La littérature sous caféine


lundi 31 janvier 2011

Le sexe sur-écrit



Je prends souvent Henry Miller en flagrant délit de surécriture, notamment lorsqu’il raconte des scènes de sexualité effrénée ou qu’il se laisse emporter, après coup, par un lyrisme faussement brillant – accumulation d’adjectifs baroques, phrases inutilement longues, mots rares dont il se demande s’il ne vient pas de les trouver, par hasard, dans le dictionnaire…

Par exemple, ce passage qui fait suite à une scène d’amour sur la plage avec Mona, dans la deuxième partie de Sexus :

« Bientôt, les feuilles d’automne feraient leur bruit de soie froissée sur les échelles de secours rouillées et les poubelles en tôle. Bientôt, l’épidémie serait finie et l’océan reprendrait ses airs de grandeur gélatineuse, de dignité mucilagineuse, de solitude morose et rancunière. Nous étions maintenant allongés au creux d’une dune de sable et onduleuses, au bord sous le vent d’une route macadamisée, sur laquelle les émissaires d’un siècle de progrès et de lumière roulaient, dans ce fracas familier et sédatif dont s’accompagne la plane locomotion de ferblanteries à cracher et péter, étroitement tricotées à coups d’aiguilles en acier. » (Sexus, Livre de poche, 201)

Le passage suivant est plus réussi. Son style est aussi échevelé que la sexualité qu’il décrit, mais c’est un « échevèlement » mesuré, d’une certaine façon :

« Ce qui m’étonnait, c’est que ça continuait à se tenir levé comme un marteau ; ça avait perdu toute apparence d’outil sexuel ; ça vous avait un air écoeurant de machin-truc bon marché droit sorti du prisunic, de fragment d’engin de pêche brillamment coloré… moins l’appât. Et sur ce machin-truc, éclatant et glissant, Mara se tortillait comme une anguille. Elle n’avait plus rien de la femme en chaleur, ou même de la femme ; elle n’était qu’une masse de contours indéfinissables, gigotant et grouillant comme un morceau d’appât frais que l’on verrait sens dessus dessous, à travers un miroir convexe, dans une eau de mer agitée. » (Sexus, page 200)

vendredi 28 janvier 2011

Les magazines sont-ils des livres ?



1) Je ne comprends toujours pas la phrase lancée à la cantonade par un grand gaillard aux cheveux blancs, dans un bistrot du quartier de la Sorbonne, alors qu’il s’apprêtait à descendre vers les toilettes (et je me perds en conjectures pour essayer de comprendre un éventuel jeu de mot) : « Un petit café pour le haut, un petit café pour le bas ! »

2) Dans un bistrot de Bastille, je transporte mon barda pour changer de place et m’installer sur une table près de laquelle se trouve une prise. Le patron lève un doigt et me précise : « Attention, le café sera un peu plus cher, à cette place… » Très surpris, je lui lance un candide : « Ah bon, c’est vrai ? » Il lève les yeux au ciel.

3) Premier contact avec une classe de BTS. J’annonce aux élèves qu’ils devront faire, chacun leur tour, un exposé sur un livre qu’ils ont lu. Plusieurs s’inquiètent, déclarant qu’ils n’ont jamais lu de livre de leur vie. « Monsieur, un numéro de Closer, ça marche ? C’est un livre, ça, Closer ! »

mardi 25 janvier 2011

King en toc ?


The Shining - Trailer (Stanley Kubrick)
envoyé par dictys. - L'info video en direct.

Adolescent, j’ai été marqué par le Shining de Stephen King, qui m’avait à la fois ébloui et terrifié. Le film de Kubrick, à côté, m’avait semblé singulièrement dénué de tous ces détails qui en faisaient la saveur. Trop limpide, trop simple, trop « cinématographique », en un mot…

J’aime bien de temps en temps lire un Stephen King pour essayer de retrouver mes frissons d’enfant, mais force est de reconnaître que je suis assez souvent déçu… Comme avec ma lecture du Fléau, roman de 600 pages (dans sa version courte) considéré pourtant comme l’un des meilleurs. Le thème avait tout pour attiser ma curiosité : maladie ravageant les Etats-Unis, clans s’opposant et se déchirant autour de quelques figures charismatiques…

Le problème est qu’on lit ce roman jusqu’au bout pour savoir comment King va clore cette étrange histoire d’affrontement entre l’homme incarnant le Mal et la femme incarnant le Bien dans cette contrée ravagée par la maladie, mais que le dénouement laisse un singulier sentiment de kitsch et de toc… (Un peu comme pour la chute, grotesque, du fameux film Ça dans lequel une sorte d’araignée géante incarnait, elle aussi, l’esprit du Mal). On n’apprend pas vraiment d’où sortent ces étranges créatures, pourquoi elles meurent, pourquoi elles se comportement de telle ou telle façon, et les scènes d’épouvante font rire bien plus souvent qu’elles n’attirent l’attention.

En revanche la vraie qualité de King réside, paradoxalement, dans ses scènes réalistes, toutes ces histoires qui lient les personnages et leur donnent de l’épaisseur. On comprend son succès d’écrivain : ses personnages sont attachants, parce qu’ils sont singuliers et vivent des relations d’amour ou de haine souvent originales. En fin de compte, le décorum horrifique pourrait presque être évacué… Un comble, pour un roman d’épouvante ! (J’adore ce mot, épouvante… J’ai envie d’écrire des romans d’épouvante rien que pour y accoler ce mot-là…)

mardi 18 janvier 2011

Quand Miller dit "bite" et "couille"


Bande-annonce After Hours (Quelle nuit de galère) - Scorsese
envoyé par Altanisetta. - Regardez plus de films, séries et bandes annonces.

Dans la première scène du film After Hours (film relativement méconnu de Scorsese, en ce moment rediffusé au cinéma), le protagoniste dévore Le Tropique du Capricorne (Henry Miller) dans un bar et se fait aborder par une femme admiratrice de ce même livre. Elle va entraîner notre personnage dans une nuit qui s’annonçait folle et qui se révèle catastrophique, prenant les apparences d’un véritable cauchemar. L’œuvre de Miller, l’une de ces œuvres qui vous donne furieusement envie de vivre, fait ainsi peur : se laisser entraîner dans les délires auxquels elle incite, ce serait prendre le risque de saborder sa propre vie…

Je dévore précisément Sexus, en ce moment, le premier volume de la trilogie autobiographique de Henry Miller. Il y raconte son histoire avec l’ébouriffante Mara, et la transformation qui s’opère en lui : passé trente ans, le voilà complètement à l’étroit dans sa vie de couple avec Maude et son emploi dans une entreprise de télégraphe. Bientôt, il va quitter femme, travail et enfant pour vivre pleinement son amour avec Mara, se consacrer à l’écriture et quitter l’Amérique pour la France – il y rencontrera Anaïs Nin.

Miller est connu pour son côté vorace et sa crudité, et c’est vrai qu’on retrouve dans son travail la même exigence de passion que chez Nin, mais avec beaucoup moins de sentimentalisme. Disons que les bites, les couilles et les cons remplacent les amours, les tendresses et les accomplissements. La vie, pour Miller, c’est explorer les corps et les situations, puis nommer les choses avec le plus de précision possible, ainsi que se lancer dans de grandes phases de lyrisme sexuel – pour Nin, il s’agit plutôt de décrire les fusions passionnelles et les courants d’amour entre les êtres. Plus d’élégance chez elle, plus de fluidité, plus de beauté formelle, mais quelque chose de plus étouffant aussi, je trouve. Miller dit bite et couilles, et ça fait sacrément respirer son texte…

lundi 10 janvier 2011

Les meilleurs films sortis en 2010

Jeu puéril mais délicieux des classements...

J'ai vu cette année plus de 60 films (je ne tiens compte que des sorties 2010), et les meilleurs m'ont semblé être les suivants :

1) Mother, de Bong Joon-ho.

Encore une fois, le cinéma corréen se distingue par sa force, son originalité, son ambition.



MOTHER bande annonce Joon ho Bong
envoyé par sortiescinema. - Les dernières bandes annonces en ligne.

2) Social Network, de David Fincher, pour sa maîtrise formelle et son souffle (et le tour de force de happer l'Histoire à quelques mois près).

3) Tamara Drewe, de Stephen Frears, pour son irrésistible satire des moeurs d'écrivains dans la campagne anglaise.

4) Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, de Woody Allen, pour son incroyable vitalité, son mordant, sa vision désabusée mais drôle de l'existence.

5) A égalité : Potiche, de François Ozon / Esther (l'un des meilleurs films d'horreur qu'il m'ait été donné de voir) / Machete, pour le côté revigorant de ses torrents d'hémoglobine.

Et mon TOP SHIT 2010:

1) The American, avec George Clooney, pour sa surprenante vacuité.

2) The Expendables, de et avec Sylvester Stallone (rien à sauver dans ce film).

3) L'Elite de Brooklyn (trop glauque, trop long, trop pénible...)

4) Copains pour toujours (comédie trop longue, mal foutue et pas drôle).

5) Skyline (Nanard dont le final reste cependant surprenant...)

vendredi 7 janvier 2011

La pierre et le béton de Sicile



(Une rue de Palerme, fin 2010)

Je reviens d'une petite semaine en Sicile, que je découvrais. Quelques rapides impressions :

- Au nombre des bonnes impressions, les paysages très verts, surtout au Nord et au centre de l'île, vastes et majestueuses plaines plantées d'oliviers et couvertes de prairies de couleurs vives. Un effet conjugué de l'hiver, relativement doux, et d'une terre fertile ? Je m'attendais à des étendues beaucoup plus sèches, que je n'ai guère aperçus qu'au Sud.

- J'ai été conquis par les cafés, plus petites que les français, mais plus élégants, plus colorés, servant aussi de pâtisseries et des encas salés - véritables intermédiaires entre le bistrot et la boulangerie.

- A ce propos, j'ai pris goût aux cafés italiens (la boisson) que j'avais trouvés jusqu'à maintenant beaucoup trop corsés mais qui, très légèrement sucrés, m'ont paru cette fois-ci savoureux.

- J'ai été frappé par le contraste entre Palerme et d'autres villes, plus petites : autant le centre historique de Palerme tombe en ruines (encore crasseux et délabré malgré la rénovation qui semble à l'ordre du jour), autant les autres villes présentent quelques délicieuses ruelles témoignant d'un glorieux passé historique, bien entretenu (je pense par exemple à Agrigente).

- A cet égard, cependant, la seule chose à m'avoir vraiment déçu de ce que j'ai vu de la Sicile est l'aspect général des villages, même les plus appréciés : je n'ai pas vu de village vraiment beau, dans le sens où la plupart des maisons sont faites de parpaing et de béton ou sont couvertes d'enduits bien ternes. A quoi dont-on que les villes siciliennes paraissent si belles, de loin, mais qu'elles prennent un aspect relativement misérable quand on les approche ? Pénurie de belles pierres ? Caractère terne de la pierre sicilienne ? Coût de cette même pierre ? Pauvreté de l'île ? Catastrophes subies (guerres, tremblements de terre...) ayant nécessité des constructions rapides ? Les villages siciliens occupent souvent des sites spectaculaires, mais j'en ai pas vus qui soit aussi léchés que ceux de Toscane, par exemple, ou ceux de certains campagnes françaises.

- J'ai lu toute la semaine le somptueux roman de Lampedusa, Le Guépard, sur lequel je vais revenir bientôt...