cartes. Du reste, les vieux d’ici racontaient que personne n’avait jamais vu d’Allemands pendant la guerre, tellement le village était transparent, à l’écart des routes et en dehors du monde. Un non-lieu de rêve pour passer le reste d’une non-vie. Trouver un nouveau job fut une formalité : le chagrin n'avait pas aboli mes compétences, il avait en revanche anéanti toute forme d’amour-propre, toute revendication de statut et même toute exigence financière. J’étais un rêve pour DRH : ni ambition ni frustration, une efficacité de pilote automatique, je travaillais pour vivre et vivre exigeait peu. Mais me demandait beaucoup. »