La littérature sous caféine


samedi 1 septembre 2012

Entretien express avec Carole Fives pour "Que nos vies aient l'air d'un film parfait"



Le premier roman de Carole Fives, Que nos vies aient l'air d'un film parfait (Le Passage, août 2012), est un livre déchirant. L’histoire est terrible : un couple divorce et décide de répartir les gardes. La fille restera chez le père, le fils chez la mère. Et le partage serait déjà cruel sans le détail qui scelle la tragédie : la mère, bipolaire, sans doute déjà responsable de l’échec du couple, fera peser sur le fils tout le poids de sa rancœur et de son instabilité. S’en suivront, chez les protagonistes, douleurs et mauvaise conscience.

« Après il y a encore eu des moments bien sûr, des petits bouts d’enfance ça et là, mais rien n’a plus été pareil. » (Page 17)

L’habile distribution des voix narratives accentue l’émotion : trois personnes prennent tour à tour la parole, le père, la mère et la fille qui s’adresse à son frère en utilisant un « tu » cherchant à retranscrire ce qu’il éprouve :

« Le père a commencé, « Nous avons quelque chose à vous annoncer ». (…) D’habitude, les parents ont rarement l’occasion de se confier à toi comme ce matin. C’est une famille qui déjà n’en est plus une et où il n’y plus grand-chose à se dire. A moins que ce ne soit une famille où il y ait tellement de choses à dire que plus aucun mot n’en sorte. Comme quand la bouche est tellement pleine que si on l’entrouvre, ce n’est pas un mot qui arrive, pas un tout petit mot, mais tout un tas de mots emmêlés, qui à la fin forment un bruit étrange, à peine un cri. » (Page 11-12).

La voix de la principale victime, elle, brillera par son absence, jusqu’aux dernières pages du livre où l’on découvre une lettre affectueuse du frère à sa sœur, parti vivre sur les routes de Roumanie.

« Il paraît qu’il y a pire petit frère, il paraît qu’il y a des familles où l’on ne divorce pas alors qu’il vaudrait mieux. Ce n’est pas à toi qu’il faut raconter ça, ce n’est pas le genre de pilule que tu vas avaler si facilement, pourtant ce sont des gens concernés qui le disent, des enfants de couples non divorcés non séparés qui disent « tout plutôt que la lente montée de la haine, pire, de l’indifférence, tout plutôt que le statu quo, et si vous croyez qu’on apprend l’amour dans une famille où il n’y en a pas. » » (page 45)

Une pudeur, une qualité d’écriture, une économie de moyens qui font penser à Olivier Adam si ce n’est que la fiction, réduite à la plus simple expression, s’approche autant que possible d’une expérience que l’on devine très sensible.

Entretien rapide avec l’auteur :

- Une question que je devrais me retenir de poser : Quelle est la part de vécu dans ce livre qualifié de roman ?

Rien n’est vécu, tout est vécu. Rien n’est vrai, tout est vrai. Le réel n’est qu’un prétexte pour la fiction, comme je crois dans tous les romans.

- En tête du chapitre III, tu places en exergue une citation de Charles Juliet. Un commentaire ?

De Charles Juliet, je ne connais pas le journal, mais surtout la poésie. La poésie permet d’aller dans des endroits que ne permet pas le roman. La poésie n’est pas prisonnière du visible comme le roman, et ce poème en exergue, annonce le parcours du frère, dans l’ultime partie du roman.

Tu ne me demande pas pourquoi j’ai mis Laurent Mauvignier en exergue de la deuxième partie, mais je te le dis tout de même, c’est en reposant le livre de Laurent Mauvignier, Ce que j’appelle oubli, que j’ai immédiatement entamé l’écriture de Que nos vies aient l’air d’un film parfait. J’ai beaucoup pensé aussi à Loin d’eux, du même Mauvignier, en l’écrivant.

- Trois auteurs dont tu rêverais d’avoir écrit les livres, et pourquoi ?

« Tu ne t’aimes pas », de Nathalie Sarraute, parce que tout est dit, tout est vu, perçu, comment écrire après Sarraute ?
« Eau sauvage », de Valérie Mréjen, parce qu’elle a inventé une langue, et ce n’est pas si fréquent.
« Mauvaise journée, demain », de Dorothy Parker, pour son humour et sa lucidité.

samedi 16 juin 2012

A quoi sert au juste le café décaféiné ?

1) Place d’Italie, dans un café très justement nommé « Le Parisien » (vous allez voir pourquoi), je commande un déca. Quelques minutes plus tard, les deux serveurs et la patronne s’expriment à voix très haute (le font-ils délibérément ?) :
- Franchement, ça sert à quoi de demander un déca ? Aucun intérêt ! Les gens, ils ont vraiment que ça à foutre !
- Un déca, putain ! Mais pourquoi ils viennent dans un café pour boire un déca ? Autant demander un verre d’eau.
- Moi je te dis que c’est pour faire chier le monde qu’ils demandent un déca.
- Quand je vois tous ces gens qui commandent des décas – ou pire, des décas allongés –, je me dis : Pauvre France…
- Un déca allongé, putain !

2) Je traverse le cimetière du Père Lachaise et je passe à proximité d’un groupe de visiteurs écoutant un guide leur parler de la tombe de Colette – des admirateurs y laissent souvent des croquettes pour que les chats viennent y manger. J’écoute, à quelques mètres, cherchant à glaner quelques anecdotes.
Le guide m’interpelle de manière vigoureuse, sur un ton de fausse amabilité : « Vous désirez, Monsieur ? Je vois que vous tendez l’oreille… – Oui, j’aime beaucoup Colette, et… - Bonne promenade, Monsieur ! » (Il reprend ses explications sur un mouvement du menton qui signifie mon congé).

mardi 12 juin 2012

Mona Ozouf et les muliples "écoles" de nos identités



Très beau livre que cette Composition française, dans lequel Mona Ozouf raconte son enfance bretonne et décrit ses tiraillements identitaires : partagée entre ce qu’elle appelle l’« école de la Bretagne » (sa famille défendait ardemment la culture bretonne), l’« école de la France » (notamment les principes républicains distillés par les maîtres) et l’« école de l’Eglise » (un catholicisme que l’auteur juge « froid »), elle a longtemps eu du mal à trouver une place au coeur de sorte de Trinité professant des principes souvent contradictoires.

« A l’école, il fallait célébrer des gloires que la maison méprisait, réciter des textes sur lesquels s’exerçait l’ironie muette, mais perceptible, de ma mère (…). A l’église, il fallait prier pour un ciel qui resterait vide des êtres que j’aimais. A la maison, et cela ajoutait une complication supplémentaire, il ne s’agissait pas d’aimer étourdiment tout ce qui se proclamait breton : les bretonneries exhibées aux murs et les niaiseries bretonnes chantées au dessert n’avaient pas droit à notre indulgence. Où donc était le beau, le bien, le vrai ? » (Composition française, Folio, p. 153).

Si j’essaye d’appliquer ces catégories à mon propre cas – après tout, c’était en partie l’objet d’Autoportrait du professeur que de dresser une carte (à la fois variable et floue) des identités qui me composent – cela pourrait donner les aperçus suivants :

L’école française ? Elle n’exerce plus sur moi qu’une autorité chancelante et douloureuse, depuis que je constate combien le mot même de France attire généralement l’ironie, voire le mépris – encore que la dernière campagne présidentielle ait donné le spectacle de revirements étonnants. La « valeur France » est à la mode en ce moment dans le marketing, mais il entre beaucoup d’opportunisme dans ce mouvement d’humeur.

L’école régionale ? Je n’en avais jamais vraiment pris conscience, jusqu’à ce que l’école française fléchisse, justement, et m’oblige à considérer d’autres appartenances (multiples, cependant, et parfois plus fantasmées que tangibles). Je me sens maintenant le fruit d’un véritable métissage interrégional et inter-pays européens.

L’école religieuse ? Sur le point de s’évanouir à mes yeux, depuis que la pratique du catholicisme s’est évaporée dans ma famille en deux générations – non croyant, je n’ai jamais eu de goût pour la sentimentalité chrétienne, ni les superstitions, ni la prière ; en revanche, je suis très admiratif des « productions culturelles » du christianisme et je suis chaque jour plus conscient de l’imprégnation de cette religion dans l’histoire millénaire de la France – quoi que le pays ne lui doive pas tout, loin de là, et qu’il se soit au moins autant opposé à elle.

Dans son livre, Mona Ozouf s’attache à montrer qu’il y a deux grandes tendances dans la définition de cette « identité nationale » aujourd’hui si controversée, deux tendances en apparence contradictoires et qui ont donné lieu à tant d’échauffements, parfois violents :

« L’une, lapidaire et souveraine, « la France est la revanche de l’abstrait sur le concret », nous vient de Julien Benda. L’autre, précautionneuse et révérente, « la France est un vieux pays différencié », est signée d’Albert Thibaudet. » (Page 13)

Au terme du livre, Mona Ozouf est persuadée que ces deux visions sont pourtant conciliables, qu’on peut à la fois se reconnaître français et vivre sa « particularité régionale » (évidemment, cette réflexion fait écho aux polémiques actuelles sur la question des minorités ethniques). Après tout, on peut à la fois aimer sa famille et son pays, preuve qu’il est tout à fait possible d’appartenir à des « cercles identitaires » plus ou moins concentriques, sans que cela pose de problème rédhibitoire.

N’empêche : il en faut, des livres, des articles, des coups de sang, des remises en cause, pour dompter en soi les pénibles à-coups de ses propres angoisses identitaires – sans pour autant les réduire par une identification simpliste, et de mauvaise foi, à une cause culturelle trop étroite.

vendredi 8 juin 2012

Y aller mollo sur le vin blanc à huit heures du matin

1) Un jeune SDF marche à mes côtés, sur le boulevard Saint-Michel, m’interpellant sur un ton proche de la révolte :
« Vas-y, dis-moi tout ! Raconte-moi ta vie, lâche-toi, balance ! Vas-y, dis-moi tout, dis moi-tout !»
Je n’ai pas envie de l’ignorer complètement, puisqu’il reste sympathique. Alors je me tourne vers lui :
« Tout ! »
Déstabilisé, mais calmé tout à coup, il s’arrête et me laisse partir, grommelant :
« Bonne réponse… »

2) Un pilier de bar, dans un bistrot de Montmartre, joyeux et aviné, s’adresse bruyamment à la serveuse : « Eh, Chérie, ça te ferait marrer si je te disais qu’on m’a fusillé le cerveau ? Hin hin hin… » (Rire sardonique de grand timide).

3) Deux hommes se font servir deux verres de vin blanc, à huit heures du matin. « Doucement, dit l’un d’eux. Remplis pas le verre à ras-bord ! Faut commencer mollo, quand même… »

samedi 2 juin 2012

Mettre le doigt où ça fait mal (Laurent Mauvignier, Des Hommes)



Michael Cimino avait construit son film Voyage au bout de l’enfer sur un contraste fort entre une première partie très calme, presque banale – une chasse dans les montagnes organisée par un groupe d’amis – et la plongée brutale dans l’horreur de la guerre du Vietnam.

Le spectateur était saisi par la juxtaposition de deux mondes et cela permettait de comprendre la folie dans laquelle plongeaient plusieurs personnages – notamment celui qu’incarnait Christopher Walken, perdant la vie dans la fameuse scène de la roulette russe.

Laurent Mauvignier, dans son très beau roman Des Hommes, reprend ce principe de deux plages narratives contrastées, même s’il en inverse la chronologie : la première partie décrit l’arrière, mais après le temps de la guerre – en l’occurrence, celle d’Algérie. On y découvre, dans une campagne française en apparence paisible, un personnage de marginal, Bernard, qui ne peut s’empêcher d’exprimer brutalement son désespoir et sa rancœur.

La deuxième partie nous plonge dans l’épouvantable guerre d’Algérie (évoquant les atrocités commises de part et d’autre), l’auteur excellant à traduire, par un style rythmé faisant la part belle à un certain « ton Minuit » (sensible par exemple dans la tendance à débuter les paragraphes par des conjonctions de coordination), sans rien céder à l’exigence du souffle ni de la clarté, l’angoisse ressentie par les soldats.

Le livre culmine dans plusieurs pages saisissant les particularités de cette guerre, et mettant précisément le doigt où les tabous se sont noués. Le passage suivant me semble lumineux, nommant ce que peu de commentateurs habituels osent évoquer lorsqu’ils décrivent les traumatismes causés par ces « événements » :

« (…) ils avaient raconté, se retrouvant seuls et déjà éméchés, comment on avait du mal à vivre depuis, les nuits sans sommeil, comment on avait renoncé à croire aussi que l’Algérie, c’était la guerre, parce que la guerre se fait avec des gars en face alors que nous, et puis parce que la guerre c’est fait pour être gagné alors que là, et puis parce que la guerre c’est toujours des salauds qui la font à des types bien et que les types bien il n’y en avait pas, c’était des hommes, c’est tout, et aussi parce que les vieux disaient c’était pas Verdun, qu’est-ce qu’on nous a emmerdés avec Verdun, ça, cette saloperie de Verdun, combien de temps ça va durer encore, Verdun, et les autres après qui ont sauvé l’honneur et tout et tout alors que nous, parce que moi, avait raconté Février, tu vois, moi, j’ai même pas essayé de raconter parce qu’en revenant il y avait rien pour moi, du boulot à la ferme, des bêtes à nourrir et puis regarder de loin, dans la ferme d’en face, la petite voiture d’où Eliane sortait tous les dimanches vers cinq heures, en revenant de chez ses beaux-parents. Parce que quand je suis rentré, se dire qu’elle était mariée, oui, ça, c’était vraiment dur. Et qu’elle était mariée avec un voisin, un pauvre type pour qui j’avais jamais eu le moindre respect parce que je savais que toute sa famille en quarante ça avait été des collabos, rien que des collabos retournant leur veste au dernier moment, toute cette saloperie chassant les derniers Allemands à coups de pelle, moi, on me l’a dit, ça, mon père me l’a dit, personne de plus furieux que les résistants des dernières heures, quelque chose à prouver, se rattraper, montrer qu’ils y sont, du bon côté, pour bien être du bon côté, je le sais, on me l’a dit, ce gars de vingt ans qu’ils ont achevé à coups de pelle et alors se dire qu’elle s’est mariée avec un gars de cette famille-là, cette engeance parce qu’il s’était fait réformer et qu’il avait de l’argent pendant des mois en revenant je suis pas sorti de chez moi et même j’ai travaillé à la ferme comme jamais, j’ai refait les clôtures, j’ai marché pendant des heures dans la campagne et jamais j’ai trouvé que la boue c’était mieux que la pierraille, crois-moi… » (Page 230)

lundi 28 mai 2012

Les billets de dix euros par terre

1) Je débouche sur un quai de la ligne 7bis, à 7 heures du matin, et je tombe sur un billet de dix euros traînant par terre. Je n'ose pas le ramasser, de peur que ce ne soit un canular ou qu'une personne ne me le réclame. Il y a deux ou trois autres voyageurs sur le quai, et personne ne semble ne me remarquer. Je me poste à deux mètres de là. Quelques instants plus tard, un autre client de la RATP arrive et remarque le billet. Comme moi, il s'arrête quelques secondes, se pose des questions, et s'éloigne.

Une minute plus tard arrive un troisième voyageur qui, lui, n'hésite pas, se baisse dès qu'il voit le billet et s'éloigne sans même vérifier si des gens l'ont observé.

2) Quelques jours plus tard, au café Le Buci à Saint-Germain, je sirote mon café au zinc. Un client fait tomber de sa poche un billet de dix euros en cherchant la monnaie dans sa poche. Un homme sur ma droite a vu comme moi le billet, il vérifie d'un rapide coup d'oeil si j'ai remarqué la même chose - et comme je fais l'indifférent, il pense que je n'ai rien vu. Il s'approche lentement de la personne qui est en train de régler son adition. Un moment, je pense qu'il va rendre le billet, mais il le ramasse et l'empoche prestement.

Quelques minutes plus tard, une cliente oublie son parapluie sur le comptoir. L'homme, toujours à son poste, joue alors les grands seigneurs, prend le parapluie, interpelle la femme et court lui rendre le parapluie.

3) Un bouquiniste dans le quartier de la Grande Mosquée. Je jette un oeil à son casier de livres d'occasion posté sur le trottoir. Je prends certains livres, dont je lis la quatrième de couverture avant de les reposer parmi les autres. Le propriétaire, un homme mûr au visage fatigué, aux cheveux blancs hirsutes, sort de sa boutique, l'air furibard, se poste à ma gauche et donne des coups de la paume pour réaligner parfaitement les livres. Il rentre dans sa boutique, je regarde quelques livres à nouveau, puis, indisposé, je m'éloigne.

Quelques secondes plus tard, regardant une façade, je me tourne vers le magasin et le propriétaire est à nouveau sorti. Il me fusille du regard. Je lui lance, agacé par cet air vengeur qu'il se donne: "Il y a un problème ?" Furieux, il en hurle presque: "Le problème, monsieur, c'est l'ordre!" Je comprends que j'ai dû mal replacer quelques livres à deux euros sur l'étal plus que modeste. Je m'éloigne en haussant les épaules.

jeudi 24 mai 2012

C'est amusant, l'horreur !


Houellebecq de A à Z : F comme Femme par Mediapart

Dans cette interview délicieuse (déjà postée sur ce blog), Houellebecq parle du côté revigorant de la littérature « négative ». Il fait sans doute référence aux romans dépressifs, aux constats pessimistes des œuvres réalistes, mais on pourrait étendre son raisonnement à la littérature de genre – je pense notamment aux romans d’horreurs (beaucoup moins en vogue, en France, que leurs équivalents cinématographiques).

Dans cette veine-là, je viens de me régaler en lisant 10 000 d’horreur pure, de Thomas Gunzig. Le titre en lui-même justifierait que le livre figure dans mes rayons, la couverture aussi (sans parler des quelques illustrations émaillant le texte), merveilleusement dégoulinante d’effets de chairs mêlées, de sueurs, de sangs, de larmes et de reflets douteux.

L’auteur s’amuse avec les clichés du genre (cabane isolée, adolescents fougueux) et les compile dans un savant crescendo vers une sorte de summum d’horreur absolue – on voit bien qu’il a cherché à concevoir le pire imaginable et cela donne de réjouissantes visions de corps monstrueux, entassés dans des lieux cauchemardesques. Tout cela croqué par une écriture malicieuse qui rend l’ensemble franchement drôle.

Le passage suivant donne une bonne idée des effets recherchés par l’auteur – bien sûr, ce serait plus spectaculaire au cinéma, mais les images vieillissent plus vite et la vision qui nous est donnée là pourrait ne passer que très mal à l’écran :

« Devant lui, dans le frigo ouvert, éclairé par la petite ampoule de 15 watts, il y avait la plus horrible chose qu’il ait vue de toute sa vie. C’était un paquet de chairs à vifs, de pattes, de doigts, de pieds. Il y avait des yeux, à différents endroits, des bouches, des dents, des nez, des extrémités pointues et d’autres griffues qui poussaient là-dessus comme des champignons sur une carcasse d’animal mort. La chose occupait presque tout l’espace du frigo, en épousant ses contours rectangulaires, semblable à un morceau de viande dans un Tuperware trop petit.
Mais ce n’était pas le pire.
Le pire, c’est que cet amas, luisant d’une sorte d’huile rose, avait l’air… vivant
. »

En lisant ce roman, j’ai pensé à l’ Anatomie de l’horreur, un agréable essai (quoi que bavard) dans lequel Stephen King propose quelques aperçus de ce qu’il comprend du genre de l’horreur (dont il est le maître mondial).

L’idée la plus intéressante du livre est la distinction de trois niveaux de l’horreur : la terreur (dans laquelle la peur est provoquée par l’imagination), l’horreur proprement dite (« elle entraîne une réaction physique en nous montrant quelque chose de physiquement anormal ») et la révulsion (« dont relève la scène d’expectoration d’Alien »). Manifestement, c’est un effet de révulsion qu’a recherché Gunzig – même si l’on rit sans doute plus qu’on ne frissonne.

Même ambiguïté qu'une la plaisanterie citée par Stephen King : « « Quelle est la différence entre un camion plein de boules de bowling et un camion plein de bébés morts ? » (Réponse : on ne peut pas décharger le premier avec une fourche… cette blague, je le précise, m’a été racontée par un gamin de onze ans.) » (Anatomie de l’horreur, J’ai lu, page 252)

vendredi 18 mai 2012

Ça chauffe au zinc !

1) Au bistrot Le cavalier bleu, près de Beaubourg, je m’installe avec gourmandise au zinc pour déployer le Parisien devant un bon café – meilleur moment de la journée ? A côté de moi, j’importune manifestement un petit vieux, déjà bien aviné, qui grommelle dans son coin. Je tourne les pages, il parle de plus en plus fort et se met à tourner autour de moi. Bientôt, il n’en peut plus : « C’est pas possible de voir ça ! Vous prenez toute la place, vous n’en avez rien à foutre des autres ! Je pourrais être votre père, jeune homme ! Qui vous a éduqué ? Vous en avez des sales manières ! » Et d’autres phrases que j’ai du mal à comprendre. Surpris par son agressivité, je me permets de lui répondre : « Ne me parlez pas sur ce ton-là. » Ma réponse le met hors de lui, il finit par sortir du bar en s’exclamant : « Connard ! Petit con de mes deux ! »

2) Dans un bistrot de Saint-Germain, je m’installe au zinc quand une femme au physique très commun, la quarantaine passée, se campe à côté de moi pour apostropher le serveur qui vient de lui demander si elle allait bien : « Bah oui, ça va ! Pourquoi ça n’irait pas ? Je suis jeune et belle, non ? » Sourire insistant de la femme, rires gênés du serveur. Puis le visage de la femme se ferme… « Non, ça ne va pas, en fait. Ça ne va pas du tout… (Presque en colère). Vous me servez un demi ? »

3) Dans le même bar, un serveur d’origine indienne observe, rêveur, les fesses d’une cliente qui fume une cigarette sur le seuil… Puis il se tourne vers moi, le regard véritablement haineux quand il me voit mettre Le Monde dans mon sac – il doit croire que j’emporte le journal appartenant au bistrot. J’ai pourtant bien acheté cet exemplaire deux heures plus tôt, mais j’ai la flemme de me justifier. Je quitte les lieux.