La littérature sous caféine


Le nez d'Hitler (Les Bienveillantes, de Jonathan Littell : un roman monstre)



Le meilleur roman de ces dix dernières années ? Force est de constater qu’il écrase quelque peu la concurrence… J’en achève la lecture après plus de six mois de pause, et je reste fortement impressionné. Les pages d’anthologie sont légions, et j’ai particulièrement été sensible aux aspects suivants :

- Les descriptions hallucinées de massacres et de scènes de guerre, complètement bluffantes par leurs cascades de détails et leur souffle épique (sans pathos, ni lyrisme, l'art du constat brut).

- Le parfum de provocation : difficile de ne pas croire que l’auteur ne se soit fait un malin plaisir de se glisser dans la peau d’un Nazi, pour mettre son grain de sel dans certains débats qu’il devait juger trop manichéens (l’entrée en matière du roman, à cet égard, annonce bien la couleur : « J’ai été bourreau », nous dit en substance le narrateur, « mais n’oubliez pas que j’ai souffert autant que les autres, et qu’à ma place vous auriez fait pareil »).

- La scatologie, les expérience sexuelles toutes plus ébouriffées les unes que les autres, avec ce même ton détaché qui fait mouche (le narrateur fait mine de nous décrire tout cela comme si cela allait de soi). Les dernières pages du roman, teintées de romantisme et de perversion continue, douloureuse, nostalgique, sont magnifiques : on dirait du Bataille en plus fluide, en plus maîtrisé !

- L’humour noir : j’ai par exemple pouffé, dans le métro, quand j’ai lu le passage suivant : le narrateur se trouve dans le bunker du Führer, à la fin de la guerre, et s’apprête à recevoir une médaille :

« Au fur et à mesure que le Führer se rapprochait de moi – j’étais presque en bout de ligne – mon attention se fixait sur son nez. Je n’avais jamais remarqué à quel point ce nez était large et mal proportionné. De profil, la petite moustache distrayait moins l’attention et cela se voyait plus clairement : il avait une basse épaisse et des ailes plates, une petite cassure de l’arête en relevait le bout ; c’était clairement un nez slave ou bohémien, presque mongolo-ostique. Je ne sais pas pourquoi ce détail me fascinait, je trouvais cela presque scandaleux. Le Führer se rapprochait et je continuais à l’observer. Puis il fut devant moi. Je constatai avec étonnement que sa casquette m’arrivait à peine au niveau des yeux ; et pourtant je ne suis pas grand. Il marmottait son compliment et cherchait la médaille à tâtons. Son haleine âcre, fétide, acheva de me vexer : c’était vraiment trop à supporter. Avec un petit sourire sévère je tendis la main et lui pinçait le nez entre deux doigts repliés, lui secouant doucement la tête, comme on fait à un enfant qui s’est mal conduit. Aujourd’hui encore je serai incapable de vous dire pourquoi j’ai fait cela : je n’ai simplement pas pu me retenir. Le Führer poussa un cri strident et bondit en arrière dans les bras de Bormann. Il y eut un moment où personne ne bougea. Puis plusieurs hommes me tombèrent dessus à bras raccourcis. » (p881)

Pour éviter de faire trop long, disons qu’il y a dans ce roman : du Bataille (pour la sexualité tordue), du Kafka (pour la pointe de fantastique métaphysique), du Tolstoï (pour le souffle épique), du Dantec (pour la provocation), du Roth (pour les longues bordées de réalisme socio-politique), du Dostoïevski (pour l’art de la fluidité dans le pavé), du James Ellroy (pour le goût du détail macabre).

Deux bémols à ce rapide compte-rendu : un narrateur relativement inconsistant (au point qu’il paraît n’être qu’un regard, un bras, un sexe…), et le manque de cartes, à la fin du livre, qui auraient avantageusement complété cet ébouriffant panorama de la IIème Guerre Mondiale vue du côté des bourreaux.

COMMENTAIRES

1. Le mardi 11 décembre 2007 à 12:39, par hélène

je vais finir par le lire (si j'en trouve un d'occasion)..sinon, j'attends la sortie poche (eté 2008 normalement)

2. Le mardi 11 décembre 2007 à 15:57, par pat

la sortie poche n'est pas prévue pour janvier ?
Sinon j'ai enfin trouvé la solution pour le titre (et la phrase finale) : Les Bienveillantes est en fait un synonyme des Erynies, ces déesses grecques qui poursuivent les coupables... (les fameuses "mouches" de la pièce de Sartre). Pour ceux qui ont lu le livre, si le narrateur est poursuivi par les Bienveillantes, cela veut dire qu'il est bien coupable du crime atroce évoqué tout au long du roman...

3. Le mardi 11 décembre 2007 à 17:00, par hélène

normalement pour la sortie poche c'est 18 mois à peu près mais...ouaip , il est annoncé le 15.02 sur le site FNAC...

4. Le mardi 11 décembre 2007 à 18:02, par Marco

Roman important de ces dernières années, ok. Audace de la voix narrative choisie, caractère impressionnant de la documentation, scènes visuellement très réussies (par exemple le village sous la pluie en Ukraine, avec l'accouchement sanglant...) je suis bien d'accord.
Mais la platitude du style ne te dérange pas un peu? Je sais bien que c'est un parti pris, cette "neutralité", ce ton de constat face à l'horreur. Mais franchement on est loin de la sobriété très concentrée d'un Primo Lévi. Là, Littell ne nous épargne aucun horaire de train, aucun bouton de manchette, aucun nom de sous-off croisé dans un couloir... on dirait des "effets de réels" à la Zola puissance 10! Je ne dis pas que le livre serait mieux avec du "beau style" (ça serait lamentable, vu le sujet) mais un peu plus de densité n'aurait pas été de refus. (cela dit, je sais bien que je ne suis pas capable d'écrire le quart de la moitié de Littell, mais on peut bien critiquer un peu quand même, hein ;)

5. Le mardi 11 décembre 2007 à 18:54, par pat

c'est vrai que le tout début est un peu laborieux (mis à part l'ouverture philosophico-politique, assez magistrale) : personnellement ce sont les grades qui m'ont genés, je m'y perdais. Mais tres vite on est pris par le rythme... On m'avait tellement dit que Littell n'avait pas de style que, franchement, j'ai trouvé le roman plutot bien écrit, au contraire. Il y a tellement de descriptions brillantes, de portraits saisissants... On lui reproche de faire du Balzac, et alors ? C'est assez flatteur, au final, non ? Surtout que je n'ai sauté aucun passage... Alors que dans Balzac, il m'est arrivé bien souvent de le faire...

6. Le mardi 11 décembre 2007 à 19:10, par drago

les mauvaises langues disent que les bons passages des Bienveillantes ont été écrits pas l'éditeur, richard millet...

7. Le mardi 19 août 2008 à 04:56, par GILLES

Je crois que je n ai jamais mis autant de temps à finir un livre. Ca fait des mois que je suis dessus et non, pas moyen d en venir à bout. Quelques passages géniaux. Par exemple lorsque le soldat est blessé à la tête et qu il part dans un delire total, c'est très visuel, tactile, j ai beaucoup aimé. Presque une touche de poésie dans toute cette fange. Un vrai talent pour nous emmener explorer une âme humaine d'un sombre etourdissant. Enormement de passage qui sont des assomoirs (les grades, les noms, les dialogues dans les tranchées sur le front de l est, les descriptions pénibles qui n en finissent pas, le passage infernal durant les recherches ethnologiques et les dialogues qui en decoulent, à la limite du recopiage de manuel scolaires, etc.). Mais Littel a su capter la folie de tous ces nazis (il suffit de voir les images d archives des proces de Nuremberg pour s en convaincre). Le talent, evidemment, mais un peu de sobriété n aurait pas nuit a l atmosphere dejà lourde, le theme choisi etant deja suffisament propice à la noirceur. On y retourne tout de meme a ce bouquin, qu on laisse posé sur sa table de chevet. La lecon, meme si je n ai pas encore achevé la bete, j en retire une : le voyeurisme. J ai pris gout a vouloir connaitre la suite, et la suite dans ce livre est toujours pire. Plus horrible, plus degoutante, plus pathetique. A coté de ce bouquin l'acide sulfurique de Nothomb (qui reprennait deja un theme de camp de concentration) ressemble a un Alice au pays des merveilles. Est ce que Little a voulu choquer? Je ne pense pas. A mon sens, ce qui peut choquer au final, c est notre attitude, notre appétit de sang et notre gout du scabreux, l histoire n apprend rien et c est bien la morale de ce roman. Je n ai pas compris l'homosexualité du personnage par contre. Un parti pris pour se debarrasser d entree de jeu d'une critique severe de l homosexualité? Ok, on est en face d'un fou furieux mais la folie ne peut elle pas etre hétérosexuelle? Il aurait tout autant pu aimer sa soeur non? D ailleurs le passage dans la maison de la soeur est looooong, mais loooong! Et pourtant le retour sur le front est magistral. Bon, faudrait que je finisse le pavé, c est pas gagné, je suis plutot devoreur de nouvelles. Pour les moments droles, j ai deja vu mieux, il n y a absolument rien de drole dans ce livre.

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