La littérature sous caféine


samedi 26 avril 2014

Réactions de lecteurs (2)

Mail collectif d'un auditeur de ma conférence à Marseille pour NDL :

Une question qui m’a étreint au point d’aller la poser à l’auteur et de nous la poser ici et de la lui poser : Que faire ?

La force de sa conférence, c’est le parallèle entre ses « petits blancs » exclus du monde économique solvable, et lui-même l’auteur, et je me sens complètement comme lui, « petit blanc intellectuel », exclu aussi. De quoi ? par qui ? rejeté où ? mais surtout, que faire ? qu’est-ce que le petit blanc peut faire ? ou plutôt qu’est-ce que nous, citoyens pouvons faire pour eux, et pour nous, car nous partageons le même monde, qui ne résume pas à un mode économique solvable : il n’y a qu’une planète, qu’un espace vital vivable… et qu’est-ce que nous, petit blanc intellectuel, pouvons faire pour ne pas faire comme le petit blanc qu’il nous décrit…

Mais justement, revoyons d’abord ce qu’il nous décrit dans sa conférence,

Aymeric, l’auteur conférencier, nous a retracé le portrait de gens qu’il appelle « petits blancs ». Des gens pauvres, exilés chez eux, prenant de ce fait un beau jour conscience de leur blanchitude et de leur exil irrévocable, non pas quelque part, mais hors de leur groupe majoritaire d’origine.

Il fait le parallèle aux Etats-Unis où il voit les mêmes « petits blancs » qui eux se revendiquent « white trash », « raclure de blancs ». Là-bas, il a identifié que leur comportement tend à une forme de désir d’intégration locale. Intégration qui a minima s’exprime par l’acceptation de leurs voisins d’infortune et non pas par la haine envers ces minorités communautaires qui sont son univers et l’en auraient virtuellement exclus (virtuellement car le pauvre blanc white trash est bien obligé d’y vivre quand même). Intégration à ses voisins en communautés pourtant excluantes, mais Intégration quand même et qui s’exprime surtout par le rejet… du blanc bourgeois qui l’ont exclu, lui, petit-blanc white trash effectivement de la pseudo-communauté majoritaire, rejet hors de toute communauté qui va se traduire jusqu’à la violence revendiquée à l’encontre des blancs-bourges telle d’un Eminem (rappeur qui vaut le détour, 8 mile, très beau film qu’Aymeric aurait pu citer dans ses nombreuses références à cette culture US).

Chez nous en France, plutôt que Violence, il constate une certaine Léthargie : le « petit blanc » renonce et s’enfonce là où il est, en y trouvant sa place, avec résignation, n’y trouvant pas sa vie car il y a nulle part où aller, n’y exprimant plus aucune voix, le contraire donc d’une FN-isation dont certains bien-pensants se disent qu’elle devrait ou risquerait être leur expression naturelle, phénomène dont ils craignent qu’elle ne soit récupérée comme « cette souffrance blanche en terre envahie » et que ce risque de FN-isation suffit selon eux à justifier le voile pudique, pardon, la chape de plomb dont ils veulent incarcérer la pensée autour de ce thème.[...]

mercredi 16 avril 2014

Réactions de lecteurs (1)

Un mail de la part de Gilles, qui a lu le livre et assisté à la conférence organisée par Nouvelle Démocratie Locale à Marseille:

"Cher Aymeric,

Après la soirée NDL, j'ai lu votre livre la plume à la main, ce qui ne manquera pas d'exaspérer ceux à qui je vais le faire lire.

Pour que vous me situiez, je suis gilles à qui vous avez dédicacé le livre à la fin de la soirée, j'étais intervenu, comme ancien IA de l'Ariège, en donnant des exemples de petits blancs.

Avant d aller plus loin, je vous en transmets un exemple qui peut vous interesser :quand on a créé des postes précaires de 18 ou 24 mois pour servir de secrétaire aux directeurs d'école ou d'accompagnateurs de certains handicapés, on a apporté dans chaque village un poste à une personne,toujours une femme,qui n avait plus l autonomie et la capacité d aller chercher du travail. J'ai vu clairement ces personne jusque là invisibles dans la verdure, la solitude et la pauvreté, reprendre gout à la vie et à la dignité.

18 mois ou 2 ans apres on les a renvoyées à l invisibilité car ce type de poste est à durée limitée .D autres dans les memes villages ont pris leurs places,vous avez raison,ils sont nombreux.

Sur votre livre

d abord une impression de remarquable maitrise:il n est pas simple de construire un essai par le montage d entretiens,vous y réussissez en décortiquant positionnements, significations et langage pour eclairer les non dits sans apparaitre ,c est à dire sans faiblir dans l analyse de vos objets(sauf une fois par rapport à Michea)au point qu il faut attendre le bout du bout du suspense,à la page 155,pour que vous indiquiez au milieu de toutes ces attitudes ambigues quelle posture progressiste est possible.ouf!

Votre travail n est pas seulement remarquable parce qu il met en evidence ce groupe social , les modes et raisons de son occultation,mais parce que ce groupe ,fond ultime du panier,constitue la crainre ,réelle ou fantasmée, de tous ceux qui se sentent oubliés ,non défendus , encerclés ,en perdition ou en risque de le devenir, c est à dire des 38 pour 100 prets à toutes les aventures politiques parmis lesquelles le front national et l abstention sont les variantes en vogue Si l on pense que les profits capitalistes pour devenir de plus en plus grands doivent détruire de plus en plus d emplois,montrer le point le plus bas de la chute devient une contribution essentielle à la problématique du moment(qui va durer)

On utilise souvent le mot déclassement pour traduire ce sentiment de chute ou de déchéance.c est un concept difficile à établir car ceux dont on voudrait évoquer la chute ne sont souvent jamais montés bien haut.J ai ,fort utilement,eu recours à l explication de Clair Michalon qui distingue les sociétés de précarité et les sociétés de sécurité comme une succession d états .lla crainte ou le sentiment de déclassement devient alors la peur de la regression au stade précédent avec tous les comportements sociaux que cela implique.

Je signale son nom à votre curiosité

Je voudrai savoir pourquoi,dans cette sociologie des ressentis,si juste et si actuelle,vous etes passé au large de l économie parallèle dans les citées et de l islam dans sa forme menaçante ,réelle ou fantasmée,comme s ils n intervenaient pas dans la conscience de soi au milieu ces autres dans les banlieues. avez vous pensé que ces deux éléments brouilleraient votre sujet plus qu ils ne l éclaireraient? Merci donc pour ce livre,tenez moi au courant d une suite éventuelle,car j ai l impression que le lièvre que vous avez levé risque de vous suivre

Un mot plus personnel:je vous ai dit essayer de rédiger 50 ans d entretiens avec moi meme sur le sujet de l école.je retire de votre lecture la certitude qu il faut se départir de l envie de commenter pour laisser parler les témoignages.

Merci donc et au plaisir
"

mardi 18 mars 2014

"Blancs pauvres : un enjeu pour les municipales ?" (Le Figaro)

Article publié dans l'édition papier du Figaro, mardi 18/03/2014:

Les Etats-Unis l’ont compris depuis longtemps. Dans un pays multiethnique, il est une catégorie de citoyens à laquelle on n’a pas le réflexe de penser : les Blancs pauvres. En effet, si ces derniers appartiennent à une communauté que l’on tient pour privilégiée, leur niveau de vie les apparente davantage aux minorités généralement considérées comme les plus mal loties. Par conséquent, ils occupent ce qu’on pourrait appeler un angle mort de la sociologie politique.

C’était en partie le sens d’un beau discours de Barack Obama, prononcé en 2006 et publié sous le titre De la race chez Grasset, dans lequel il déclarait : « La plupart des Américains de la classe ouvrière et de la classe moyenne blanche n’ont pas eu le sentiment d’avoir été particulièrement favorisés par leur appartenance raciale. » Ce genre de considérations, tenues par un homme peu susceptible de dérives racistes, relève d’un certain pragmatisme. Mais il n’arrive pas à franchir la barrière des pudeurs politiques françaises – et de leurs grands principes.

Depuis quelques décennies, la France tient pour une régression la prise en compte de l’ethnie : nous rêvons d’une société post-raciale où toute référence à l’origine serait bannie, voire inutile, et où la couleur de peau disparaîtrait du langage – ce qu’on appelle, aux Etats-Unis, la color-blindness. Mais le contexte évolue : chaque jour, la France devient plus diverse. Les origines, les cultures essaiment sur le territoire. Le processus est d’ailleurs appelé à s’accentuer. Dans ces conditions, parler du phénomène n’est pas faire marche arrière. Au contraire, c’est prendre à bras le corps cette France dont le visage se métamorphose.

Malgré tout, la diversité reste à l’état de slogan. Les discours politiques réclament de la « différence » mais ils interdisent d’en décrire les facettes. Surtout d’ailleurs lorsqu’il s’agit de Blancs : nommer les Blancs, ce serait reproduire le racisme que l’on accuse d’avoir présidé à toutes les entreprises malheureuses du vingtième siècle. Les Blancs pauvres sont pris au piège de cette inconséquence sémantique. En tant que Blancs, ils n’ont pas le droit de se plaindre ; en tant que pauvres, on les tient pour moins pauvres que d’autres, les « non-Blancs » comme les appelle par exemple le CSA. Pour le dire autrement, ils sont à la fois trop blancs pour intéresser la gauche – qui s’est fait une spécialité, depuis les années 80, de la défense ces minorités (du moins sur le papier) – et trop pauvres pour intéresser la droite – redevenue bourgeoise, aux yeux du peuple, depuis le tournant « bling bling » de Sarkozy.

Une démocratie véritable n’aurait-elle pas le courage de donner la parole à toutes les composantes de l’opinion ? Ne se ferait-elle pas un devoir d’assurer une représentation du peuple aussi précise, aussi exhaustive que possible ? Nous en sommes loin. La très faible confiance accordée à l’exécutif – qui doit bien faire rire, cela dit en passant, d’autres pays que l’on tient pourtant pour moins démocratiques – en est sans doute un des signes. En France on aime interdire : on réprime, on étouffe, on lance des oukases. Parfois, c’est à se demander si nous sommes vraiment attachés à une notion que nos Lumières ont pourtant contribué à forger : celle de démocratie libérale.

Certes, je ne suis pas sûr que l’on soit encore mûr pour introduire dans les débats politiques, à propos des communautés, un vocabulaire aussi franc qu’aux Etats-Unis. Cela est-il même souhaitable ? Cependant les sujets ne manquent pas concernant « la diversité », même à cette échelle locale que les élections municipales viennent éclairer : abstention massive, révélatrice d’un décrochage du peuple par rapport aux discours officiels ; pauvreté des campagnes aussi profonde que celle des « quartiers difficiles » ; villes relativement scindées, d’un point de vue ethnique, comme Marseille, Lille, Paris ; répartition plus ou moins organisée à l’échelle nationale des « populations nouvelles »… Sur chacun des sujets, on ne perçoit que gêne, euphémismes, agressivité. Des questions passionnantes deviennent matière à scandales fantaisistes – je pense à la fameuse affaire de la « rumeur du 93 ». Les questions sont dans toutes les têtes, mais sur aucunes lèvres – du moins, pas celles de nos édiles.

Un grand pas vers la sérénité serait effectué si l’on arrêtait de traiter par le mépris des inquiétudes pourtant légitimes. Par exemple, s’il est difficile de nier certains bienfaits de la mondialisation, il me paraît absurde de refuser de considérer les tensions qu’elle génère. A cet égard, nous pourrions compléter la définition que je donne des « petits Blancs » dans mon livre (« Blancs pauvres prenant conscience de leur couleur de peau dans un contexte de métissage ») : les Blancs aisés feraient leur miel de la mondialisation lorsque les petits Blancs, plus fragiles, en verraient surtout les méfaits.

Le jour où la classe politique prendra vraiment la mesure de cette fracture, il est à supposer qu’une certaine recomposition du champ politique aura lieu. J’entends souvent dire que parler des origines, des identités, des angoisses suscitées par l’époque serait faire le jeu du Front national. Je pense le contraire. N’est-ce pas laisser un singulier monopole à ce parti que de lui abandonner des franges parfaitement identifiées de l’électorat ? Une erreur que ne commettent, aux Etats-Unis, ni les conservateurs ni les démocrates.

Aymeric Patricot.

jeudi 6 mars 2014

Agenda

Quelques rencontres-conférences à propos des "Petits Blancs" :

- Mardi 4 mars 2014, à l'école Néoma de Reims.

- Mercredi 5 mars, à l'école Kedge - campus de Marseille.

- Mercredi 2 avril, pour l'association "Nouvelle Démocratie Locale" à Marseille.

- Mardi 13 mai, au Club de la Presse de Lille.

lundi 3 mars 2014

Les petits Blancs sur Fréquence protestante


Qui sont les petits Blancs ? par monsieurping2

samedi 1 mars 2014

La révolte gronde... Et certains s'en étonnent !

Ma réaction sur le site Figaro.vox à l'étude publiée par Le Monde sur le malaise de la jeunesse :

La belle et significative enquête publiée par Le Monde « Génération quoi » m’attriste et me fait sourire à la fois. Le Monde a le mérite de pointer du doigt l’amertume de la jeunesse. N’est-il pas cependant savoureux de voir la presse constater des envies de révolte, s’étonner que les gens se sentent incompris, tout en pratiquant par ailleurs, et de manière assumée, le déni de réalité ?

Un terreau favorable à la révolte, c’est la rupture du dialogue. C’est le mépris qu’on oppose aux inquiétudes et le refus de relayer, auprès des puissants comme du reste de la population, les souffrances relevées sur le terrain.

L’aventure du livre « Les petits Blancs » m’a permis de mesurer ce décalage entre le ressentiment d’une partie de la société et l’ironie, voire le mépris qu’il inspirait à certaines élites. Pour l’écrire, j’ai précisément donné la parole à une partie de la jeunesse qui se sent absente des radars politiques ; une jeunesse qui s’enfonce dans un désespoir, une rage qui lui donnent le sentiment de ne plus rien avoir à perdre.

Au moment d’assurer la promotion, et malgré l’accueil globalement positif reçu par le livre, j’ai été stupéfait d’entendre, de la part de journalistes chevronnés – mais comment ne pas m’y attendre, le titre même du livre ayant provoqué des crispations : « Nous avons trouvé votre enquête passionnante. Vous avez franchi le Rubicon, à mettre un mot sur une réalité sensible. Cependant nous avons fait le choix de ne pas écrire d’article. Nous ne sommes pas encore prêts à aborder ce type de sujet. Surtout en période pré-électorale… » Et les mêmes s’étonnent qu’un grand nombre de Français se sentent ignorés !

L’article du Monde se clôt par quelques phrases lourdes de sens :

« Autre valeur classique de la jeunesse, la tolérance demeure forte (70 % estiment que l'immigration est une source d'enrichissement culturel) mais semble s'éroder. « A l'image de ce qui se passe dans l'ensemble de la société, une grosse minorité campe sur des positions autoritaires et xénophobes. Une véritable bombe à retardement, craint Mme Van de Velde. Ce sont les jeunes invisibles, dans des vies d'impasse, perdants de la mondialisation. Beaucoup de ruraux et de périurbains, en difficulté, déclassés. Ils sont souvent tentés par le Front national. » »

Ce passage me semble confirmer l’idée qu’en fait de jeunesse, il en existe deux. Celle qui tire parti de la mondialisation, et celle qui en souffre. Celle qui fait son miel de l’ouverture aux autres, des opportunités de voyage, du bouillonnement multiculturel, et celle qui en constate les méfaits : chômage pour les moins diplômés, tensions ethniques. Non que la mondialisation soit mauvaise en soi, mais comme tout phénomène elle a sa face problématique, son revers de médaille – il serait aussi absurde de supposer l’inverse que de considérer, par exemple, que le progrès se fasse toujours sans heurt ni tâtonnement.

Et c’est sans doute ici que résident les tentations de révolte : dans le fait qu’il soit interdit de se plaindre. L’Europe promettait l’emploi mais prodigue chômage, précarisation, déficit démocratique ? Ne vous plaignez pas, vous passeriez pour des nationalistes. Le multiculturalisme a des qualités mais il a ses défauts, qu’il faut savoir reconnaître ? Taisez-vous, le Front national est aux aguets. L’école ne joue plus son rôle d’ascenseur social, le bac ne signifie plus grand-chose et dans certains collèges il est devenu impossible de faire cours ? Vous devriez avoir honte, car les plus beaux principes sont aux commandes : il est tout simplement impossible d’envisager que la qualité de vie, dans certains domaines, puisse régresser.

Interdire de décrire la réalité, ce n’est pas faire œuvre de progressisme. Pour qu’une société libérale déploie ses vertus, il faut jouer le jeu du contrat qu’elle suppose : respecter les craintes, donner du crédit aux discours, permettre le débat. A cette condition, l’équilibre se fera. Le progrès pourra s’enclencher. Mais pointer du doigt les pauvres, leur faire croire que leur souffrance est une faute, c’est effectivement réunir toutes les conditions de la révolte.

mardi 25 février 2014

Petits Blancs : trop blancs pour intéresser la gauche, trop pauvres pour intéresser la droite

Une interview dans Le Télégramme signée Jean-Luc Germain, "Les Petits Blancs" concourant pour le Prix :

Isolés dans une société plus multi-ethnique que jamais, abandonnés par ceux qui réussissent, les « petits Blancs » constituent l’angle mort de la sociologie française, selon Aymeric Patricot. Son livre nous plonge dans l’enfer ordinaire du quart-monde.

Pas de futur et encore moins de présent… Quel a été le point de départ de ce livre ?

J’enseigne depuis dix ans en ZEP (zone d’éducation prioritaire), dans la région parisienne, et je suis au contact de la réalité du métissage. J’y ai constaté le décalage entre l’omniprésence des questions ethniques, des différences d’origine et de couleur de peau parmi mes élèves et le mutisme médiatique sur ce thème. Issu d’une ville normande pas du tout métissée, je me suis découvert blanc dans un environnement où, étant minoritaire, ma couleur de peau avait une importance. En France, on refuse de parler de ce sujet. Comparativement, et même si l’expression de « white trash » est parfois méprisante, ce n’est pas un non-dit aux États-Unis.

Qui est ce petit Blanc dont vous parlez ?

C’est un Blanc pauvre. La pauvreté économique est évidemment essentielle ici mais avec cette particularité que la misère et les comportements qu’elle engendre n’ont pas l’« excuse » de l’esclavage ou de la discrimination. S’il est pauvre, c’est de sa faute et il n’a pas le droit de se plaindre. S’y ajoute, aujourd’hui, une fracture chez les Blancs, entre ceux qui s’en sortent et ceux que la mondialisation n’aide pas, qui se sentent abandonnés.

Leur ressentiment est économique, plus à l’égard des bobos que d’une minorité ethnique. Ils en souffrent d’autant plus que les gens à l’abri les considèrent comme des beaufs racistes, alors que ce sont eux qui vivent le métissage de près.

Comment ce sujet ultrasensible est-il accueilli ?

J’avais peur d’être récupéré par l’extrême droite, même si mon propos, nourri par une enquête de terrain, est modéré, pas du tout politique, l’idée étant de cerner des faits et de souligner une nouvelle réalité dans notre pays. Voici trente ans, je ne me serais pas caractérisé comme Blanc mais c’est ainsi, la société se diversifie. Je ne pense pourtant pas que le racisme se développe en France. C’est la diversité qui augmente et donc les questions qu’elle pose qui se multiplient.

Certains propos, cependant, sont terribles…

Des paroles dures, haineuses, sont prononcées mais le plus troublant est d’entendre le discours de gens modérés qui se sentent mal parce qu’ils n’ont pas le droit d’exprimer leur souffrance. J’ai rencontré des paysans pauvres qui m’ont dit : « Nous, on ne brûle pas de voitures, on ne nous écoute pas ». La misère s’approfondit dans notre pays et la classe politique n’en a pas conscience : l’augmentation des SDF, dont de plus en plus de femmes, les problèmes de fin de droit, l’usage de la drogue dans les campagnes, l’isolement ethnique en sont des signes.

Comment expliquez-vous cette indifférence politique ?

Le petit Blanc est ce que j’appelle un angle mort de la sociologie. Il n’intéresse pas la gauche parce qu’il est blanc et pas la droite parce qu’il est pauvre, il n’entre pas dans les bonnes cases. Le Parti socialiste s’est coupé de ces classes populaires.

Le vrai danger n’est pas que ces personnes votent pour le Front national mais qu’elles ne votent plus. Car il y a de la résignation. Pour eux, la révolution n’est pas pour demain matin, ni la semaine prochaine. Une chanson des Clash, « White riot », parle bien de cela et évoque ces Blancs qui aimeraient se révolter comme les Noirs mais sont paralysés par l’apathie.

Ce livre a-t-il été reçu comme une provocation ?

Non, je n’ai pas fait un pamphlet, j’ai voulu montrer quelque chose qui n’a pas été dit. Ceux qui se sentent choqués refusent de voir la réalité. Beaucoup de gens m’ont remercié parce qu’ils se retrouvaient dans l’ouvrage. J’ai eu des réactions de gens du Maghreb qui, même si je ne parle pas directement d’eux, ont apprécié ma manière bienveillante d’évoque les classes populaires.

jeudi 13 février 2014

Petits Blancs contre bobos : le clash ! (Figaro.fr)



Pour LeFigaro.fr, j'ai dialogué avec Thomas Legrand, auteur de La République Bobo, à propos des différences entre "petits Blancs" et bobos. Une confrontation lourde de sens !

Petits Blancs contre bobos : la nouvelle lutte des classes

Par Alexandre Devecchio

DEBAT - À l'occasion de la sortie de La République bobo, un essai original et enlevé de Thomas Legrand, nous avons confronté sa vision à celle d'Aymeric Patricot, auteur il y a quelques semaines d'un livre qui a fait mouche, Les petits Blancs.

Thomas Legrand est éditorialiste politique à France Inter. Il habite dans une surface atypique au coeur d'un quartier mixte aux portes de Paris

Aymeric Patricot est un écrivain français. Il nourrit son oeuvre de son expérience de professeur en banlieue difficile. A priori, il ne brunche pas rue Montorgueil…

Vos deux livres, «la République bobo» et les «petits Blancs» qui sortent à quelques semaines d'intervalle, décrivent deux visages de la France très différents et semblent se répondre. Mais qui sont vraiment «ces petits Blancs» et «ces bobos» que vous dépeignez? Comment les définiriez-vous?

Aymeric Patricot: «Les petit Blancs» sont des Blancs pauvres qui prennent conscience de leur couleur dans un contexte de métissage. Il y a 10 ou 20 ans, ils ne se posaient pas la question de leur appartenance ethnique car ils habitaient dans des quartiers où ils étaient majoritaires. Ce n'est plus forcément le cas aujourd'hui. Certains votent à l'extrême gauche, d'autres basculent à l'extrême droite. Mais ce qui définit les petits Blancs politiquement, c'est souvent l'abstention. La plupart d'entre eux ne se sentent plus appartenir au «système» et expriment parfois de la rancœur à l'égard des minorités ethniques, par lesquelles ils se sentent menacés. Cependant, leur principale source de ressentiment reste dirigée contre les bobos qu'ils accusent d'exprimer du mépris de classe à leur égard. A tort ou à raison, les petits Blancs ont le sentiment qu'ils sont regardés comme des «beaufs» par les bobos. Il y a aussi une fracture d'ordre raciale: le petit Blanc est celui qui n'a pas les moyens de quitter les quartiers très métissés et qui souffre du métissage alors que le bobo peut vivre dans des quartiers populaires, mais a des stratégies d'évitement face aux situations les plus critiques.

Thomas Legrand: Les bobos constituent une partie de la population pour qui le capital culturel à plus d'importance que le capital économique. Le premier est souvent très élevé, tandis que le second est très variable. Le bobo peut être aussi bien un travailleur social doté d'une maîtrise de sociologie, qu'un webmaster qui gagne 10 000 euros par mois. La principale force du bobo est d'être en phase avec la mondialisation, avec la société, et aussi, contrairement au petit Blanc, avec la représentation du monde qu'il voit à la télévision.

La différence entre le bobo et le petit Blanc, c'est aussi effectivement le fait que le bobo peut choisir où il habite. S'il n'a pas beaucoup d'argent, il peut aller habiter dans des quartiers où il y a une importante mixité, mais il n'ira jamais habiter dans une cité du 9.3.! Et ce faisant, il va créer une mixité qui est selon moi bénéfique pour la société. D'ailleurs dans les quartiers où les bobos sont implantés, le Front national est très peu représenté. Les gens se connaissent et s'apprécient. Tout n'est pas rose, mais le bobo essaie d'inventer une nouvelle manière de vivre ensemble. Il est vrai que pour lui, le petit blanc qui vit dans la France périurbaine est un peu «un beauf». C'est l'un des aspects négatifs du bobo qui est assez content de lui, il faut bien le dire!

Libéral sur le plan économique aussi bien que sur les questions de société, les bobos, qui habitent les centres-villes apparaissent comme l'exact opposés des «petits Blancs», souvent conservateurs sur le plan sociétal, relégués à la périphérie, et souffrant des conséquences de la mondialisation. Est-ce vraiment le cas? Est-il opportun de les opposer?

Thomas Legrand: Lorsqu'on lit les témoignages qui sont rapportés dans le livre d'Aymeric Patricot, on s'aperçoit qu'il y a effectivement deux mondes. Lorsque le bobo s'intéresse aux circuits courts et à l'environnement, le petit Blanc prend ça comme une trahison et une violence. Il ne peut pas le comprendre. Néanmoins, la dernière enquête du CEVIPOF sur les fractures françaises, qui a intégré les travaux de Christophe Guilluy, nous permet de nuancer. Plus qu'entre bobos et petits Blancs, les vraies différences se situent entre riches et pauvres. L'appartenance culturelle ou ethnique compte moins que l'appartenance sociale.

Aymeric Patricot: D'un point de vue économique, le petit Blanc n'est effectivement pas très libéral car il a le sentiment de perdre son travail à cause de la concurrence mondialisée. Si le bobo aime la mondialisation, le petit blanc en souffre et s'en sent exclu. Il y a aussi la question des études qui peuvent coûter cher. J'ai de plus en plus d'élèves qui sont obligés de travailler pour financer leurs études. Le petit Blanc aimerait lui aussi être connecté, mais ne le peut pas toujours et en conçoit du ressentiment. D'autant plus que contrairement aux immigrés, on ne lui reconnaît pas d'excuse pour ses échecs. Sur le plan sociétal, j'ignore s'il est réellement conservateur. Je crois que le mariage gay n'est pas son problème. Pour lui, c'est un débat de riches. Il veut du travail et s'agace que la gauche ne paraisse s'intéresser qu'aux homosexuels et aux minorités ethniques.

La question du style est également importante. Je suis prof de banlieue et j'ai des élèves qui se considèrent comme petits Blancs. Ce sont de bons élèves qui ont un capital culturel important, mais ils portent des t-shirts larges, boivent de la Kronenbourg et sont agacés par le snobisme des bobos. Il y a une esthétique «White trash» qui n'est pas celle du bobo. Renaud, ancien petit Blanc qui se moque des bobos, incarne à son corps défendant l'archétype du petit Blanc précisément récupéré par les bobos

Dans votre livre Thomas Legrand, vous expliquez que les bobos ont également contribué à «redynamiser le vivre ensemble». En quoi ont-ils pu créer du lien social?

Thomas Legrand: Le bobo représente une catégorie de la population qui veut bien aller habiter dans des endroits où il n'est pas forcément majoritaire. Il aime bien la culture populaire, l'altérité et les mélanges. Les bobos ont inventé le covoiturage, les jardins partagés et poussé les maires de grandes villes à aménager celles-ci autrement, y compris les villes de droite comme à Bordeaux avec Alain Juppé. Ils sont favorables à la construction de logements sociaux dans les quartiers chics, très actifs dans la vie de la commune, et très attentifs à tout ce qui est social. Les bobos sont paradoxalement à la fois hédonistes et altruistes. Un quartier de bobos se reconnaît au fait qu'il y a beaucoup de boucherie et de fromagers. Le bobo permet ainsi à de nombreux artisans de s'enrichir autour de lui. Enfin, contrairement à une idée reçue, les bobos ne sont pas toujours opposés à la mixité scolaire. Doninique Voynet explique que des bobos à Montreuil se sont réunis à 20 dans une école difficile pour y inscrire leurs enfants. Cela a permis de sauver des classes… Il faut parfois qu'y ait une dose de bobos blancs pour que la mixité soit respectée. En revanche, il est vrai que le bobo, très à l'aise dans la mondialisation ou à l'échelle locale, comprend moins bien l'échelon national envers lequel il a une méfiance politique

Les classes populaires semblent pourtant disparaître des grandes villes. Dans son livre, «Paris sans le peuple», la sociologue Anne Clerval refuse d'employer le terme bobo qu'elle considère comme un «mot piège» préférant celui de bourgeoisie ou de gentrificateurs. «La mixité sociale souvent lue comme un mélange culturel, est très valorisée par les gentrificateurs même s'ils la pratiquent peu dans les faits» explique-t-elle. Derrière l'apparence de l'ouverture, la boboitude n'est-elle pas en fait le nouveau visage de la classe dominante?

La classe bobo est dominante dans le sens où elle est active et où elle est aux manettes de tout ce qui montre le monde. En revanche, elle n'est pas forcément dominante sur le plan économique. Anne Clerval, qui a une vision très marxiste, considère que la mixité n'existe pas. Et lorsqu'elle la constate, elle considère que ce n'est pas une bonne chose. Les sociologues marxistes parlent du retrait résidentiel des bobos et leur reprochent de mettre des digicodes. Mais les bobos ont tout de même le droit de ne pas se faire cambrioler! Et s'ils ne mettaient pas de digicode, la droite les traiterait d'angélistes!

Aymeric Patricot: N'y a-t-il pas malgré tout une forme d'hypocrisie avec le digicode? Les bobos aiment la diversité sans reconnaître que celle-ci pose parfois problème! Les petits Blancs reprochent d'ailleurs aux bobos de leur faire la morale et de ne pas s'appliquer les principes qu'ils prônent. Enfin, il n'est pas toujours vrai que plus il y a de mélange, moins il y a de tension. Je pense par exemple à une société comme le Brésil qui est à la fois très hétérogène et très violente.

En poussant les classes populaires dans les zones périphériques et en employant des sans-papiers par solidarité intéressée, les bobos participent tout de même à l'organisation d'une société inégalitaire qui les arrange… Peut-on aller jusqu'à parler de nouvelle lutte des classes?

Thomas Legrand: C'est la critique des bobos qui est portée par la gauche de la gauche avec l'idée sous-jacente que lorsqu'on défend la mixité c'est qu'on accepte les inégalités. Lorsqu'on refuse l'idée d'inégalité, comme la gauche radicale, on ne défend pas la mixité sociale, mais la lutte des classes. La gauche marxiste considère ainsi les bobos comme une nouvelle bourgeoisie qui prend les atours du progressisme. Il est vrai que dans bobo, il y a bien «bourgeois».

Aymeric Patricot: L'extrême droite fait exactement le même reproche au bobo, mais en terme d'inégalité raciale.

Aymeric Patricot, pourquoi préférez-vous le terme de «petits blancs» à celui de classes populaires. Est-on en train d'assister à une ethnicisation des rapports sociaux?

Aymeric Patricot: Je ne renie bien sûr pas le terme de «classes populaires». Cependant j'utilise le terme de «petit Blanc» car je n'évoque pas seulement les pauvres, mais aussi la question raciale qui est réapparu depuis les années 2000 avec les émeutes de 2005, le débat autour de la discrimination positive ou encore le fait que les minorités s'organisent en associations. Certains politiques ne raisonnent qu'en termes sociaux, d'autres qu'en termes raciaux. Je crois, au contraire, que les deux questions sont désormais mêlées. Les petits Blancs sont situés dans ce qu'on pourrait appeler «l'angle mort de la sociologie politique. Ils intéressent moyennement la gauche parce qu'ils sont blancs et moyennement la droite parce qu'ils sont pauvres.

Thomas Legrand: Notre République ne reconnaît pas les races, ni les ethnies, mais reconnaît paradoxalement le racisme. La République laïque et non raciale est un bien commun, mais il ne faut pas être hypocrite lorsqu'on aborde ces questions.

Par leur fascination pour le métissage et leur refus de voir les conséquences parfois néfastes de l'immigration, les bobos sont-ils en partie responsable du sentiment d'insécurité culturelle qui taraude les classes populaires?

Aymeric Patricot: Je répondrais par une anecdote, j'ai rencontré une jeune fille qui était la seule blanche de sa classe en seconde et qui m'a dit être tombée en dépression. Tous les profs demandaient en début d'année à chaque élève d'où ils venaient. La jeune fille avait le sentiment d'être nulle et s'est inventée des origines pour ne pas se sentir exclue. Cela traduit bien l'angoisse du petit Blanc qui se sent menacé et qui n'arrive pas à vivre les bouleversements ethniques récents de manière apaisée.

Le petit blanc ne se sent pas aimé des autres blancs plus aisés. Il se dit: «En face de moi, il y a des minorités soudées, tandis que moi je ne suis pas aidé par le bourgeois ou le bobo.» Il n'y a pas de solidarité ethnique entre Blancs puisque le bobo considère qu'il ne faut pas parler de race.

Thomas Legrand: Le bobo a du mal à comprendre la question du racisme anti-blanc qui est une réalité dans certaines banlieues. Mais en ce moment, il y a une véritable tempête sous son crâne. Pour le bobo, le réac, le méchant n'est plus tellement le bourgeois traditionnel avec lequel il ne vit plus, bien qu'il n'aime pas tellement le voir manifester sous ses fenêtres contre le mariage gay, mais plutôt le barbu, le petit caïd qui traite sa femme et ses enfants en bon macho. Le bobo a du mal à le reconnaître et se demande s'il n'est pas en train de devenir raciste. La laïcité et la République lui permettent heureusement de se sauver lui-même et de gueuler contre le barbu sans avoir trop mauvaise conscience!

Malgré leurs différences, la «République bobo» et la «France périphérique» peuvent-elles se réconcilier ou une partie du peuple est-elle en train de faire sécession?

Thomas Legrand: A partir du moment où le bobo est une population en phase avec la mondialisation et en phase avec le mélange, il peut très bien vivre avec des gens venant de tous les horizons du moment qu' il ne se sent pas trop minoritaire. Ce sont des équilibres très difficiles à trouver et les politiques d'aménagements publics, de transport et de logement, auront une importance de plus en plus capitale à l'avenir.

Aymeric Patricot: On peut éviter la fracture définitive, mais à condition qu'il y ait une parole libre autour de ces sujets. La notion de «white flag» est peu évoquée en France. Il s'agit du fait que dans les quartiers qui se métissent fortement, les blancs qui sentent qu'ils vont devenir minoritaires partent. C'est ce qui s'est passé aux États-Unis à Detroit lorsque la ville a chancelé économiquement et c'est un phénomène qui pourrait se développer en France.