Petit chef-d’œuvre que ce livre de
Philippe Le Guillou,
L’intimité de la rivière (Gallimard, 2010), quintessence me semble-t-il de son travail de romancier. Il entreprend de décrire ici la rivière finistérienne qui l’a fait rêver, enfant, et dont les sortilèges n’ont cessé de croître.
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L’amont de la rivière (…) m’attirait comme un mystère impénétrable, la clé même de ce territoire, quelque chose qui avait partie liée avec la nuit, l’enfer, les mondes inaccessibles. »
Il ne s’agit pas ici de géologie mais de mythe, de sentiment religieux, de tendresse et d’exaltation devant la beauté des lieux. D’une certaine manière, et sans vouloir faire d’analogie politique, la Bretagne de Philippe Le Guillou ressemble à la Lorraine de Barrès : intime intrication de légendes païennes et de mysticisme chrétien, noces de la terre et de brumes rêveuses…
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Là est sans doute la singularité de mon ancrage chrétien puisque c’est dans le beau baptistère de pierre ocre, à la cuve décorée de cerfs et de lions, qu’un jour d’août 1959, sous le regard de mon grand-père maternel, ce veilleur taciturne, j’ai reçu le sacrement du baptême. C’est là une variété rare et forte de l’ondoiement, sous les étoiles d’or, entre l’autel à l’époque surmonté d’un baldaquin digne de la Contre-Réforme et la porte des mots… »
Le Guillou dit avoir écrit son texte rapidement, mais il est d’une étonnante densité. Beaucoup de mots rares dans des phrases sonores et ciselées, pas un paragraphe négligé dans cette prose qui n’a rien à envier à celle de Gracq – Le Guillou ne cache d’ailleurs pas son admiration pour l’auteur du Rivage des Syrtes.
Le lecteur devine d’autres clins d’œil littéraires, que l’auteur va jusqu’à souligner, par exemple à Proust et à son amour pour les « Noms de pays » : «
Parce qu’il y a une forêt en amont de la rivière, et pas n’importe laquelle, la forêt du Cranou, au nom profond, épais, qui concentre en ses sonorités minérales et végétales un fragment noir du mystère breton… » (page 18)
A Ponge, aussi, ou à Breton (quel heureux hasard que ce nom, décidément) : «
Oui, une force, à cet instant, me tire du côté du large, à l’ouverture de l’échancrure, un aimant inverse qui me trouble et me déchire, me halant vers, sans doute, ce que j’aime moins, c’est-à-dire un paysage trop ouvert, la domination marine, la circulation du vent, le roulement des eaux qui emportèrent la pauvre Annonciat… »
Le Guillou décrit ici son paradis – le paradis de son enfance et de son imaginaire. Dressant l’inventaire des fascinations qui l’auront toujours guidé, il fait l’économie de la fiction pour dépeindre ses aspirations les plus secrètes. Dès les premières pages, j’ai senti que ce livre serait mon préféré dans sa bibliographie. Et je sais qu’il m’accompagnera longtemps dans mes promenades en littérature et géographie françaises…
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Tout concourrait à me faire entrer dans une sorte de mémoire vive et chamarrée du christianisme » (page 47)
Trois questions à l'auteur :
1) Que penses-tu de l'oeuvre de Barrès et penses-tu lui être proche ?
La terre, les morts... Je ne suis pas insensible, en effet, à une poétique de l'enracinement. Non, Barrès n'appartient pas au nombre de mes "préférences" littéraires, mais j'aime beaucoup son texte sur Le Greco et Tolède.
2) Quel est celui de tes livres auquel tu es le plus attaché et pourquoi ?
Difficile à moi de le dire. Les textes autobiographiques sans doute, Le passage de l'Aulne, Les marées du Faou, Fleurs de tempête, mais l'autre versant de mon travail, essentiellement romanesque, compte beaucoup, et là je songe aux Sept noms du peintre, au Dieu noir et à sa continuation publiée ce printemps 2012, Le pont des anges...
3) Comment définirais-tu ton écriture ?
Poétique, soucieuse de la langue, de sa musique et de ses effets. Résolument ancrée aussi dans le territoire romanesque, dans son filon initiatique et mythique.
4) Quel regard portes-tu sur "L'intimité de la rivière", deux ans après sa publication ?
C'est un livre qui est venu alors que je ne l'attendais pas, qui a surgi au printemps 2010, et que j'ai écrit en très peu de jours. Il sourd de l'enfance, de la mémoire. C'est une cartographie de mon territoire natal, entre le port du Faou et la forêt du Cranou, un des lieux qui m'inspire le plus.