La littérature sous caféine


mardi 7 mai 2024

Sazerac

A la Nouvelle-Orléans je mange des petits déjeuners créoles, des saucisses d'alligator, du boudin, des oeufs brouillés, des scones, des beignets, de la purée de maïs, des crevettes épicées, des Po-boys, des gumbos, des jumbalayas, des cacahuètes au chocolat, des bretzels à la crème, du poulet frit, des crevettes frites, des écrevisses à l'étouffée, de l'andouille, du bacon, des burgers cajuns, des pralines. Je bois des litres de café, d'IPA, de Sazerac, de Daiquiri, respirant les vapeurs de marijuana dans les environs de Bourbon Street. Heureusement, les transports publics sont rares et je marche beaucoup.

samedi 4 mai 2024

Défendre le français louisianais

De visite à l'Alliance française de la Nouvelle-Orléans pour une conversation créole, j'ai le plaisir d'échanger avec Lawson Ota, ardent défenseur des "créoles et français de Louisiane". La langue cajun a disparu de la Nouvelle-Orléans. La vie citadine accélère l'américanisation ; Créole et français manquent de structures, comme il en existe par exemple en France pour le breton. Lawson déplore par ailleurs la tendance à réduire le français de Louisiane au cajun. En effet, d'autres que les Acadiens parlaient français. Les "Américains" ont plus ou moins consciemment divisé le monde créole entre Blancs et non Blancs; dans ce qui est devenu le "French quarter", toutes les populations se mêlaient pourtant. Cette façon d'opposer et de séparer les populations par zones fragilise le monde créole. L'un des nombreux paradoxes d'un pays qui se veut défenseur des minorités...

mardi 16 avril 2024

Déesse païenne

En vadrouille au Père-Lachaise avec Étienne Ruhaud pour tourner une première vidéo "Amitiés littéraires", je ne pouvais faire l'économie d'une visite à la tombe de Colette, chère déesse païenne, chantre des amours cruelles. Il faisait beau, la lumière pleuvait sur les tombeaux mégalomanes, sur les touristes en goguette. Elle aurait aimé qu'on la célèbre jusque dans ce temple de la mort en fanfare.

mercredi 10 avril 2024

Le Far West de la France

La Louisiane, Far West de la France… Une terre d’aventure aux frontières indécises, finalement bradée à vil prix mais réserve rétrospective de récits hauts en couleur. Je m’y rendrai bientôt avec cet horizon en tête, à l’affût des traces de présence française comme de tout ce qui constitue encore aujourd’hui la source d’une certaine mythologie.

Adolescent, j’avais dévoré le roman que Georges Blond avait tiré de la vie du célèbre corsaire, « Moi, Laffite, dernier roi des flibustiers » (1986). Je le relis aujourd’hui conscient des faiblesses de l’écriture mais heureux de plonger si facilement dans une Louisiane et une Caraïbe croquées avec panache. Puisse la France se souvenir qu’elle est terre de héros !

mardi 9 avril 2024

La vie sexuelle de ma tortue

Qui ne s’est jamais interrogé sur la vie sexuelle de son animal de compagnie ? Dans ce texte mordant, Aymeric Patricot découvre celle de sa tortue, qu’il prenait pour un animal triste et apathique, mais dont il découvre les grands appétits. Une fiction qui interroge la folie couvant dans les espaces pavillonnaires, où la vie semble pourtant si tranquille.

mardi 2 avril 2024

La crasse et la grâce

En quelques décennies la pratique du catholicisme s'est effondrée. Je n'ai jamais été croyant mais je m'amuse aujourd'hui à fréquenter les mystiques, à guetter ici ou là les restes d'une immense et folle mythologie. Les catholiques deviennent une minorité exotique, bien moins médiatisée que d'autres. Pour cette raison ils ont toute ma sympathie, quels que soient les agacements qu'ils peuvent susciter.

Le récit de Thibault de Montaigu, La Grâce (Plon, 2020) fait partie de ces résurgences incongrues. Le narrateur y raconte sa crise mystique, et son enquête sur un oncle lui-même touché par la grâce. Dans les deux cas, la révélation est survenue après des mois de débauche. Elle a surgi à un moment qui paraissait la refuser, à une époque qui n'était pas faite pour elle. Au fond, le Christ nous fait l'effet d'un Dieu bizarre, un peu inquiétant, alors qu'Il dort sans doute en nous bien plus que nous ne l'imaginons.

mercredi 20 mars 2024

Les masques révèlent

Pour « La Viveuse » (2022), j’ai pensé prendre un pseudonyme. Le prénom Camille, épicène, aurait entretenu le doute et m’aurait évité les jugements du type : « Encore un homme qui fantasme sur les p… ! » (Reproches qui surviendraient en effet). Mon éditrice Angie David m’en a dissuadé. Son argument était qu’il serait dommage de ne pas capitaliser sur un nom d’auteur déjà identifié ici ou là.

On retrouve cet argument dans son propre livre, « La Renommée » (2024, Léo Scheer). Elle y disserte agréablement sur le fait qu’elle a troqué le nom de son père pour celui de sa mère. Son nom d’écriture est ainsi devenu, par le miracle d’une loi opportune, son nom légal – cas original. Le titre joliment polysémique annonce une réflexion subtile sur le rapport complexe des auteurs à leurs noms. Le livre étudie par exemple les cas d’Edouard Louis ou de Constance Debré, dont les œuvres relèvent précisément de l’invention de soi.

Pour ma part, j’ai moins le fantasme de me créer par l’entremise d’un nom que de lancer une carrière-bis sous un pseudonyme qui serait un masque. A son ombre, je m’adonnerais à toutes sortes d’expériences littéraires inavouables. La liberté par l’anonymat, en somme – pas par la fusion du masque et du visage.

lundi 18 mars 2024

Tombeau de Brest

Je suis né dans une ville rasée par les Anglais, j’habite près d’une autre ravagée par les Allemands. C’est dire comme je lis avec attention le « Brest, de brume et de feu » (Gallimard, 2024) d'un ami de longue date, Philippe Le Guillou. Le Prix Médicis 97 y adopte une démarche très modianesque de promenade sur les lieux de son cœur. A vrai dire, toute son œuvre est une rêverie mêlée de souvenirs, parfois romancés – Bretagne baignée de légende, Paris secoué par l’histoire, églises hantées par les rites, pèlerinages littéraires… On passe de livre en livre comme le regard sur une mosaïque.

Ici, l’évocation de Brest par le prisme familial et personnel offre matière à une variété de récits. C’est l’évocation de la ville martyrisée par la guerre, le portrait de grands-parents nés dans la campagne, la peinture d’amours et d’amitiés décisives… Le tout ponctué de clins d’œil à Jean Genet, de coups de griffes à la didactique ou au marigot politique. Le livre est vif, émouvant, structuré par les références à la "cité minérale". Et il se clôt par une épiphanie mélancolique :

« Elle passe la figure de ce monde, mais, comme la cérémonie du thé chez Robbe-Grillet, à la toute fin du Miroir qui revient, « ça n’est jamais fini », un nouveau Brest affleurera bientôt, à moins que ce ne soit le substrat primordial de la cité enfouie qui remonte des abîmes : c’est là le sort des villes-palimpsestes. »