De même que les points communs entre les œuvres de
Duras et de
Bataille m’ont récemment frappé (intuition confirmée par la lecture du petit livre de
Maurice Blanchot,
La communauté inavouable, qui fait le lien entre les deux œuvres), de même je me laisse surprendre par la ressemblance des styles de Colette et de Morand – chez ces deux derniers je retrouve un même goût pour la formule écrite et sensuelle, pour une littérature de croquis et de notations brèves, pour le portrait précis et cruel, pour les digressions amoureuses.
Une différence notable près, cependant :
Colette prête une attention gourmande aux choses de la nature, qu’elle décrit avec des mots précis, qu’elle sensualise et poétise au point de nouer avec elle de véritables rapports amoureux.
Morand me semble relativement indifférent, lui, aux paysages, aux plantes, aux animaux.
Dans
L’Europe galante (Morand), recueil de souvenirs et de nouvelles placées sous le signe des relations mondaines et des rapports de séduction, on lit par exemple cette belle tirade dite par une lesbienne prestigieuse de l’entre-deux-guerres, tirade que n’aurait pas sans doute pas renié la Colette du
Pur et l’impur :
«
Jamais vous ne reverrez des vies comme la mienne. Je suis une mer fameuse en naufrages : passion, folie, drames, tout y est, mais tout est caché. Les grandes époques ce sont celles où l’argent, les plaisirs, la connaissance des belles et bonnes choses, tout est caché. Fréféric Loliée a bien écrit de moi que j’avais « la gorge libre de tout frein ». Qu’en savait-il ? Au monde nos épaules tombantes, nos bras ronds, nos traits d’esprit, mais le reste ne lui appartenait pas. Aujourd’hui, c’est le bolchevisme des mœurs, le communisme de la peau. C’est pour cela qu’il n’y a plus – comme c’était frappant ce soir – de grandes beautés. Vous êtes à Paris des milliers de petites poules fardées qui se ressemblent toutes. Où sont mes belles amies, la princesse de Sélimonte, et Sophie de Canivet, et la comtesse de Saint-Prune, drapée dans le sombre velours des toiles de Cabanel ? »
Dans la merveilleuse
Maison de Claudine, que je découvre en ce moment et que je place d’ores-et-déjà parmi les trois ou quatre bijoux de Colette, on peut lire ce genre de passages inimitables, saturé de sensations, de notations presque savantes à force de précision, de tendresse pour le monde vivant – une tendresse relativement absente de ce que je l’ai lu de Morand :
«
Il y a des jours où la boucherie de Léonore, ses couteaux, sa hachette, ses poumons de bœuf gonflés que le courant d’air irise et balance, roses comme la pulpe du bégonia, me plaisent pour moi un ruban de lard salé qu’elle me tend, transparent, du bout de ses doigts froids. Dans le jardin de la boucherie, Marie Tricotet, qui est pourtant née le même jour que moi, s’amuse encore à percer d’une épingle des vessies de porc ou de veau non vidées, qu’elle presse sous le pied « pour faire jet d’eau ». »
La prose de Colette flirte vraiment avec la poésie, et c’est son œuvre qui me donne chaque fois envie de me plonger dans des recueils de poèmes d’autres auteurs – ma culture dans ce domaine est encore très limitée, et je n’ai lu qu’un faible nombre de recueils en entier – Baudelaire, Rimbaud, Hugo, Saint-John Perse, quelques autres…